Battlestar
Galactica, la version qui s’est achevée il y a dix ans, en 2009 donc, est considérée par beaucoup, dont moi-même, comme la meilleure série de
SF de tous les temps. Même comparée, ou plutôt surtout comparée aux films de SF
de son époque, elle est largement au-dessus en termes d’audaces et même
d’innovations scénaristiques. Dans ses meilleures parties – par exemple la
minisérie de 2003, les premiers épisodes des séries 1 et 3 – l’écriture est
d’une précision, d’une intelligence et d’une efficacité exceptionnelles. Les
acteurs, quels que soient leurs talents respectifs, semblent littéralement portés par
l’histoire : on sent de leur part une adhésion rarement observée à ce
niveau. Et une fois n’est pas coutume dans l’industrie actuelle de l'Entertainment,
le talent a été reconnu.
Néanmoins, comme
toutes les séries, et comme le vaisseau qui donne son nom à la série,
Battlestar traverse des hauts et des bas. Avec Battlestar c’est un peu :
l’enfer ou le paradis, quand ce n’est pas les deux ensemble. Les scénarios ne
sont pas de valeur égale au fil des épisodes, loin de là, et il est très clair
que la qualité est souvent étroitement liée au degré d’implication du
re-créateur de la série et principal scénariste Ronald Moore. Certains épisodes
ne sont guère plus que des digressions par rapport au fil rouge de l’histoire, des bouche-trous ou des justifications pour faire disparaître des acteurs de la série, peut-être
pour des raisons contractuelles. Certains acteurs n’ont pas non plus le talent
de James Callis, littéralement possédé par son rôle de Gaïus Baltar (le
personnage le plus admirablement écrit de la série). Grace Park (Sharon Valerii
et autres Eights), par exemple, qui est un de mes personnages préférés de la
série, est excellente dans l’affliction et la déréliction de même que dans le
bonheur et l’amour mais semble littéralement incapable d’incarner les parties
sombres de son ou plutôt ses personnages. En bourreau, en froide cylon, en
meurtrière, en terroriste assoiffée de sang, on a bien de la peine à la croire.
D’ailleurs, elle ne peut s’empêcher de sourire en disant son texte de “bad girl” comme
si elle n’arrivait pas à y croire elle-même. Katee Sackhoff (Kara Thrace) a des
moues et des tics parfois irritants. Le personnage féminin le plus
impressionnant et sans doute le plus emblématique de la série, Six, est jouée
par une actrice presque débutante à l’époque et malgré ses limites assez
évidentes, elle réussit un vrai tour de force quand on considère toutes les
nuances qui colorent les différentes Six (car ce n’est pas seulement la couleur
de leur robe qui change). Madame la Présidente est excellemment joué par Mary
Mac Donnel qui n’a pas toujours été aussi inspirée ; il suffit de la voir
dans Danse Avec Les Loups, complètement égarée à tous les sens du terme. Le
casting masculin souffre de très peu de défauts mais je signalerais néanmoins
le personnage bizarre, mal cernable et sans doute mal cerné de Jamie Bamber
(Lee Adama). Ce n’est pas son talent d'acteur, indiscutable, qui est en cause. Lee est l'homme à tout faire de l'histoire : pilote, second, amiral, boxeur, garde du corps, détective policier, avocat, politicien : il est bon partout; le problème est que ça enlève beaucoup de crédibilité au personnage. Il semble
d'ailleurs parfois mal à l’aise, peu convaincu par son personnage et on peut le
comprendre tant les scénaristes le soumettent à d’incessants changements de cap
moraux, professionnels et physiques. Le plus drôle et le plus réussi est certainement son
considérable empâtement à la fin de la saison 2 et durant tous les premiers
épisodes de la saison 3, même si ce n’est pas une des raisons principales de la
grande force de ces épisodes. À mon avis, Bamber a eu la malchance de tomber
sur le personnage le moins cohérent de la série parmi les – disons douze
personnages principaux. Très curieusement, Richard Hatch qui tenait son rôle
dans la série originelle de 1980, est très convainquant ici dans le personnage du
révolutionnaire Tom Zarek (malgré un tic bizarre mais possiblement
involontaire). Enfin, pour en terminer avec les acteurs, je citerai les
performances de grand style de Kate Vernon en tant qu’Ellen, l’insupportable
moitié de ce pauvre vieux colonel Tigh (on est presque heureux lorsqu’il
l’exécute) et Dean Stockwell en maléfique éminence grise des Cylons (Number
One) aussi nihiliste et acharné à arracher la moindre parcelle d’espoir qui
pourrait rester dans ses semblables comme dans l’humanité que Six est acharnée
à inculquer son Dieu d’amour aux récalcitrants, si besoin étant à grand coup de poings dans la
figure.
Baltar devait avoir son paragraphe pour lui tout seul tant
ce personnage est riche. Dans toutes ses métamorphoses morales, je crois que
Callis aura réussi l’exploit de rester presque complètement convainquant. Il a,
il est vrai, un excellent guide dans le monde parfaitement chaotique qui est le
sien, à savoir Head Six, en plus de son increvable désir de vivre. À mon avis,
son ascension politique rapide est le point le plus discutable du personnage.
Qui peut croire que des gens normaux vont voter pour un type aussi
littéralement et visiblement anormal que Gaïus Baltar ? Je comprends le
souci des scénaristes de faire de Baltar le président des Coloniaux, les 50000
survivants, événement nécessaire pour planter le décor de l’excellente saison 3
(sans doute la meilleure, malgré quelques inévitables bouche-trous) mais il fallait trouver autre chose pour l’asseoir sur
ce siège.
Jusqu’ici, je n’ai mentionné que les petits défauts de la
série, disons ses péchés mignons. Je vais maintenant passer aux réels
problèmes.
D’abord, commençons par rire un peu. Dans le registre
comique, on doit signaler l’invraisemblance absolue de ces douze modèles humanoïdes
Cylons si parfaitement humains qu’on ne peut les percer à jour qu’au prix de
très savants examens biologiques et qui ont pourtant des propriétés cybernétiques
comparable à celle de mon PC : où sont donc les fils, les prises et les puces ?
Et on peut s’amuser de l’effort d’imagination ou d’aveuglement que cela demande
pour croire, même un instant, que ce sont en fait des machines, voire des
grille-pains, même alors qu’on a passé des années ensemble, copains comme
cochons. Il n’y a pas besoin d’être un génie comme Baltar pour s’apercevoir de
l’erreur flagrante de classification. Je vois bien dans cette incapacité totale
et universelle à reconnaître l’humanité dans ces humanoïdes l’analogie que les
scénaristes ont dans le crâne mais elle est rendue caricaturale et franchement
risible par son aspect systématique et sans nuance. Du point de vue de la physique,
il est aussi très drôle de voir les gens marcher, manger et se doucher dans
l’espace profond comme s’ils bénéficiaient toujours de la pesanteur de Caprica.
On peut aussi trouver hautement burlesque les incessants bombardements et
accrochages auxquels sont soumis les divers vaisseaux de la flotte coloniale,
dommages qui sont généralement réparés en trois coups de clé à molette et deux
points de soudure. Souvent, tout se passe comme si on était dans l’atmosphère
avec de vieux coucous qui vont à deux à l’heure. Aucun essai de réalisme de ce
côté : les vipers, sorte de chasseurs spatiaux, font des figures comme
s’ils étaient dans un meeting aérien au-dessus de chez moi (il y en a beaucoup par
ici, hélas !), battent des ailes, virevoltent, effectuent des virages à
180°, freinent en coupant leur moteurs et même parviennent à faire du sur-place !
Ils bousculent allègrement vaisseaux et météores qui gênent le passage d’un
coup de museau tandis que les pilotes éjectés dans leur petite combinaison
ignorent visiblement que la température extérieure est d’environ – 274°C ou stoppent
net une fuite d’oxygène en mettant un doigt dans le trou. Je pourrais
multiplier les exemples. Bon, on peut mettre ces invraisemblances sur le compte
des conventions jugées nécessaires pour l’économie générale de la série au même
titre que le fameux moteur FTL (Faster Than Light), ingrédient presque
inévitable de tout voyage spatial excédant le cadre d’un seul système solaire.
(À ce sujet, je vais faire une brève digression, tout à
fait dans l’esprit d’une série, qui nécessite toujours des rallonges. La
solution la plus souvent vue au cinéma ou à la télé pour éviter le problème que
je signalais plus haut et tâcher de respecter la physique est de faire tourner
sur eux-mêmes les vaisseaux spatiaux. On en a une première illustration, à ma
connaissance, dans 2001, Odyssée de l’Espace. On pourrait aussi envisager un
vaisseau si colossal qu’il génère sa propre gravité mais il devrait alors avoir
la taille d’un planétoïde, ce qui n’est pas facilement acceptable par la
quantité de crédulité disponible d’un spectateur moyen. Donc, on imagine un
cylindre ou une roue ou une fronde en rotation continue, sauf peut-être lors
des phases d’accélération ou de freinage où la gravité artificielle se génère
d’elle-même, et a tendance même à être tout à fait excessive. La fronde est le
mieux indiqué puisque la force centrifuge qui va servir de substitut à notre
gravité est proportionnelle à la distance qui sépare l’espace-vie de l’axe de
rotation, à condition bien sûr que l’espace-vie en question soit organisé de
façon à ce que ses habitants marchent sur la coque intérieure qui se trouve en
opposition exacte au sens de la force centrifuge. Outre le fait que ce ne doit
pas être bien facile à organiser, il est clair que ça revient à passer des
jours, des mois, des années dans un manège géant. Je ne suis pas sûr que ce
soit une perspective bien exaltante, si même humainement possible. Mais les vaisseaux
de la flotte conduite par le Battlestar n’étant pas soumis à une rotation, hormis
une grande roue qui n’a d'ailleurs d'autre utilité dans l'histoire que décorative, les scénaristes ont
recours apparemment au vieux truc de la gravité artificielle magique, plus
digne de contes de fées tels que la Guerre des Étoiles.)
Certains jugeront que ce n’est pas très grave. Néanmoins
cette désinvolture envers la science, typique de Battlestar, qu’elle soit le
résultat d’une indifférence ou d’une réelle inculture scientifique, est à mon
avis problématique dans une série dont l’objectif de départ clairement affiché
est de donner à un genre habituellement farci de poncifs et d’invraisemblances
en tous genres (du moins à la télé) le réalisme le plus cru. Je sais bien que
des deux mots composant science-fiction, le seul vraiment important est le
second, mais en ce qui me concerne, ma capacité à la suspension de
l’incrédulité, le facteur clé pour apprécier une fiction, est notablement
affectée par ces anomalies à répétition.
La force de
Battlestar est évidemment à chercher dans son traitement des questions
sociales, psychologiques, historiques, politiques et religieuses. Certains
épisodes sont impressionnants d’efficacité à cet égard. Si la société fasciste
du Pegasus est dans l’ensemble assez grossièrement rendue, mais non sans talent et efficacité,
la description des dérives du gouvernement démocratiquement élu vers
l’autoritarisme est saisissante de vérité. Quand on voit à quelles extrémités
en arrive Laura Roslin, la (bonne) Présidente, pour se maintenir au pouvoir et
garder le (bon) cap, on est saisi par la similitude avec le comportement de nos
(bons) gouvernements actuels essayant de contourner de toutes les façons
possibles (encore légales pour l’instant, contrairement à celles de Roslin) la
volonté de ces peuples qui votent de plus en plus mal. Tout ce qui concerne les
descriptions de New Caprica soumise à l’envahisseur est également de la
meilleure eau. Le cas le plus emblématique est encore celui de Baltar. Bien
sûr, il va être jugé pour haute trahison et nul doute que dans la réalité, cela
se serait passé ainsi. Mais à sa place, vous auriez fait quoi ? C’est
toute la question de son procès. Soit il se rend au nom de son peuple (il est
alors le Président) soit il refuse toute coopération et les Cylons n’ont plus
guère qu’une option : on sait déjà qu’ils ne sont pas effrayés par l’idée
d’un génocide. Est-ce qu’il a tort de collaborer en restant à son poste ?
Peut-être. Pas sûr. De toute façon, les Cylons l’auraient éliminé en cas de
refus et l’auraient remplacé par un autre encore bien plus docile. Comme le
prouve Gaëta, son adjoint, par la pratique, la meilleure forme de résistance
vient parfois de l’intérieur.
Néanmoins, même dans les points forts de Battlestar, on
peut trouver des faiblesses et pas des moindres. J’ai déjà mentionné l’extrême
improbabilité qu’un personnage comme Baltar, ce demi fou, complètement
possédé par Head Six (on le comprend), soit élu démocratiquement. Même en tant que marionnette
de Roslin puis de Zarek, il n’est pas l’homme de la situation. Il n’a pas de sens
politique, contrairement à Roslin et Zarek. Cette bévue est corrigée si on peut
dire par une autre bévue, non moins énorme, celle de Roslin. Comment peut-elle
ne pas voir que son refus d’aller sur New Caprica est une forme de suicide
politique ? Elle n’est plus malade à ce moment-là et cette incroyable
faute de jugement ou de flair politique ne peut donc être mise là-dessus. Bien
sûr elle veut continuer le voyage vers cette fameuse treizième colonie peut-être d’ailleurs imaginaire,
la Terre. Mais rien ne l’empêcherait d’envoyer un vaisseau à sa recherche et de
laisser en attendant les survivants jouir de cette découverte inespérée qu’est
New Caprica. Après tout quelles sont les chances de découvrir, par hasard qui
plus est, une planète habitable par l’Homme ? À peu près zéro. Comment
peut-elle croire une seule seconde que des gens qui ont vécu une année serrés dans
des boîtes de conserve, même avec les avantages concédés par des scénaristes
négligents, pourraient laisser échapper cette occasion unique de retrouver le
plancher des vaches, sans vaches il est vrai, pour une terre lointaine et
hypothétique ? Et en plus, ô miracle des miracles, New Caprica se trouve dans
une “nébuleuse” qui la met à l’abri des détections cyloniennes.
(Pardon : une nouvelle digression à propos de l’ascension
très peu crédible de Baltar en politique. Baltar est un scientifique de grand
talent, un génie multi cartes, cybernéticien de métier, démographe ou biologiste
à ses heures quand il ne pratique pas l’astronomie, telle sa découverte de l’Œil
du Lion – pour le compte des Cylons – qui indique le chemin de la Terre. Les grands
scientifiques ont un point commun avec les grands artistes : ce sont les
gens les moins faits qui soient au monde pour la politique. La science tout
comme l’art véritable n’a que faire du compromis et du consensus. Soit vous
avez tort soit vous avez raison, soit vous êtes dans le vrai soit vous êtes
dans le faux, soit vous sonnez vrai soit vous sonnez faux, pas de moyen terme
possible, et le domaine du vrai, dans les deux cas, est incroyablement plus
étroit que celui du faux. La politique, en démocratie au moins, demande au
contraire une souplesse d’esprit extrême, une capacité de contorsion digne d’un
désossé. Et même si Baltar démontre une grande souplesse à certains égards,
essentiellement quand ça touche à sa survie, et est assurément capable de
savoir ce que je viens d’affirmer, cela ne veut pas dire qu’il peut modifier sa
nature sur commande, pas à ce point.)
Passons à la
thématique religieuse, très présente dans Battlestar mais à mon sens un peu plus
superficielle. Les gens des douze colonies ont pour religion centrale un
polythéisme que l’on qualifierait aujourd’hui d’antique, avec oracles, pythies
et prêtresses. Aucun besoin d’aller chercher une allégorie là-dedans; les Dieux sont nommés d’après la nomenclature gréco-romaine : Athéna, Jupiter, Apollon,
etc. J’ai lu ici et là que les Cylons seraient quant à eux une métaphore pour
désigner les extrémistes de l’Islam, poseurs de bombes. Et bien peut-être que l’un
d’entre eux, Five, qui se fait exploser, est un adepte d’Allah sans le savoir. Et
il est vrai qu’Allah ou Yahvé sont des Dieux de colère avant tout. Problème :
les Cylons, quand ils croient à quelque chose, croient en un Dieu unique, un
Dieu d’amour. Il faudrait être singulièrement bouché pour ne pas voir le rapport
avec le Dieu du Christ (si Caprica Six est une vraie disciple du Christ, Leoben
(Two) est plutôt un personnage dostoievskien qui cherche le Dieu du Christ sans
jamais le trouver). Néanmoins, pour compliquer les choses un peu plus, leur
leader intellectuel, sinon spirituel, est Cavil (One), un nihiliste au
militantisme athée très vocal qui trouve un malin plaisir à se faire passer
pour un prêtre de type chrétien. Est-ce vraiment
un problème ? Pas vraiment. Ces différences profondes chez les Cylons expliquent
bien leurs divergences de vues qui vont conduire à leur séparation finale et leur
propre auto-destruction. Leur société, malgré les apparences, est beaucoup
moins homogène que celle des survivants humains.
Il y a néanmoins un
sérieux problème pour concilier une prêcheuse d’amour telle que Six avec le
génocide qui précède, d’autant qu’elle en est la pièce maîtresse. Je soupçonne
cette fois une analogie chez les scénaristes avec le nazisme et sa détention du
titre de plus parfait génocide réalisé à ce jour (record qui peut toujours être
battu, n’en doutons pas). Mais les nazis, leurs chefs tout du moins et Hitler
en particulier ne se présentaient pas comme des évangélistes que je sache. Il y
a là une confusion embarrassante quoique probablement involontaire de la part
de Moore. La raison de ce raccourci pour le moins discutable est certainement à
chercher dans l’économie du récit. Moore avait besoin d’une apocalypse et donc
d’un génocide pour justifier la fuite éperdue des survivants de toutes les
colonies. Mais il avait besoin aussi de personnage(s) pour s’opposer au
nihilisme des uns et à la superstition des autres (Roslin et Three, alias D'anna, en sont clairement des représentantes). Et Moore, qui est agnostique
mais est issu d’une famille catholique, a naturellement pensé à la religion qu’il
connaît le mieux. Pourquoi a-t-il choisi Six pour l’incarner est un mystère que
je peine à percer. En fait, je ne vois pas d'autre raison que la relation très particulière entre Six et
Baltar, incontestablement une des grandes réussites de la série.
Mais pour ce qui est de l’articulation entre les deux états d’esprit, c’est
incompréhensible moralement et psychologiquement, à moins de voir là une sorte
de Paul au féminin qui après avoir été un adversaire du Christ ou du moins de
ses disciples, se mue soudainement sur le chemin de Damas en son plus infatigable
apôtre. Honnêtement, après un tel massacre des innocents, cela me fait penser,
en terme de crédibilité, aux virages à 180° exécutés à toute vitesse par les vipers
du Battlestar.
Le sens général de la série est à chercher du côté de la
foi en général plus que d’une religion en particulier. C’est incontestablement la foi qui
permet aux survivants de se souder après la catastrophe, autour de la prêtresse
des Dieux de Kobold, et suite à la révélation d’Adama. Dans un cas pareil, l’espérance
ne suffit pas, ou pas longtemps : quelque chose de plus fort, de plus grand, doit être
trouvé. Le livre sacré de Kobold fournit un véhicule pour cette foi. Il faut
remarquer ici qu’on est bien plus ici dans la ligne de la foi juive et sa confiance
absolue dans l’Ancien Testament (il suffit juste de savoir interpréter la
parole contenue dans les rouleaux pour connaître les desseins de Dieu) que dans
la religion greco-romaine. Et plus tard, avec l’influence toujours grandissante
de la foi de Six et de quelques autres Cylons convertis, ce sera le tour de la
foi chrétienne de prédominer, ce qui est évidemment une transposition de l’évolution
de nos civilisations occidentales. Son aveu le plus spectaculaire est cette
photographie réalisée pour l’ultime saison, que j’ai choisie comme illustration,
où douze des principaux personnages de la série reprennent les postures de la Cène :
si c’est évidemment un clin d’œil amusé et un moyen publicitaire quelque peu
tape à l’œil, ça n’en est pas moins un aveu limpide de l’évolution de la série. À noter que sur les douze personnages représentés, sept sont des Cylons et une
n’est ni humaine ni Cylon.
Je ne vais pas parler ici de la fin de la série
pour ne pas gâcher le plaisir de la découverte pour ceux qui n’auraient jamais
vu Battlestar. De toute façon, les épisodes du dénouement, la découverte des « Final
Five », les cinq derniers Cylons inconnus, y compris de leurs congénères,
et le double épisode final méritent un article à part entière que j’écrirais
peut-être un de ces jours. Si ces épisodes sont en effet loin d’être entièrement
satisfaisants sur le plan artistique – terminer une série est toujours le plus
difficile, surtout aussi complexe et enchevêtrée que celle-là – Ils sont en revanche
particulièrement propices à la réflexion, aussi bien pour les réponses qu’ils
donnent que pour celles qu’ils ne donnent pas.
Pour conclure, et malgré tous les défauts
petits ou grands de la série, je voudrais insister sur le contraste majeur qu’elle
offre avec l’industrie audiovisuelle contemporaine. Battlestar Galactica ne
cède jamais au politiquement correct qui est littéralement en train de miner les
arts et les sciences dans leur ensemble après avoir sapé, depuis belle lurette,
le cinéma. C’est en bonne partie grâce à ce refus du consensus et de la réduction au plus petit dénominateur commun que les personnages de BSG nous semblent si
vivants et que les histoires qu’ils habitent sont si palpitantes.
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