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jeudi 19 juin 2025

La plus grande guerre (mondiale) est toujours… la dernière — le plus grand homme politique du dernier millénaire était… un nain

     Comme les plus fins observateurs l’ont noté — ou ceux, presque aussi fins, qui ont lu mes vingt-trois articles parus sous le libellé "transformation de notre monde" — nous vivons un moment charnière de l’Histoire. L’Histoire de l’Humanité. Quelle chance nous avons ! Ah, bien sûr, ce serait plus stimulant et pour tout dire nettement plus revigorant à contempler depuis une datcha de Sibérie Orientale, ou la grande muraille de Chine, ou même un balcon avec vue à Téhéran. J’avais écrit il y a de cela quelques années dans l’un des articles susmentionnés que l’Empire US (dont nous sommes partie en tant qu’acolyte dispensable et parfaitement sacrifiable) semblait commencer à vaciller. Eh bien nous pouvons maintenant sans crainte nous défaire de cette prudence rhétorique et remplacer vaciller par crouler. L’Empire ne marche pas à sa perte, il court et y court de plus en plus vite. Quel spectacle stupéfiant, à peine croyable, ce doit être pour les Russes ou les Chinois d’observer cette légion de lemmings qui se pressent à qui mieux mieux pour sauter le premier dans le vide. On pensait que c’était une légende, un simple conte pour enfants, et voilà que cela se passe devant nos yeux ! On croyait que ces grands basculement se produisaient sur des siècles et on découvre que cela n’a pris qu’une petite demi-douzaine d’années. On s’imaginait qu’on avait le temps, que la métamorphose procéderait comme l’érosion des montagnes, à tout petits pas continuels, en quelque sorte par une évolution darwinienne, et c’est à un bond de géant qu’on assiste, à des montagnes qui se déplacent et courent se jeter dans l’abîme !

Le premier catalyseur de cet effondrement brutal a été la pandémie covid et la décision de l’Occident, invraisemblable à l’époque et toujours incompréhensible aujourd’hui, de saper les fondements même de notre société, aussi bien économiques, sanitaires que politiques, de casser les derniers liens qui subsistaient entre les populations et leurs dirigeants. Depuis, ces mêmes dirigeants (qui n’ont absolument pas changé) opèrent dans un découplage total de leurs peuples qu’ils sont pourtant censés représenter. Consternés mais plein d’un espoir naïf, ces peuples jettent et élisent à tour de rôle leurs leaders de pacotille pour s’apercevoir que rien ne change, que les nouveaux sont des clones des précédents et généralement pires. Un nouveau totalitarisme libre et démocratique s’y est épanoui dans toute sa splendeur. Le second catalyseur a été la guerre d’Ukraine. A partir de ce moment, on a assisté à un vrai concours entre toutes les incompétences rassemblées, à un vrai feu d’artifice à l’envers, c’est-à dire celui où toutes les fusées reviennent à l’envoyeur. Cela est particulièrement flagrant dans l’Eurozone. Et dans ce concours, la France n’est pas loin de prendre la première place, quoiqu’elle ait une concurrence rude juste à sa droite et juste à sa gauche.

Il ne faudrait qu’une goutte de plus, une goutte d’incompétence de plus, pour que la troisième guerre mondiale, qui sera la dernière et d’évidence la plus grande, achève de détruire ce qui est encore debout par ici. Durant ce dernier mois, nous sommes passés deux fois à un fil de ce dénouement abrupt et définitif pour ce qui nous concerne. La première a été quand les services spéciaux ukrainiens, payés, aidés et supervisés par les services spéciaux de l’Empire (CIA en premier lieu) ont exécuté leur attaque de drones sur les cinq bases de bombardiers stratégiques russes. Les bombardiers stratégiques s’appellent ainsi car ils servent à la dissuasion nucléaire. L’attaque n’a pas été aussi concluante que prévue et seuls quelques avions ont été détruits. Mais que se serait-il passé si cela n’avait pas été le cas, et que la Russie ait perdu dans l’opération la totalité ou même les trois quarts de ses bombardiers stratégiques. Si elle avait perdu un des trois piliers sur lesquels est assis sa dissuasion nucléaire? Et qu’aurait-elle pensé du plan occidental ? Si vous n’arrivez toujours pas à visualiser le problème, vous n’avez qu’à inverser protagoniste et antagoniste : mettons donc que ce soient les Russes qui aient tentés de détruire tous les bombardiers statégiques US ; quelle aurait été à votre avis la réaction des USA ? Cela peut-être un préalable à une attaque massive du pays, voilà ce qu’elle aurait pensé. Rien n’assure qu’elle aurait attendu de vérifier si ses craintes étaient fondées. Et voici un fait : la Russie a plusieurs centaines de têtes nucléaires de plus que les USA. Pourquoi ? Parce qu’elle rajoute au nombre des têtes possédées par les US celles possédées par l’Europe, à savoir les roquets de France et d’outre-manche. Et une autre chose est certaine, les premiers visés seront justement ces deux-là. Pourquoi ? Parce que cela servira d’avertissement sans frais au géant d’outre-Atlantique et parce que ce géant, séparé par un océan du champ de ruines, ne prendra certainement pas le risque d’une contre-riposte nucléaire pour venger ses alliés. On le sait depuis longtemps, tel est le destin des alliés des USA. Le second événement qui nous a fait frôler la guerre mondiale est l’attaque israélienne des installations nucléaires militaires (si elles existent) et civiles de l’Iran. Commençons par noter qu’il n’y a en réalité pas plus de preuve de nucléaire militaire en Iran que d’armes de destruction massives en Irak quand Powell venait agiter sa fiole pleine de poudre de perlimpinpin sous les yeux ahuris de L’ONU. En fait, c’est même le contraire, puisque le Pentagone lui-même, et l’IAEA, organisme à la solde de l’Occident, a récemment estimé qu’il n’y avait aucun programme nucléaire militaire en Iran. Notez qu’ils ne parlent pas de bombes mais de programme ! Alors que ces mêmes personnages savent depuis belle lurette qu’il existe non seulement un programme nucléaire militaire en Israël en cours mais aussi des bombes très concrètes elles (généralement évaluées à une grosse centaine). Une autre précision : parmi les cibles nucléaires civiles ciblées par l’attaque israélienne se trouvait une centrale en cours de construction. Et devinez par qui elle est construite : Rosatom. Ce qui signifie qu’il y a obligatoirement du personnel russe sur ce site. Imaginez encore ce qui aurait pu se passer si l’attaque avait été plus "réussie". Enfin, il y a le fait non négligeable qui rend la situation encore plus explosive que l’Iran a signé un partenariat stratégique et militaire avec la Russie.

Les deux événements précédemment cités ont été suivis aussitôt d’échanges téléphoniques entre Trump et Poutine, que même le diplomate le plus blasé ne pourrait qualifier de cordiaux. C’est mieux que rien. Dans les deux cas, Trump a joué la carte de l’irresponsabilité. « Je ne savais pas, les US n’étaient pas au courant, etc. ». C’est une carte particulièrement faible à jouer pour un supposé chef d’Etat. Car pour Poutine, cela ne peut signifier que deux choses : soit tu mens, soit tu n’as réellement pas été mis au courant par tes services, ce qui veut dire que tu n’as aucun pouvoir de décision. Et dans tous les cas, ta crédibilité est égale à zéro. Bien sûr que Poutine sait que les USA sont derrière la provocation ukrainienne et la provocation israélienne. D’ailleurs dans le second cas, Trump n’a pu s’empêcher de se vanter sur les réseaux sociaux (quand il croyait encore que l’opération était « big and beautiful ») qu’il savait tout à l’avance et que tout avait été coordonné entre Israël et son grand patron. Notez qu’il n’est pas sûr qu’il ait dit davantage la vérité la seconde fois que la première; ce genre de personnage préfère être tenu pour un menteur et un criminel que pour un niais (vous n’avez qu’à songer à la bonne Merkel et au bon Hollande qui ont préféré prétendre avoir menti aux Ukrainiens du Donbass en 2014 puis 2015 lors de Minsk 1 et Minsk 2, feignant de tirer les ficelles alors qu’ils se sont simplement aplatis devant la volonté étasunienne) Il faut se résigner à la vérité : Trump est certainement un grand homme de spectacle, un excellent showman, bien meilleur que Zelenski par exemple ; il est aussi un remarquable vendeur de tapis et autres biens immobiliers, à l’instar de son compère et confrère en escroqueries planétaires Musk, mais c’est un homme politique incompétent, qui ne comprend pas les bases de sa fonction. Avec Biden, on savait au moins à quoi s’attendre car nul n’est plus prévisible que ce genre de crapules simples, dont les US nous ont habitué depuis des lustres. Mais qui peut prédire ce que fera ou ne fera pas un idiot incompétent et vaniteux à la tête de l’une des trois puissances mondiales ?

L’incompétence de Trump a été selon moi amplement prouvée durant les quatre premiers mois de son mandat, s’il nous restait un doute après l’échec du premier, et tout particulièrement lors de ce dernier mois. Je ne doute pas de sa sincérité. Il veut certainement faire la paix à sa manière et faire du commerce à sa manière (des manières proches d’un businessman maffioso). Mais peut importe ce qu’il veut, ses bonnes ou mauvaises intentions, son incompétence à ce poste envoie son pays tout droit vers ces régions chaudes aux relents de souffre qu’on ne peut nommer, et par voie express. Bientôt, à l’échelle de l’histoire humaine que j'ai adoptée c’est bientôt, Les USA rejoindront à leur tour ce grand cimetière des civilisations disparues, après les Olmèques, les Mayas, les Aztèques, les Incas, les Egyptiens, les Babyloniens, les Perses zoroastriens, les Grecs, les Romains, les étrusques, les Phéniciens, les Mongols, les Ottomans, les Arabes et les Eurozonés d’Europe.

Tout l’inverse de Trump est un vrai chef d’Etat, un serviteur de son pays, un serviteur de son peuple. Il ne se soucie pas de son image. En fait, c’est même le cadet de ses soucis. Il œuvre le plus souvent dans l’ombre, dans l’ombre des médias et même de la postérité. Il n’a pas d’idéologie fixe. Peu importe qu’il porte le nom de Président, Premier Ministre, Premier Secrétaire, dictateur, roi, empereur, tsar, chancelier, peu importe qu’il soit dit de droite ou dit de gauche, le grand homme d’Etat se pose toujours la même question : quelle politique peut fonctionner ici, non pas dans un monde abstrait et idéal mais maintenant, tout de suite, dans ce pays-là, mon pays ? Qu’est-ce que je peux faire d’utile dans le temps limité où j’ai la charge de tous ces gens qui vivent dans ce pays ? Et il se reconnait toujours à son œuvre : l’amélioration continue des principaux paramètres de vie du peuple qu’il dirige et donc qu’il sert. Parmi tous les grands hommes d’Etat qui ont existé lors du précédent millénaire, l’un d’eux s’est particulièrement distingué. En fait il a procédé à une sorte de miracle vers la fin du vingtième siècle qui pourtant, vu d’Occident, nous a échappé pour l’essentiel, tout occupés que nous sommes à contempler notre nombril et à nous féliciter de notre inénarrable et incomparable démocratie. Une métamorphose pareille n’était jamais arrivée avant, au moins avec cette rapidité spectaculaire. Au lieu cette fois d’assister à ce spectacle grandiose mais quelque peu accablant d’une montagne qui disparaît dans les abysses, l’observateur fin dont je parlais au début de cet article a pu contempler l’apparition puis le soulèvement d’une montagne devant son balcon, bientôt si haute qu’il n’a plus pu voir son sommet, ou qu’il n’a plus voulu le voir, étant donné la gêne qu’il ressentait dans le cou et ailleurs à devoir regarder de bas en haut celui qu’il regardait autrefois de haut en bas.

Naturellement, vous avez deviné que le pays dont je parle est la Chine. Quel prodige incroyable que de transformer en l’espace de quatre décennies un pays arriéré, réellement arriéré sur le plan technologique, un pays du tiers monde promis aux pires famines, en la plus grande puissance économique mondiale, à l’industrie sans rivale possible, tout en tirant de la grande pauvreté huit cents millions de personnes ! Et le grand architecte de cette métamorphose, qui a si bien compris la réponse à la question posée ci-dessus, est un homme relativement inconnu par chez nous, bien qu’il ait été métallo au Creusot et ouvrier à Renault-Billancourt : Deng Xiaoping.

"Xiaoping" au sommet de sa forme : le "Grand Architecte" qui a réellement fait faire à son pays un bond de géant mesurait 1m 48.

jeudi 22 mai 2025

Le nouveau totalitarisme, libre et démocratique

     Le totalitarisme que nous expérimentons aujourd’hui dans nos pays, dans l’UE tout spécialement, est difficile à reconnaître et c’est son grand point fort. Pour la plupart des gens, il est même impensable, exclus par le fait même que nous votons, tous à partir de la majorité, et encore même ça n’est pas une obligation (c’est dire à quel point nous sommes libres !). Comment une société pourrait-elle être totalitaire en ayant le suffrage universel ?!

Quel est le but d’un parti totalitaire ? Obtenir de la population la conformité à certains modèles, certaines politiques, certaines idées, qui deviennent alors des dogmes, même s’ils ne sont pas présentés ainsi, et ceci par tous les moyens. La question de savoir si le moyen en question est légal n’a pas de sens dans une société dominée par un tel parti car le parti fabrique la légalité au fur et à mesure de ses besoins. Mais tous les moyens, légaux ou pas, bien sûr n’ont pas la même efficacité. La violence d’Etat, "légalisée" par le fait même qu’elle vient de l’Etat, est très efficace jusqu’à un certain point (il serait vraiment sot d’en douter tant les exemples de sa "réussite" abondent dans le temps et dans l’espace). Elle n’est vraiment efficace et durable que si la dissidence qui est la cible de cette violence d’Etat est minoritaire dans le pays et de préférence très minoritaire. Dans un pays où la population est majoritairement ou même pour moitié opposée aux nouveaux dogmes en vigueur, la violence n’a ou plutôt ne devrait avoir aucune chance de succès, même et surtout à court terme. Mais encore faut-il que cette opposition soit active. Et c’est encore mieux si elle est organisée. C’est à ça que servent les partis politiques dits d’opposition : organiser l’opposition. Et c’est la raison pour laquelle l’une des premières mesures prises par une société totalitaire est d’interdire ou de circonvenir tous les partis d’opposition. Les médias n’ont qu’un rôle organisateur secondaire mais leur rôle principal, celui de porte-voix, est suffisant pour qu’ils soient mis au pas eux aussi, ou interdits pour ceux qui s’opposent trop ouvertement.

Peut-être à ce moment pensez-vous que je parle de l’Ukraine, puisque c’est un de mes sujets favoris ? Eh bien pas du tout. Je ne parle pas ici de ce type de totalitarisme, je parle d’un tout nouveau totalitarisme. Le totalitarisme ukrainien, c’est le totalitarisme à papa, et même à grand-papa. Qui peut croire, qui peut prétendre que les Ukrainiens sont libres, égaux et démocratiques, à part quelques politiciens médiocres, mais menteurs patentés, qui d’ailleurs ne convainquent plus grand monde ? Le totalitarisme là-bas est arrivé à son stade ultime où plus rien n’est dans l’ombre, où tout se fait à la vue de tous, un peu comme dans l’autre camp de concentration à ciel ouvert de Gaza. Mais il est vrai, indéniablement vrai, que les Ukrainiens à une époque auraient pu arrêter la machine totalitaire simplement en se levant, en disant non, car ils étaient assez nombreux pour ça. Mais une grande partie de cette moitié est restée assise chez elle, sans mot dire, pensant peut-être que ces idées allaient passer de mode, ou peut-être qu’elles s’appliqueraient chez le voisin, pas chez soi. Et maintenant ils sont en enfer, tous, même ceux qui pensaient être du "bon" côté.

L’Ukraine n’a rien d’européen à cet égard. Le totalitarisme européen est d’un genre différent, beaucoup plus trompeur. Son but est le même pourtant. Mais les moyens pour atteindre ce but sont différents. Dans l’esprit de ses concepteurs, dans l’idéal disons, dans la théorie pure, dans sa beauté conceptuelle, la violence ne devrait jamais être utilisée contre la dissidence. Premièrement parce qu’elle n’est pas nécessaire. Et elle n’est pas nécessaire par ce que d’autres méthodes ont été jugées plus efficaces : l’endoctrinement dès l’enfance (appelée dans cette partie de l’UE l’Education Nationale), l’omniprésence médiatique dispensatrice de la bonne parole, évidemment unique, le contrôle dans l’ombre des réseaux sociaux, le contrôle dans l’ombre des partis dits d’opposition, le contrôle dans l’ombre des postes clés. Tout cela suffit pour limiter la dissidence à une minorité de la population, dix, vingt, trente pour cent au grand maximum, qui plus est sans poids, sans organisation, sans leviers de commandes. Et ce nouveau genre de totalitarisme peut s’arranger d’une telle dissidence. « Ce n’est pas grave, laissons-les causer, cela leur fait du bien et cela ne nous fait pas grand mal ». Eh bien jusqu’à un certain point, elle pouvait s’en arranger, oui, mais ce point a été dépassé.

La seconde raison et la plus essentielle aux yeux de ses concepteurs pour laquelle la violence d’Etat ne peut (ou ne devrait) être employée est que ce serait comme d’abandonner le masque. Que le monde extérieur sache que votre société est totalitaire n’est pas le plus grand problème, mais que votre peuple le sache, voilà le problème ! Car la plus grande force de ce type de totalitarisme est qu’il est en grande partie consenti et même réclamé par les populations (mais oui ! songez au covid, ce laboratoire d’essai tombé du ciel pour des aspirants dictateurs : quelle réussite incontestable !) qu’il a pourtant desservies (dans leur grande majorité) et qu’il continue à desservir. Pour expliquer à ces populations hallucinées que leur niveau de vie baisse (et doit continuer de baisser) que leur droits s’amenuisent comme peau de chagrin, que les services autrefois habituels de l’Etat sont de plus en plus en chers et de moins moins performants, qu’elles vont peut-être même devoir prendre les armes et sacrifier quelques pièces plus ou moins dispensables de leur personne pour combattre l’ennemi de leur merveilleuse démocratie, on leur montre du doigt cette Eurasia immense et belliqueuse ou cette Eastasia lointaine et sournoise d’où proviennent tous les maux. Le lien entre les deux n’est pas clair mais qu’importe : désigner un bouc-émissaire est une stratégie vieille comme le monde, semble-t-il, et si elle est toujours d’actualité, c’est bien parce qu’elle marche.

Dans ce type de totalitarisme, le contrôle des médias et des partis d’opposition se fait par l’argent. Dans la théorie immaculée comme un plan d’architecte, l’homme étant de la matière hautement corruptible, cela doit suffire. Et dans les faits, cela suffit dans la grande majorité des cas. Les médias existent toujours, nombreux, certains dit de gauche, d’autres dits de droite ; les partis existent toujours, certains dits de gauche, d’autres dits de droite. Mais de droite ou de gauche, ils sont tous dans le moule, dans la Matrice, et leur opposition est aussi virtuelle que cette dernière. Leur but, en plus de disséminer discrètement la bonne parole, est de servir d’alibi : « vous voyez comme nous sommes libres et démocratiques ! »

Il ne faut pas sous-estimer l’ennemi des peuples, cette engeance parasitaire ultra-minoritaire qui a pris le pouvoir presque partout en Europe et qui est l’instigateur de ce nouveau totalitarisme. Leur compétence en matière d’économie, d’énergie, d’histoire, de sciences et même de géographie est à peu près nulle. Mais leur compétence en électoralisme et en manipulation des foules est considérable, née de siècles de pratique du paravent démocratique. Leur efficacité pour faire adhérer leurs propres populations à des politiques destructrices, qui n’ont qu’un seul but, maintenir cette ultra-minorité au pouvoir au dépends du reste de la population, est maximale.

Quels sont les signes que ce nouveau totalitarisme est arrivé en bout de course ? Eh bien, j’ai déjà répondu en grande partie à cette question : il commence à abandonner le masque de la vertu et à se révéler pour ce qu’il est en réalité. Les incartades à sa prétendue vertu démocratique sont de plus en plus nombreuses et de plus en plus visibles. Les interdictions, intimidations, incarcérations même se multiplient, visant la dissidence. Devant le flot sans cesse grandissant d’opposants non structurés, cette horde indisciplinée qui n’a qu’un seul point commun, son mécontentement, la panique au sein de la Matrice se fait sentir. L’ennemi commence à oublier les principes même qui lui ont permis de prospérer. Il sape les fondements même de sa légitimité, sa haute vertu démocratique, qui était en vérité sa seule raison d’être. Il sape les derniers articles de foi que pouvaient garder sa population-cœur, dont l’unité est le citoyen croyant laïque. Et en sapant cette croyance, il lui ôte cette illusion si utile que lui, le peuple d’Europe occidentale, est supérieur moralement sur tous les autres peuples de la Terre, puisque cette supériorité était démontrée par sa démocratie sans pareille.

Est-ce à dire que le peuple va pouvoir enfin se débarrasser de son parasite dans un avenir prévisible ? Hélas non. Le peuple d’Europe est vieux, fatigué, sans repère, sans foi, bien trop nourri et a pris durant ces décennies d’hallucination collective les mauvaises habitudes d’un (vieil) enfant gâté. Rien ne dit qu’il ne fera pas le choix cynique de Judas, comme dans cette scène parfaite de La Matrice (le film) où l’un des rebelles fait sciemment le choix de trahir la révolution pour une entrecôte qu’il sait pourtant être aussi virtuelle que son assiette et le décor luxueux mais confortable qui l’entoure. « Moi, dit-il à l’agent Smith, voilà ce que j’aime. Votre monde aussi faux soit-il, aussi monstrueux, me plait mieux que notre vrai vaisseau puant la pisse et la sueur ; je me fiche de la réalité ; je me fiche de l’avenir de l’Humanité. Resservez-moi donc un peu de ce délicieux Bourgogne imaginaire ».

Naturellement après ça, il sera en enfer, pour très longtemps, plus longtemps même que le peuple d’Ukraine.

Dans la même veine, deux autres articles: à propos de totalitarisme ici et à propos de démocratie .

dimanche 23 février 2025

Éloge de l’Europe : une grande civilisation… disparue

      Aujourd’hui est mon jour de bonté. Je ne ferai que des éloges et des compliments agréablement tournés. Pour débuter cet article donc, j’ai choisi de rendre un puissant hommage à la grande civilisation européenne (d’où je suis sorti, comprenez-le comme il vous plaira) qui aura tout de même duré la bagatelle de 1000 ans, le rêve du troisième Reich ! Je ne vois pas que la civilisation européenne ait quoi que ce soit à envier à l’Égypte antique ou aux Chinois malgré leurs milliers d’années supplémentaires ; ce serait comme de juger de la grandeur d’un homme et de ses œuvres par la durée de sa vie ; bien des trentenaires ont fait plus pour leur pays ou l’humanité entière que des centenaires, n’est-ce pas ? Dans cette appellation Europe, je n’inclus évidemment pas l’Europe de l’Est et ses barbares de la steppe : je parle de l’Europe de l’Ouest et du Centre, celle des "Lumières" ; la seule qui compte, avec la France et les Francs, les Scandinaves et leurs vikings, les Teutoniques et leur Bismark, les Anglais et leur empire victorien, les Italiens de Venise, Turin, Gênes ou Florence (non pas les Romains qui sont clairement restés dans l’antiquité), les Espagnols de Charles Quint (et Cervantès), les Flamands et leur royaume d’Orange, la Prusse sans la Hongrie (où incontestablement Attila se range parmi les barbares de la steppe). Bon allez, j’ajoute les Lusitaniens pour faire bonne mesure et parce que mon second meilleur copain venait de là-bas. Je ferai commencer cette très longue et très riche histoire au couronnement de Charlemagne, par exemple (mais j’aurais pu choisir Charles Martel à Poitiers) et je la ferai finir en France, à Versailles (pour le traité pas pour le château), ou peut-être à Verdun : pensez à toutes les réalisations, innovations, découvertes dans tous les domaines de l’esprit qui auront été les nôtres (ou plutôt les leurs vu que je n’étais pas né) durant ce temps !... Bon, je vous avais promis une longue histoire, eh bien comme dirait Isidore Ducasse, voilà, c’est fait.

    Mon second objet d’éloge est un peu plus proche de nous autres modernes Européens, en la personne étrange de Donald Trump Junior. Il semble que je l’ai quelque peu sous-estimé. Il faut dire que je n’avais pas été impressionné par son premier passage à la Maison Blanche. En fait, j’en étais venu à me dire que les Présidents US n’étaient rien de plus que des Monsieur Loyal chargés d’annoncer les numéros d’illusion à venir tout en distrayant le (gros) public tandis que les vrais acteurs s’agitaient incognito dans les coulisses. Un mois de mandat est un peu court pour juger, vous me direz et de fait, ceci est plutôt un pronostic qu’une estimation. Eh bien je pronostique donc un réel changement dans la politique étasunienne, en particulier sa géopolitique. Non, je ne vois pas que ce ne soit que de la poudre aux yeux (même s’il y en a aussi probablement, vu la personnalité showmanesque de DJT). Il semble bien que, pour une fois, le pouvoir en place soit réellement en train de faire ce qu’il a promis. Trump a promis qu’il apporterait la paix et je crois qu’il va vraiment « délivrer » comme disent les anglo-saxons. J’ai entendu récemment plusieurs commentateurs que j’apprécie pour l'ensemble de leurs œuvres, comme Brian Berletic ou Ben Norton, affirmer qu’il ne s’agissait que d’un simulacre, que l’intention cachée des dernières activités de Trump et de son équipe était de poursuivre la politique US habituelle de néocolonialisme, sous une forme un peu, à peine, différente. Eh bien je fais le pari qu’ils se trompent. En Ukraine par exemple, ils se trompent. Les 500 milliards réclamés par Trump semblent les aveugler, à l’instar de nombreux autres commentateurs. En fait il aurait aussi bien pu demander un billion ou deux (trillions pour les non-francophones et je sais qu’il y en a de plus en plus ici comme ailleurs) que ça n’aurait rien changé. Cela semble une bien grosse somme à payer en « réparations » pour un pays aussi pauvre que l’Ukraine et qui est dans un processus avancé d’effondrement complet, économique, militaire, social, moral, démographique. Une des exigences moins commentées et encore plus suspectes de Trump vis-à-vis de leur (ancien) client préféré est d’obtenir le contrôle de toutes les centrales nucléaires restant à l’Ukraine kiévienne ainsi que tous ses ports principaux. Selon moi, on a là un exemple paradoxal mais flagrant de "l’art du deal" de Trump appliqué à un vassal dont on veut se débarrasser, sauf qu’ici il n’y a en fait… pas de deal. Dans ce cas, Trump ne fait pas une offre que « vous ne pouvez refuser » mais au contraire une offre que vous ne pouvez pas accepter. Bref, le but est de se débarrasser aussitôt que possible du projet Ukraine (et éventuellement de refiler la patate chaude à ces dindons farcis de l’UE (mais ça il s’en fout, ou disons que c’est la cerise sur le gâteau)). Et même si on admet — je l’admets volontiers — que l’objectif plus ou moins secret de la manœuvre est de consacrer les ressources libérées par le retrait du projet Ukraine à un autre jugé plus essentiel, que ce soit celui de leur cinquante-et-unième État, situé au Moyen-Orient, ou plus important encore le bras de fer contre la Chine, cela n’en reste pas moins un progrès. Mieux vaut une guerre froide qu’une guerre chaude, en particulier une guerre chaude entre deux puissances nucléaires, surtout pour qui habite dans l’hémisphère Nord et qui croit encore en sa descendance. Non seulement je ne pronostique pas de guerre chaude entre les USA et la Chine dans un futur visible mais je doute que la guerre froide, politico-économique, puisse durer plus que quelques rounds d’échauffement. Les USA ne sont tout simplement pas dans la même catégorie, pour ce qui est de la puissance économique, et s’ils ne le savent pas encore, ils vont très vite le découvrir.

    Mon ultime éloge mais pas la moindre sera pour l’UE ou plus exactement sa partie la plus éminente, je veux dire la CE avec Von Der Leyen à sa tête. Sa bravoure ne semble plus avoir de limite. Sa décision apparente de reprendre le « projet » Ukraine en son seul nom maintenant que la nouvelle administration US a fait clairement savoir qu’elle n’était plus intéressée, alors même que l’UE n’est pas à l’origine du projet (c’est en effet une créature étasunienne typique, comme la majorité des États terroristes de cette planète, née vers le début du millénaire quand Washington avait l’espoir d’en faire un proxy tout caparaçonné d’acier capable de saigner à blanc le gênant géant de l’Est) est la preuve d’un héroïsme, d’un jusqu’au boutisme digne des plus grands martyrs, des plus grands Saints. Malgré quelques problèmes financiers internes, me souffle-t-on (très fort), elle va en effet se constituer une grande armée de vingt-cinq mille hommes pour venir au secours de cette pauvre armée ukrainienne qui en compte, même encore maintenant, au moins dix fois plus, mais il est vrai qu’en plus d’être pauvres, ils sont incompétents (normal, ce sont des barbares de la steppe). Bon, ils ne sont pas tous pauvres en Ukraine, et leurs chefs en particulier, du « dictateur » au commandant d’unité, doivent constamment recevoir la précieuse manne (libellée en dollars ou en euros peu leur importe) si l’on veut qu’ils continuent d’alimenter la machine infernale en chair à canon, ce qui ne va pas aider à améliorer les comptes de l’Europe. Ah, mais à la CE, on n’est pas radin, on est même grand seigneur pour tout dire. Une petite centaine de milliards par an, qu’est-ce que c’est pour qui a le noble but de combattre pour la liberté, la démocratie et les droits de l’Homme, hein ? Les leaders de la CE sont de cette étoffe dont on fait les héros, ceux qui préfèrent mourir avec leur idées que vivre avec celles des autres, une des qualités les plus nobles de l’Homme soit dit en passant et de celles qui nous différencient le plus sûrement d’avec les machines et autres soi-disant IA. On peut juste regretter (mais c’est bien mesquin) que ces idées soient toujours les mêmes, à savoir concocter un seizième paquet de sanctions contre la Russie, quand on sait que les quinze précédents ont eu pour seul effet notable la démolition de l’industrie européenne. Là encore, on ne peut que saluer le désintéressement et l’impartialité splendides de cette Allemande (Von Der Leyen) puisque l’industrie européenne est un autre nom pour l’industrie allemande.

    Pour conclure cette séance de compliments, et pour rester dans l’UE, je dois signaler le comportement admirable de la modératrice de la dernière conférence de Munich à propos de la sécurité internationale. Loin de céder aux caprices du « Dictateur » du sous-Reich, venu faire sa performance ordinaire de « comédien modérément réussi », elle lui a refusé, à lui, le tout puissant Zelensky, de répondre aux (rares) questions en ukrainien. Pourquoi tant de sévérité ? vous demandez-vous. Eh bien parce que naturellement il n’existe aucun traducteur d’ukrainien à Munich ni d’ailleurs dans toute l’UE. Bon, elle n’a pas poussé la cruauté jusqu’à l’obliger à s’exprimer en russe, ce qui est pourtant la langue maternelle du bouffon vert. Ce sera pour la prochaine fois… s’il y en a une.

Un autre article de ma part au sujet de l'Europe, quoique peut-être moins élogieux : ici.

vendredi 1 novembre 2024

"Russie : un mystère drapé dans une énigme"*

 

Que diable fabriquent-ils?


Si vous vous intéressez aux événements géopolitiques majeurs qui ont cours en ce moment-même (quelle chance !), ce grand basculement des plaques tectoniques, vous vous êtes forcément demandé, une fois au moins, par quel miracle la Russie pouvait tenir tête et en réalité laminer lentement mais sûrement toutes les forces de l’OTAN réunies (les mercenaires ukrainiens ne servant que de proxy sacrifiable et relativement bon marché dans ce conflit Russie/Otasunie). On vous a dit et répété que le budget militaire de la Russie était dix fois moindre que celui des USA. Peut-être même avez-vous découvert que ce budget était environ 30 fois inférieur à celui de tout l’OTAN réuni (sans compter donc les acolytes du Pacifique). Comment est-ce donc possible ?

Dans cet article aux visions puissantes mais parfois trop simplistes, j’avais tenté une première explication pour éclaircir ce mystère. En bref, je supposais que la différence de pouvoir d’achat en Russie et aux USA pour une même quantité de dollars donnée compensait grosso modo l’écart de budget. En clair donc, je supposais qu’avec la même quantité de dollars, un Russe pouvait acheter dix avions, dix tanks, dix missiles, etc. quand l’Etasunien ne pouvait en avoir qu’un seul. Mais ayant fait mes devoirs et possédant maintenant une connaissance plus informée du sujet, je dois admettre que cette explication — malgré ses mérites incontestables — ne suffit pas. L’écart de prix entre un avion de chasse russe et un avion de chasse US, de même capacité et de même génération n’est pas d’un à dix mais en moyenne d’un à deux. Cet écart semble constant depuis des décennies et si on prend les chasseurs de dernière génération en activité à titre d’exemples, le Sukhoï 57 coûte respectivement 1,7 fois et 2,5 fois moins que ses deux vis-à-vis possibles, le F35 et le F22 (et 2 fois moins que le Rafale, dernière génération). Pour les munitions, l’écart est un peu plus grand mais on est toujours très loin d’un ratio d’un à dix. De plus, comme le conflit concerne l’OTAN tout entier, l’écart théorique à combler n’est pas d’un à dix mais donc, comme précisé plus haut, d’un à trente.

Comment résoudre l’équation, quelle inconnue doit-on ajouter pour au minimum équilibrer les deux côtés de la balance a été et est toujours un casse-tête chinois pour les plus grands experts militaires et économiques de l’Otasunie. Plus bizarrement encore, bien que je lise et écoute beaucoup de spécialistes russes, ou au minimum russophones, je ne peux pas dire que ces derniers m’aient semblé beaucoup plus versés dans les arcanes de ce mystère. Avec les Russes, vous devez de toute façon vous attendre à une réponse du style : « eh bien c’est comme ça parce que c’est comme ça : un point c’est tout ».

Pourtant, pas plus que moi, ils ne pensent que leurs systèmes d’armements seraient dix fois (ou trente fois !) supérieurs à ceux de l’OTAN.

Une partie du mystère peut être trouvée dans le fait que le rythme de production et donc la quantité de ces divers équipements militaires sont plus élevés en Russie que dans les pays de l’OTAN. Comme le disait Staline, la quantité a une qualité en soi qu'on aurait bien tort de dédaigner. Généralement les experts s’accordent pour dire que le rythme de production des différents armements est environ deux fois plus élevé en Russie que dans tous les pays de l’OTAN réunis. Toutefois, vous noterez qu’en plus d’être partielle, c’est une fausse explication. En effet, elle ne fait que déplacer l’énigme. Comment alors est-il possible qu’un pays qui a un PIB nominal cinquante ou cent fois moindre que celui du bloc adverse, les USA avec les Eurozonés plus les laquais du soleil levant ou des antipodes ait un rythme de production deux fois supérieur à celui de toutes ces fines fleurs de la civilisation, qui contient pourtant quelques puissances industrielles reconnues ? Bien sûr le PIB, comme indicateur de la puissance industrielle ou même économique d’un pays est pour l’essentiel une fable, un conte pour enfant, comme je l’ai indiqué dans un précédent article. Mais il reste tout de même un océan à combler.

Une autre petite partie de l’explication peut et même doit impliquer l’économie de type assez particulier qu’on trouve en Russie. Bien que celle-ci soit très largement privatisée, elle reste pilotée dans ses grandes directions par le Kremlin. Comme toujours, celui-ci agite aussi bien la carotte que le bâton, même si maintenant il se sert beaucoup plus de la première. Dans la Russie actuelle, les incitations sont massives pour que les industriels aillent dans la direction souhaitée ou plutôt les directions car il y a tout un éventail de domaines où l’État Fédéral investit lourdement et ces domaines n’ont souvent qu’un lointain rapport avec l’armée, et parfois aucun. Ce type de politique économique mixte, en partie dirigée, voire planifiée, est en sainte horreur chez nos zélotes du marché libre et concurrentiel, mais le fait est qu’elle marche pas si mal, en tout cas en Russie. Notons d’ailleurs que ce n’est pas fondamentalement différent des subventions très généreuses accordées par nos pays de l’Otasunie à certains secteurs privilégiés (mais avec une efficacité considérablement moindre comme chacun a pu se rendre compte à moins d’être greffé dans la Matrice depuis la couveuse). Enfin il y a en Russie ces entreprises qu’on peut qualifier d’étatiques — même si c’est un peu plus subtil que ça — comme ROSATOM, ROSTEC, ROSCOSMOS, GAZPROM. Leur particularité est qu’elles ne sont pas toujours tenues d’augmenter leur bénéfice ou parfois même d’en faire du tout mais qu’elles sont tenues prioritairement de réaliser les objectifs fixés par l’État, quitte à déplaire à leurs "actionnaires". Et quand le Kremlin leur dit d’augmenter la production dans tel ou tel secteur, eh bien elles l’augmentent. Dans une situation de guerre, c’est évidemment un gros avantage. Ajoutons que cette décision d’augmenter la production industrielle dans le secteur de l’armement et de tout ce qui s’y rapporte a été prise des années avant le début de l’Opération Militaire Spéciale.

En somme, on a en Russie une économie qui dans une mesure importante est au service de l’État et du pays quand nous avons par ici une économie entièrement au service de ses actionnaires, et surtout de ces quelques oligarques sans pays ni frontières qu’on retrouve dans tous les Conseils d’Administration des grandes entreprises et qui sont les seuls vrais bénéficiaires du système (avec bien sûr les politiques qu’ils arrosent dûment en retour de leurs bons services). À chaque fois que l’UE ou les USA ont tenté ces dernières années d’augmenter la production d’armements, cela s’est soldé par un échec à court et moyen termes, soit parce que les usines disponibles ne sont pas assez nombreuses ou manquent de la capacité d’accroissement (de par leur politique de flux tendu, elle-même découlant de leur politique de rendement financier maximal, elles sont presque toujours au taquet), soit parce que les prix se sont mis aussitôt à flamber. On en a eu un exemple spectaculaire cette année avec l’UE : après son appel d’offres pour acheter des obus de 155 mm (les principales munitions utilisées par les canons modernes sur le champ de bataille du côté otasunien) dont l’armée ukrainienne était (et est toujours) en manque, le prix de celles-ci a été quasi multiplié par dix sur le champ. Le résultat net a été que l’UE a pu acheter moins de munitions pour un prix plus élevé. Bien sûr, on peut toujours rêver et se dire que sur le long terme, la production d’armements de l’Occident finira par rejoindre celle de la Russie actuelle. Mais cela présuppose beaucoup d’événements improbables : 1) que la politique des entreprises d’armements occidentales fassent passer l’intérêt du bloc avant leur intérêt financier ; 2) que la Russie n’augmente pas elle aussi sa production durant ce laps de temps à la même vitesse voire à une vitesse supérieure ; 3) que la guerre en Ukraine ne soit pas terminée avant (par la victoire de la Russie).

 

Je n’ai parlé jusqu’ici que des facteurs palpables, matériels, qui peuvent en partie expliquer la contradiction entre ce que nous disent les chiffres bruts et les faits observables sur le terrain. J’ai tour à tour invoqué la différence de pouvoir d’achat, les capacités de production bien plus extensibles de la Russie et enfin la politique économique différente des deux blocs. Tout cela nous rapproche de la vérité, sans le moindre doute, mais on sent bien que le tableau n’est toujours pas complet. Même avec les faiblesses citées, le bloc occidental devrait au minimum pouvoir obtenir pat dans ce conflit, étant donné les énormes différences en son avantage de population ou de richesse. Or, il est de plus en plus clair que nous nous dirigeons vers un mat des Russes sur le roi ukrainien (qui en réalité est bien sûr un fou).

Et c’est là qu’on est obligé de faire appel à des facteurs humains, sociaux et psychologiques pourrait-on dire. Il est évident que nos pays ne sont pas du tout préparés à ce type de guerre totale comme celle qui a cours en Ukraine. Imaginez un instant que l’illégitime Macron ou la saucisse Scholz déclare dans un élan de zèle atlantiste la mobilisation générale ou même partielle : en moins de trois mois, le pays se viderait de ses éléments mâles en âge d’être conscrits pour des cieux moins sombres. C’est ce qui s’est passé en Ukraine. Mais le mouvement sera encore plus fort dans nos pays tout simplement parce que les gens ont plus d’argent, plus d’économies, et peuvent donc plus facilement passer à l’étranger ou envoyer leurs fils vers une destination sans risque pour le temps qu’il faut. Disons-le clairement, le fait que l’Ukraine soit le pays le plus pauvre d’Europe (à égalité peut-être avec la Moldavie, qui semble justement s’apprêter à suivre le chemin pavé de gloire de son voisin du nord), depuis des décennies, est un facteur majeur dans le "succès" de l’opération washingtonienne démarrée en 2014. Jamais sans cela, la CIA n’aurait pu transformer ce pays en moins de dix ans en poing armé contre les Russes et jamais l’armée ukrainienne n’aurait pu perdurer jusqu’aujourd’hui. De plus, dans nos pays, les populations sont tellement fragmentées entre les races, les religions, les opinions politiques, les classes, les multiples sexes et les âges qu’une mobilisation est la recette la plus sûre pour connaître de grands troubles civils. En fait nos gouvernements le savent si bien qu’ils n’essaient même pas (et ce n’est pourtant pas l’envie qui leur manque).

Mais la mobilisation se heurterait à un problème supplémentaire (contrairement à la Russie qui a gardé un service militaire obligatoire) qui est que nos armées sont à 100% professionnelles depuis des décennies, ce qui signifie qu’il faudrait partir de zéro pour faire du pékin pris dans la rue un soldat même minimalement compétent.

Enfin et surtout le problème majeur réside évidemment dans la motivation. Pensez-vous que les Français, les Allemands, les Anglais vont aller faire la guerre de tranchées pour des Macron, des Scholz, des Starmer, des Biden ou des Harris ou des Trump ? Autant croire au père Noël ! On peut déjà prévoir que les exemptions signées par le médecin de famille vont se vendre comme des petits pains.

D’une manière générale, ce qui manque chez nous est la culture de la guerre. Pour nous, Européens, et encore plus chez les Étasuniens qui n’ont pas connu de conflit sur leur terre depuis des lustres, la guerre est devenue une chose abstraite, virtuelle, lointaine, qu’on ne connaît que par des films ou des jeux vidéo. Là où la Russie a maintenue une culture de la guerre importante, en partie due au fait qu’ils ont perdu vingt-six millions de personnes lors de la dernière guerre mondiale, ce qui veut dire que toutes les familles russes ont encore aujourd’hui des parents qui sont morts à la guerre. La Russie est le seul pays d’Europe qui ait bâti une cathédrale, la plus belle cathédrale moderne, la cathédrale de fer, en hommage à leurs soldats disparus (voir cet article-ci). Que cette cathédrale soit dédiée à l’Armée Rouge n’a qu’une importance secondaire, que nous trouvions l’idée ridicule ou monstrueuse en a encore moins. Cette cathédrale magnifique est là et révèle une ferveur que nous sommes incapables de comprendre, encore moins d’imiter. En raison de cette culture, de ce marquage au fer rouge, l’État russe n’a eu aucune peine à ranimer la flamme de la grande guerre patriotique lorsque le moment est venu. Chaque mois, trente mille volontaires en moyenne affluent vers les centres de recrutement de l’armée de la Fédération. Ils viennent de partout, comme toujours davantage de la campagne que des villes et davantage des régions pauvres que des régions riches mais ils viennent et ils sont motivés, contrairement à ces pauvres ukrainiens (en attendant peut-être ces pauvres Polonais, ces pauvres Moldaves, ces pauvres Baltes, ces pauvres Roumains …). Une illustration flagrante a été dernièrement fournie par une initiative du gouvernement polonais qui a décidé de lancer un appel pour former une sorte de légion étrangère destinée à renforcer l’armée de Kiev. Comme la Pologne a reçu depuis quelques décennies un contingent énorme d’immigrés ukrainiens, plusieurs millions, elle pensait trouver facilement de quoi monter au minimum une brigade. Résultat, seule une quinzaine de volontaires ukrainiens se sont présentés, pas même de quoi faire une section (l’unité commandée chez nous par un adjudant ou éventuellement un officier subalterne type sous-lieutenant). Il est vrai que la paie et les primes éventuelles du soldat russe sont relativement importantes, surtout pour un paysan ou un ouvrier de Sibérie, de l’Oural, du Caucase, mais ce n’est qu’une incitation de plus. Les queues devant les bureaux de recrutement n’ont jamais été aussi longues depuis le massacre du Krokus et surtout depuis que le grand Volodomyr Z. a lancé son opération de Koursk, son plan génial pour vaincre la Russie (voir cet article-ci). L’argent est le nerf de la guerre et le Kremlin n’oublie pas cet adage. Mais à l’épreuve du feu, l’argent seul n’a jamais été une motivation suffisante. Un bon exemple de ce fait est la diminution en chute libre du nombre de mercenaires étrangers que parvient à embaucher l’armée ukrainienne : ceux-ci ont une tendance invincible à prendre la poudre d’escampette une fois qu’ils ont compris qu’ils n’étaient pas là pour participer à une sorte de safari, comme en Irak, en Afghanistan ou en Lybie, qu’ils avaient toutes les chances de ne pas revenir (les mercenaires n’étant pas protégés par les conventions de Genève, l’armée russe par une coïncidence étrange ne fait pas de prisonniers parmi les mercenaires étrangers, que ce soient des Polonais, Colombiens, Anglais, Tchèques, Norvégiens, Français, Baltes, Japonais, Tchétchènes ou même Biélorusses, peu importe ; je n’ai en effet pas pu voir un seul prisonnier étranger** en Russie, non-ukrainien, malgré les innombrables vidéos postées sur le sujet depuis le début de la guerre ; les seuls encore en vie au moment de leur capture semblent avoir brutalement décédés quelques minutes ou quelques heures après pour des raisons peu mystérieuses).

En guise de conclusion morale, on peut dire que l’argent n’a bonne odeur que tant qu’on n’a pas senti celle de la mort, tout près de soi, ou mieux encore, sur soi.

 

*Propos attribué à Bismark qui fut longtemps ambassadeur en Russie.

** En fait j'en ai bien vu un ou deux passant devant le juge en Russie mais on est très loin du compte (note de 2025)


samedi 12 octobre 2024

Sanctions, sanctions, sanctions et autre inepties Eurozonées

 

Usine géante de traitement du bois dans le merveilleux pays du Père Noël (on me dit qu'ils y croient) 

    Parmi les milliers de sanctions prises contre la Russie, il en est une qui a attiré particulièrement ma sympathie, sans doute parce que la sylviculture est ma principale (et à peu près seule) compétence, quoiqu’à dire vrai très loin derrière l’écriture, et aussi parce qu’on peut y trouver toutes les marques inimitables du ‘travail’ toujours inspiré de la Commission Européenne (CE). Depuis l’été 2022, les heureux pays de l’Euro zone, parfois appelés les Zonards, ont en effet le devoir de n’importer aucun produit bois de Russie. Très peu notée en France, puisque le secteur bois y est plutôt un boulet et qu’il est très difficile de faire la part de l’effet des sanctions de l’inefficience ordinaire régnant ici, elle a été très fortement ressentie dans un autre grand pays de ce club chanceux qu’on appelle l’UE, un pays très forestier, c’est-à-dire où le poids du secteur forestier est considérable dans l’économie nationale, surtout si on la considère depuis l’amont jusqu’à l’aval (de la fabrication de la tronçonneuse jusqu’à la grume brute, ou plutôt l’inverse) un pays boisé pour plus de 70% de sa surface, un pays qui commence par un F et finit par un e… et non ce n’est donc pas la France.

Bien, grâce à ma phrase serpentine, vous avez eu le temps de réfléchir et de deviner que ce pays en question est la Finlande. La Finlande dispose, comme je l’ai dit, de ressources forestières considérables par rapport à sa taille, très modeste. Néanmoins ce qui est encore plus considérable, c’est sa capacité de production qui excède de loin sa ressource domestique disponible. Ah, mais comment est-ce possible ?! En effet, une des lois les moins mystérieuses de la sylviculture est de ne pas couper plus de bois que ce que les forêts produisent si vous ne voulez pas rapidement vous retrouver à sec. Et quand une forêt nordique est à sec, c’est pour très très longtemps (les arbres mettent en effet beaucoup, beaucoup plus de temps à pousser que, disons, en Guyane).

D’abord, précisons quelques points utiles pour la compréhension de cet article. Comme les Français sont bien placés pour le comprendre, le volume de bois disponible n’est pas du tout égal au volume de bois existant dans un pays. Une partie plus ou moins grande est de fait indisponible, c’est-à-dire en fait non rentable, soit en raison de reliefs trop escarpés, soit en raison de terrains trop marécageux, soit tout simplement parce que les essences disponibles dans ces forêts n’ont pas vraiment d’intérêt économique (en dehors d’un petit usage local en bois de feu et autres menus produits de sorcellerie en vogue) et vous avez alors tout à fait raison de me donner l’exemple de nos forêts méditerranéennes. La Finlande n’est pas dans le cas de la France. Bénéficiant d’une platitude à peu près parfaite, ses forêts de type taïga (ce qui n’est jamais qu’un mot d’une langue barbare pour dire… forêt) sont intégralement peuplées par trois essences principales toutes d’un grand intérêt économique (là-bas, pas forcément chez nous) : l’épicéa, le pin, le bouleau. En dehors des marécages, le pays ne présente pas de difficultés d’exploitation. Ainsi donc ce pays a la très rare chance d’avoir la double particularité de posséder un ratio surface boisée/surface totale et un ratio surface boisée exploitable/surface boisée totale tous deux tournant autour de 2/3, ce qui est énorme, surtout pour un pays soi-disant riche. En fait, même si je n’ai pas vérifié ce point, je ne serais pas étonné que la Finlande soit le pays au monde qui possède le ratio de surface de bois exploitable/surface totale le plus élevé au monde. Et ne me parlez pas des forêts équatoriales, type Guyanes, dont le même ratio est ridiculement faible. En chiffres absolus, on estime que la surface boisée totale de la Finlande est de 26 millions d’hectares pour une surface disponible de17 millions, dernier chiffre qui est exactement la surface boisée totale de la France. Et comme les forestiers finnois sont des roublards (mais rassurez-vous, nous faisons la même chose ici), ils se sont assurés que la majeure part de leurs forêts protégées (donc sans aucune coupe) se situe précisément dans la partie marécageuse ou en lisière de toundra, de toute façon inexploitable.

Eh bien malgré tous ces avantages, la Finlande a néanmoins besoin d’importer de grandes quantités de bois, soit sous forme de grumes entières, soit sous forme de sciages, soit sous forme de bois de feu (pour faire divers combustibles que vous utilisez peut-être sans le savoir), pour faire tourner leurs scieries et usines de traitements du produit bois. Et c’est de la bonne économie. Un des meilleurs moyens connus de s’enrichir rapidement est de faire venir des matières peu ou pas transformées pour obtenir une forte valeur ajoutée avant de revendre les produits finis. La France rêve depuis longtemps de le faire sans jamais y être parvenue (dans le secteur bois, c’est principalement la lointaine Chine qui nous rend ce ‘service’ inestimable). Il suffit d’en avoir la capacité industrielle et il se trouve que la Finlande l’a.

Donc, il n’y a pas si longtemps, la Finlande importait des volumes industriels de bois russe (puisque la Russie possède tout de même 800000000 ha de surface forestière, oui, vous avez bien lu : huit cents millions d’hectares boisés selon la définition internationale d’une surface boisée, soit une quinzaine de France ou une grosse vingtaine de Finlande mises bout à bout), en faisait des produits à plus haute valeur ajoutée et les revendait. Un très bon deal pour le pays scandinave, comme on voit. À la suite de la décision de la CE, les industriels finlandais pourtant habitués à la créativité sans égale de nos législateurs Eurozonés se sont retrouvés avec le choix simple suivant : soit trouver des fournisseurs de rechange, soit réduire fortement leurs capacités de production. Faire venir du bois de pays tiers non-sujets à cette sanction comme la Turquie ou la Chine qui continuent évidemment d’importer du bois russe était trop cher puisque chaque intermédiaire prend sa commission au passage, d’autant plus élevée quand on sait que l’acheteur est coincé, aux abois ; quant aux voisins scandinaves qui ont eux aussi un peu de taïga, ils ne voulaient ni ne pouvaient de toute manière fournir dans les quantités demandées. La première solution s’étant donc avérée impossible, je vous laisse deviner le temps d’un autre paragraphe instructif quelle a été leur décision.

Je rappelle dans ce paragraphe à toute fin utile que le but de la sanction vue depuis l’Euro zone est en principe d’affaiblir davantage l’économie russe que celles des heureux pays membres du club des 27. Les résultats de l’opération antirusse se sont soldés fin 2023 (et ce n’est que le début) par le bilan suivant : en l’espace d’un an, on a assisté à la diminution d’un tiers, au minimum, des importations de la Finlande, ce qui naturellement induit une diminution correspondante dans sa production de planches, charpentes, pâtes et autre produits dérivés dont la plus grande partie était destinée à l’exportation ; cette diminution sur le marché induit à son tour une explosion des prix du produit bois, en particulier les produits vendus par la Finlande, comme on a pu s’apercevoir très récemment en France (mais naturellement, aucun officiel n’a fait le lien entre cette brusque hausse et l’opération antirusse). Exactement dans le même laps de temps, un an au plus, la Russie a non seulement retrouvé son niveau d’exportation d’avant 2022 mais l’a augmenté et pas de l’épaisseur d’une brindille, hein, de 30% : il lui a suffit pour cela de rediriger ses exportations vers d’autres pays demandeurs (et ceux-ci ne manquent jamais pour des produits basiques) : Turquie, Egypte, Kazakhstan, Kirghizstan, EAU, Corée du Sud (celle-là, bon toutou pourtant, n’a pas dû recevoir le mémo de Washington) et bien sûr Chine. Actuellement, les revenus de la Russie liés au bois sont en hausse d’un tiers par rapport à 2021, dernière année avant sanction, pour une balance commerciale nette positive de 8,4 milliards de dollars en 2023 et la tendance est à la hausse rapide pour 2024, chiffre à comparer, par exemple et au hasard, avec le déficit chronique de la filière bois française qui a atteint 9,5 milliards d’euros en 2022 (je n’ai pas les chiffres de 2023, inévitablement horribles).

Ce retour de boomerang peut être retrouvé dans pratiquement n’importe quel autre secteur où la CE a sévi avec ses innombrables sanctions antirusses. Le résultat est toujours le même. Et bien que le résultat soit toujours le même, le processus est sans cesse renouvelé, dans l’espoir sans cesse différé mais jamais éteint que la même cause ait enfin un effet différent. J’aurais pu si j’avais le temps et je ne l’ai pas, je ne l’ai plus, prendre le merveilleux exemple de la sanction visant les compagnies aériennes russes où la seule lecture d’une carte, la simple connaissance la plus basique de la géographie de l’hémisphère Nord aurait dû faire comprendre aux inégalables cerveaux en charge de nous guider sur la voie du bien, de la justice et de la vertu que la sanction ne pouvait que se retourner contre leurs propres compagnies aériennes et favoriser indûment toutes celles qui peuvent continuer à traverser l’espace aérien russe (hé oui, c’est grand la Russie, 9 ou 10 fuseaux horaires, cela en fait du chemin en plus pour la contourner !) : c’est de la géopolitique à la portée d’un enfant de six ans jouant dans une cour de récréation.

C’est aussi un secret de polichinelle pour quiconque veut bien se débrancher un moment de la Matrice, que les décisions de la CE sont inspirées, voire fortement soufflées par Washington, tout spécialement concernant les sanctions antirusses. Ces sanctions ne sont en effet pas trop impactantes pour notre grand ami de l’Ouest, d’autant moins qu’il est le premier à ne pas les appliquer quand ça l’arrange (l’an passé, les USA ont encore importé pour 1,5 milliard de dollars de bois russe pour ne parler que de ce sujet). Le problème pour l’Europe est qu’elle n’a ni la situation géographique ni les ressources de son grand ami pour pouvoir se livrer à ce type de chantage sur la Russie. C’est elle qui dépend vitalement de la Russie et pas l’inverse (elle est la seule à ne pas le savoir). En plus de sa pauvreté en ressources, elle est en cours de désindustrialisation rapide (ayons une pensée émue pour la grande baisée d’outre Rhin) et maintenant commence à boire la tasse du côté de l’agriculture (et pas seulement à cause d’une météo défavorable, voir mon article précédent). Et cela continue. En effet, on m’annonce que ces sanctions qui ont eu de si puissants effets (quoique dans le sens inverse du mouvement appliqué) vont être implémentés contre cette fois… la Chine, sous forme de barrières douanières. Ah ! un vrai coup de maître cette fois. Ainsi l’UE au comble de sa puissance devenue incommensurable va s’attaquer à la première puissance industrielle mondiale (et de très loin) sur le terrain… industriel. C’est exactement ce qu’elle a fait avec la Russie sur le terrain des matières premières où celle-ci est sans rivale. Je le répète : même un enfant en primaire sorti de la cour de récré sait que cela ne peut que très mal se terminer quand un nain attaque un géant : c’est une simple question de connaître l’équilibre des forces et ce n’est vraiment pas difficile de le savoir dans ce cas. Tous ces effets des sanctions, qui vont du minable au catastrophique avec une moyenne tirant plutôt nettement vers le dernier que le premier, et l’obstination à persister dans le schéma perdant, indique un découplage à peu près total du réel de la CE et des autres politiciens en charge de cette (minuscule) partie du monde. On a affaire à des gens plongés dans la Matrice et qui ne veulent surtout pas être débranchés. Mieux, tout leur travail, comme celui de l’agent Smith de la Matrice, est de s’assurer que tout le reste du bon peuple (bon peuple : novlangue pour ramassis à base d’abruti et d’idiot congénital) reste sagement branché, absorbant avec délectation le monde fantastique mais rassurant que leur présente leur petit, moyen ou grand écran. Il faut bien réaliser ceci : dans notre Océania, les politiciens comme les gens des médias au service de l’oligarchie au pouvoir sont tous des agents Smith, pas Winston hein, juste Smith, rien de plus et rien de moins.

Au sommet de sa gloire, qui n’est éloignée que de quelques années, le secteur bois de la Finlande employait 15% des travailleurs industriels du pays, contribuait pour 18% de sa production industrielle et pour 20% de ses exportations en euros. Il est inutile de dire que cette époque est dans un passé révolu et ce ne sont pas les derniers événements en cours qui peuvent inciter à l’optimisme pour les prochaines décennies ou le prochain siècle… s’il y en a un. En avril de cette année, Merikarvia, une des plus grosses scieries du pays mettait la clef sous la porte, l’usine de pâte à papier Joutseno licenciait à tour de bras, le tout nouveau port à sec de Kouvola, qui avait coûté des dizaines de millions d’euros, se retrouvait… à sec, après avoir fonctionné seulement six mois.

Et ce n’est que le commencement.

À bientôt… peut-être. 


Autres articles sur le grand basculement en cours : ici et .


samedi 29 juin 2024

Les soldats russes sont entrés à New-York !

    Ah, en voilà un bon titre ! Quel formidable click-bait, avouez ! Naturellement, tout ahuris par la nouvelle stupéfiante, vous avez aussitôt vérifié sur votre petit calendrier qu’on n’était pas le 1er avril. Pourtant, le titre est littéralement vrai. Le 27 de ce mois, hier donc quand j’écris ce texte, la nouvelle est sortie que les Russes sont entrés à New-York, petite ville russophone du Donbass renommée ainsi par le gouvernement ukrainien en hommage à leur généreux patron, mais qui bien sûr portait un autre nom originellement. En fait, les informations provenant de l’armée russe étant contrôlées d’une main de fer (à la soviétique, diraient certains, mais pour l’armée, c’est une règle très souhaitable), on peut être raisonnablement sûr que cela a eu lieu avant le 27 juin. Un pacte non écrit entre les commandants russes et les correspondants de guerre agréés sur le front (il y en a plusieurs, souvent d’anciens militaires eux-mêmes) est que ces derniers ne reporteront que ce qui est autorisé et uniquement quand cela sera autorisé. Et ce pacte est généralement respecté parce que ces journalistes n’ont aucune envie de perdre leur place, d’autant que les candidats sont nombreux à la vouloir.
    Aujourd’hui, j’écris sans le moindre plan, n’attendez donc pas de grandes idées bien articulées mais simplement des remarques sans rapport les unes avec les autres. Ou bien s’il en existe, vous devrez les établir vous-même. Bref, je propose un pot-pourri de mes meilleures pensées suscitées par l’actualité au fil de l'eau, très léger, estival dirons-nous, pour ne pas dire festif.
    Dans le registre des feux d’artifice dont a déjà commencé la saison dans mon coin de bois, j’ai été frappé dernièrement par plusieurs déclarations de personnalités éminentes sur le sujet de l’emploi d’armes nucléaires (si, si, c’est très festif une bombe nucléaire : très beau spectacle, très impressionnant, surtout la nuit). La première, par ordre chronologique est venu de Stoltenberg, médiocre politicien scandinave qui a échoué partout où il est passé et c’est bien pourquoi on le retrouve donc à la tête de l’OTAN (la même remarque peut être faite pour Von Der Leyen). En réponse à quelque question, il a affirmé (je le cite de mémoire, ce ne sont pas ses mots exacts mais je garantis que le sens est là) que les lignes rouges des Russes n’en étaient pas et que les avertissements du Kremlin que certains types d’attaques sur le sol russe pouvait engendrer des frappes nucléaires sur l’assaillant étaient du bluff, bluff pitoyable que ce grand zéro… pardon héros, balayait d’un haussement d’épaule. En clair, et en pratique, puisqu’une invasion par des troupes au sol de l’OTAN est aussi probable qu’une invasion de criquets au pôle Nord, la doctrine russe pourrait s’appliquer en cas de frappes de missiles balistiques à longues portées sur ses actifs militaires d’importance stratégiques (comme des défenses anti-nucléaires par exemple). Vu l’évolution des événement, ça n’est certainement pas une hypothèse fantaisiste (les Kiéviens avec le concours satellitaire américain ont déjà commencé à prendre pour cible des radars russes destinés à l’interception de missiles à longues portées, nucléaires ou pas (et ça, vous ne pouvez le savoir qu’après, hein). Ce Stoltenberg semble devoir dégager de son poste mais il est probable qu’il sera remplacé par un autre clown… pardon, clone. En somme, il propose négligemment de faire un pari avec l’avenir et peut-être la survie d’au moins l’hémisphère nord de cette planète. C’est ce qu’on appelle le jeu de la roulette russe chargée avec des missiles nucléaires.
    Dans l’autre camp, je suis déjà depuis quelques temps les louches déclarations de Karaganov, un think-tankiste moscovite éminent même s’il n’a plus actuellement aucune responsabilité dans l’État russe. Tout dernièrement il a remis le couvert avec son idée d’envoyer un message fort à l’Occident. Son idée peut se résumer ainsi : puisque Washington et ses sombres acolytes n’entendent rien aux avertissements donnés, ne comprennent que le langage de la force et escaladent sans cesse dans leurs provocations, peut-être que la Russie devrait sérieusement changer sa doctrine nucléaire et s’autoriser des frappes préventives au moyen de missiles nucléaires tactiques (aux rayons d'action nettement moindres que ses homologues stratégiques). Selon ce modèle, qui est celui en somme d’Hiroshima, cela stopperait net toutes velléités adverses car il est en effet probable que les USA ne voudraient pas engager une guerre totale avec la Russie pour sauver les bras cassés ukrainiens ou européens. Une des options envisagées par Karaganov serait une explosion nucléaire de démonstration pour ainsi dire, relayée en mondovision, et en altitude pour éviter toute victime. Il parle aussi d’autres options, encore plus limitées mais visant cette fois des cibles militaires incontestables (et donc avec des pertes très importantes : le plus petit des missiles nucléaires tactiques russe a pratiquement la puissance de la bombe d’Hiroshima). Contrairement à Stoltenberg, Karaganov est incontestablement un homme supérieurement intelligent, en plus d’être très rationnel. Néanmoins même les plus intelligents et les plus rationnels peuvent parfois émettre des propositions remarquablement stupides, d’autant plus stupides quand ils insistent pour la répéter encore et encore. En réalité, l’idée de Karaganov pour faire cesser le conflit, ou au moins pour faire cesser l’escalade, est à classer dans la même catégorie que les propos du clown blanc à lunettes norvégien : c’est un pari sur ce que sera la riposte de l’ennemi. ON NE FAIT PAS DE PARI AVEC UNE PUISSANCE NUCLÉAIRE devrait être un principe premier et absolu de la pensée de tout géostratège ou politicien responsable. Peu de chance heureusement qu’il soit suivi par les têtes pensantes du Kremlin, et à peu près aucune tant que VVP sera au pouvoir. Tant mieux.
    Dans une catégorie un peu différente, le troisième et dernier propos inquiétant vient du colonel Mac Gregor, tout fraîchement, aujourd’hui même quand je tape ces mots. Mac Gregor est un commentateur très intéressant sur certains points, un homme très intelligent (hé oui, même les militaires peuvent être des pointures intellectuelles !), parlant très bien, avec des idées claires. C’est aussi un ancien conseiller militaire de Trump (avec les clowns Pompeo et Bolton devant la porte, son passage à la Maison Blanche n’a pas duré longtemps comme vous pouvez l’imaginer), un parangon de l’esprit yankee, complètement Américanocentré, appartenant à la tendance républicaine conservatrice (mais s’il appartenait à l’autre facette, les néo-libéraux du parti Démocrate, la différence serait minime). Et quand on est Américanocentré, cela implique qu’on est Israëlocentré, puisqu’Israël est de facto le 51ème État des USA. Mac Gregor a une grande peur, à juste titre selon moi, que la faiblesse d’Israël jointe à son sentiment d’impunité et à sa conviction d’être le peuple élu ne la pousse à utiliser des armes nucléaires tactiques contre le Hezbollah et donc le Liban (mais pas seulement). C’est en effet un secret de polichinelle qu’Israël possède la bombe nucléaire. Et je suis d’accord avec le colonel qu’il y a une probabilité plus élevée qu’une guerre nucléaire soit initiée par une puissance secondaire, disons régionale, qui se sent acculée, d’autant plus si elle est convaincue de sa légitimité de peuple ‘élu’, qu’elle le soit par des puissances mondiales qui ne sont véritablement que trois à ce jour. Ce qui est inquiétant, venant de cet homme sérieux, pas du tout désinvolte comme notre derviche tourneur national, comme l’homme orange ou comme le fantoche de l’OTAN déjà cité, c’est l’absence totale d’empathie pour les peuples visés par ces frappes nucléaires éventuelles, les Libanais, ou les Iraniens, ou les Syriens, ou les Palestiniens, absence d’empathie hélas typiques des Étasuniens. Son seul souci en l’occurrence est que l’état d’Israël pourrait disparaître avec de telles frappes (suite aux représailles inévitables venant d’Iran… ou d’ailleurs). Ces propos sont consternants car ils viennent de l’un des moins stupides représentants de l’élite washingtonienne. C’est dire le reste !
    Revenons sur mon affirmation précédente, qui vous a peut-être échappée, qu’il n’y a que trois puissances mondiales aujourd’hui, qui sont donc : Les USA, la Chine, la Russie. Les USA sont encore reconnus par la majorité des commentateurs, même non américanophiles, comme la puissance numéro 1. Ce type de commentateurs a néanmoins cette œillère très répandue dans le monde occidental, qui raisonne toujours en terme d’hégémonie et de concours sportif où il ne peut exister qu’un seul champion, une seule médaille d’or. Ce type de classement a selon moi à peu près autant de rapport avec la réalité que le QI en a avec l’intelligence. Les USA ont encore pour eux leur monnaie, qui restera dominante pour les années à venir, et la force de leur secteur ‘comm’, absolument sans rival possible dans un futur prévisible. C’est la plus faible des trois puissances, elle a clairement dépassé son point optimal depuis un bon moment, mais garde un pouvoir de nuisance considérable. La Chine a une puissance économique sans rival possible (et c’est bien pourquoi les Européens et les Étasuniens cherchant la rivalité économique au lieu de la coopération avec ce géant sont condamnés à un amer destin), jamais vue dans l’Histoire, inimaginable pour la plupart de mes concitoyens et pas seulement eux. La Russie est la plus grande puissance militaire des trois, pour des raisons d’avancées technologiques en partie dues à un retour d'expérience chèrement payé), industrielles, historiques et psychologiques. C’est aussi et de loin la plus intelligente dans sa stratégie géopolitique ; elle est clairement le cerveau de la nouvelle architecture multipolaire qui est en train de se mettre en place au grand dam de l’Empire, si elle n’en est pas le moteur principal. Il est impossible réalistement aujourd’hui de se développer sans compter avec ces trois pays. Ceux qui tentent de passer outre s’en mordront et s’en mordent déjà les doigts. Tous les autres sont au mieux des puissances régionales y compris l’Inde qui peut être décrite comme une sorte de grande Turquie rêvant toujours d'Occident, assise entre deux sièges, louvoyant toujours entre deux caps, jouant sur tous les tableaux, espérant le beurre et l’argent du beurre. Ce type d’attitude interdit toute ambition d’être un acteur central au niveau mondial. Je ne parle même pas de l’Union Européenne aux membres flaccides qui est maintenant totalement américanophilisée, domestiquée, aspirée lentement sous forme de bouillie liquide par son grand ami de l’Ouest.
    Hier, au moment où j’écris, était le jour exact du soixante-dixième anniversaire de la mise en route de la première centrale nucléaire au monde. Je parle bien de la première vraie centrale, reliée au réseau national, capable de produire de l’électricité à une échelle industrielle et non du prototype américain pouvant allumer dix ampoules (et encore de faible puissance). Pour ceux qui ne le sauraient pas et que je soupçonne d’être nombreux, cet événement a eu lieu en 1954 à Obninsk dans la région de Moscou (à l’échelle de la Russie et plus encore de L’Union Soviétique, on peut dire que c’est la région de Moscou). Il est dit, probablement avec raison, que la première bombe atomique russe a été fortement ‘inspirée’ par celle des Étasuniens ; ce n’est certainement pas le cas pour le nucléaire civil. On peut dire qu’à partir de ce jour, la Russie a pris un avantage dans le domaine du nucléaire civil sur tout le monde, sur Westinghouse, évidement sur les Français (qui ont commencé par reprendre le brevet de Westinghouse) qu’elle n’a plus jamais perdu mais au contraire augmenté. Cela se voit dans sa part du marché nucléaire actuel, très largement dominé par Rosatom, dans ses innovations successives, dans la diversité des concepts qu’elle a poussé jusqu’au stade final de production, dans sa flotte de sous-marins et brise-glace nucléaires, ses stations flottantes, ses centrales de retraitement des déchets (ah, ah, Superphenix: où es-tu?) sans équivalent ou supérieurs à tout ce qui se fait ailleurs.
    Les trois sortes de mensonges, comme disait Churchill (c’est toujours Churchill qui invente les mots d’esprit apparemment, en tout cas selon les Anglais), sont les mensonges simples, les mensonges par omission et les statistiques. Ce qui était une blague dans la bouche de Churchill… ou d’un autre moins riche que lui, est devenu la simple reconnaissance d’un fait dans nos pays. Et cela marche dans les deux sens. Pendant des décennies, j’ai entendu dire que les statistiques économiques fournies par le Parti Communiste Chinois étaient des craques plus grosses que le poisson qui a gobé Jonas, qu’il fallait diviser leurs chiffres gonflés aux gaz de houille par deux, par trois, par quatre. Dans le même temps, depuis 1980 disons, la Chine est passé de nation du tiers monde, adepte des pires famines du vingtième siècle, dotée d’une technologie datant du quinzième siècle, à la puissance économique mondiale numéro 1 (par parité de pouvoir d’achat). Il faut croire que leurs chiffres n’étaient pas si faux que ça, hein. Cette année encore, j’ai entendu notre virtuose de la diplomatie mondiale, notre virtuose de la finance mondialisée en plus d’être Notre Président Mondial, Macron 1er, affirmer dans le même esprit que les chiffres du PIB russe étaient des inventions grotesques qui le faisaient bien rire. Il répondait à l’annonce que la Russie, au milieu des sanctions de mille tonnerres de Brest, venait d’atteindre 3,6% de croissance sur 2023. Ah, on ne lui avait apparemment pas précisé que ces chiffres n’étaient pas issus de l’INSEE russe mais du FMI qui a effectivement la mauvaise habitude de ‘corriger’ ses chiffres quand ils concernent les ennemis de l’Empire, mais évidemment à la baisse. Si ces organismes émetteurs de statistiques économiques bien de chez nous ‘corrigent’ à la baisse les chiffres que nous ne saurions voir, ils ont en revanche une tendance invincible à les ‘corriger’ à la hausse quand ils concernent nos prévisions et résultats économiques. Ainsi, une nouvelle tradition bien établie par ces organismes consiste à annoncer des chiffres supérieurs à la réalité avant de les rectifier à la baisse par la suite quand la vérité des choses commence à percoler dans la conscience collective. L’intérêt de la manœuvre est au moins double. On profite d’abord du fait que les premiers chiffres qui sortent sont des estimations, donc sujets à affinements, un peu comme les premiers résultats d’une élection avant que la grande masse des votes soient dépouillés, pour les faire briller dans les gros titres des médias complices ou réellement ignorants de l’astuce (ce qui serait encore plus inquiétant sur leur niveau de journalisme). Puis on les révise à la baisse chaque mois, chaque trimestre, chaque année qui passe, en comptant bien que de nouveaux chiffres tout frais brillants sorti de la machine à faire reluire les stats et tout aussi tocs éclipseront ces mauvaises nouvelles. En bref, comment toujours chasser la vérité par de nouveaux mensonges : c’est un art que nous maîtrisons de mieux en mieux. Naturellement, le terme mensonge pour décrire ces agissements est le terme le plus correct car si ces estimations étaient sincèrement, accidentellement inexactes, elles ne le seraient pas chaque mois, chaque trimestre, chaque année toujours dans le même sens, celui qui vous arrange. Par exemple, la FED vient de sortir en même temps que ses nouveaux chiffres merveilleux (c’est relatif !) les chiffres révisés de la croissance économique des USA pour le premier trimestre 2024, en baisse comme toujours de 0,5 point par rapport au mois passé. À l’année, cela fait cher du mois passé. Dieu sait ce qu’il en restera en décembre de la croissance prévue en début d’année : un chiffre que j’ai oublié mais fabuleux dans tous les sens du terme, vous pouvez en être sûr ! Ces ‘erreurs’ sont si régulières maintenant que les financiers qui ont des gros portefeuilles en gestion et donc leurs couilles à perdre ont pris l’habitude de baisser tous les chiffres donnés par la Fed d’un demi-point par trimestre… et cela marche plutôt bien.
    La place d’un vrai journaliste dans nos pays à notre époque est en prison ou en exil comme l’a prouvé amplement Julian Assange. Le deal qu’il a dû signer pour sortir enfin de sa geôle est un procédé digne de 1984 : en bref, il a reconnu tous les chefs d’accusation qui lui avaient valu d’être jeté en cul de basse-fosse. Il est reparti en Australie, son pays natal, après sa libération ; je pense qu’il n’y restera pas longtemps s’il désire vivre vieux : c’est qu’il a forcément beaucoup de choses à dire encore et il est journaliste ! J’ai d’autres exemples moins illustres à l’esprit mais pas moins talentueux. Anatoli Sharii, ex-Ukrainien, certainement un des journalistes européens les plus spirituels, les plus percutants, est en exil depuis des années dans divers pays, pour l’heure en Espagne jusqu’à ce qu’il y soit persona non grata, ce qui ne devrait pas tarder. Sa spécialité est l’investigation des groupes criminels, spécialité des plus dangereuses en Ukraine mais avec beaucoup de matière à traiter. C’est pourquoi il enquête principalement sur les divers gouvernements qui se sont succédés à Kiev. Dmitri Vassilets est un autre Kiévien opposant au gouvernement de son pays. Emprisonné sans preuve pendant plus de deux ans, il mène toujours un parti d’opposition, interdit évidemment comme tous les partis d’opposition. Son domicile actuel est inconnu et cela vaut mieux car il est sur la même liste (très officielle) des autorités de Kiev qui a valu l’assassinat de Daria Doughina, qui avait pourtant beaucoup moins de causes d’irriter les Services Spéciaux du sous-reich ukrainien.
    Let’s send in the clowns ! Pour terminer sur une bonne note, pour ne pas dire revigorante, faisons venir les clowns Biden et Trump. Leur ‘débat’ a donné lieu à quelques répliques dont je ne suis pas sûr que le plus ancien des deux ait saisi toute la drôlerie. Trump nous a expliqué son plan pour la paix en Ukraine : menacer de doubler l’envoi d’armements à Kiev si Poutine ne négocie pas, tout en menaçant les mercenaires de Kiev de leur couper armes et argent si ils refusent aussi de négocier. Conclusion logique : Poutine ne négociera pas, si bien qu’il n’y aura pas de négociation, si bien que Kiev se retrouvera sans arme et sans argent. Sinon, Biden nous a appris que son grand ennemi personnel Poutine allait envahir la Biélorussie, en plus de la Pologne, et peut-être le reste de l’UE et de l’OTAN si on ne l’arrêtait pas avant. Effectivement, il sait encore lire une carte, le vieux : la Biélorussie se situe bien entre la Russie et la Pologne: difficile de faire autrement. Les Biélorusses, quant à eux, ont sûrement été surpris d’apprendre qu’ils venaient d’être acceptés dans l’UE et même dans l’OTAN sans même qu'ils aient eu besoin de candidater.
    Enfin, je terminerai en donnant une liste probablement non exhaustive des penseurs, acteurs politiques et autres empêcheurs de tourner en rond qui me donnent matière à réflexion et ont donc quelques crédits involontaires dans les articles traitant de l’actualité que vous pouvez lire ici. Naturellement, il n’y a ni ordre alphabétique ni ordre d’importance ni aucun autre ordre dans cette liste, rien que le reflet de la nature aléatoire d’une mémoire faillible et intermittente. Il n’y a pas non plus de quotas obligés : au diable la parité des sexes ! Et pas de bonnes manières non plus : au diable la galanterie ! Je commencerai par le premier venu. Entre parenthèses, leur profession principale, réelle ou supposée et la langue dans laquelle ils s’expriment habituellement et dans laquelle vous avez donc le plus de chance (ou de malchance) de les lire, de les écouter :

- Igor Nesterenko (facilitateur économique, français, anglais, russe surtout)
- Mohammad Marandi (professeur de Dieu sait quoi, anglais avec accent perse plutôt agréable à l'oreille)
- Anatoli Sharii (journaliste, russe)
- Dmitri Vassylets (entrepreneur, politicien, syndicaliste, journaliste, russe)
- Sergueï Karaganov (politicien plus doué pour la théorie que la pratique, russe, anglais parfois)

- Alasdair MacLeod (ancien banquier, ancien trader, anglais)

- Jacques Sapir (économiste, français)
- Tom Benoît (entrepreneur, économiste, français à l’accent gascon)
- Vladimir Poutine (espion, politicien, russe, probablement bon en allemand aussi, mais sans garantie car je ne comprends pas cette langue)
- Mac Gregor dont le prénom est Douglas et non Colonel comme certains persistent à le prétendre perfidement (militaire, économiste, politicien, anglais avec accent américain)
- Alexander Mercouris (avocat, anglais anglais, possiblement grec si cette langue n’a pas déjà disparu)
- Big Serge (probablement historien, possiblement militaire, anglais)
- Jacques Baud (activités dites de renseignement, français avec à peine un léger accent vaudois, anglais compréhensible mais bien pénible pour l’auditeur)
- Scott Ritter (militaire, anglais américain)
- Andrei Martyanov (militaire, consultant aéronautique, anglais américain approximatif mais plaisamment comique avec un très gros accent, russe)
- Gilbert Doctorow (professeur de Dieu sait quoi, anglais américain mais sans accent, ni américain ni russe, russe)
- Rhod Mackenzie (journaliste, entrepreneur, anglais avec des problèmes d’élocution, dus possiblement à son état de santé, préférable à l'écrit (voir son blog))
- Lena Petrova (économiste, anglais avec un léger accent étasunien, ce qui est bien normal puisqu’elle est … Étasunienne)
- Brian Berletic (militaire, ingénieur ?, anglais américain)
- Kevin Walmsley (entrepreneur, anglais américain)
- Alastair Crooke (diplomate, anglais anglais)
- Alain Foka (journaliste, français presque sans accent bien qu’il soit du Cameroun)
- Sean Foo (financier ? économiste ? anglais grammaticalement correct mais rendu à l’oral presque incompréhensible par une prononciation défectueuse, sous-titres recommandés)
- Anastassia G (journaliste pour Think BRICS, très discrète sur son nom de famille et son origine, anglais rugueux avec un accent prononcé de l’Est, du Grand Est, suivez mon regard…)
- Yivgueni Super (réalisateur de programmes TV populaires, russe, à noter que Super est bien son nom de famille, pas un pseudonyme, CYПЕР en cyrillique)
- Pravin Sawhney (militaire, éditeur, auteur, anglais à l’accent indien typique, qui partage la palme des accents anglais les plus incompréhensibles avec l’anglais de Chine et l’anglais de France, il n’a même pas l’excuse des deux autres puisque l’anglais est pour ainsi dire la première langue des Indiens de bonne famille)
- Vijay Prashad (professeur de Dieu sait quoi, anglais moins bizarre à l’écoute que celui de son concitoyen Sawhney)
- Ben Norton (journaliste, anglais américain)
- Carl Zha (historien, anglais américain, chinois)
- Mark Sleboda (militaire, renseignements, anglais américain)



samedi 18 mai 2024

L’art de la guerre illustré : la guerre en Ukraine.

Les drapeaux sont aux couleurs locales: ah! mais lesquelles?


    Ce qui s’appelait originellement Opération Militaire Spéciale est presque toujours mal compris en Occident, que ce soit à dessein ou par ignorance. L’idée qui traîne actuellement dans tous les cercles d’experts militaires occidentaux que l’armée russe s’est améliorée depuis février 2022 est vraie comme une vérité de la Palisse est vraie ; elle ne sert qu’à justifier leur fausse analyse antérieure que l’armée russe de 2022 était incompétente, pas motivée, sous-équipée, ou avec des équipements obsolètes. Cette grossière erreur d’analyse ou cette incompréhension totale est doublée d’une posture, d’un discours extraordinairement dangereux. 
    En guise de préambule, je donne ici quel est à mon avis le point crucial qu’a oublié ou que refuse de voir l’Occident. Je ne m’attarde pas sur le discours ukrainien, qui n’a pas vraiment d’importance, et qui est à mettre sur le compte de têtes brûlées qui n’ont rien à perdre, ayant de toute façon déjà entièrement ruiné le pays. Néanmoins, on aurait pu espérer de la part des responsables occidentaux, les montreurs de marionnettes, qu’ils fassent davantage preuve de lucidité et — justement — de responsabilité. Or, leur discours est incroyablement dangereux et irresponsable. Leur obstination à transformer ce conflit en combat entre le bien et le mal, en employant une posture morale et parfois eschatologique qui rappelle le discours israélien vis à vis de la Palestine et de ses voisins arabes en général, est périlleuse à l’extrême. Peu importe ce que vous pensez de la Russie, peu importe que ses raisons pour déclencher son Opération Militaire Spéciale vous paraissent bonnes ou mauvaises, il y a au minimum un point que vous ne devez jamais perdre de vue, pas une minute : la Russie est une puissance nucléaire et il est hors de question de rentrer directement dans un conflit avec elle quand vous êtes vous-même une puissance nucléaire. Il est à peu près certain — et il serait idiot au possible de vouloir absolument vérifier cette assertion — qu’une guerre ouverte entre l’OTAN et la Russie amènerait au final à une guerre nucléaire. Quand la Terre sera dévastée et invivable, cela nous fera une belle jambe de savoir que la « vertu » a gagné. Ce doit donc être un principe absolu dans la pensée stratégique de ceux qui nous gouvernent et malheureusement, on doit constater qu’il n’est pas compris par tout le monde… Pour le moment, l’irréparable n’a pas été commis et on peut se féliciter de la retenue dans les actes des deux camps. Les occidentaux évitent d’envoyer des armements trop dangereux à son proxy et de son côté la Russie feint de ne pas savoir que ce sont des awacs qui surveillent le ciel et fournissent tous les renseignements nécessaires à l’artillerie et aux lance-missiles ukrainiens pour cibler les forces russes, que ce sont des militaires occidentaux qui sont aux commandes des équipements les plus modernes (et les plus onéreux), que les soi-disant mercenaires sont en fait pour la majorité des conseillers militaires ou des spécialistes d’opérations spéciales venus des divers services occidentaux. Mais plus le temps passe et plus il devient clair que cette retenue de l’OTAN est plus liée à une impuissance qu’à un manque d’envie. Si de plus, jusqu’ici, les pays occidentaux croyaient que l’Ukraine pouvait triompher en solo avec leur aide, c’est maintenant terminé et il est évident que certains cherchent une méthode plus ou moins astucieuse pour faire rentrer aussi discrètement que possible l’OTAN sur le terrain, pour de vrai, sans plus se cacher. La constatation simple qu’ils ne peuvent vaincre la Russie sur son terrain par les méthodes conventionnelles ne semble pas pourvoir les dissuader. En effet, comment dans un combat entre le bien et le mal, l’ange d’Occident pourrait accepter de ne pas continuer à combattre le démon maléfique venu de l’Est ?
    Bien, passons maintenant aux faits et à la partie plus substantielle de ce conflit.
    Je vais ici essayer de décrire clairement ses phases successives, ses causes et ses conséquences très prévisibles — mais jamais certaines évidemment (l’art de la prévision est très difficile, surtout dans l’avenir, comme disait quelqu’un). N’étant pas un expert militaire, je me contenterai de décrire les grandes lignes des événements, grandes lignes qui apparaissent toujours avec le recul, même pour un œil non spécialiste, à condition d’avoir bien fait ses devoirs auparavant, ce qui est sans aucun doute mon cas. Après tout, il n’est pas nécessaire d’être grammairien diplômé de la Sorbonne pour reconnaître les propositions successives d’une phrase, ses articulations et sa signification générale.

    Tout d’abord, il est utile et en fait nécessaire de réaliser que la guerre n’a pas commencé en février 2022. Ce n’est pas une théorie, c’est un fait. Elle a commencé comme une guerre civile en 2014, entre Ukrainiens de l’ouest et Ukrainiens de l’Est pour faire simple. La cause est non moins certaine : le renversement du gouvernement de Yanoukovitch, élu aussi démocratiquement que ses distingués collègues d’Europe occidentale, un politicien modérément pro-russe, ce qui n’a rien d’une tare, et est même recommandé, surtout quand votre économie dépend plus qu’à moitié du commerce avec le grand voisin de l’Est. Sur l’opération « spéciale » de Washington consistant à apporter liberté et démocratie aux Ukrainiens selon ses méthodes habituelles, je vous recommande le très bon documentaire d’Oliver Stone sur ces événements bien documentés, dont j’ai oublié le titre mais vous le retrouverez facilement (« Ukraine on fire » ou quelque chose comme ça ; il existe en version française aussi, je crois). L’Ukraine est en effet un pays à peu près également partagé entre les russophiles et les russophobes. Il faut ajouter que les russophobes comme les russophiles ont un point commun : ils parlent tous russe. Les Ukrainiens parlant spontanément l’ukrainien sont à peu près aussi nombreux que les Bretons parlant breton.
    L’Ukraine a une caractéristique plus ennuyeuse dans le fait qu’elle présente la plus grande concentration de nazis au monde actuelle. Tout au plus pourrait-on distinguer entre les vrais nazis, disciples de Bandera, majoritairement issus de la région de Lvov, qui ont fini par former le bataillon d’Azov, et les fachos plus ordinaires de Right Sector, Kraken et autres milices paramilitaires qu’on peut trouver en revanche partout (à l’époque, c’étaient des paramilitaires, maintenant ce sont des militaires tout court : ils forment même l’épine dorsale de l’armée ukrainienne actuelle. Zalujny, l’ancien chef d’état-major de l’armée, avait (et a toujours, j'imagine) un buste de Bandera posé bien en évidence sur son bureau et un autre sous forme de poster plaqué dans son dos. Et naturellement les nazis font des trucs de nazi : à quoi s’attendre d’autre ? Aussi, suite au massacre de Maïdan, orchestré selon les principes éprouvés de la CIA, un simple hors d’œuvre, ils se promettaient de remettre de l’ordre dans tous les oblasts (régions de l’Ukraine) qui avaient la détestable habitude de voter à 90% pour les candidats russophiles et de vouloir parler leur langue maternelle où ça leur plait quand ça leur plait, le russe. Une politique de terreur et de ségrégation, digne de leurs modèles du troisième Reich, s’est alors mise en place dans tout le pays mais plus particulièrement à l’est.  Naturellement, quand vous déclarez à une grosse moitié de la population de votre pays que vous êtes des sous-citoyens, des sous-hommes, cela se passe mal. Des partisans très courageux (les premiers sont toujours les plus courageux, de très loin) ont décidé du côté de Donietsk et de Lougansk de sonner la révolte contre le gouvernement illégitime de Kiev, à peu près en même temps que la Crimée rejoignait la Russie. Vous vous demandez peut-être pourquoi les autorités de Kiev, menées par Porochenka et sa bande de mercenaires, n’ont pas bombardé alors la Crimée comme ils l’ont fait des oblasts de Donietsk et de Lougansk. Très simplement, parce que la Russie ne les aurait pas laissé faire et qu’ils pensaient à l’époque n’être pas prêts pour cette grande confrontation, inévitable. Poutine a dit que sa plus grande erreur était de ne pas être intervenu à ce moment-là en faveur des deux oblasts rebelles. Peut-être. On ne peut pas réécrire l’histoire. Peut-être aussi que la Russie n’était pas prête alors à affronter l’hydre à sept têtes (au moins) qui se cachait derrière le gouvernement mercenaire de Kiev, et en particulier l’ogre dévoreur d’enfants washingtonien. Quoiqu’il en soit, pas très fière d’elle, la Russie a laissé les nouvelles républiques de Donietsk et Lougansk se débrouiller seules contre le nouveau proxy otasunien. Tout au plus a-t-elle envoyé des armes, et pas des plus modernes, ainsi que quelques conseillers ou instructeurs, puisque les rebelles comptaient très peu de soldats de métier parmi leurs rangs. Jamais la Russie n’est intervenue directement dans le conflit entre 2014 et 2022. C’était de fait une guerre civile et aucun doute que cela le serait resté si le gouvernement fantoche de Zelenski, soutenu et encouragé financièrement, militairement, politiquement par Washington ne s’était pas senti pousser des ailes. Durant le laps de temps en effet, l’État-nation Ukraine était devenu l’instrument de prédilection de Washington et Zelenski sa marionnette des guignols préférée. Mais avec la manne venue de l’Ouest, ils avaient pu considérablement augmenter la taille de leur armée, bénéficier des bons conseils et autres supervisions otasuniennes, créer d’imposantes fortifications tout le long du front traversant les oblasts de Donietsk et Lougansk, et préparer en somme le terrain pour la guerre, la vraie, qui les opposerait à la Russie. Cat tel a toujours été le but de Washington : pousser la Russie à intervenir directement et lui casser les reins à la fois par la science militaire occidentale jugée très supérieure et par les sanctions économiques les plus dévastatrices jamais appliquées.
    Le souhait de Washington a finalement été exaucé en février 2022. Mais il faut remarquer que la Russie a traîné des pieds autant qu’il était humainement possible, cherchant une solution diplomatique, tandis que les enfants du Donbass se faisaient massacrer (ah, bien sûr, on ne vous en pas parlé à la radio-télé !). Combien de fois les diplomates et politiciens russes du plus haut niveau ont tenté d’obtenir un apaisement de la situation ? Dix fois ? Vingt fois ? Jusqu’à la fin ou presque, ils semblent y avoir cru, même après que les deux accords de Minsk aient été aussitôt bafoués par Kiev (et par ses généreux patrons occidentaux mais ça va sans dire). Disons-le clairement, Poutine a montré une grande frilosité ou une très grande prudence, choisissez le terme qui vous plaira. Mon impression est qu’il avait un gros doute, non sur la prépondérance de son armée face à l’ennemi, mais sur le niveau de résilience de l’économie russe face au déchaînement des sanctions qui ne manqueraient pas de leur tomber sur la tête. Finalement, quand il est devenu évident que Kiev était prête à liquider l’énorme ghetto qu’étaient devenus les deux oblasts tronqués de Donietsk et de Lougansk, ayant multiplié les bombardements par dix et ayant amené des troupes massives vers la ligne de front, il s’est résigné à donner le feu vert à l’armée pour intervenir et fait sa déclaration à la télé.
    Le premier plan des Russes, le plan A disons, était d’entrer très rapidement en Ukraine avec une force limitée, une grosse centaine de milliers de soldats, ce qui est très peu pour un pays de la taille de l’Ukraine (qui est, ou plutôt était, plus grand que la France, rappelons-le pour les prix Cécile Duflot de géographie). Cette force était jugée néanmoins suffisante pour atteindre les faubourgs de Kiev et d’autres grandes villes, Hrerson, Hrarkoff, Zaporodjié et mettre une telle pression sur le gouvernement ukrainien qu’il ne puisse faire autrement que venir à la table des négociations. Et ce plan a bien failli fonctionner. Il y a bien eu des négociations à Istamboul. Les propositions de la Russie, comparées à ce que peut espérer l’Ukraine aujourd’hui, étaient incroyablement généreuses : les Kiéviens gardaient l’intégralité de leur territoire, hormis la Crimée évidemment, sous condition de renoncer à leur politique de ségrégation antirusse, de renoncer à leur adhésion à l’OTAN, de se séparer des éléments nazis de leur armée et gouvernement. Les deux parties ont signé les premières moutures de l’accord de paix. Puis… Boris Johnson est arrivé. Bon, je n’étais pas là et je ne peux affirmer que le clown anglais est bien celui qui a tout fait capoter. Il y a tant de clowns qui se disputent la palme de l’absurde tragique aujourd’hui en Occident comme en Ukraine qu’il est difficile d’y voir clair sur qui prend réellement les décisions. Quoiqu’il en soit, le plan A des Russes a échoué in extremis. Je ne vois personnellement aucune erreur de l’État-major russe dans cet échec. Même s’il n’avait qu’une chance sur dix de réussir, il fallait commencer par là ; la possibilité d’épargner des centaines de milliers de vie humaines, d’éviter d’envoyer des millions de réfugiés dans la nature, sans parler des dégâts matériels colossaux, non seulement le justifiait mais l’exigeait. Cependant, ils ont probablement péché pour une fois par optimisme, faute rare chez les Russes, comme le montre leur relative lenteur à mettre sur pied une force beaucoup plus importante, nécessaire pour la phase qui allait suivre, la guerre d’attrition. (À ce sujet, on peut trouver étrange qu’un pays comme la Russie n’ait pas eu en réserve au moins une centaine de milliers de soldats, disponibles au pied levé, qui auraient permis de tenir Hrerson et la région de Hrarkoff. C’est bien sûr parce que ces réserves étaient déjà marquées pour une hypothétique attaque des Otasuniens, improbable certes mais que la Russie se devait, et se doit toujours, de considérer très sérieusement).
    Durant cette première phase de l’intervention russe, essentiellement couronnée de succès, il faut noter la rapidité stupéfiante avec laquelle les Russes ont pénétré en Ukraine, vraiment comme dans du beurre, prenant près d’un quart du pays en quelques jours. Pour une guerre de manœuvre, c’est un résultat d’autant plus impressionnant qu’à notre époque de satellites et de drones omniprésents — les Ukrainiens bénéficient à plein de l’ISR washingtonien — il est impossible en principe de bouger des troupes ou du matériel en masse sans que cela se sache. La seule manière d’expliquer la surprise et la déroute ukrainienne premières est leur conviction que l’armée russe attaquerait au Donbass. Et bien sûr qu’il y avait des forces massées à cet endroit, majoritairement les forces miliciennes de Donietsk et Lougansk, avec sans doute quelques brigades russes pour tromper l’observateur. Or, elle a attaqué partout sauf là, évitant les fortifications préparées longuement et amoureusement pour empaler l’envahisseur. Ils ont jailli simultanément de l’extrême sud et de l’extrême Nord, prenant complétement les forces ukrainiennes à revers. Certes, les Russes ont payé un prix pour cette avancée éclair mais comparé à ce qu’ils auraient payé en attaquant frontalement au Donbass, c’était presque une promenade de santé.
    Les Russes ne sont réellement passés au plan B qu’à la fin de l’été 2022. S’ils ont commis une erreur stratégique dans la conduite des opérations militaires, c’est là. On ne doit pas minimiser l’importance de cette erreur : elle a coûté et va continuer de coûter beaucoup de vie de soldats russes dans l’entreprise obligée de reconquête de ces territoires perdus puisqu’une partie se trouve dans l’oblast de Hrerson et une autre dans celui de Lougansk, territoires devenus russes depuis le referendum de septembre 2022. Entre-temps, après les accords avortés d’Istamboul au début du printemps, ils ont poursuivi le plan A et ont liquidé ou capturé le restant des nazis d’Azov, retranchés à Marioupol. C’est à ce moment précis qu’ils auraient dû enclencher le plan B, sachant maintenant que la guerre allait être totale. Mais ils ont tardé et la mobilisation partielle (très partielle) pour combler le déficit n’a débuté qu’en septembre. C’était trop tard. Les soldats ukrainiens étaient beaucoup plus nombreux et les Russes ont dû reculer, en bon ordre à Hrerson, en moins bon ordre à Hrarkoff. Dans ces opérations de reconquête relative, les Ukrainiens ont perdu un nombre ahurissant d’hommes, parmi leurs soldats d’élite, facteur qui a certainement contribué à l’échec de leur offensive de l’année suivante.
    Le plan B est donc décrit généralement par tous les observateurs, de quel camp que ce soit, comme une guerre d’attrition. La guerre d’attrition consiste à prioriser la destruction de l’ennemi, hommes et matériels, sur les gains territoriaux. Elle consiste aussi, bien sûr, à préserver au maximum ses propres troupes et matériels. Notez bien que c’est le plan de l’armée russe, certainement pas de l’armée ukrainienne, et encore moins de ses sponsors washingtoniens. Pour qu’une guerre d’attrition soit optimale, il est donc nécessaire de forcer l’ennemi à venir jouer sur votre terrain, ou tout au moins de l’y inciter. Défendre est normalement plus facile que d’attaquer, pour des raisons qui sont évidentes même pour un profane comme moi. L’armée qui attaque se découvre, en principe (on verra qu'on peut imaginer une exception à ce principe général), l’armée qui défend reste à l’abri de ses fortifications spécialement conçues à cet effet. C’est d’autant plus vrai si vous bénéficiez d’une puissance de feu supérieure, ce qui est indiscutablement le cas de l’armée russe. Au mieux de sa forme, au tout début de sa « fameuse » contre-offensive, et après avoir reçu les stocks de l’OTAN, l’Ukraine était peut-être à égalité en termes de munitions tirées par jour. Cette période de toute façon s’est très vite terminée. À partir de l’automne 2022 et jusqu’au début de l’automne suivant, l’armée russe n’a pas dérogé à cette stratégie. Et elle s’est avérée absolument dévastatrice pour l’adversaire. Pourquoi pensez-vous qu’il y a tant de discussions en cours en Ukraine pour mobiliser une nouvelle armée ou dans nos pays fantoches pour envoyer des troupes au sol ? La réponse est très simple : l’armée ukrainienne est devenue une estropiée, boitillant péniblement de ci de là pour maintenir un semblant d’illusion : il faut bien, sinon c’est la débandade complète. Tout le monde le sait. Là-haut. Mais vous, petit homme, vous n’êtes pas censé le savoir. Alors on continue de vous endormir avec des fables pour enfants de cinq ans. Bon, si vous préférez les contes pour enfant de cinq ans, c’est votre droit.

    Le succès total de cette phase de la guerre, vu de Russie, a été grandement facilité par la propension du gouvernement ukrainien à commettre encore et encore deux erreurs. La première est de vouloir passer à l’offensive quand la raison aurait dû lui dicter de préparer sa défense. Cela ressemble au joueur d’échec qui pense compenser la perte de ses pièces en se lançant dans des attaques tous azimuts ; bien sûr, le résultat le plus probable est qu’il va seulement parvenir à augmenter ses pertes relativement à celles de l’adversaire. La seconde est de vouloir coûte que coûte (on sait qui adore cette expression) s’accrocher à chaque miette de territoire, même pour des positions clairement désavantageuses, et ceci, presque jusqu’au dernier homme. Ah vous connaissez la formule favorite des politiciens de Washington : « combattez mes braves, combattez, jusqu’au dernier des Ukrainiens ! » Ces gens sont de grands philanthropes. Naturellement, si les chefs ukrainiens sont en réalité des mercenaires à la solde d'autrui et pour la plupart des crapules pendables, ils ne sont en revanche pas tous bêtes. Ils savent, au moins pour les plus éclairés — catégorie dans laquelle on ne peut ranger le Pinocchio vert de gris — que c’est une stratégie perdante. Perdante pour l’armée, pour le pays, pour la société ou ce qu’il en reste, mais pas pour eux. Ils ont parfaitement compris qu’ils devaient sans cesse alimenter l’espoir et l’illusion chez leurs grands amis de l’Ouest s’ils voulaient continuer à percevoir la manne sonnante et trébuchante en exécutant ces véritables opérations de communication, aux conséquences désastreuses pour leurs soldats. Et donc ils continuent. Même aujourd’hui dans l’état de délabrement pitoyable auquel sont arrivés l’armée ukrainienne et le pays tout entier, vous pouvez les entendre parler de repasser à l’offensive… en 2025… 2026… 2027… Ah mais attendez, Macron va envoyer ses soldats, sa grande armée napoléonienne d’au moins… une brigade. Quelle farce ! Sinistre farce !
    Ce choix très délibéré et maintes fois répété par l’état-major russe a donc été grandement favorisé par la stratégie otanukrainienne, en parfaite correspondance avec ce plan qui était : reprendre chaque mètre carré saisi par l’adversaire, y compris la totalité du Donbass, y compris et surtout la Crimée. En fait, les loyaux serviteurs ont été plus royalistes que le roi washingtonien, qui apparemment, se serait volontiers contenté de la Crimée. L’obsession des sponsors anglo-saxons en particulier à vouloir reprendre la Crimée reste quelque peu un mystère à mes yeux, à moins bien sûr qu’ils ne veuillent passer leurs prochaines vacances là-bas, mais en tout cas, cela convenait parfaitement à l’armée russe qui avait bâti sa plus formidable ligne de défense précisément pour en interdire l’accès, la maintenant célèbre ligne Sourovikine. On se rappelle du cimetière de blindés occidentaux à Rabotina. On se souvient comme les cimetières d’hommes ont soudain fleuri jaune et bleu dans toute la nation kiévienne. Quelle réussite, entièrement payée, conçue et pilotée par nos experts militaires : une gloire immense de plus à leur actif !
    Cette guerre par attrition imposait d’autres choix très logiques à l’état-major russe, qui ont souvent laissé perplexes ou critiques les observateurs pro-russes, bien à tort. Pourquoi ne pas avoir coupé les ponts du Dniepr dès le début des hostilités ? Pourquoi avoir attendu ce printemps pour détruire les centrales énergétiques du régime kiévien, hors centrales nucléaires (seuls les kiéviens sont assez irresponsables pour bombarder une centrale nucléaire, même à l’arrêt, comme celle de Zaporojié) ? Eh bien pour laisser venir l’armée kiévienne encore et encore, avec leur matériel lourd, là où les Russes ont leurs lignes de défense préparées, très à l’est du pays et donc bien plus favorable pour des questions évidentes de raccourcissement logistique. De même, il ne fallait surtout pas paralyser le pays en détruisant ses centrales énergétiques tant que l’opération d’attrition était en cours, de façon à ce que l’armée kiévienne reste aussi mobile que possible, toujours dans le même dessein. À dire vrai, il y avait aussi un autre motif à l’époque, humanitaire, qui était de limiter la souffrance du peuple civil ukrainien. Mais je crains bien que ces gentillesses ne soient plus de mise. Enfin, on peut signaler que le fait d’obliger l’armée kiévienne à venir affronter les Russes le long d’une ligne à peu près immuable a concentré les destructions sur une relativement faible portion du pays et donc préservé le reste. Je crois que c’était à un moment un objectif de l’état-major russe ; il est probable que ce n’en est plus un aujourd’hui et que la Russie a intégré le fait qu’elle devra reconstruire la majeure part des nouveaux territoires conquis.
    En fait, la guerre par attrition choisie par la Russie pour éliminer le danger ukrainien ne devrait pas surprendre puisque c’est en quelque sorte la spécialité incontestée de ce pays depuis des siècles. Les grandes manœuvres style blitzkriegs sont des exceptions dans son histoire et quand elles ont eu lieu, c’est toujours après une longue période d’attrition de l’adversaire. C’est probablement une des raisons pourquoi les Kiéviens ont été si décontenancés dans les premiers jours de l’Opération Militaire Spéciale par ce déploiement éclair en dehors de toutes les bonnes traditions locales. À la fin de la phase II, en octobre 2023, lorsque la Russie est passée à ce qu’elle appelle une « défense active », on peut estimer que l’essentiel était fait et que la suite des opérations ne ferait qu’officialiser ce qui était déjà patent : la défaite militaire de Kiev et de ses généreux patrons occidentaux. Pourquoi ? La colonne vertébrale de l’armée kiévienne est largement détruite avec la perte de ses soldats les plus chevronnés, ce qui ne peut être remplacé ni à court ni à moyen terme — les seuls termes envisageables pour une armée en perdition — l’assèchement très net des stocks d’armes disponibles chez ses généreux patrons et enfin la production d’armes et de munitions occidentale clairement incapable de suivre le rythme en accélération constante de sa contrepartie russe. Quand on connaît l’état industriel des pays occidentaux, y compris l’Allemagne, y compris les USA, et quand on regarde de l’autre côté la croissance industrielle de la Russie depuis au moins une décennie, ça n’a rien d’une surprise. Les occidentaux ont bu goulûment et avidement leur propre breuvage empoisonné, leurs propres mensonges, leur propagande absurde sur l’impotente Russie au PIB digne de l’Espagne (voir mon article précédent à ce sujet*)!
    La phase III, celle de la "défense active" a donc commencé officiellement en octobre 2023, après les fortes éclaircies dues à sa stratégie précédente. Disons que l’état-major russe a senti que l’adversaire était mûr, prêt à être cueilli. C’est alors qu’elle est partie à l’assaut du bastion cru imprenable d’Adviievka. On pourra remarquer à juste titre qu’elle avait déjà fait de même l’an précédent avec Bahrmout, au beau milieu de sa stratégie d’attrition ; soit on mettra ça sur le compte des exceptions inévitables dues à la mentalité russe, soit sur le fait qu’une opération isolée n’engage pas la stratégie globale, soit sur une erreur d’analyse de l’essayiste. Pour défendre celui-ci (si besoin était), j’invoquerai les mânes du disparu très peu regrettable Prigojin et du fait qu’il était ce qu’on appelle communément un électron libre, clairement rétif à toute stratégie venue de l’état-major. Mon idée sur la question est que si l’état-major avait été vraiment aux commandes de cette opération, et non les demi-mercenaires de Wagner, elle aurait pris un visage bien différent. De toute façon, l’opération d’Adviievka se distingue de celle de Bahrmout par le fait qu’elle a révélé pour la première fois depuis l’été 2022 l’intention de l’armée russe de pousser son avantage encore et toujours. Cette expression de « défense active » choisie par le ministère de la Défense russe, donc très officiellement, signifie que la stratégie de défense le long de lignes fortifiées à l’avance s’accompagne d’offensives limitées dans leur ampleur destinées à harceler l’adversaire, tout en conservant l’objectif prioritaire de l’attrition. Cette stratégie ne peut être payante dans le cadre d’une guerre d’attrition que si l’adversaire est déjà suffisamment affaibli, en particulier dans le secteur de sa défense anti-aérienne. Ceci permet en effet de faire intervenir beaucoup plus librement ses propres forces aériennes et réaliser par des bombardements massifs ce qui dans la phase précédente était réalisé par l’artillerie, les drones sur des unités en mouvement ; à savoir une destruction considérable des forces ennemis sans grand risque pour sa force aérienne et permettant d’attendrir suffisamment l’adversaire avant l’assaut des tranchées par les fantassins et blindés. Il y a toujours des pertes lors de l’assaut mais bien moindres que celles des défenseurs impuissants pris sous les bombardements massifs : on est bien donc toujours dans une stratégie d’attrition gagnante. De plus, les forces kiéviennes exsangues ayant par force dû se résigner à une stratégie défensive, il était devenu difficile de poursuivre cette attrition en attendant tranquillement l’ennemi dans les positions préférentielles russes.
    À la fin du dernier mois, ou peut-être même au tout début de mai — les sceptiques feront leurs propres recherches comme pour toutes les affirmations scandaleusement autoritaires contenues dans cet article — la Russie a annoncé officiellement quoique très discrètement par la voix du porte-parole des armées qu’elle était passée à la phase IV, l’offensive. Mon impression est que c’était déjà le cas depuis un petit moment. J’ai tâché de faire le compte des villages et villes (plus de 10 000 ha avant conflit) dont l’armée russe s’est emparée depuis la prise d’Adviievka à la mi-février jusqu’à la fin du mois d’avril, ce qui n’est pas si facile que ça en a l’air étant donné les va-et-vient inévitables et les désaccords entre observateurs du front (aussi bien russes qu’ukrainiens). Grosso modo, j’arrive à une vingtaine de villages et au moins trois villes prises, ce qui me paraît beaucoup pour de la « défense active ». C’est d’autant plus vrai que l’avancée russe à l’ouest d’Avdiievka a été de plusieurs dizaines de kilomètres. Quoiqu’il en soit, le nouveau terme « d’offensive » arrivé dans le lexique du très réservé Ministère de la Défense, est un signe annonciateur de gros orages à venir pour les pauvres diables poussés à la pointe de la baïonnette dans les tranchées kiéviennes par les mercenaires vert de gris de Zelenski. On imagine mal comment des missiles sol-sol ATACAMs ou des F16s si ceux-ci arrivent vraiment (c’est comme l’Arlésienne : on en parle sans cesse mais ils n’arrivent jamais) vont pouvoir leur éviter de se prendre sur la tête des pluies de bombes. Aux croque-morts : prévoyez donc 100 à 200 000 places de plus dans vos places de cimetière pour cette seule année et autant de jolis drapeaux bleus et jaunes.
    Une dernière remarque concernant cette nouvelle phase dite « offensive ». Autant que je puisse en juger, ces assauts sont toujours limités, utilisant relativement peu d’hommes et de matériels lourds, y compris dans la dernière poussée soi-disant de Hrarkov (je doute fort que cette ville soit la cible de l’opération), et je reste convaincu que le but premier de l’état-major russes reste encore et toujours l’attrition. Comme je l’ai expliqué, l’attrition se marie en général avec la défense et non l’attaque. Le fait que les Russes ont visiblement l’intention de réaliser dorénavant cette attrition par l’offensive est possiblement une innovation stratégique (à discuter avec des historiens militaires). Cette volonté est en tout cas en plein accord avec l’accent mis ces derniers jours par Poutine sur l’importance du développement qualitatif et quantitatif des drones et autres robots militaires. Si vous voulez attaquer sans trop risquer de pertes, on ne voit en effet pas de meilleur moyen qu’une armée de robots. Oh, ne vous attendez pas à Terminator, mais attendez-vous néanmoins dans un futur proche à observer la première bataille de robots et cette bataille-là ne peut être remportée que par le pays le plus industrialisé.

    J’en viens donc tout naturellement à la partie spéculative de mon essai, les stratégies prévisibles des deux camps pour le temps à venir : je m’accorde deux années de visibilité avant d’aborder l’inconnu insondable. Pour l’Otasunie, il s’agit essentiellement maintenant de masquer sa défaite par des actions de plus en plus inconsidérées à mesure que Moscou étrangle Kiev, des actions qui venant de tout autre pays moins vertueux et démocratiques seraient qualifiées de « terrorisme » mais que l’on préfère renommer comme des opérations asymétriques. Le dernier projet en date est de détruire le pont de Crimée (qui n’a guère d’importance militaire, l’armée russe ne l’utilisant plus), ce qui est presque bénin comparé à certains projets plus grandioses comme l’attaque encore et toujours de la centrale nucléaire de Zaporojié, la plus grande d’Europe dit-on. Mais même dans cette stratégie strangelovienne, les Otasuniens n’ont pas les meilleures cartes. L’an passé, les patrons de Washington ont escaladé d’un cran la confrontation en envoyant des bombes à sous-munitions à leurs sbires au trident, normalement proscrites selon les conventions internationales (mais les règles bien sûr ne sont pas faites pour Washington) ; résultat : les Russes ont répondu avec les leurs et ils en possèdent beaucoup plus. Le même résultat sera immanquablement atteint avec n’importe quel armement utilisé. Les Russes ont beaucoup plus de munitions de tous types et il est certain que cette différence ne fera que s’accroître dans les deux ans à venir. Si nos psychopathes en charge visent des cibles civiles, faute de pouvoir s’attaquer à des cibles militaires, s’ils passent par des groupuscules ou mercenaires exotiques comme cela a certainement été le cas pour le massacre du concert à Moscou, ils s’exposent à des représailles tout aussi « asymétriques ». La solution évidente serait d’entamer un véritable processus de négociations avec Moscou mais c’est justement ce qu’ils ne veulent absolument pas faire car ce serait, de fait, reconnaître leur défaite, étant donné que les termes seront dictés par le camp d’en face. La diabolisation à outrance, à toute outrance comme dirait le cavalier blanc, des Russes et de Poutine en particulier, rend la chose encore plus impossible sans perdre complètement la face. Ils se sont littéralement fait piéger par leur propre rhétorique, leur propre propagande. La vérité est qu’ils se trouvent dans la situation du général qui a coupé tous les ponts derrière lui pour obliger ses troupes à toujours avancer et qui fait maintenant face à un mur de feu, sans nulle part où se cacher.
    Les conséquences de ce conflit seront terribles pour l’Occident dans son ensemble et pire encore pour son maillon faible : l’Europe. Aux yeux du monde, du reste du monde, de la grande majorité globale, il va perdre toute crédibilité, toute légitimité, tout respect. Le mieux qu’on peut espérer après ces dernières atrocités (je compte Gaza dedans) est de finir assignés à résidence dans notre île de liberté et de démocratie jusqu’à notre décrépiscence ultime, tandis que les corbeaux et autres vautours se rapprocheront lentement en cercles de plus en plus étroits au-dessus de nos têtes.
    Pour la Russie, que les nouvelles frontières soient le long du Donbass ou le long du Dniepr à la fin de la guerre, le challenge sera la reconstruction et le poids qu’elle va faire peser sur son économie. Il n’est pas sûr, pour le moins, que les investisseurs se pressent au portillon, voyant l’étendue des dégâts et la perte démographique due à l’émigration massive de ces dernières années. Ce sera probablement long, probablement plus long que la reconstruction de l’Allemagne d’après-guerre, et se fera en plusieurs phases : la reconstruction des grandes infrastructures et des immeubles d’habitation, et seulement ensuite le redémarrage économique. En attendant, il est probable que la Russie va devoir sérieusement mettre la main à la poche pour faire vivre tous ces gens sans revenus bien établis. On peut supposer que le secteur agricole sera beaucoup plus prompt à repartir de l’avant, une fois que les champs auront été nettoyés de leurs divers engins d’artifice non récréative. On a eu la preuve que l’armée russe savait faire cela très vite, en particulier dans la région de Marioupol.
    Cependant, malgré les difficultés, cela se fera. La Russie a et aura encore plus dans les années à venir la puissance financière pour assurer le gros de la reconstruction. Actuellement, la Russie consacre autour de 6% de son PIB à la guerre (ce qui dans tous les cas n’est rien du tout comparé à une véritable « économie de guerre », contrairement aux affirmations des premiers prix Macron d’histoire et d’économie) ; eh bien elle consacrera cette somme à la reconstruction au lieu de la destruction. On peut aussi penser que le partenaire chinois sera intéressé à investir dans le projet « Nouvelle Russie » et peut-être même « Petite Russie » (c’était le nom de ces régions dans l’ancienne Russie), une fois le grand nettoyage et les principales infrastructures achevés. En fait, il n’est même pas évident que la Russie aura plus à payer que ce que l’Empire doit payer et va continuer de payer pour maintenir à flot le bateau fou et percé de toutes parts qu’est son proxy ukrainien. L’intégration des populations ne sera pas un gros problème : elles sont comme je l’ai dit très majoritairement russophiles et bien sûr russophones sans exception. On pourrait faire un parallèle avec les populations d’Allemagne de l’Est quand elles ont choisi de rejoindre la RFA. C’est d’autant plus tentant que les régions du Donbass, par faute d’investissement de la part de l’ex-nation souveraine d’Ukraine dans ces régions depuis 1991 sont très attachées sentimentalement à l’URSS ; tout ce qu’il y a encore de solide ici date en effet des soviétiques, ce qui rend les autochtones quelque peu nostalgiques de cette période. J’entends assez souvent des Russes s’étonner de l’atmosphère soviétique qui règne ici, comme si tout l’est (et le sud) de l’ex-Ukraine s’était figé dans le temps. Néanmoins, par comparaison avec la Crimée, qui était dans un cas similaire mais qui a de l’avance, on peut deviner que ces réticences fondront comme neige au soleil devant des retraites et des salaires plus élevés, une assurance sociale très généreuse (aussi généreuse en fait que celle qu’avaient les Français il y a trente ou quarante ans, en conjonction avec un système de santé très performant) des infrastructures neuves et surtout de vraies perspectives d’avenir. Et la Russie n’est pas la grosse dinde d’Allemagne, farcie par l’orifice habituel (je ne vous dirai pas par qui sauf que c’est un amateur de dindes et que son petit nom est Sam). Elle a un énorme potentiel qui va croissant ; investir n’est pas du tout un problème pour elle, c’est juste la question d’atteindre un degré d’attractivité suffisant car contrairement à ce que nos lavés du cerveau croient, ce n’est pas Poutine qui décide de tout en appuyant sur un bouton depuis son bureau du Kremlin. En appuyant sur un bouton, on peut éventuellement détruire un paquet de choses mais on ne peut rien construire.
    Le seul danger important qui guette dans les deux années à venir la Russie et le monde avec elle, n’est pas l’essor du terrorisme venu des restes fumant de l’Ukraine occidentale et occidentalisée, très prévisible en effet. Elle sait gérer comme on dit, elle a toute l’expérience qu’il faut : merci Washington, merci la CIA. En gros, elle saura faire passer le goût de ces aventures aux occidentaux et à Washington en particulier, au moins dans ses plates-bandes. Non, le danger est la prise de conscience actuelle de l’Occident de son incapacité à rivaliser avec la Russie dans le domaine des armements conventionnels. Le risque numéro 1, clairement identifié par les leaders russes, est donc la tentation pour quelques têtes brûlées occidentales (et ce n’est pas ça qui manque entre le derviche tourneur Macron, l’écervelée Von der Leyen et le sénile Biden, parfaitement mûr pour un second mandat selon les critères washingtoniens) d’utiliser des munitions nucléaires tactiques. Soyons clair, si Washington a la conviction qu’ils s’en tireront sans trop de dégât de leur côté, protégés des retombées par les deux océans, ils le feront, ou ils pousseront ces niais d'Européens à le faire pour eux. Et c’est pourquoi, très régulièrement, Poutine ou Shoïgou ou un autre doivent rappeler à ces irresponsables que la Russie est prête aussi pour ce genre d’actions et que leurs décisions auront des conséquences très désagréables pour tous les envoyeurs. D’après la plupart des gens mieux versés que moi dans cette matière, n’importe quelle munition nucléaire employée dans un conflit entre puissances nucléaires, même tactique (à faible rayon d’après ce que j’ai compris) entraînera fatalement une escalade menant à la guerre nucléaire totale.
    Pour finir par une note plus optimiste, raisonnablement optimiste, je dirai que la Russie, en payant beaucoup de sa personne, comme d’habitude, est en train de tracer la voie difficile et périlleuse qui nous éloigne de l’ancien monde, celui des empires hégémoniques, très belliqueux, ne supportant ni la contradiction ni la concurrence, pour aller vers le nouveau, beaucoup plus civilisé, mieux partagé, plus tolérant, plus divers. Oui, le monde est sur la bonne voie… tant que ça ne se termine pas en guerre nucléaire.

*Notons ce qui est tu soigneusement par nos grands et même petits médias : La Banque Mondiale, organisme peu susceptible de biais pro-russe, vient de faire paraître ses derniers calculs de PIB. Contrairement au FMI, elle recalcule tous les cinq ans les PIB nationaux en parité de pouvoir d'achat, estimant à juste titre que c'est beaucoup plus représentatif de la réalité d'une économie, bien que ça soit beaucoup plus compliqué et long à réaliser (d'où les cinq ans). Eh bien, ils se sont aperçus à New-York, oh surprise consternante, que la Russie était devenue la quatrième puissance mondiale économique mondiale, devant l'Allemagne et juste devant le Japon... et ceci depuis... 2021! Si on ajoute à ça que la Banque Mondiale est la première à reconnaître qu'il y a environ 40% de l'économie russe qui échappe à sa comptabilité, ça donne une tout autre perspective de la Russie actuelle que les bobards habituels.

(Une vidéo intéressante et quelque peu émouvante pour terminer, concernant la reconstruction de Marioupol, faite par un habitant de la ville : comparaison entre Marioupol avant 2022, pendant la bataille et actuellement, dans sa phase de reconstruction.)