samedi 27 août 2022

Europe : un suicide assisté (à suivre en direct)

Eh bien  nous vivons des temps intéressants comme on dit et malheureusement des temps intéressants sont des temps toujours difficiles à vivre, proportionnellement difficiles selon la place que vous occupez  dans la chaîne alimentaire. Et nous allons vivre des temps de plus en plus intéressants. 

Là-dessus, Macron n'a pas tort. C'est un fait : les conditions de vie pour la majorité vont rapidement se transformer. On était déjà en mode dégradé, on va maintenant passer en mode survie. Naturellement, si le constat est correct, son interprétation des faits est grotesque, si même on peut y trouver un sens, comme tout ce qui sort de la bouche d'un politicien actuel ou d'un porte-voix estampillé de l'establishment. Ecouter un discours d'une heure de Macron ou d'un de ses faire-valoir puis le réécouter pour s'assurer qu'il était bien aussi vide qu'il le paraissait à la première écoute est un exercice relativement utile mais que je ne conseillerai qu'aux esprits les plus endurcis et les moins sujets au vertige des abîmes.

Le titre de cet article, une brève réflexion plutôt qu'un article d'ailleurs, peut sembler outrageusement dramatique. Il ne l'est pas. Il s'agit bien, culturellement, économiquement, socialement, d'un suicide que nous avons la chance, si j'ose dire, de vivre en direct. J'en viendrai après au qualificatif "assisté".

Pourquoi se suicider quand on fait partie soi-disant du gratin des nations, aux standards de vie incomparables, dans le confort douillet de notre bienveillant Etat providence, me direz-vous? Voilà qui paraît fantastiquement  absurde. Eh bien oui, le monde, le nôtre en tout cas, est devenu absurde. Cela pourrait être bien pire, ricanez-vous en contemplant le poli parfait de votre Mac dernier cri. Eh bien en fait, cela va être bien pire.

Je ne vais pas m'attarder sur les causes évidentes de la faillite complète de l'Europe, exceptée sa partie la plus orientale (suivez mon doigt). Je ne parlerai pas de l'incompétence, de l'ignorance, de la médiocrité, de la corruption au sens large de nos dirigeants, politiciens, financiers, businessmen, technocrates, sommités "scientifiques", artistes, écrivains et autres fers de lance de notre glorieuse élite. Tout cela ne sont que des symptômes.

Le problème de fond que nous, les individus réels qui formons cet Occident abstrait, en particulier l'Europe occidentale, est un problème de lucidité et plus encore de mauvaise volonté, ou si l'on préfère, de lâcheté. Le reste, la corruption, l'incompétence, l'ignorance crasse, la médiocrité n'en sont que les conséquences. C'est cet aveuglement volontaire qui nous empêche de changer le cours des événements, nos actes, notre pensée même, qui, pour les plus doués, les plus lucides, nous poussent toujours vers plus de corruption, de mensonges, y compris et surtout avec nous-mêmes. Et pour mieux me faire comprendre, je vais avoir recours à une très très brève histoire. Imaginez que dans le cours de votre vie, vers le milieu ou un peu avant, vous ayez pris la mauvaise route et que depuis ce moment vous n'avez cesser de suivre cette route. Et maintenant, vous êtes vieux, malade, proche de cet horrible cercueil ou autre récipient qui vous attend dans le plus proche funérarium. Voudriez-vous connaître la vérité sur votre vie, à savoir que vous avez descendu la mauvaise route? Auriez-vous la volonté pour ça? Probablement pas. Mieux vaut rester aveugle, pas vrai? Vous ne voulez pas changer votre comportement, votre train de pensée, votre vision du monde (bien que vous nourissez peut-être au fond de votre coeur de terribles doutes) parce que cela serait admettre que toute votre vie est un échec et qu'il vous en reste si peu devant. C'est trop tard, vous dites-vous, tandis que vous cheminez lentement vers votre dernière demeure, ce grand cimetière où rêvent à leur gloire passée Aztèques, Mayas, Etrusques, Egyptiens, Babyloniens, Grecs, Romains... s'ils rêvent.

Quant au fait que ce suicide soit assisté, il est évident que des braves gens nous tordent le bras discrètement mais très fermement, au cas où nous mollirions au dernier instant, et ce ne sont pas des Russes. Kissinger a dit, si je ne me trompe pas d'auteur (mais c'est bien son style en tout cas) : "il est dangereux d'être l'ennemi des USA, il est fatal d'en être l'allié".


lundi 15 août 2022

Julius Klever, le plus grand peintre de soleils couchants

 


    Hormis Chagall, Kandinsky et peut-être Soutine pour les amateurs quelque peu éclairés, les peintres russes sont à peu près inconnus dans nos pays, même un nom aussi grand que celui de Savrassov. Ce dernier, sur lequel je devrai revenir un jour prochain, n'est cependant pas l'objet de cet article. Julius Klever (Yuliy Klever en fait) a un génie plus modeste, ou plus exactement un génie très circonscrit. Des peintres comme Degas, Turner, De La Tour, Rembrandt, sont géniaux, ou du moins peuvent l'être, quel que soit ou presque le sujet traité : portrait, nu, scène historique ou religieuse, scène de genre, paysage, etc. Klever ne peut l'être (mais il l'est alors grandement) que lorsqu'il peint des paysages, et pas n'importe quand, mais uniquement quand il peint une heure au plus après le lever du soleil  ou une heure avant le coucher du soleil. Personnellement, je pense que ce sont des couchers de soleil mais ce n'est qu'un ressenti, peut-être même l'expression d'une préférence, je n'en ai aucune preuve, sauf pour un titre qui n'est d'ailleurs peut-être qu'une invention des critiques d'art. Je défie quiconque de différencier avec certitude un lever d'un coucher de soleil à partir d'une peinture, ou d'une photo, s'il n'a pas la connaissance précise du site où a été réalisée la peinture et peut donc s'orienter. Rien ne ressemble plus à un lever de soleil qu'un coucher de soleil. Néanmoins, si vous assistez à la scène, rien n'est plus différent, car subjectivement nous attribuons un éventail d'émotions, de symboles, diamétralement opposés s'il s'agit d'un lever ou bien au contraire d'un coucher de soleil. C'est donc parce-que la palette d'émotions (et non de couleurs) des tableaux de Klever, ses meilleurs tout au moins, m'évoquent plus des soleils couchants que levants que j'ai attribué à Klever le titre de plus grand peintre de soleils couchants. Il y en a pourtant d'autres qui viennent immédiatement à l'esprit : Turner, Friedrich, Le Lorrain, mais aucun d'entre eux ne me semblent atteindre à la variété des rendus, à la puissance évocatrice et à la poésie de Klever sur ce sujet précis. Certains pourront juger que ce sujet est bateau, comme une carte postale envoyée des vacances, mais il a au moins le grand mérite d'être le plus démocratique qui soit. Tout le monde peut jouir, s'il a des yeux pour ça, de la vue de ce spectacle si banal qu'est un beau coucher ou lever de soleil, y compris s'il habite les plus moches banlieues de béton et bitume, disons par exemple dans le 93.

Les deux premiers peintres que je viens de citer, et peut-être même le troisième, ne sont pas choisis au hasard : ce sont les influences les plus évidentes de Klever, de très bonnes influences, auxquelles il faudrait ajouter Corot. Le Russe, né en 1850 dans un des pays baltes (russes à l'époque) et mort à Léningrad en 1924 (redevenue depuis Saint-Petersbourg), qui est un contemporain de Gauguin ou Van Gogh, s'ils avaient vécus assez longtemps tout du moins, n'a donc pas grand chose d'un novateur et vous savez, si vous avez quelques connaissances du monde de l'art occidental, que c'est une tare absolument rédhibitoire, qui par ici, vous vaudrait le mépris le plus universel (l'univers étant composé, comme on sait, de l'Europe occidentale et de l'Amérique du Nord). Il n'est donc peut-être pas si étonnant que ce peintre soit inconnu ou presque en France.

Klever est généralment qualifié, par chez nous, quand il est qualifié, de peintre romantique, ce qui n'est pas faux, mais ne dit pas grand chose de son génie particulier. Le tableau présenté plus haut, très clairement influencé par Friedrich, est en effet un bon exemple de peinture romantique. Personnellement, je dirais surtout que c'est un très beau tableau, plus réaliste que ceux du peintre allemand, moins axé vers le fantastique.

La peinture qui suit l'est déjà beaucoup moins, romantique (un village de maisons en bois, un traineau en hiver, à la fin du dix-neuvième siècle en Russie n'a rien de romantique, c'est juste la banale réalité, mais j'admets que le moulin est pittoresque).



Encore un pas de plus vers le crépuscule et la nuit complète. Le ciel est d'une justesse de tons et de textures parfaite. Je trouve le rendu de l'atmosphère si particulière de ces quelques minutes précédant l'extinction de tous les feux, remarquablement réussi. L'ambiance faussement paisible, tel l'eau qui dort de cette rivière, a quelque chose de menaçant dans les ombres; je vois personnellement beaucoup trop d'yeux brillants et quelques créatures maléfiques grimpant ou descendant de l'arbre, un saule plutôt qu'un chêne selon toutes vraisemblances, (les peupliers au fond sont aussi très à leur place).




Eh bien cette fois, je crois vraiment que c'est la nuit. Une nuit de pleine lune. Honnêtement, n'ayant jamais vu l'original, je ne sais pas ce que vaut la photo montrée ici. Elle me semble très douteuse; l'herbe est trop verte, de même que le ciel, et les feuillages trop rouges même si c'est probablement l'automne, mais l'ambiance générale me fait penser que l'original doit valoir le coup d'oeil. Il est probable aussi que le tableau ait beaucoup souffert car les traînées à gauche semblent la marque de mauvais traitements.


Par exception, je serais prêt à croire que le prochain tableau, daté de 1891, est un lever et non un coucher de soleil. Mais voilà, son titre anglais est Sunset in Winter ou quelque chose comme ça. Il tire davantage vers le décoratif que les précédents mais sans y tomber complètement et retient une bonne part de la poésie et du charme particulier de ce peintre. Il me fait davantage penser à Brueghel qu'aux romantiques ou impressionnistes du 19e siècle.



Remarquez que le soleil est toujours présent dans les tableaux de Klever (sauf dans le nocturne si j'ai correctement interprété l'astre montré, ce qui n'est pas sûr). Ce qui veut dire en pricipe que l'heure est très tardive, ou très précoce éventuellement. Mais on doit souligner que le fait de vivre dans des régions très septentrionales, régions baltiques, Léningrad, faisait que Klever ne devait que rarement avoir le soleil bien haut, en particulier l'hiver. Et il est possible donc que parfois, ce que nous prenons pour des couchers de soleil n'en soient pas vraiment.

Cette toile ci-dessous est clairement une variante de la précédente. On y retrouve la même maison, le même saule noueux,  la même barque. La maison de gauche, sur l'autre rive est disposée autrement. Et le peintre a rajouté deux bouleaux à droite qui se trouvaient bien plus en arrière-plan sur le tableau précédent. Les variations sur un même thème sont toujours intéressantes, et pas seulement pour un peintre: je ne sais pas laquelle est la plus réussie. Les deux sont très belles mais la première me semble plus mystérieuse et peut-être plus émouvante.



Voici à nouveau une variation, sur le premier thème présenté, celui de la forêt. Comme d'habitude, le soleil est en plein dans nos yeux et fait rougeoyer le ruisseau, ou plutôt le marais, comme une plaque de cuivre. Les troncs des conifères ont des reflets bleutés du côté ombre. Une grande réussite dans sa simplicité.


J'ai tendance à trouver les Russes plutôt clairs et simples quand ils sont bons.  Je ne les trouve pas très doués pour exprimer le côté obscur de la vie, je veux dire son aspect  nocturne, fantastique, pas son aspect négatif qu'ils décrivent très bien. Quand ils font dans la fantaisie ou le fantastique, ils ne peuvent pas s'empêcher de glisser vers la comédie, la satire, voire le comique, comme Gogol par exemple. Naturellement il y a des exceptions. Les deux tableaux qui suivent, et qui sont des variantes très différentes, en dehors du cavalier, d'une même scène (tirée du Roi des Aulnes), sont ainsi de pures merveilles, dignes de Böklin. Mais Von Klever (la particule de noblesse a sauté avec l'arrivée des soviets je présume) a de toute évidence quelques origines germaniques, ce qui explique peut-être cela.






Vous pouvez regarder la page wiki de Klever, puisqu'elle existe en français, si vous désirez quelques informations sur sa biographie. Sinon, en employant le moteur de recherche Yandex (tapez Юлий Юльевич Клевер), vous pouvez avoir un bien plus ample panorama de l'oeuvre de ce peintre, qui a vécu assez longtemps, sans avoir été trop affecté par les grands événements de son époque apparemment et a donc un catalogue considérable. Ma sélection n'est pas forcément au goût de tout le monde. Mais je vous mets en garde contre les déceptions : selon moi, une grande partie de son oeuvre est dénuée d'intérêt. Soyons clair : les neuf dixièmes sont parfaitement dispensables. Comme je vous l'ai dit, ce n'est pas Degas. Ni Savrassov.

Autre grand peintre russe : article.