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lundi 21 avril 2025

Georges De La Tour 1593-1652 : peintre du mystère

 

Le vielleur de face


Ici, je pense bien sûr au mystère chrétien, mais aussi à peu près tous les autres sens qu’on peut donner à ce mot. Dans le sens "secret et mal connu" par exemple, je ne crois pas qu’il y ait un peintre plus mystérieux dans notre civilisation européenne, même pas Uccello. Et c’est un fait très surprenant car La Tour, loin d’avoir été un artiste maudit de son vivant, ou même au succès d’estime comme on dit, a été très largement reconnu aussi bien par le grand public, c’est-à-dire à l’époque la bourgeoisie locale, que par les plus hautes éminences de Lorraine ou de France : le duc de Lorraine, le roi de France (Louis XIII) à coup sûr et probablement Richelieu possédaient des toiles de ce peintre. Ainsi, La Tour a reçu le titre de peintre ordinaire du roi de France. Sa popularité est si grande alors qu’il est copié abondamment et que ces copies (qui ne sont pas des faux, c’est une pratique normale destinée à permettre aux bourses plus modestes d’acquérir des toiles d’un peintre réputé, la signature, le talent et l’originalité en moins) ou ces imitations sont dites « à la façon La Tour ». On connaît par exemple actuellement dix copies différentes du tableau Saint-Sébastien soigné par Irène dont on sait que l’original appartenait à Louis XIII et l’on n’a toujours pas retrouvé le modèle, celui de la main de La Tour. Pourtant, en quelques années ou quelques décennies au plus après sa mort, son nom va complètement disparaître et tous ses tableaux, même les rares qu’il a signés, seront attribués à des peintres en vogue, fameux ou pas.

Le destin personnel de La Tour est un mystère. Un mystère à rebours de celui de Jésus Christ qu’il a peint au moins trois fois, si discrètement que bien des spectateurs l’oublient, et de bien d’autres grands hommes où la mort sert en principe de révélation ou de consécration. Il faut réaliser qu’on ne possède encore aujourd’hui, malgré de très importants travaux de recherche par les historiens et collectionneurs d’art, aucune pièce de lui, aucune relique si vous voulez, rien, absolument rien hormis quelques poignées de tableaux dont l’attribution n’est plus contestée. Pas une lettre, pas un objet, pas une maison lui ayant appartenu, pas même sa tombe. Le peu que l’on sait de lui nous vient de rapports officiels évidemment très succincts, généralement à charge ou au mieux neutres et de toute façon rares. Toute sa reconnaissance posthume, qui a commencé en 1915 grâce à un Allemand, Hermann Voss, de toute évidence bien meilleur observateur que ses collègues, a tenu donc uniquement à son œuvre picturale. Sa résurrection officielle peut-on dire a eu lieu au début durant les années soixante, début des années soixante-dix, avec tout un lot d’expositions qui lui sont consacrées dans divers coins du monde. Il aura passé trois siècles au purgatoire de la postérité, ce qui ne doit pas être loin d’un record.

Rixe de musiciens (détail): comment a-t-il fait poser les "acteurs" est un mystère

La personnalité de La Tour est mystérieuse. Les sujets de ses toiles, leur traitement si particulier, semblent indiquer un goût pour les humbles, les démunis, voire les miséreux, un esprit charitable ou tout au moins compatissant, une aspiration puissante vers le dénuement, le perfectionnement moral, la solitude érémitique, la sainteté chrétienne. Mais les quelques documents officiels qui nous sont arrivés le montrent pratiquement à l’inverse de ce portrait édifiant. Naturellement, ces pièces étant très limitées et venant possiblement d’ennemis ou de voisins jaloux, elles ne valent pas preuve mais il est tout de même étrange que la plupart convergent pour nous présenter un homme dur sur l’homme et dur en affaires, un vrai hobereau de province imbu de son statut et soucieux de maintenir ses privilèges. De plus, sa trajectoire sociale confirme l’idée que La Tour était un ambitieux, peut-être même ce qu’on appelle un arriviste, et pas seulement en art. Ce fils de boulangers, aussi bien du côté maternel que paternel, aura tout de même réussi à épouser une femme de la noblesse, nettement plus âgée que lui, ce qui pour l’époque ne devait pas être très courant. Il sera d’ailleurs anobli grâce à ce mariage. Et on sait par ces enregistrements officiels qu’il n’a eu de cesse d’accumuler les distinctions propres à augmenter sa position sociale, sa réputation et la fortune familiale (qui au départ devait très largement être celle de sa femme). Tout cela cadre très mal, c’est le moins qu’on puisse dire, avec l’extraordinaire épure, la profondeur métaphysique de son art.

L’œuvre de La Tour est un mystère. Il est particulièrement difficile et risqué d’établir une chronologie de ses œuvres à partir des maigres informations qu’il a laissées. En effet, outre qu’il signait rarement ses tableaux, il les datait encore moins souvent. Un esprit simple comme moi pourrait théoriser — et d’autres l’ont fait ! — que plus La Tour vieillit, plus il va vers un fondu au noir : du jour divers et coloré de la jeunesse vers le crépuscule monochrome précédant la mort en quelques sortes. Mais quoique cette piste soit sans doute la meilleure qu’on ait, elle est contredite par plusieurs œuvres, telles que L’argent versé pour une fois portant une date, difficile à lire certes mais probablement de 1624, qui par le fait que ce soit un nocturne typique, avec son éclairage à la bougie, devrait figurer à la fin de sa carrière, ou Le reniement de saint-Pierre, de 1650, soit juste deux ans au plus avant sa mort, qui au contraire présente des maladresses qu’on croirait de jeunesse. Vous me direz que ça ne fait que deux contre-exemples. Oui, mais deux contre-exemples sur trois tableaux datés en tout et pour tout ! Voilà qui commence mal pour établir une si belle théorie ! Une seconde théorie censée justifier la première est que son fils (l’un de ceux qui ont survécu aux maladies infantiles) aurait peint les parties les plus faibles dans ses dernière œuvres. Pourquoi pas mais l’usage d’apprentis, d’aides était courant et en fait général chez les peintres réputés de l’époque et ça n’impliquait pas une baisse de qualité, le maître choisissant la composition de départ et se réservant la touche finale, celle qui compte vraiment. Ce qui est particulièrement gênant dans le cas de La Tour est que la réalisation peut être très inégale dans un même tableau ; alors quel est le vrai ? Celui qui peint comme à son apogée ou celui qui semble maladroit comme à ses débuts ? D’ailleurs, même cette maladresse caractéristique de la jeunesse n’est pas un critère bien sûr : les deux vieillards (voir La paysanne ci-dessous) unanimement rangés par la critique dans ses premières années ne me semblent pas présenter de maladresses et révèlent en revanche un sens du volume « cubique » qu’on attribue à sa phase ultime. En effet, une autre façon de dater l’œuvre de l’artiste est d’y trouver une évolution stylistique qui irait du réalisme brut, avec une attention particulière sur le rendu des matières, un déploiement de textures et de couleurs, vers une stylisation géométrique de plus en plus grande, une simplicité tendant vers l’épure, où les personnages semblent sculptés dans l’ombre et la lumière, où les matières puis les couleurs et enfin la lumière elle-même semblent disparaître dans un grand fondu au noir. L’aboutissement ultime est alors le Saint Jean-Baptiste dans le désert où l’on ne distingue pratiquement plus rien exceptées quelques lueurs pâles. Pour ajouter aux problèmes, La Tour avait l’habitude et je crois bien le goût de la redite, comme la plupart des perfectionnistes. En gros, il se copiait lui-même en effectuant de petites variations/améliorations parfois si infimes qu’on pourrait en faire sans peine un jeu des sept erreurs : Le tricheur (voir plus bas) en est l’illustration la plus fameuse mais Saint-Sébastien pleuré par Irène (à ne pas confondre avec Saint-Sébastien soigné par Irène dont la ou les versions originales ont probablement toutes disparues) est encore plus étrange à cet égard car hormis le voile bleu vif (voir plus bas) de l’une et presque noir de l’autre, on a bien du mal à trouver une différence.

Le tricheur à l'as de trèfle, sans doute antérieur au tricheur à l'as de carreau: trouver les différences

Pour finir, je voudrais célébrer ce génie de la peinture par une de ses forces qu’on pense le moins à louer, à savoir qu’il est un coloriste extraordinairement subtil. Par subtil, j’entends qu’il arrive à des combinaisons de couleurs (et de matières) incroyablement sensuelles, qui font vraiment plaisir aux yeux, avec une palette très réduite et souvent dénuée de couleur vive, à l’exception toutefois du rouge sang. Naturellement, on trouve de ces exemples plus facilement dans ses scènes diurnes que dans ses nocturnes. Voici mes préférés, avec quelques commentaires :



Détail du tableau intitulé (par les critiques d'art, pas par le peintre qui ne donnait pas plus de titre à ces œuvres qu'il ne les datait) Apparition de l'ange à Joseph. L'interprétation de la scène est probablement juste. Il est évident que le modèle ayant servi à peindre l'ange,  est une fillette, très certainement une des filles du couple La Tour. Elle est très vraisemblablement morte dans l'une des épidémies qui ont emporté presque toute sa famille, le peintre et sa femme y compris. La magie, ou le miracle de l'apparition si vous voulez, vient entièrement de l'éclairage. Aucun effet spécial. Aucun accessoire de théâtre nécessaire. Dommage que ma photo ne soit pas très bonne.



Détail du tableau intitulé la Paysanne, réputé comme un des premiers tableaux de La Tour, bien que j'aie peine à voir autre chose que l'excellence et la maîtrise de son art, malgré la simplicité du sujet. Son pendant, le Paysan, n'est d'ailleurs guère moins impressionnant.



Détail du Tricheur à l'as de trèfle, présenté en intégralité un peu avant. Bien que dans l'esprit, je trouve que son successeur à l'as de carreau est supérieur, je préfère celui-ci dans la forme, précisément pour la raison que j'ai donnée plus haut.



Détail des joueurs de dé. Un de ces portraits de second plan qui font le charme de bien des tableaux des maîtres du Moyen-âge et de la Renaissance.



Le vielleur de profil. La richesse des matières et et la la subtilité des accords de couleur est ici un sommet de l'art pictural, de même d'ailleurs que dans la version du vielleur suivante.



Détail du vielleur de face. Comme morceau de peinture, c'est un must see mais le bonhomme qui a servi à ce chef d'œuvre est un vieillard édenté, aux vêtement sales et rappés, bien plus miséreux que celui du dessus. C'est aussi un de ses portraits les plus émouvants (voir le tableau intégral plus haut).



Détail de la Madeleine aux deux flammes. Bizarrement, La Tour a toujours représenté Madeleine comme une bourgeoise, ou disons une ancienne bourgeoise, avec des signes extérieurs de richesse volontairement inclus dans la scène comme ce très beau miroir. Bizarrement car Madeleine est réputée le plus souvent être une ancienne prostituée. Je serais très curieux de savoir quel modèle il a utilisé car il est flagrant que celui qu'il a fait poser pour toute la série des Madeleine (on en connaît cinq ou six variantes et il en a peint certainement davantage) est une seule et même femme.



Détail du Nouveau-né. Le nouveau-né en question est identifié sans contestation comme le bébé Jésus. Mais rien dans le tableau ne le différencie d'un bébé ordinaire, ni sa mère ni sa grand-mère. Je suspecte La Tour d'avoir utilisé sa femme, une de ses filles et son premier-né, son petit-fils donc (ou sa petite fille, allez savoir!) comme modèles de cette scène. Son interprétation de la naissance "miraculeuse" du Christ me convient évidemment, comme vous pouvez le lire ici.



Détail de la femme à la puce. Sans doute une servante à en juger par l'absence de bijoux. Le seul nu que Latour a peint, du moins parmi les tableaux qu'on connaît.



Détail de Saint-Sébastien pleuré par Irène (celle qui est agenouillée et dont on ne voit pas le visage sur ma photo). C'est le plus simple, le plus épuré, le plus géométrique et selon moi le plus émouvant des tableaux de La Tour. Mais on regrette un peu la virtuosité dans le rendu des traits, des matières et des couleurs dans ce qui est probablement -- pas de date pour le confirmer -- une de ses dernières œuvres.












samedi 24 juin 2023

Savrassov : le génie du paysage

 


Alexis Savrassov est de tous les peintres paysagistes le plus réaliste. Même les anciens Chinois ne sont pas aussi réalistes que lui. Même les photographes, pour la plupart, sont moins obstinément accrochés au réel que lui. Il ne cède jamais au joli, à l'anecdotique, au détail pittoresque; seul la vision d'ensemble compte. Il est le pendant de Tolstoï en peinture, sauf qu'il ne s'occupe que très rarement des affaires humaines ou alors comme un élément perdu dans un espace bien plus vaste, un peu à la manière des anciens Chinois (quelques rares exceptions comme des hâleurs font l'objet de premiers plans dans ses toiles). Il est donc tout comme le grand écrivain, son contemporain, un artiste diurne par excellence, même quand il peint la nuit (et il l'a fait souvent comme sur cet exemple ci-dessous, à l'apogée de sa carrière).

Le titre en russe peut se lire ainsi : Lunaya notch soit "Nuit avec lune".

Les grands artistes diurnes ont une sorte d'allergie envers tout ce qui laisse trop à l'imagination, à la fantaisie, au monde des rêves, à la nuit au sens allégorique. Ce sont des enquêteurs du monde du réveil, ce qu'on appelle communément le réel. Cela ne signifie pas qu'ils soient incapables d'imagination ou d'envolées fantastiques mais ils les répriment très généralement avec une sorte de ferveur religieuse, de rectitude inquisitrice, comme si c'était une manifestation des forces maléfiques. On en trouve de ces rares "accès de faiblesse" chez Tolstoï dans les magnifiques premiers chapitres de son (trop) long roman Résurrection ou, malgré lui pourrait-on dire, les ombres fantastiques de la nuit s'invitent ici et là. Chez Savrassov, on en trouve un splendide exemple dans ce nocturne hivernal, qui sans être à proprement parler fantastique, est sûrement ce qui s'en approche le plus chez lui.


Savrassov est parfois un Turner réaliste, sans les effets de brume fantastiques et les jolis bateaux, parfois un Friedrich sans les ruines gothiques et les forêts de légende, parfois un Monet sans les grandes cathédrales ou les fleurs de nénuphare.

Savrassov : juste un soupçon de Turner, 1881

Savrassov : un petit air de Friedrich?


Monet, pensez-vous ? Non, Savrassov, avant même que le mot "impressionnisme" ne figure dans le lexique pictural.

Le tableau suivant a une force expressionniste plus qu'impressionniste néanmoins (il est clair que Savrassov ne se souciait nullement d'appartenir ou d'initier un mouvement esthétique quelconque; sa volonté est plutôt d'associer la technique ou disons le mouvement de pinceau le plus adéquat avec son sujet. C'est un de ses rares essais fantastiques, au sens large du terme, merveilleusement réussi, et si on le joint avec le tableau présenté ici en troisième position, on regrette vraiment qu'il n'ait pas davantage oeuvré dans cette direction. Pour moi, cette toile vaut "l'île des morts" de Böcklin, tant son pouvoir d'évocation est grand, même si le thème ici est en fait un monastère bien de notre monde. Je dirais qu'il est même encore plus remarquable par le fait qu'il ne contient aucun élément surnaturel et qu'il semble pourtant comme le souvenir d'une vision d'un autre monde.

1875


La prochaine peinture est encore d'une tonalité et d'un style très différents, que personnellement j'aurais daté du tout début vingtième siècle si je n'avais pas eu la date sous les yeux (et si Savrassov n'était pas mort en 1897). Il me fait penser, en plus de Van Gogh, à la fois à Henri Rousseau par son aspect frustre et à Maurice Utrillo pour sa poésie poignante de la pauvreté (nettement plus urbaine chez le Français). Toutefois le tableau est daté de 1970.




Savrassov a atteint son pic de reconnaissance artistique et d'aisance financière au tout début des années 70 (celles du XIXe évidemment). Parmi ses tableaux emblématiques de cette période, on trouve Le retour des corbeaux que j'ai présenté en plaisantant comme un "faux" Monet, son tableau certainement le plus célèbre en occident, ainsi que le chef d'oeuvre moins connu qui suit, avec de nouveau un monastère mais très à l'arrière-plan cette fois.


Par le suite, la bonne fortune de l'artiste a très rapidement cédé la place aux déboires, d'abord conjuguaux puis professionnels, le tout dans une atmosphère d'alcoolisme aggravé (Comme cet autre génie de Moussorgsky, son contemporain, Savrassov servira évidemment à alimenter la légende tenace de l'artiste russe ivrogne). 
Il mourut aussi pauvre et abandonné que Job au point où son enterrrement ne sera suivi, paraît-il, que d'une personne qui n'était même pas de la famille.  Mais le point important à retenir est celui-ci : tout le restant de sa vie, il continuera à peindre et son génie ne diminuera pas d'un iota. Voici donc quelques chef d'oeuvre, au moins à mes yeux, qu'il va produire durant cette dernière et sombre période. Comme on peut le voir,  tous ne sont pas pour autant dénués de lumière et de couleurs, à tous les sens.



Un des plus beaux "portraits" de maison que je connaisse, 1878



1881

Début de printemps,1890

Mer de boue, 1894

Pour finir, je choisis quelques tableaux parmi mes préférés qui permettront de se faire une idée de la variété des dons et des types de paysages peints par Savrassov. Je vais commencer par un de ses rares essais de représentation des êtres humains autrement que de très très loin. Notez qu'en tant que dessinateur, il n'a aucun problème technique avec le corps humain ; c'est juste qu'il préfère d'autres sujets (une préférence chez lui quasi exclusive assez incompréhensible pour quelqu'un de mon genre).

Les bateliers de la Volga, 1871

Bien que ce peintre ait pris pour sujet à maintes reprises la forêt, je m'aperçois que je n'ai inclus aucune peinture sur ce thème ; voici l'occasion de rectifier quelque peu cet oubli :

1869

La neige, l'hiver, le froid sont évidemment des inspirations centrales pour ce Russe :







Savrassov a souvent peint le printemps mais le printemps pour un Russe a une signification un peu différente que pour un Français, comme vous avez pu le noter si vous avez vu 17 moments du printemps (si vous n'avez pas vu ce chef d'oeuvre du cinéma, le meilleur film d'espionnage qui ait jamais été réalisé, vous pouvez réparer cette monumentale erreur avec cette version soutitrée en français sur youtube, ici : profitez-en, bientôt ce sera interdit).

Une variante de son "best-seller", Les corbeaux sont arrivés, qui se passe également au printemps

Cour, printemps, 1873


Printemps, 1874

Mais il arrive enfin le printemps, tel qu'on l'imagine :

Printemps, 1867


Quant à cette remarquable vue nocturne, je ne saurais dire si c'est plutôt le printemps ou l'automne: 


La rasputitsa et la mer de boue qui en découle sont des thèmes russes par excellence, même si dans le tableau suivant, un de ses plus fameux, il s'agit clairement de l'été après un orage.

La route de terre

L'oeuvre suivante est un plan génial doublé d'une superbe peinture. Il m'a fallu un bon bout de temps, en voyant cette campagne automnale radieuse, pour réaliser qu'il s'agissait de Moscou et du Kremlin.


Enfin, pour compléter la panoplie du maître, voici un dessin puis une aquarelle de Savrassov. Toutes les autres oeuvres présentées étaient en effet des peintures à l'huile.

Encore une fois Les corbeaux sont arrivés, 1894




Savrassov a peint cette aquarelle lors d'un voyage en Suisse : quelle magie dans cette transparence!


Autre peintre russe digne d'intérêt : ici.

lundi 15 août 2022

Julius Klever, le plus grand peintre de soleils couchants

 


    Hormis Chagall, Kandinsky et peut-être Soutine pour les amateurs quelque peu éclairés, les peintres russes sont à peu près inconnus dans nos pays, même un nom aussi grand que celui de Savrassov. Ce dernier, sur lequel je devrai revenir un jour prochain, n'est cependant pas l'objet de cet article. Julius Klever (Yuliy Klever en fait) a un génie plus modeste, ou plus exactement un génie très circonscrit. Des peintres comme Degas, Turner, De La Tour, Rembrandt, sont géniaux, ou du moins peuvent l'être, quel que soit ou presque le sujet traité : portrait, nu, scène historique ou religieuse, scène de genre, paysage, etc. Klever ne peut l'être (mais il l'est alors grandement) que lorsqu'il peint des paysages, et pas n'importe quand, mais uniquement quand il peint une heure au plus après le lever du soleil  ou une heure avant le coucher du soleil. Personnellement, je pense que ce sont des couchers de soleil mais ce n'est qu'un ressenti, peut-être même l'expression d'une préférence, je n'en ai aucune preuve, sauf pour un titre qui n'est d'ailleurs peut-être qu'une invention des critiques d'art. Je défie quiconque de différencier avec certitude un lever d'un coucher de soleil à partir d'une peinture, ou d'une photo, s'il n'a pas la connaissance précise du site où a été réalisée la peinture et peut donc s'orienter. Rien ne ressemble plus à un lever de soleil qu'un coucher de soleil. Néanmoins, si vous assistez à la scène, rien n'est plus différent, car subjectivement nous attribuons un éventail d'émotions, de symboles, diamétralement opposés s'il s'agit d'un lever ou bien au contraire d'un coucher de soleil. C'est donc parce-que la palette d'émotions (et non de couleurs) des tableaux de Klever, ses meilleurs tout au moins, m'évoquent plus des soleils couchants que levants que j'ai attribué à Klever le titre de plus grand peintre de soleils couchants. Il y en a pourtant d'autres qui viennent immédiatement à l'esprit : Turner, Friedrich, Le Lorrain, mais aucun d'entre eux ne me semblent atteindre à la variété des rendus, à la puissance évocatrice et à la poésie de Klever sur ce sujet précis. Certains pourront juger que ce sujet est bateau, comme une carte postale envoyée des vacances, mais il a au moins le grand mérite d'être le plus démocratique qui soit. Tout le monde peut jouir, s'il a des yeux pour ça, de la vue de ce spectacle si banal qu'est un beau coucher ou lever de soleil, y compris s'il habite les plus moches banlieues de béton et bitume, disons par exemple dans le 93.

Les deux premiers peintres que je viens de citer, et peut-être même le troisième, ne sont pas choisis au hasard : ce sont les influences les plus évidentes de Klever, de très bonnes influences, auxquelles il faudrait ajouter Corot. Le Russe, né en 1850 dans un des pays baltes (russes à l'époque) et mort à Léningrad en 1924 (redevenue depuis Saint-Petersbourg), qui est un contemporain de Gauguin ou Van Gogh, s'ils avaient vécus assez longtemps tout du moins, n'a donc pas grand chose d'un novateur et vous savez, si vous avez quelques connaissances du monde de l'art occidental, que c'est une tare absolument rédhibitoire, qui par ici, vous vaudrait le mépris le plus universel (l'univers étant composé, comme on sait, de l'Europe occidentale et de l'Amérique du Nord). Il n'est donc peut-être pas si étonnant que ce peintre soit inconnu ou presque en France.

Klever est généralment qualifié, par chez nous, quand il est qualifié, de peintre romantique, ce qui n'est pas faux, mais ne dit pas grand chose de son génie particulier. Le tableau présenté plus haut, très clairement influencé par Friedrich, est en effet un bon exemple de peinture romantique. Personnellement, je dirais surtout que c'est un très beau tableau, plus réaliste que ceux du peintre allemand, moins axé vers le fantastique.

La peinture qui suit l'est déjà beaucoup moins, romantique (un village de maisons en bois, un traineau en hiver, à la fin du dix-neuvième siècle en Russie n'a rien de romantique, c'est juste la banale réalité, mais j'admets que le moulin est pittoresque).



Encore un pas de plus vers le crépuscule et la nuit complète. Le ciel est d'une justesse de tons et de textures parfaite. Je trouve le rendu de l'atmosphère si particulière de ces quelques minutes précédant l'extinction de tous les feux, remarquablement réussi. L'ambiance faussement paisible, tel l'eau qui dort de cette rivière, a quelque chose de menaçant dans les ombres; je vois personnellement beaucoup trop d'yeux brillants et quelques créatures maléfiques grimpant ou descendant de l'arbre, un saule plutôt qu'un chêne selon toutes vraisemblances, (les peupliers au fond sont aussi très à leur place).




Eh bien cette fois, je crois vraiment que c'est la nuit. Une nuit de pleine lune. Honnêtement, n'ayant jamais vu l'original, je ne sais pas ce que vaut la photo montrée ici. Elle me semble très douteuse; l'herbe est trop verte, de même que le ciel, et les feuillages trop rouges même si c'est probablement l'automne, mais l'ambiance générale me fait penser que l'original doit valoir le coup d'oeil. Il est probable aussi que le tableau ait beaucoup souffert car les traînées à gauche semblent la marque de mauvais traitements.


Par exception, je serais prêt à croire que le prochain tableau, daté de 1891, est un lever et non un coucher de soleil. Mais voilà, son titre anglais est Sunset in Winter ou quelque chose comme ça. Il tire davantage vers le décoratif que les précédents mais sans y tomber complètement et retient une bonne part de la poésie et du charme particulier de ce peintre. Il me fait davantage penser à Brueghel qu'aux romantiques ou impressionnistes du 19e siècle.



Remarquez que le soleil est toujours présent dans les tableaux de Klever (sauf dans le nocturne si j'ai correctement interprété l'astre montré, ce qui n'est pas sûr). Ce qui veut dire en pricipe que l'heure est très tardive, ou très précoce éventuellement. Mais on doit souligner que le fait de vivre dans des régions très septentrionales, régions baltiques, Léningrad, faisait que Klever ne devait que rarement avoir le soleil bien haut, en particulier l'hiver. Et il est possible donc que parfois, ce que nous prenons pour des couchers de soleil n'en soient pas vraiment.

Cette toile ci-dessous est clairement une variante de la précédente. On y retrouve la même maison, le même saule noueux,  la même barque. La maison de gauche, sur l'autre rive est disposée autrement. Et le peintre a rajouté deux bouleaux à droite qui se trouvaient bien plus en arrière-plan sur le tableau précédent. Les variations sur un même thème sont toujours intéressantes, et pas seulement pour un peintre: je ne sais pas laquelle est la plus réussie. Les deux sont très belles mais la première me semble plus mystérieuse et peut-être plus émouvante.



Voici à nouveau une variation, sur le premier thème présenté, celui de la forêt. Comme d'habitude, le soleil est en plein dans nos yeux et fait rougeoyer le ruisseau, ou plutôt le marais, comme une plaque de cuivre. Les troncs des conifères ont des reflets bleutés du côté ombre. Une grande réussite dans sa simplicité.


J'ai tendance à trouver les Russes plutôt clairs et simples quand ils sont bons.  Je ne les trouve pas très doués pour exprimer le côté obscur de la vie, je veux dire son aspect  nocturne, fantastique, pas son aspect négatif qu'ils décrivent très bien. Quand ils font dans la fantaisie ou le fantastique, ils ne peuvent pas s'empêcher de glisser vers la comédie, la satire, voire le comique, comme Gogol par exemple. Naturellement il y a des exceptions. Les deux tableaux qui suivent, et qui sont des variantes très différentes, en dehors du cavalier, d'une même scène (tirée du Roi des Aulnes), sont ainsi de pures merveilles, dignes de Böklin. Mais Von Klever (la particule de noblesse a sauté avec l'arrivée des soviets je présume) a de toute évidence quelques origines germaniques, ce qui explique peut-être cela.






Vous pouvez regarder la page wiki de Klever, puisqu'elle existe en français, si vous désirez quelques informations sur sa biographie. Sinon, en employant le moteur de recherche Yandex (tapez Юлий Юльевич Клевер), vous pouvez avoir un bien plus ample panorama de l'oeuvre de ce peintre, qui a vécu assez longtemps, sans avoir été trop affecté par les grands événements de son époque apparemment et a donc un catalogue considérable. Ma sélection n'est pas forcément au goût de tout le monde. Mais je vous mets en garde contre les déceptions : selon moi, une grande partie de son oeuvre est dénuée d'intérêt. Soyons clair : les neuf dixièmes sont parfaitement dispensables. Comme je vous l'ai dit, ce n'est pas Degas. Ni Savrassov.

Autre grand peintre russe : article.