jeudi 21 mai 2020

Sade, Lautréamont, Céline, Borges : les maîtres de la haine (en littérature)

    La haine n’est pas réservée aux twittos et autres afficionados des réseaux sociaux virtuels. Que j’écrive cet article une semaine après l’adoption de la loi Avia n’est bien sûr pas une coïncidence. Que cette loi soit passée pendant l’épisode liberticide du covid-19 n’en est bien sûr pas une non plus. Car naturellement, la seule conséquence à peu près certaine de cette loi sera une autocensure encore plus généralisée qu’elle ne l’est déjà, ce qu’on appelle le politiquement correct, ainsi qu’une censure aveugle (par les robots), au mieux borgne (par ces semi-illettrés, modérateurs de l’Internet, qui devront trancher un problème en deux minutes qu’une réunion de dix juges experts en Droit ne réussirait pas à démêler en une année complète). Le 13 mai restera une pierre noire dans l’histoire de la France, petite mais bien repérable. Ainsi donc la France s’engage sur cette route lugubre, avec la lenteur inexorable d’une procession qui convient à des funérailles, et s’apprête à rejoindre les sombres caveaux de l’Histoire où rêvent déjà Grecs, Romains, Ibères, Lusitaniens, Turcs, Égyptiens, Syriens ou Perses, devant les ruines mélancoliques de leur gloire passée.
    La loi Avia n’est pourtant que la continuation logique d’un processus commencé depuis longtemps, à savoir la séparation de la tête et du corps de ce pays, tradition il est vrai bien ancrée chez nous, en particulier depuis 1792. Bien entendu, je parle de la perte de confiance du peuple envers son élite. On entend souvent dire que celle-ci a trahi le peuple français et ce n’est pas faux. Ce n’est maintenant plus objet de discussion que les gouvernements français qui se sont succédés depuis de Gaulle, ou Mitterrand si vous préférez (je ne suis pas contre), sont de pire en pire et rien ne semble pouvoir enrayer cette décadence infernale, puisqu’il est devenu clair que choisir A plutôt que B n’a presque aucune importance et que de toute façon C n’est pas meilleur. Néanmoins, la rupture entre le peuple et sa tête remonte à bien plus tôt. On pourrait croire que cela a commencé avec une défaite, celle de 1940, la déroute face aux Allemands. Mais ce n’était pas la première fois que la France subissait une lourde défaite et avant ça ne l’avait pas empêchée de rebondir : pensez à 1870, 1814 pour les dernières. Personnellement, je pense que cela a commencé au contraire avec une victoire, celle de 1918. Quand la tête a envoyé en toute connaissance de cause ses bras et ses jambes dans la plus grande boucherie humaine à ce jour, ce qu’on a baptisé la Grande Guerre, pour des futilités invraisemblables, elle a rompu un pacte aussi tacite que raisonnable. Céline a fait le résumé de la guerre 14-18 le plus lapidaire et le meilleur avec son titre de pamphlet: « Bagatelles Pour Un Massacre ».
    Les dirigeants actuels de notre pays savent ce que je viens d’écrire, qu’ils n’ont plus guère de crédit auprès du peuple, en particulier les moins protégés, et cela fait beaucoup de monde, et cela en fera encore beaucoup plus après l’épisode ubuesque que nous venons de vivre. Ils ont donc commencé à sonner la garde et l’arrière-garde, le ban et l’arrière-ban. Ainsi les grands médias sont devenus ou plutôt redevenus des organes dédiés à leur métier le plus habituel, la propagande, et plus spécialement ici la propagande de guerre (pas celle grotesque, contre un virus, mais la guerre qui s’annonce, probablement inévitable dorénavant, hélas). Les journalistes complices passifs ou ardents partisans ont déjà reçu leurs cadeaux sous forme de subventions et autre régimes spéciaux de retraites. La censure est bien entendu un outil incontournable dans cette guerre mais difficile à appliquer efficacement sauf à prendre un contrôle total de l’Internet. Sommes-nous prêt à devenir Chinois ? On verra. Tout est possible quand on s’engage sur cette route en pente. Il faudra de toute façon cajoler les forces de l’Ordre. Ah, mais on me dit que c’est déjà bien commencé ! Un autre membre incontournable de la reprise en main du peuple qui pense mal est bien sûr le préposé au formatage des plus jeunes têtes, couramment appelé professeur (instituteur était mieux mais trop franc bien entendu). Tous ces petits et gros cadeaux se feront bien entendu au détriment des autres parties du corps, laissées pour compte, et on devine les troubles physiologiques qu’un tel déséquilibre alimentaire peut entraîner.
    Je disais donc, et c’est le sujet de cet article, que la haine n’est pas l’apanage des excités bavant et fumant des réseaux sociaux. Elle peut être parfaitement policée ou exécutée avec l’art le plus accompli. La haine est un sentiment particulièrement fort et en tant que tel a toujours fait partie des pulsions les plus profondes de l’humanité, ce qu’un écrivain authentique ne saurait ignorer. Néanmoins rare est la haine pure en littérature, la haine absolue, la haine philosophique. Heureusement me dira-t-on. Cette haine presque abstraite dont je parle n’est en effet pas très commune. Elle n’aime rien ni personne et surtout pas soi-même. Elle déteste l’humanité, la vie, l’amour, Dieu. Cette haine ne se focalise pas sur les juifs, les noirs, les blancs, les communistes, les néolibéraux, les femmes, les homosexuels, les hétérosexuels, les Musulmans ou les Chrétiens : elle est résolument impartiale.
    Dans le titre que j’ai choisi, vous avez une liste de quatre noms d’écrivains célèbres. Je ne les ai pas choisis à titre d’exemples. Je les ai mis parce que ce sont les seuls écrivains qui ont témoignés de cette haine pure dont je parle. Les seuls en tout cas parmi ceux que je connais. Bien sûr il y a un biais. J’ai lu beaucoup plus d’écrivains francophones que d’écrivains russes ou hispaniques par exemple. Les seconds peuvent se compter sur les doigts des deux mains, comme les germaniques aussi ; pour les troisièmes, une seule main suffit, comme pour les Italiens (en fait c’est inexact, j’ai lu exactement six auteurs italiens et je n’ai pas six doigts). J’ai lu en revanche plus de cent écrivains francophones : je ne peux pas les compter mais ce chiffre est certainement très sous-estimé. Rien que les classiques qu’on étudie en classe pourraient m’amener non loin de ce chiffre et j’ai lu beaucoup plus en dehors du cursus scolaire qu’à l’intérieur. Toutefois, je suis à peu près sûr d’avoir lu autant d’auteurs anglophones, souvent dans le texte original, et je n’ai trouvé aucun auteur qui mérite d’entrer dans ma liste. Curieux, non ? La haine serait une spécialité latine et plus particulièrement française ? Bon, j’ai envisagé un instant Bukowski. Mais non, il s’aime beaucoup trop pour ça et je le soupçonne en lisant ses livres d’aimer quelques personnes en plus de lui et des côtes de porc, ce qui est éliminatoire. De manière plus sérieuse, j’ai envisagé un moment la candidature de Lovecraft. Certes il déteste beaucoup de monde mais pas tout le monde. Il aime les chats par exemple. De plus il aime les rêves et après tout c’est une partie de la vie. Rayé. Et Nietzche ? Avec sa « mort de Dieu », son inversion totale des valeurs et son surhomme, il semblait assez qualifié. Mais non, justement, il aime trop les belles brutes blondes. Et surtout il s’aime énormément. Il se déteste, certes, parfois, mais il s’adore encore plus. L’homme qui fait mine de se demander : « pourquoi je suis si sage, pourquoi je suis si malin, pourquoi j’écris de si bons livres » ne doit pas s’appliquer la haine qu’il professe contre certains (les femmes souvent, les Allemands toujours, les chrétiens, les juifs parfois). De toute façon, un Allemand qui prétend détester les Teutons est plus dans le registre du pitre que du penseur. Enfin et peut-être surtout, je ne peux croire en la haine de quelqu’un qui a écrit de si beaux poèmes. La poésie ignore la haine. Nietzche était un grand poète. Un bouffon aussi, comme il le reconnaît loyalement – pour une fois – dans l’un de ses plus fameux poèmes (Rien Que Bouffon, Rien Que Poète). En fait son vrai problème est d’avoir été pris au sérieux par d’autres grands détraqués, beaucoup plus dangereux que lui, prénommés Adolf et Benito. Récusé Nietzche. Puisqu’on parle d’Hitler, pourquoi ne l’ai-je pas inclus dans cette liste, lui qui est l’auteur d’un best-seller mondial jamais démenti ? Pour plusieurs raisons. La première et la plus évidente est que je ne l’ai pas lu (et n’ai pas l’intention de le faire). La seconde est que ce n’est pas un écrivain, pas plus que Napoléon, Jules César ou De Gaulle et Mitterrand. Ces gens-là n’écrivent ou font écrire des livres que pour justifier leurs actions, par anticipation, simultanément ou en guise de Mémoires. Et bien entendu pour se glorifier de leurs crimes. Ils ne mettent pas leur âme dans leurs livres. Ils dressent une statue.
    Le nom le plus évident de cette liste, m’a-t-il semblé, est celui de Sade. Comme écrivain et comme romancier en particulier, il ne vaut pas la Comtesse de Ségur. Mais il faut avouer qu’il y a une rare cohérence entre ses écrits et ses actes (sous cet aspect, il est tout le contraire d’un Nietzche par exemple). Et dans certaines de ses lettres, il révèle le grand styliste, plus célinien avant l’heure que voltairien, qu’il aurait pu être s’il avait été plus lucide, plus intelligent. Sade n’est pas très intelligent. Mais il est malin, sans scrupule et possède un instinct de conservation, un sens de la survie exceptionnel attesté par le fait qu’avec son genre de vie, très dangereux en somme, dans une époque aussi troublé, il ait réussi à atteindre un âge plus qu’honorable. C’est à peu près d’ailleurs la seule raison qui aurait pu me pousser à ne pas le mettre dans ce club très sélect. Mais bon, il faut être raisonnable : la haine chimiquement pure, parfaite, n’est pas de ce monde, à moins de croire en Satan le diable. Et Sade en est incontestablement un de ses meilleurs imitateurs chez les écrivains. Lisez Les Cent Vingt Journées De Sodome si vous n’êtes pas convaincu. Ou plutôt ne le lisez pas : croyez moi plutôt sur parole, ça vous évitera des maux de tête. Il est difficile de dire si ce roman est de la grande littérature. C’est en tout cas un document fascinant, le plus fascinant de son auteur, d’une froideur clinique, montrant un esprit qui se livre tout entier à la haine. Chez Sade, la haine commence par les femmes mais ne s’arrête pas là et englobe rapidement le genre humain dans son ensemble, Dieu, l’amour, la vie… Ne faites pas l’erreur de croire que son objet est le sexe, encore moins l’érotisme : il est entièrement dans la haine, le sexe n’étant ici que le masque amusant servant à divertir le lecteur, comme chez d’autres dont il sera bientôt question, il s’agit de l’antisémitisme absurde ou de l’érudition la plus savante.
    En matière de violence gratuite – mais elle n’est jamais vraiment gratuite – Lautréamont est un maître lui aussi. Contrairement à Sade, il est très intelligent et possède un talent remarquable d’écrivain. Ses ricanements, ses ruses, ses actes d’agression innommables envers le lecteur sont d’une férocité et d’une inventivité extraordinaires. Sa haine est la plus pure et sans mélange que j’ai pu trouver. Tous ses livres sont marqués du sceau de la haine, y compris ses très curieuses Poésies : on a l’impression d’y voir un jaguar en train de déchirer sa propre cervelle, pour reprendre en la corrigeant une de ses images. C’est un document, ce livre-là aussi : un des rares où l’on peut assister en direct, pour ainsi dire, à la dislocation finale d’une âme humaine. La strophe la plus révélatrice à cet égard, se trouve dans Poésies II :
    Le régulateur de l’âme n’est pas le régulateur d’une âme. Le régulateur d’une âme est le régulateur de l’âme, lorsque ces deux espèces d’âmes sont assez confondues pour pouvoir affirmer qu’un régulateur n’est une régulatrice que dans l’imagination d’un fou qui plaisante.
    On ne peut pas vivre que de haine. Surtout quand cette haine se retourne contre soi-même. Surtout quand on n’a pas le don exceptionnel pour la survie du Marquis de Sade. Lautréamont est mort jeune, très jeune même, et a été inhumé dans le premier cimetière venu avec une hâte qu’on croyait réservée aux vampires ou aux pestiférés.
    Céline est des quatre celui que j’ai le plus longtemps hésité à intégrer dans cette coterie ultra select. D’ailleurs j’hésite toujours. Sa haine, sa méchanceté, indiscutables certes, sont en général beaucoup plus focalisées, partiales et terre à terre que la haine presque chimiquement pure à laquelle ont atteint les deux précédents auteurs. En fait, dans son meilleur texte, le plus dense, le plus émouvant et le plus dantesque, Casse-Pipe, il n’est même pas question de haine du tout. De plus il aime les animaux, signe d’une faiblesse indigne. Aussi, bien que ça me laisse plus froid, c’est un médecin, un médecin des pauvres qui plus est. Peut-on haïr les gens et vouloir les soigner, parfois gratuitement par-dessus le marché si en tout cas on en croit ses livres de retour de sa prison au Danemark ? Certains le soupçonneront de se vanter, de se présenter plus beau qu’il n’est. Possible. Probable même car je crois en effet que Céline est du type vaniteux, vantard même, s’il est possible de qualifier un homme aussi intelligent que Céline de vantard. Mais je ne crois pas qu’il mente sur sa charité, aussi inattendue semble-t-elle. Et donc, par ricochet, j’ai tendance à le suspecter d’un autre vilain défaut quand il écrit ses livres de haine : celui d’être un poseur, voire un amuseur. La plupart se glorifient de leurs bonnes actions, mais d’autres sont tout à fait capables de se glorifier de leurs pires et même de les inventer si besoin. On en a des exemples à foison de nos jours : il suffit d’allumer son poste TV. Oui, j’ai un doute sur la pureté des intentions de Céline. Néanmoins, me suis-je dit, rien n’est plus détestable que les procès d’intention en matière de justice, qu’elle soit littéraire ou autre. Et il faut avouer que la lecture de son Voyage Au Bout De La Nuit est accablante, même s’il n’a cessé de baisser par la suite dans le diapason de sa haine. Je ne sais s’il y aurait un seul être humain sauvable si on n’avait que ce livre comme pièce à conviction pour juger. Personnellement je n’ai pas réussi à finir les dernières pages du roman ; pourtant je pouvais presque apercevoir la ligne d’arrivée, la lumière au bout du tunnel, les trois petits points finals.
    Le plus surprenant pour le lecteur de cet article est sans doute celui d’y retrouver le nom de Borges. Cela n’est pas étonnant car c’est en partie le but recherché. Toutefois je tiens son premier recueil, Fictions (Ficciones), pour une des œuvres littéraires les plus chimiquement pures, dans sa haine de l’humanité, de soi-même et de Dieu. Ses recueils suivants, même L’Aleph, encore très bon, sont bien en dessous de ce point de vue et pas seulement. Dans Fictions, pour être plus précis, seule une poignée de nouvelles me semblent dictées par la haine la plus pure : Le Jardin Aux Sentiers Qui Bifurquent en est une, la suite très cohérente commençant avec La Forme De L’Épée, se poursuivant avec Le Thème Du Traître Et Du Héros, La Mort Et La Boussole, Le Miracle Secret, et se terminant avec Trois Versions De Judas suffisent à compléter la poignée mais il est très possible que j’en oublie. À noter que Borges est aussi l’auteur d’Une Histoire Universelle De L’infamie qui semble un écho de ces six nouvelles. L’ironie du destin – il y a presque toujours une ironie que réserve la destinée aux grands hommes – est que Borges n’aura jamais réussi à écrire un aussi bon livre que ce premier, tout plein de haine qu’il est, malgré tous ses efforts subséquents pour se racheter une âme de sage bienveillant.
    Je voudrais conclure cet article à la manière d’Isidore Ducasse, auteur de ces Poésies dont il est question plus haut, dans le désordre apparent qui convient. Satan, l’ange déçu. Il est faux de prétendre que l’opposé de l’amour est la haine. La déception est une expérience universelle, partagée par tous, même les bébés quand ils meurent : certains mettent simplement plus de temps pour la rencontrer. L’indifférence est le contraire de l’amour, comme de la haine. La haine est une des conséquences les moins reconnues de l’amour. C’est de l’amour déçu. Si Satan existait –et peut-être qu’il existe pour ce que j’en sais – il ne pourrait être le négateur de Dieu, même s’il le voulait. Hugo est plus véridique quand il dit qu’il est celui qui fait le bien en voulant faire le mal. Plus correctement, je dirais qu’il est celui qui fait l’œuvre de Dieu en voulant faire l’œuvre du diable. Il applique le plan. Ses blasphèmes et ses rodomontades Le font sourire de pitié mi-amusée, mi-agacée.

mercredi 13 mai 2020

Fenêtres sur un autre monde : paysages fantastiques

   Dans ce livre, j’ai essayé de représenter l’inimaginable, ou tout au moins de peindre ce qui est hors de portée du champ lexical. D’expérience, je sais que la peinture permet de faire plus facilement, plus naturellement je dirais même, une incursion dans l’outre-monde, celui de l’au-delà, quelle que soit la signification qu’on y met. La littérature est un art – quand il s’agit de fictions – trop rationnel, trop raisonnable, trop abstrait surtout, pour atteindre ce but. Bien sûr, il y a la poésie mais même la poésie est faite de mots et de syntagmes logiques. Et puis qui lit de la poésie de nos jours ? Le recours à l’image est plus sensoriel, plus instinctif, plus primitif, et permet par-là cette magie que je cherchais. L’image en elle-même d’ailleurs est une forme de la magie évocatoire. Les incantations des sorciers ne seraient rien sans l’amulette, le totem ou les peintures rupestres qui vont avec (et probablement la musique). Ce n’est pas seulement par goût du prestige que les peuples construisent des pyramides, des cathédrales, des temples de tout genre pour célébrer l’occulte. Cet écrin permet au plus grand nombre d’atteindre l’état d’esprit nécessaire, sinon suffisant, pour s’arracher du banal quotidien et de ce que l’œil est habitué à voir. Bien sûr, un paysage remarquable, quoique naturel, peut aussi bien faire l’affaire. Ce n’est pas pour rien que les moines et nonnes vont s’enfermer dans des lieux presque toujours grandioses et solitaires, que d’aucuns qualifieraient de romantiques. Néanmoins ces sites ne sont pas à portée de tous et surtout ils ne sont remarquables que pour ceux qui ne les contemplent pas depuis leur naissance et finissent par ne plus les voir, aussi romantiques soient-ils. Un voyageur peut s’émerveiller des forêts vierges d’Amazonie, un habitant beaucoup moins ; un touriste est bouleversé par la caldeira d’un volcan en activité, par ce désert minéral aux sables et minéraux multicolores, rêvant de Mars ou de quelque planète lointaine, un autochtone vivant au pied beaucoup moins. J’ai donc ici voulu peindre des paysages qui ne soient reconnaissables pour personne.
   Pourtant, j’ai inclus dans le lot un certain nombre de jardins, prairies, forêts et montagnes qui semblent assez familiers à première vue. Mais seulement à première vue. À bien y regarder, une foultitude de détails ne collent pas avec le monde que l’on connaît. Même le chat omniprésent, animal mystérieux s’il en est, n’est pas un chat ordinaire. Il brille trop. Il n’a pas d’ombre projetée. C’est tout l’avantage de l’image, du dessin : ils permettent des combinaisons surnaturelles, des changements d’échelle, des perspectives surprenantes, des reflets, des ombres et lumières impossibles. Il est difficile de faire croire à un paysage inventé si vous l’expliquez avec des mots : on appelle ça une description et elle est toujours limitée par l’imagination de celui qui la lit. Si vous le montrez à cette même personne avec une image, il sera obligé d’y croire. Je ne dis pas que c’est vrai de tout le monde mais c’est vrai pour la majorité des gens.
   Prenons deux exemples. En voici un premier que j’ai intitulé L’Ange du village, ce qui suffit amplement comme description, mais probablement pas comme explication :


   Le second exemple est un peu plus typique, dans le sens où le spectateur peut avoir l'impression d'avoir déjà vu cent fois ce type de paysages dans la science-fiction moderne, en particulier  américaine. 

   
   OK, c'est le décor caractéristique pour toute histoire de méchants extraterrestres qui se respecte. Ces objets au loin sont d'ailleurs très louches. On imagine la zone 51 et ses innommables secrets, on voit déjà la tête de David Vincent se pointer au volant de sa Cadillac dans un nuage de poussière, à moins que ce ne soient les men in black.   
   Mais rapprochons-nous un peu de la chose et zoomons :


   Voilà qui est un peu différent. L'orage pèse d'un poids immense sur ce désert de collines sèches. Et l'éclair, dans une étrange spire, semble avoir pris pour cible le bâtiment pyramidal plus élevé que les collines environnantes, à tel point que de son sommet, ces légers monts doivent avoir l'air d'être la continuation de la plaine. Mais n'est-ce pas plutôt l'inverse ? Je veux dire que l'édifice attire à lui la foudre pour mieux utiliser son énergie faramineuse ( l'énergie d'un puissant orage, comme on en voit couramment dans les zones continentales chaudes est bien supérieure à celle de n'importe quelle bombe atomique de fabrication humaine; en fait l'ordre de grandeur n'est tout simplement pas le même). Aussi, rien ne prouve que ces extraterrestres soient si malintentionnés que ça. Peut-être désirent-ils dans un acte de haute bonté nous aider à résoudre notre problème d'énergie, autrement que par des moulins à vent, laids, bruyants, innombrables, véritables hâchoirs à oiseaux et chauve-souris, et puis et surtout inefficaces. Ou peut-être ne sont-ils pas du tout extraterrestres et sommes-nous dans le futur, radieux plutôt que radiant, de l'Humanité. Les espèces de dirigeables futuristes qui tournent autour de l'édifice cyclopéen ne seraient alors pas des vaisseaux spatiaux mais des cargos gros convoyeurs d'énergie, sous une forme plus domestiquée.

  "Fenêtres sur un autre monde" qui contient ces peintures est disponible ici, sous forme de livre broché ou d'e-book. 




   

dimanche 3 mai 2020

Notre Mère Qui Êtes Aux Cieux : roman de science-fiction apocalyptique

Projet de couverture pour la version brochée
Couverture pour la version kindle
                                                                                                 















   




   NMQEAC est le troisième roman de science-fiction que j’ai écrit. De même que les deux premiers, Les Voyages D’Abe Tsumbo puis Fille Des Etoiles, son thème est celui de la rencontre avec extraterrestres, souvent fatale. Mais contrairement aux deux précédents, l’action se déroule uniquement sur Terre. Pas de voyage au long cours, pas de planète exotique cette fois. Il s’agit en effet ici d’une invasion de la Terre par des extraterrestres conquérants, dotés d’une technologie plus puissante que la nôtre d'au moins une magnitude. J’avais déjà touché au sujet dans la novella bien nommée Invasion mais qui était écrite sur un mode léger, plutôt humoristique. Cette fois, j’ai pris mon sujet vraiment au sérieux, à bras le corps, si hypothétique qu’il soit. Son réel sujet est bien sûr la guerre, la guerre totale, l’authentique "der des der". Une forme possible d’apocalypse en somme. Je suis parti en effet de l’hypothèse la plus réaliste selon moi, à savoir que des extraterrestres capables de faire un voyage interstellaire, qui plus est dans un vaisseau immense, ont forcément un savoir et une technologie sans rapport avec les nôtres, un peu comme si nous étions soudain aux prises avec une espèce armée de tanks, de mitrailleuses et d’avions de chasse alors que nous n’avions que des massues et des sagaies. De là, il s’ensuit nécessairement que l’issue du combat est connue d’avance et ne peut en réalité faire l’objet d’aucun débats. Nul héros ne peut vous sauver dans un pareil cas. Aucune chance, aucun miracle scénaristique qui ne soit pas entièrement gratuit, ne peut changer ce fait simple : nous, les Terriens, allons perdre la guerre. La seule chose qui reste à négocier avec un ennemi aussi puissant est les conditions de la reddition. Nous, les Français, connaissons bien le sujet.
   Un autre principe que j’ai adopté pour ce roman, tout aussi réaliste me semble-t-il, est qu’une civilisation extraterrestre capable de voyager entre les étoiles ne va pas sans une culture avancée et donc une éthique au moins aussi exigeante que la nôtre (celle que nous avons maintenant dans les pays occidentaux tout au moins). En fait, sans cette idée très raisonnable à mon avis, il n’était plus besoin d’écrire un roman, l’histoire aurait pu tenir en trois paragraphes, d’un intérêt très mince, du genre : ils sont venu, ils ont vu, ils ont vaincu. Les extraterrestres de mon récit, que j’ai baptisé les Elohim, non sans raisons derrière la tête, sont en effet des êtres à scrupules. Notre planète est de leur point de vue la Terre Promise des Juifs des temps anciens (et modernes) et ils n’y renonceront pour rien au monde, surtout maintenant qu’ils ont fait un si long voyage pour l’atteindre. Mais ils ne peuvent davantage se résoudre à éliminer une autre espèce intelligente comme on éliminerait une espèce nuisible. Et c’est dans cet espace étroit que se tient l’intérêt de mon histoire. Naturellement il y a beaucoup d’autres thèmes abordés et quelques rebondissements, dont un ou deux, j’espère, assez inattendus, mais c’est bien le sujet central, l’idée forte du roman.
   Les péripéties de cette guerre courue d’avance m’intéressant assez peu (je n’en raconte qu’un épisode, en mode flash-back, qui a une importance cruciale pour le personnage principal et donc pour le roman), je me suis plutôt concentré sur ses aspects politiques. J’ai imaginé un monde légèrement différent du nôtre, si légèrement que certains lecteurs distraits pourraient ne pas s’en rendre compte, situé à une époque très voisine. Dans cette espèce d’uchronie, ou de monde parallèle si vous aimez mieux ça (moi pas), vingt-sept pays d’Amérique se sont rassemblés pour former une Fédération, le dernier bastion de la résistance terrienne contre les envahisseurs. Suite à divers déboires très prévisibles, une femme sans grande expérience s’est retrouvé propulsée au poste de Présidente de la Fedération, une amateure en quelque sorte, mais du genre très coriace. C’est elle qui va négocier avec les Elohim. Néanmoins, je lui ai donné plutôt le rôle d’antagoniste dans cette histoire, sans doute parce que je n’aime pas les politiciens, quel que soit leur sexe ou leur race, et aussi pour une autre raison que je ne peux dévoiler sans commettre un spoiler majeur. Je crois que pour ce personnage, j’ai été inspiré par la série Battlestar Galactica, même si ma Présidente a peu à voir physiquement et psychologiquement avec la Roselyn de BG (série que je recommande grandement). A noter que dans cette uchronie, la capitale de la Fédération Panaméricaine s’appelle Kairn, ville imaginaire évidemment, mais très inspirée par notre Kourou (c’est en fait un mix entre Kourou et Cayenne en plus grand). Dans ce monde, la Guyane n’est plus française et appartient vraisemblablement au Brésil ou peut -être, allez savoir pourquoi, au Mexique.
   Ce livre est aussi le second tome de ma série : Sept Cercles De L’Enfer. Comme vous le savez peut-être, le plus célèbre des enfers, celui de Dante, comporte en fait neuf cercles, mais j’ai choisi d’éliminer celui des limbes, réservé aux païens et autres croyants d’avant JC, et celui des hérétiques, estimant qu’ils étaient trop partiaux et constituaient une limitation inacceptable de la liberté de penser. Bon, la vérité est que j’aime le chiffre sept. Question de consonance, je crois, ou peut-être de couleur (je suis synesthète) Dans ce cadre, NMQEAC est plus particulièrement, il me semble, une illustration du deuxième cercle, du moins pour ce qui concerne le personnage principal, Giv Archambaud. Et non, je ne vous dirai pas quel genre de pêcheur on trouve dans le deuxième cercle.
   Le titre, faussement drôle, fait quant à lui référence au fait que le dieu des Elohim est une Mère, leur mère à tous en fait, et qu’elle se situe dans les Cieux, certes, puisqu’elle se trouve dans le grand vaisseau qui les a amenés en orbite terrestre. Cette Mère omnisciente (ou presque) et toute puissante peut à volonté prendre possession de n’importe lequel de ses enfants quand le besoin s’en fait sentir et parler par leur bouche. Bien que ce ne soit pas explicité plus que ça dans le récit, on doit comprendre si on est un peu malin que tous les extraterrestres sont fabriqués par la Mère à l’intérieur du vaisseau grâce à une méthode qui m’est restée à ce jour, j’avoue, entièrement inconnue.
   Un dernier point. Je ne suis pas un écrivain à confidences. Je n’ai donc pas d’alter ego, de porte-voix dans mes fictions censé marteler mes excellentes idées ou diffuser les épisodes les plus mémorables de ma biographie. Mais il m’arrive d’esquisser dans l’arrière-plan une tête assez semblable à la mienne, plutôt de profil ou de trois quart dos. Pas vraiment un figurant comme dans les films d’Hitchcock mais un second ou plutôt troisième rôle si cette dernière sorte existe. C’est ici le cas. Peut-être certains esprits perspicaces sauront me reconnaître.

Le roman intégral peut être trouvé ici

Couverture finale du livre broché pour coller avec celle du Kindle