samedi 27 février 2021

Tous ces mondes lointains... trop lointains

Pas de chance pour Sid! (détail)


Dans l’optique de réaliser un nouveau livre d’art, plus centré sur les voyages très spéciaux que le précédent, j’ai commencé une série de peintures cherchant à représenter l’inconnu le plus dépaysant tout en restant dans les bornes non seulement du possible mais du prouvé. Il est en effet maintenant certain que de nombreuses planètes existent autour de la plupart des étoiles de notre ciel et que certaines d’entre elles sont rocheuses. Parmi ces dernières, une fraction possède une atmosphère, parfois de l’eau à l’état liquide. Et comme les étoiles visibles et invisibles sont presque innombrables, ces fractions, aussi petites se révèleraient-elles être, fourniront toujours un nombre absolu considérable de mondes potentiellement intéressants. La question de la vie sur de tels mondes est évidemment beaucoup plus problématique et incertaine. Et surtout, il est probable que nous n’irons jamais sur la grande majorité de ces planètes pour vérifier.

Aussi, autant s’y rendre en imagination. C’est ce que j’ai fait.

Un des premiers renseignements que nous a fournis la recherche systématique d’exoplanètes est la nature très diverse, beaucoup plus diverse qu’on ne le croyait auparavant, des systèmes stellaires et de leurs planètes. Beaucoup de choses qu’on tenait pour impossible se sont non seulement révélées possibles mais probables, voire prouvées. On me pardonnera donc les éventuelles petites libertés que j’ai pu prendre ici et là, et si je n’ai pas toujours respecté scrupuleusement les données de la science actuelle qui sera bientôt la science d’hier. Il semble à cet égard que ce qu’on croyait être le modèle type de tous les systèmes, le nôtre, soit en fait très particulier, très excentrique, anormal pourrait-on dire à la réflexion, et pas seulement pour le fait déjà considérable en soi qu’il accueille un monde plutôt habitable en somme, et d’ailleurs habité. D’un autre côté, cela nous apprend que notre imagination ne devrait pas être bornée aux huit planètes qu’on connaît un peu ou beaucoup. La découverte en images très récente de Pluton et de son acolyte Charron nous en a offert une assez belle illustration. Qui aurait prédit que des mondes aussi peu prometteurs, aussi éloignés du Soleil, aussi solitaires et glacés dans leur immense ceinture de Kuiper, et aussi petits, pouvaient présenter autant de particularités remarquables ? Nous nous étions dits, assez bêtement, mais de façon très prévisible : ces mondes sont plus petits que Mercure qui est déjà très laid et très ennuyeux, aussi petits que la lune qui n’est pas laide certes, vue de Terre, mais encore plus grise, déserte et ennuyeuse vue de près que Mercure (quelle idée de vouloir y retourner !) ; donc Pluton est désert, gris, moche, froid, morne et ennuyeux. D’ailleurs, il porte le nom du dieu romain des enfers, un type très ennuyeux. D’ailleurs ce n’est même pas une planète.

Eh bien c’était une erreur : Pluton valait certainement le coup d’œil. Peut-être mieux que cela même.

De toute façon, voyager vers ces mondes étranges et jamais foulés par de lourdes bottes, n’est vraiment pas un problème pour moi. J’ai dans mon sous-sol toute une collection de vaisseaux interstellaires, y compris un Bateau Ivre, plus impressionnants les uns que les autres. Et je n’ai besoin ni de lourd scaphandre ni de grosses bottes à semelle de plomb pour sortir écouter le bruit du vent dans les monts de cristal de la planète Oya ou le fracas de la mer de sodium contre les falaises de marbre bleu dans Cygnus δ-5 si cela me chante.


Le maître du château (détail)

Autre article sur le même sujet : ici.
Où trouver le livre en question : .



 

dimanche 14 février 2021

Quand le paquebot France coule et les passagers applaudissent

 

Comme chacun sait, Satan est le père du mensonge. Peu m’importe la véracité littérale du vieil adage. Simple métaphore ou réel esprit séditieux, le diable peut être fier de ses élèves car ils n’ont jamais, à aucune autre époque, été aussi fidèles à l’enseignement de leur bon maître. Aujourd’hui, le mensonge a tout envahi, sous toutes ses formes, et particulièrement les plus vicieuses : endoctrinement de la jeunesse, propagande tous azimuts, trucages, escamotages, enfumage, si bien qu’il est devenu quasi impossible de se reposer sur l’autorité pour démêler le vrai du faux sur aucun sujet qui compte. Le problème est qu’il n’y a plus de repères quand même les idéalistes, les progressistes (sans ironie) utilisent les mêmes méthodes que leurs adversaires, voire pire, croyant ainsi faire avancer leur cause. Les repères habituels, les boussoles ne servent plus à rien dans un tel monde sens dessus dessous et c’est celui qu’on vit. Seule une étoile peut encore vous servir de guide, à condition de bien la choisir et de la garder contre vents et marées.

La grande majorité des gens, dont je fais partie, sont incrédules devant un tel étalage de mensonges venant du plus haut niveau, débités en flots incessants par les organes du pouvoir : éducation nationale, grands médias télévisés, journaux largement subventionnés par l’Etat, experts scientifiques triés (par ces mêmes médias). On ne peut pas y croire. C’est la réaction naturelle de l’homme honnête et pour la plupart, nous sommes honnêtes, sans excès certes mais le mieux est l’ennemi du bien. Et c’est bien là-dessus que comptent les escrocs, politiciens, illusionnistes de tout poil. On ne peut pas croire que le monsieur Loyal au devant de la scène qui nous assure qu’il n’y a ni trappe cachée dans le plancher ni miroirs dans l’ombre est un menteur patenté. On ne peut pas croire qu’il soit le complice de l’illusionniste et que ce tour extraordinaire a pour base un ressort des plus ordinaires, notre crédulité, notre incapacité à admettre l’énormité du mensonge.

On ne peut pas y croire car les menteurs de ce type, qui peuvent vous mentir sans l’ombre d’un scrupule, sans un battement de cil, sont rares. Aussi rares que les tueurs maniaques, ceux qui peuvent tuer non par une circonstance exceptionnelle, comme durant une guerre, par accident ou par légitime défense, mais par goût et par plaisir.

La ressemblance entre nos sociétés occidentales et celle imaginée par Orwell dans 1984 est de plus en plus frappante. La dystopie qu’on aurait cru incroyable par chez nous il y a quelques décennies, où plus rien n’a de sens, où l’Histoire est sans cesse réécrite, où la vérité s’ajuste sans cesse aux besoins du gouvernement, le cauchemar ultime s’approche à pas de loups. La double pensée, le ministère de la Vérité et le ministère de la Peur sont déjà bien installés, quoiqu’un peu plus discrets que dans leur version orwellienne, en attendant, peut-être, le ministère de l’Amour.

Dans le cas de la magie, distraction vénielle et tout à fait licite, il y a à coup sûr complot entre l’illusionniste et le monsieur Loyal et, si ça ne suffit pas, avec quelques membres du public soigneusement choisis “au hasard”. En est-il de même pour l’illusionniste du sommet de l’État, son compère aboyeur déjà nommé et les candides, idiots utiles, comme les 150 de la Convention Citoyenne ? Difficile à dire. Sur cette vaste scène dont je parle, les acteurs sont tellement plus nombreux, les intérêts tellement plus ramifiés que la chaîne des responsabilités devient illisible. Est-ce que le pouvoir sait lui-même ce qu’il fait, ou même ce qu’il veut ? On peut en douter parfois. Peut-être est-il juste lâche, corrompu, incompétent, sauf d’évidence pour se faire réélire. En fait le peut-être est de trop pour ce qui est de la corruption. Bien entendu, il suit son intérêt, comme tout le monde me direz-vous, mais au détriment des intérêts du pays et de ses habitants (sauf la garde rapprochée bien sûr). Pourtant une chose est certaine, il sait ou sent que la fin est proche, car il est le mieux placé pour savoir que le bateau qu’il commande est en train de sombrer. Et que fait-il dans ces moments-là ? Eh bien il pille les maigres stocks naturellement. Il racle tout ce qui a de la valeur pendant qu’il en est encore temps, ce qui est à portée de main, à savoir d’abord les deniers publics. Avez-vous noté que les députés, qui ne servaient déjà plus à grand-chose dans ce pays, se sont discrètement (puisque les grands médias savent aussi se montrer très discrets quand ils veulent) votés une augmentation mensuelle de leurs frais courants de 15%, au beau milieu de la catastrophe économique, sociale en cours ? 15 % pour un député, ça fait 2750 euros d’augmentation sur un mois en valeur absolue. Et pour quoi faire ? Pour envoyer des vœux de bonne année (tu parles !) à leurs électeurs potentiels, pour s’acheter un ordinateur puisqu’il est évident qu’ils n’en ont pas déjà.

Dans un pays à peu près sain, quand on entre dans une époque de grande tribulation, on se serre les coudes et la ceinture. Dans un pays au bord du chaos, moralement exsangue, sans foi et bientôt sans loi, proche du déclin final, c’est exactement le contraire qui se passe, c’est sauve-qui peut et chacun pour soi.

Le navire France est en train de couler et même pas sûr que les Norvégiens ou, cette fois, les Chinois le renfloueront.

Sans doute en ferons-nous un musée pour touristes, après les Grecs et les Égyptiens. Quel avenir ! Mon conseil de survie : commencez à apprendre l’anglais, le russe ou le chinois si vous n’êtes pas déjà calé dans ces langues.

Autres articles sur le même sujet, ô combien douloureux : 

Podomètres, momètres® et déconomètres® 

Homocide, un petit mal pour un grand bien

Massacre de Madame France en dix-huit coups de couteau : suicide ou assassinat ?

Et enfin cette excellente pièce estivale de Michel Rosenzweig : Vacances sanitaires conditionnelles sous surveillance

dimanche 7 février 2021

Maupassant, sublime abruti (une invasion extraterrestre)

Maupassant photographié par Nadar


Quel plaisir toujours de lire Guy de Maupassant ! Quelle grâce, quelle légèreté, quelle souplesse, quelle musicalité, quel charme, quel naturel ! Qu’on est loin de la lourdeur besogneuse et toute engoncée de son grand aîné, voisin et collègue Flaubert ! Ce n’est ni leur faute ni leur mérite, notez bien : c’est toute la différence entre le talent et le travail. Et le talent ne se mérite pas. Ou si vous préférez – je préfère moi aussi – c’est la différence entre le talent travaillé et le travail sans talent. J’exagère un peu : Flaubert n’était pas absolument dépourvu de talents mais comme ils semblent maigres comparés à ceux de son jeune protégé. Lisez Yvette (le personnage littéraire féminin le plus mémorable avec Natacha, Juliette, Antigone et deux ou trois autres) puis essayez de revenir à Emma Bovary. Impossible naturellement. Erreur fatale. Comment passer de la grâce, de la fraîcheur, du charme, de l’imprévisibilité, de la vie quoi, à cet ennuyeux portrait de la grisaille faite femme ? Les dialogues chez Emma sont particulièrement lourds, empesés, mal sonnant même ici et là, sentant déjà le formol. Comparez avec ceux d’Yvette. Et Même dans son meilleur texte et pour être franc le seul vraiment lisible pour moi, Un Cœur Simple, Flaubert semble toujours lourd, laborieux comme un forçat, à moitié mort, tractant son énorme charrette poussive comme le damné Sisyphe montait sa pierre au sommet de la montagne.

Dans sublime abruti, il y a abruti. Ce n’est pas une association de termes qui me vient facilement à l’esprit pour un artiste ou un écrivain ou d’ailleurs pour n’importe qui d’autre. Le seul autre qui peut convenir est Nietzsche. D’ailleurs il possède à peu près la même moustache que Maupassant. Et il est son strict contemporain. Encore plus curieusement, ils sont tous les deux morts fous, assez jeunes, possiblement de la même maladie vénérienne (bien que dans le cas de l’Allemand des doutes subsistent). Bon, je ne cherche à démontrer rien, encore moins à affirmer. Simples remarques en passant. Maupassant est un abruti quand il philosophe, quand il généralise, quand il légifère, ce qui par bonheur, lui arrive assez rarement, ou du moins en oubliant de s’appesantir, sauf dans ses derniers textes. Mais même dans son meilleur texte, en tout cas mon préféré, il peut nous gratifier d’affirmations de ce genre : « De là sont nées les croyances populaires au surnaturel […] je dirai même la légende de Dieu, car nos conceptions de l’ouvrier-créateur, de quelque religion qu’elles nous viennent, sont bien les inventions les plus médiocres, les plus stupides, les plus inacceptables sorties du cerveau apeuré des créatures. » De toute évidence, Maupassant n’a pas lu les érudits théologiens de haute volée (certains ont tout de même inventé la méthode scientifique qui lui plait tant), de quelque religion que ce soit, les grands philosophes chrétiens et cela ne manque pas, ou il les a oubliés. En tout cas, il n’a lu ni la Bible ni le Coran ni les textes fondateurs du Bouddhisme ou même du Zoroastrisme, que l’on pourrait difficilement qualifier de médiocres ou stupides à moins d’être complètement incompétent. Et Maupassant n’est pas incompétent. Il est abruti. Une vraie tête d’enclume. C’est le propre des abrutis d’asséner leur vérité, celle qui leur convient, sans aucune vérification préalable.

Toute la philosophie de Maupassant est à peu près aussi subtile que son jugement sur les croyants et les croyances : matérialisme complet, athéisme militant, misogynie crasse, au mieux scientisme, au pire nihilisme simple. Parfait pour le siècle qui venait, me direz-vous.

Dans sublime abruti, il y a sublime. « Comme il faisait bon ce matin ! Vers onze heures, un gros convoi de navires, traînés par un remorqueur gros comme une mouche, et qui râlait de peine en vomissant une fumée épaisse, défila devant ma grille. Après deux goélettes anglaises, dont le pavillon rouge ondoyait dans le ciel, venait un superbe trois-mâts brésilien, admirablement propre et luisant. Je le saluai, je ne sais pourquoi, tant ce navire me fit plaisir à voir. »

La prose de Maupassant est très fluide, très picturale, très séduisante pour un lecteur de mon genre. Il semble que je ne sois pas le seul. L’efficacité est maximale : en très peu de détails, il nous fait apparaître tout un monde. J’ajoute que narrativement, c’est un passage remarquable puisqu’il nous fait entrer dans le vif du récit dans cette brève description champêtre sans le laisser paraître un seul instant.

Comme certains l’ont reconnu, il s’agit d’un passage du Horla, seconde version (la meilleure et de loin), tout comme la première citation à propos de Dieu. J’aime particulièrement ce texte. Aujourd’hui, malheureusement, il est défiguré, tellement défiguré par le commentaire des universitaires et autres législateurs de l’art littéraire que, tout comme la Joconde, on ne le voit plus vraiment. Ce n’est pas une exception mais c’est ennuyeux. Le tort de tous ces gens , ou au moins d’une très grande partie, est de prendre dans ce cas précis la biographie de l’auteur pour boussole unique. Maupassant est mort fou donc le personnage, le narrateur, doit être fou lui aussi. Et donc tout se passe dans sa tête, ce qui n’a aucun intérêt narratif. Naturellement ils oublient ou ne veulent pas savoir que Maupassant n’était nullement fou quand il écrivit ce texte mais qu’en revanche il était un admirable conteur. Il était malade et il avait peur de la folie, comme moi, comme vous peut-être, comme tout le monde devrait en avoir peur, et bien sûr comme son narrateur, mais il n’était pas fou.

Le narrateur innommé du Horla n’est pas fou mais il a peur de le devenir. Rien d’étonnant, il n’est pas malade, lui (contrairement à l’auteur qui sait bien que la syphilis conduit parfois, peut-être souvent même à l’époque, à la folie) et pourtant il ressent, rêve et finit par voir des choses tout à fait anormales. En vérité, il est le témoin de la première invasion extraterrestre enregistrée dans l’Histoire humaine, fictivement il est vrai, et ce n’est vraiment pas de chance pour lui. Le Horla est en effet un récit de science-fiction caché en un drame psychologique et non l’inverse. Il est possible d’ailleurs que ce soit le seul texte de Maupassant qui relève clairement de la science-fiction. Il existe plusieurs preuves flagrantes que telle était bien l’intention de l’auteur, en plus des mentions de peuples mystérieux habitant les étoiles, à la nature supérieurement évoluée tendant vers l'esprit pur (un cliché maintenant mais pas à l'époque) qui émaillent le texte ici et là. Mais il n’y a pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.

D’abord, le narrateur est un être tout à fait rationnel. Je le répète : avoir peur de la folie n’est pas un comportement aberrant, surtout quand vous avez de bonnes raisons pour vous en inquiéter. Et comme tout être rationnel, devant les étranges sensations ou événements qui surviennent, il commence par suspecter ses sens, son cerveau, de lui jouer des tours. Les illusions, les fausses intuitions, les rêves insensés, les pressentiments qui ne pressentent rien existent. Et le premier coupable qu’il désigne, c’est donc lui, son esprit troublé par de mauvais rêves, par cette émotivité de femmelette qu’il a en lui mais qu’il exècre apparemment autant que l’auteur. Et non seulement le narrateur est rationnel mais il est même scientifique dans son approche de l’inconnu. Son expérience pour se prouver qu’il est bien l’auteur de la disparition de l’eau ou du lait durant son sommeil est typiquement scientifique. Les linges dont il a emmailloté les bouteilles sont intacts, immaculés au matin alors qu’il s’est enduit le visage et les mains de suie la veille au soir (pauvre lingère quand elle trouvera sa literie !). Et le résultat est là, malheureusement ou heureusement : ce n’est pas lui qui a bu l’eau, le lait. Le fait mystérieux ne peut donc s’expliquer par le rêve, le somnambulisme ou la folie, du moins pour un être rationnel. L’autre preuve incontestable est fournie par un journal qui apprend au narrateur qu’une étrange épidémie sévit au Brésil, que les gens semblent y devenir fous, possédés par des êtres parasitiques, sortes de vampires invisibles qui se nourrissent en plus de lait et d’eau de leur force vitale (et qui font disparaître les reflets, le vôtre pas le leur).

Nous avons donc là une nette illustration du proverbe chinois : quand le sage montre la lune, le fou regarde le doigt. Et le fou ici n’est pas Maupassant.

Le Horla : une invasion extraterrestre, avant même celle de La Guerre des Mondes.


Autres grands écrivains du fantastique : ici et .