samedi 13 janvier 2024

Le soleil se lève à l’est et se couche à l’ouest : quoi de plus naturel ?



   Il n’est sans doute pas nécessaire d’être particulièrement éveillé pour comprendre le double sens de mon titre digne de M. de La Palice. J’ai précédemment consacré quelques articles — comme celui-ci ou celui-là — au basculement de civilisations qui est en train de se produire sous nos yeux mais je m’étais jusqu’ici focalisé sur la Russie. J’avais laissé un peu dans l’ombre son voisin chinois pour deux raisons : d’abord par manque d’affinités et ensuite par méconnaissance. Ayant quelque peu rectifié le second point (je ne peux pas faire grand-chose pour le premier encore qu’on pourrait argumenter qu’une plus grande connaissance est généralement associée à une plus grande empathie), je vais centrer cet article sur la Chine, puisque tout le monde, en dehors des sourds et des aveugles, est d’accord pour lui reconnaître la fonction de principale et peut-être seule locomotive de l’économie mondiale actuelle.
   Tout d’abord, admettons un biais évident : la Chine n’est pas ma tasse de thé, ce qui signifie que je dois combattre une sorte de répulsion atavique pour m’intéresser au sujet. Selon la définition la plus habituelle d’une dictature, je suis prêt à accepter le fait que le Parti Communiste Chinois exerce une dictature sur ce pays depuis la bagatelle de huit décennies. Que cette dictature soit de nature communiste est en réalité un détail parfaitement secondaire à mes yeux. Là où je diffère de la doxa en vigueur par ici est que je n’attribue aucune valeur morale à cette constatation. Je ne nous crois pas supérieur parce que nous aurions la chance de pouvoir voter pour Tweedledum ou Tweedledee. Le seul fait que ce PCC a sorti huit cent millions de Chinois de la grande pauvreté en deux ou trois décennies est à mes yeux un argument suffisant pour fermer le bec à tous ces occidentaux donneurs de leçons. C’est la preuve incontestable que ça marche… pour les Chinois. Ça ne veut pas dire que ça marcherait pour les Français. En fait, je suis à peu près sûr du contraire (même si l’épisode incroyable du Covid, cette suspension presque totale du contrat démocratique pour une bagatelle sous les applaudissements de la très grande majorité, pourrait laisser espérer le contraire à certains).
   L’idée que la politique des leaders chinois a été imposée depuis tout ce temps à une population docile et abrutie est évidemment un conte pour faire peur aux petits enfants blancs. La vérité est que l’immense majorité des Chinois approuvent sans se faire prier leur gouvernement, aussi autoritaire puisse-t-il être, et avec d’excellentes raisons. J’ai fréquenté durant ma vie un certain nombre de Chinois, à l’école, au travail et même j’ai eu l’honneur d’en avoir dans ma famille proche par ce phénomène d’appariement involontaire qu’on nomme belle famille et j’ai toujours été frappé par le fait qu’ils réagissaient à notre vision de leur pays avec un mélange d’indignation et d’incrédulité. Hé oui, semblaient-ils nous dire, on vous a complètement lavé le cerveau pour croire de pareilles balivernes. Et ils avaient raison pour l’essentiel. La propagande antichinoise est tellement prégnante par ici, qu’on la respire depuis la naissance, qu’on n’y fait même plus attention. Je sais bien sûr tout des tropes du Chinois fabricant de seconde classe, du Chinois dissident qui voit sa carte de crédit social s’amenuiser comme peau de chagrin jusqu’à son arrivée fatale au Ministère de l’Amour, du Chinois mangeur de Ouïghours et de corne de rhinocéros, du Chinois constructeur de villes fantômes qui font croire que l’économie est florissante, du Chinois fourmi, du Chinois qui fait chiiiin… puis tok en s’écrasant lamentablement du haut de sa tour de Babel. L’histoire de la catastrophe imminente qu’est ce château de sable de l’économie chinoise, j’y ai eu droit depuis des décennies : c’est un peu comme le nouveau peak oil ; on en parle sans cesse mais on doit sans cesse le reporter… dans dix ans. En attendant, les Chinois continuent de bâtir des villes fantômes ou pas, des voies à grandes vitesse, des fusées lunaires et bientôt martiennes, des centrales nucléaires par dizaines, à peine moins que les Russes (ah, ah, rappelez-moi combien de centrales on a construit ces vingt dernières années, c’est-à-dire des centrales qui produisent, hein, pas comme l’Arlésienne dont on parle tout le temps mais qui n’arrive jamais, histoire de rire), des bateaux, des avions, des voitures*, et bien entendu des puces dernier cri, investissent massivement en Afrique, en Europe, en Océanie, en Asie évidemment. Quand un nain essaie de regarder un géant en face, cela lui fait tellement mal au cou qu’il préfère ne pas le voir du tout. Nous sommes maintenant dans cette position.
   J’ai connu à l’école une Chinoise qui a tenté un moment de m’inculquer les rudiments de son écriture. Si elle avait été plus à mon goût, j’aurais sûrement poursuivi la leçon, d’autant qu’elle semblait particulièrement désireuse de m’apprendre tout sur les idéogrammes qui disent je t’aime. Sérieusement, l’écriture est leur point faible. Quand dans dix, vingt ou trente ans, nos descendants auront le choix entre le chinois et le russe pour ne pas mourir idiot (ou le ventre vide, ce qui est encore plus désagréable), il est à parier qu’ils opteront massivement pour le russe. Certes le russe est une langue difficile, franchement ardue même, aussi horriblement compliquée que le français, mais comparée à ce saut culturel qu’est la langue mandarin, cela leur semblera une promenade de santé.
   Un point important pour la période qui s’ouvre, cette domination culturelle de l’orient sur l’occident que j’entrevois dans mes moments d’optimisme, qui devrait modérer la terreur de Mme Dupont ou Mr Smith devant ce grand chamboulement à venir tient justement à une de nos divergences culturelles les plus profondes : l’absence chez les Chinois de désir de « réformer » les autres peuples, les autres cultures. Ils ont la main lourde pour réformer leur propre nation, leur propre peuple, comme on a pu le voir, mais rien de ce que j’ai pu entendre de la bouche d’un politicien chinois ou mieux d’un intellectuel chinois, ne laisse à penser une seconde que c’est un objectif à moyen ou long terme en ce qui concerne ces peuplades étrangères et exotiques dont nous sommes. Je ne sais pas si c’est à mettre sur le compte d’une indifférence bouddhiste, d’un égoïsme ou de quelque sagesse supérieure, mais de toute évidence, ils nous laisseront tranquilles dans nos choix politiques et culturels, aussi désastreux soient-ils, et se satisfairont comme toujours de faire hi-hi ! tant que nous n’essaierons pas de leur apprendre à vivre. Et ça, c’est justement ce que nous sommes le moins capable de faire : la psychologie occidentale est fondamentalement celle de « tu es avec moi ou contre moi » et de « si j’ai raison, c’est que tu as tort » et « puisque je suis bon et que tu ne penses pas comme moi, c’est que tu es un méchant » et enfin le très fameux « je sais ce qui est bon pour toi et je vais te l’inculquer à grands coups de botte ». C’est le plus grand problème pour tous les peuples qui ont affaire avec nous. Et cela peut mener aux plus grandes folies, comme on peut le voir en ce moment avec les Israéliens dans leur opération de nettoyage ethnique des plus vertueux (la liquidation du ghetto de Gaza est la quintessence de ce travers que je vais décrire plus loin).
   La grande et la seule question vraiment existentielle aujourd’hui est : est-ce que nous allons réussir à apercevoir enfin l’autre bout du tunnel sans que quelqu’un d’intensément vertueux, certainement dans l’Ouest, ou en Israël (qui n'est autre qu'un poste avancé de l'Empire), n'appuie sur le bouton rouge ? Malheureusement, il y a en ce moment de nombreux signes que Washington cherche un conflit majeur, que ce soit avec la Russie, avec l’Iran ou avec la Chine, et les leaders yankee n’ont pas besoin d’Israël pour les inciter à nous faire un bel Armageddon (Si, si, c’est très beau une explosion nucléaire, la nuit… mais c’est bref). L’Iran est actuellement devenu leur cible numéro 1. Bien sûr, on peut estimer que la puissance militaire yankee (je ne compte pas son inséparable acolyte, ce champion par procuration, plus matamore que Macron, le roquet d’outre-Manche) est probablement encore capable de vaincre l’armée iranienne, même aussi loin de ses bases, et sans faire usage de moyens non conventionnels, mais il faudrait être particulièrement crédule pour penser que la Russie et la Chine laisseront faire à l’Iran ce que nous (excusez-moi d'insister lourdement sur le nous) avons fait à la Lybie, sous le prétexte grotesque de lui apporter liberté et démocratie, ou à l’Irak, sans nous pour cette fois (la dernière où un gouvernement de ce pays aura montré un sens de l’intérêt national, sans parler de la justice, qui n' a pas de frontières). Et à partir de ce point, il devient très difficile d’imaginer que nous puissions échapper à la troisième guerre mondiale.
   Les Biden, Blinken, Bolton, Kirby, Nuland, Sullivan et consort ont la mentalité du joueur désespéré qui vient d’encaisser une série perdante. Au lieu de prendre ses pertes et de quitter la table, son instinct le pousse à tenter letout pour le tout, dans l’espoir irrationnel qu’il va au moins refaire ses pertes. Un esprit plus froid aura beau lui dire que les chances sont horriblement contre lui, il ne peut pas s’en empêcher. Ils ont aussi la mentalité de ceux qui sont restés impunis durant des décennies, qui pensent qu’ils vont continuer à faire et défaire les règles du jeu mondial quand bon leur semble, la mentalité de ceux qui pensent : quoi que je puisse faire, c’est légal (ou du moins légitime) puisque je suis le plus vertueux. Il semble que cette particularité psychologique leur a été léguée par le lobby juif, très actif à Washington. Un autre trait bien yankee est son ignorance de la défaite, la vraie (je ne parle pas des multiples débâcles, en Corée, au Vietnam, en Afghanistan, en Irak, etc.), de la défaite écrasante qui vous détruit les fondements même de votre société (un excellent exemple est l’Ukraine actuelle). Intellectuellement, bien sûr, ils peuvent la concevoir mais ce n’est qu’un jeu de l’esprit, bon à alimenter en thrillers ou films catastrophe la machine à fantaisies qu’est devenu ce pays. Ils ne le sentent pas vraiment, ils n’en ont pas eu un échantillon depuis leur guerre civile. Cette ignorance les rend d’autant plus téméraires, d’autant plus aveugles, comme le joueur qui ne croit pas qu’il peut finir assis sur un carton dans la rue avec sa sébile à la main.
   Aussi, tout bien pesé, je corrige mon titre : si le soleil se lève, ce sera à l’est ; mais il pourrait bien aussi ne pas se lever du tout, par la faute de ces dangereux fanatiques que j’ai nommés, les plus sanglants terroristes qu’on ait vu de mémoire d’homme, et dont certains spécimens se trouvent malheureusement à l’heure actuelle aux commandes d’une puissance potentiellement létale pour l’espèce humaine.

* Note du 21/01/2024 : coïncidence amusante, je viens d'apprendre que la Chine vient de dépasser le Japon pour les exportations de voitures pour 2023 (en nombre, mais c'est bien ce qui compte) et est devenue de ce fait le premier exportateur mondial pour cet article aussi.

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