dimanche 7 juin 2020

Outreterre : conte de fée ou science-fiction ?

Peinture pour la maquette de la couverture du livre broché

    Outreterre est le titre que j’ai donné au cinquième tome de la série, Sept Cercles De L'Enfer. 
    Pour répondre tout de suite à la question posée dans le titre, les deux sont vrais. Si on considère l'intrigue principale, Outreterre appartient incontestablement au conte de fée. Il y a même une fée bleue, rappelant celle de Pinocchio. Mais si on considère le cadre de l'histoire, sa description aussi fidèle que possible aux données de la science actuelle - sans excès non plus sinon on ne dépasserait jamais la banlieue de la Terre et ce récit nous emmène beaucoup, beaucoup plus loin - ainsi que la psychologie très réaliste des membres du vaisseau spatial (me semble-t-il), Outreterre s'apparente très nettement à la science fiction dure, branche historique pourrait-on dire, celle que les anglo-saxons dénomment Hard Science Fiction. Ce mix, légèrement audacieux, n'est pas sans précédent dans l'histoire de la SF mais très rare, il faut le reconnaître.
   Ce point élucidé, voici une courte présentation de ce récit suivie d'un extrait choisi.
    Le cadre de cette novella est une planète extrasolaire sur laquelle ont abouti des astronautes au cours d’une mission de la dernière chance, sans filet de secours et sans billet retour, naturellement. De loin, de très loin même – des années-lumière la planète semblait extrêmement prometteuse ; il s’avère qu’elle l’est beaucoup moins de près. À l’espoir sans limite, succède un abattement d’une intensité au moins égale pour le petit groupe de pionniers. Y a-t-il encore pour eux une porte de secours ? Il semblerait que oui, sous la forme d’une porte cyclopéenne, érigée au milieu d’un labyrinthe de rocs multicolores. Il pourrait pourtant ne s’agir que d’un accident géologique, une fantaisie de la nature minérale étrange de ce monde. Mais quand vous avez perdu tout espoir, vous n’avez que faire de ce genre de considérations. 

   "Sous l’horizon, au sommet d’un plateau, un assemblage de trois rocs attira son attention. Ils formaient une haute table de pierre, un portique plutôt, voire une sorte de porte cyclopéenne. Tout dépendait de l’importance qu’on accordait aux pleins et aux vides de la structure.

Elle était en tout cas d’une taille assez remarquable. Sa forme de trapèze, plus large au sommet qu’à la base créait un effet de perspective étrange, comme si l’édifice avançait vers l’observateur. L’énorme pierre plate posée en équilibre sur les deux autres par on ne sait quel concours de circonstances rougeoyait sous les rayons de l’astre flamboyant tandis que celui-ci retournait vers les limbes dont il était issu. Les rayons rasants traverseraient bientôt l’espace vide entre les deux piliers colossaux comme ils devaient le faire une grande partie de l’année – ils étaient près de l’équateur, rappelez-vous – à l’ultime heure du jour.

Il songea que s’il avait eu encore des intérêts dans cette mission, il l’aurait probablement baptisée la porte du Crépuscule. C’était un nom qui sonnait bien. Et peut-être seraient-ils venus ensemble se recueillir devant l’édifice naturel attendant que le soleil orange s’encadre en plein milieu.

Oui, le spectacle aurait valu le coup d’œil.

Étonnant comme eux, les hommes, avaient la manie de vouloir donner des noms à toute chose. Même à leur dernier souffle, ils ne pouvaient s’empêcher de continuer.

Il avait enlevé son masque et tentait de s’habituer à la soudaine raréfaction de l’air en respirant à grandes inspirations sans bouger de sa place. Il avait diminué très progressivement le débit d’oxygène du respirateur avant de l’ôter. Se séparer soudainement de son masque comme ils l’avaient fait la première fois – il s’agissait en fait de leur casque de scaphandre – était très déconseillé. Le cœur s’accélérait brutalement et certains avaient été pris de malaises cardiaques. Bien sûr, au point où il en était, ça n’aurait pas dû avoir beaucoup d’importance. Mais il tenait à atteindre son but, s’aperçut-il, puisqu’il en avait un maintenant.

Après avoir attendu encore une ou deux minutes sans bouger beaucoup et être parvenu à réguler son rythme respiratoire, il se délesta de son sac devenu inutile, ne gardant que ses jumelles, et partit en direction de la porte du Crépuscule. Il sortirait par la grande porte au moins, songeait-il avec dérision.

Bien que le tertre sur lequel se trouvait la structure trapézoïdale était peu élevé, cent mètres de dénivelé à l’œil nu une fois arrivé à son pied, et qu’il prenait soin d’atténuer la pente en décrivant de longs zigzags entre les blocs, la fatigue était accablante. Ses jambes, ses pieds bottés encore plus, étaient incroyablement lourds. Un temps démesuré semblait s’étirer entre sa pensée consciente « soulève ta botte » et l’action correspondante. Il devait en effet penser soigneusement chacun de ses gestes, faute de quoi il serait resté pétrifié comme un de ces étranges blocs minéraux, son corps refusant d’avancer. Il dut pourtant faire plusieurs pauses, de plus en plus longues et de plus en plus rapprochées. Parfois, il devait escalader péniblement une roche incontournable. Ramper serait d’ailleurs un terme plus juste. Il devinait vaguement les silhouettes géantes qui suivaient son laborieux cheminement avec la froideur dédaigneuse de divinités étrangères. La structure cyclopéenne était toute proche maintenant, du moins à vol d’oiseau. Il pouvait sentir son ombre se refermer sur lui. Mais il n’avait rien d’un oiseau, il tenait beaucoup plus de l’insecte et ses pas étaient minuscules.

Finalement, il se mit à compter ses pas. Un pas de plus, songeait-il, un pas de plus et j’atteindrai le sommet. Mon dernier sommet. Un pas. Et encore un autre. Et encore…

Puis l’ombre disparut à nouveau et la lumière orangée inonda brusquement le sol devant lui, ce sol qu’il ne quittait plus des yeux. Il comprit qu’il avait franchi, non pas la porte mais l’ombre de son toit. Ou bien c’était l’étoile qui avait maintenant jailli dans l’espace ouvert entre les piliers monumentaux.

Il ne pouvait plus lever les yeux pour vérifier. Il fit encore quelques pas en titubant en se guidant à la forme des ombres puis un voile se déchira dans sa poitrine et un second, un voile de lumière scintillant, lui masqua la vision. Il s’arrêta et s’accroupit, posant ses deux paumes à plat sur le sol pour ne pas basculer.

Il resta ainsi un petit moment sans bouger ni voir grand-chose de ce qui l’entourait. Il songea aux autres, à ses compagnons d’infortune. Peut-être retrouveraient-ils un jour son sac à dos sur la colline. Alors, apercevant comme lui l’étonnante structure, sans doute iraient-ils la voir de plus près et découvriraient-ils son cadavre. Il n’aurait pas besoin de pierre tombale ; il avait au-dessus de sa tête la plus formidable qui soit..."


    Le livre sous forme électronique ou broché est disponible ici.