lundi 13 avril 2020

Kólassy : l’enfer ou le paradis


   J’écris ce texte en écho à mon dernier livre de fiction, Kólassy : la naufragée de l’espace, mais ce n’est pas le sujet de cet article. Je vais parler de l’enfer et du paradis, sur un mode disons philosophique pour changer, ce que n’est certainement pas Kólassy.
   Disons donc d’abord un mot de cette nouvelle nouvelle pour ceux qui ne l’ont pas lue ou pour ceux qui l’ont lue (c’est encore mieux) ou plus probablement pour ceux qui la liront un jour. Kólassy est en effet une nouvelle que j’ai écrite il y a trois mois, une novella plus précisément. Par novella, j’entends un texte de fiction dont les bornes extrêmes se situeraient entre 10000 et 40000 mots, soit entre une nouvelle un peu trop longue pour garder le standard classique de l’unité d’action, de temps et de lieu, et un texte de la longueur d’un court roman, soit environ 150 pages. La novella est ma distance de prédilection et, on le comprendra, ma distance la plus naturelle. Si j’étais athlète, je courrais le demi-fond. Et bien entendu, j’ai tendance à aimer tout particulièrement chez les autres écrivains cette catégorie. La plupart de mes fictions préférées – pas toutes – sont des novellas : Le Père Serge et La mort d’Ivan Illitch de Tolstoï, L’homme du Souterrain de Dosto, Benito Cereno et Bartelby de Melville, Ollala des Montagnes (dommage que Stevenson ait cru bon finalement de faire parler son héroïne, bien meilleure quand elle est muette), Monsieur le Juge Harbottle et Le Familier de Le Fanu, Blackbird Pie de Carver et pratiquement tous mes textes préférés de science-fiction. Même le meilleur roman de Gene Wolfe, le roman de SF que je préfère après les miens, La Cinquième Tête de Cerbère, est en fait une très astucieuse imbrication de trois novellas. La novella est particulièrement intéressante pour ceux qui comme moi apprécient modérément les développements interminables de la psychologie des personnages ou de leur background ou encore du cadre socio-historico-géographique de l’intrigue. Néanmoins, elle me permet contrairement à la vraie nouvelle (telle que définie plus haut) d’avoir un casting un peu plus étoffé, de rentrer un peu plus profondément dans les détails de la psyché des personnages et d’expliciter davantage les circonstances dans lesquelles se produisent les événements quelque peu extraordinaires que j’ai l’intention de rapporter.
   Kόlassy fait partie d’une nouvelle série que j’ai intitulée Sept Cercles de l’Enfer. C’est un hommage à Dante évidemment et à son Enfer, que j’ai apprécié énormément quand je l’ai lu il y a de cela… eh bien déjà trop longtemps pour que je me rappelle quelle année c’était. Mais dans mon cas, les cercles ne sont pas souterrains mais sont des planètes. Kόlasi (Κόλαση) veut dire enfer en grec. Le lecteur de ma nouvelle peut ne pas le savoir, tout comme je l’ignorais il y a encore trois mois, peu importe, peut être que cela vaut mieux en fait (trop tard !). J’ai déjà écrit une autre novella, un voyage spatial qui, sans aucune surprise, tourne mal, et un roman, une sorte de thriller de science-fiction situé vers la fin des temps (tout juste un roman, il fait pour l’instant 45000 mots) qui seront deux autres cercles de l’enfer et bien entendu l’idéal serait d’en écrire sept en tout mais me connaissant, rien n’est moins sûr, malgré ma faiblesse pour le chiffre sept. Kólassy compte environ 20000 mots, se situant donc en plein dans ma zone de performances optimale, ce qui est peut-être une raison pourquoi je suis si bon, comme dirait Nietzsche, en écrivant ce texte. C’est en quelque sorte ma propre version du Pays de la Nuit de Hodgson, ce plus grand roman raté de la littérature de l’imaginaire (vous pouvez en lire la critique que j’en fais ici), en beaucoup plus concis, cela va de soi.
   Votre paradis est souvent l’enfer des autres ou leur paradis devient rapidement votre enfer. L’utopie des uns est la dystopie des autres. Beaudelaire le disait autrement, conscient qu’il était d’appartenir à une élite des plus restreintes : « c’est la rareté des élus qui fait le paradis » prétendait-il, maxime que pourraient reprendre en chœur s’ils avaient une once d’intégrité intellectuelle, nombre des écolos de ma connaissance. Ce que je veux dire est qu’il y a de la subjectivité dans la notion de paradis et de son inverse, l’enfer. Même l’enfer de Dante, dans sa relative simplicité brutale, est parfois assez ambigu, au moins pour ce qui est du cercle des amants coupables. Beaucoup de lecteurs préféreraient peut-être se retrouver dans ce cercle-là que dans celui de son paradis, il faut bien dire ennuyeux à mourir. Hé oui, c’est une vérité démontrée depuis longtemps que l’enfer de Dante est le paradis du lecteur comme le paradis de Dante est son calvaire. En fait, pour être honnête, ce n’est pas le paradis qui est ennuyeux, c’est le rapport littéraire que Dante en fait. En effet, toute bonne fiction a besoin d’une histoire et il n’y a pas d’histoires au paradis puisqu’il n’y a pas d’histoire sans antagoniste, d’où le rôle inspirateur du diable dans la fiction et l’art en général mais c’est un autre sujet d’article (que je n’écrirais probablement jamais).
   Néanmoins, ce n’est toujours pas ce que je voulais dire. Je voulais surtout parler de la justification morale, ou disons philosophique si l’on veut faire savant, de la notion de paradis ou d’enfer. Prenez les bouddhistes d’une part et les chrétiens de l’autre. Ou plutôt, puisque bouddhistes et chrétiens sont des termes beaucoup trop vagues et presque insignifiants à notre époque (qui peut dire ce que croit un chrétien ou un bouddhiste contemporain ?), prenons donc les personnes réelles qui ont pensé et incarné ces deux pôles de l’esprit humain, Siddhartha Gautama et Yeshoua. Le premier pensait que la vie était mauvaise dans ses fondements – souffrances partout : naissance, maladie, vieillesse, mort, amour – et que l’on devait donc éteindre en soi le feu de la vie, qu’on appelle le désir dans son sens le plus large. Et n’oubliez pas l’espérance qui n’est qu’une forme du désir. Dans sa logique implacable, le paradis était donc une non-vie, un néant, ce fameux nirvana si péniblement atteint par la voie octuple. Le bouddhisme primitif, le plus pur, est donc sans aucun doute la philosophie nihiliste la plus rationnelle, la plus cohérente, la plus absolue qu’on ait jamais pensée. En gros à la question fondamentale de savoir si oui ou non la vie vaut d’être vécue, Siddhartha répondait non. Pour le second, c’est juste l’inverse (dans un autre article que je n’écrirais pas, je pourrais vous dire pourquoi Siddhartha est l’exacte antithèse de Yeshoua, et de fait l’antéchrist au sens chronologique et moral) : il désirait se fondre dans une unité invisible, impalpable, éternelle et omniprésente, en dehors du temps, de l’espace et de la matière puisqu’elle les contient et les crée, qu’il appelle Esprit, Yahvé, Adonaï ou Abba. Son paradis est donc la vie éternelle auprès de ou plutôt en cette entité mystérieuse et aimante qu’on appelle Dieu.
   Alors, Kólassy, c’est l’enfer ou le paradis ? Et l’Etranger masqué, le seigneur de cette planète, est-il Satan, un ange ou le passeur des âmes ? A vous de voir. Moi, j’ai déjà choisi.

Pour lire la novella, allez ici.