vendredi 25 décembre 2015

Philip K. Dick et le cinéma




Dick n’a pas eu beaucoup de chance avec le monde littéraire durant sa vie mais son fantôme au moins peut se consoler en se disant qu’il en a beaucoup avec le cinéma. Le nombre de ses textes, romans et nouvelles surtout, qui ont été adaptés au cinéma, voire plus récemment en série vidéo, est tout à fait impressionnant : je vous laisse le vérifier en allant voir sur Wiki.

Tous ses textes n’ont pas donné lieu à des chefs d’œuvre du septième art et il faut dire ici que tous ses textes adaptés n’étaient pas des chefs d’œuvres de la littérature, loin s’en faut. Actuellement, je n’ai pas encore réussi à visionner toutes les adaptations vidéographiques qui ont été faites à partir de ses récits mais j’en ai vues tout de même une bonne part, des films très connus, d’autres beaucoup moins. Aussi il y a une remarque générale que je ferai tout de suite, absolument frappante dans le cas de Dick. La remarque est la suivante : les meilleurs films sont tirés d’œuvres secondaires ou trop brouillonnes pour être qualifiées de réussites ; ses meilleures histoires — parmi celles qui ont fait l’objet d’adaptation(s) — ont donnés des films de série B plutôt moyens. La seule exception à cette règle que je peux voir est la très récente adaptation de son roman The Man In The High Castle en série vidéo (seule la première saison est sortie mais elle est réellement excellente) sauf que l'intrigue n'a plus grand chose à voir avec le roman  du moins la partie que j'ai lue. Et encore, je fais là abstraction de mes propres goûts, considérant seulement le nombre de prix et de louanges critiques reçus par ce roman de Dick ; car personnellement je n’ai jamais réussi à finir le livre après deux tentatives, malgré son écriture pour une fois très soignée. Et c’est bien le seul livre de Dick que j’ai laissé tomber. J’appellerai ce paradoxe, assez courant comme on verra, et pas seulement dans le cas discuté, le syndrome Dick.

Durant l’année 1953, un bon millésime visiblement pour Dick quoiqu’il n’ait eu alors que vingt-cinq ans, il a écrit deux textes qui ont très ultérieurement retenus l’attention d’Hollywood. Il s’agit de la nouvelle intitulée Imposter (orthographe inhabituelle apparemment en relation avec the imposter syndrome, le syndrome de l’imposteur) et de la novella intitulée Second Variety. Vous n’avez peut-être jamais entendu parler de ces deux films sauf si vous aimez les films de série B. Ces films, intitulés Impostor (2002) et Screamers (1995), sont dans l’ensemble fidèles aux récits originaux, en particulier le second qui est quasi la transcription exacte de la novella. Néanmoins, sans être mauvais, aucun des deux ne donne une grande idée de l’originalité et du talent de Dick. Car si la première nouvelle de Dick est juste bonne pourrait-on dire, la seconde est franchement remarquable : un long récit au cordeau parfaitement maîtrisé et pourtant remarquablement original et personnel par ses thèmes, surtout si on considère l’époque à laquelle il a été écrit. J’ajoute que cette nouvelle a inspiré quantité de films ou séries, allant de Terminator à Battlestar Galactica.

La nouvelle écrite seulement trois années plus tard, Minority Report, est un autre exemple frappant du syndrome Dick, mais inversé par rapport à Second Variety. En effet, la nouvelle est très moyenne, présente des faiblesses en particulier au niveau des personnages et de la dramaturgie, pas vraiment efficace. Enfin et peut-être surtout, Dick semble être passé à côté du thème fort de son histoire — une police qui vous arrête et vous envoie en camp de détention (dans la nouvelle) sans jugement sous prétexte que trois mutants idiots dotés d’une tête trop grosse vous ont vu commettre un acte regrettable dans un des futurs possibles — et des implications effrayantes qu’il recèle. Ni le sort horrible des trois idiots encagés et branchés ni le sort des malheureux incarcérés par Precrime ne semble beaucoup l’intéresser. La nouvelle est ratée dans l’ensemble mais comme je l’ai expérimenté moi-même, ce sont souvent les ratés des autres qui vous inspirent le plus. C’est évidemment le cas pour les auteurs du film de 2002, de très bonne qualité lui et qui s’est nettement recentré sur l’essentiel, même s’il y ajoute une intrigue policière relativement convenue (toutefois supérieure à celle imaginée par Dick). Remarquons, pour ceux qui n’ont pas lu la nouvelle, que le rapport minoritaire n’en est pas un puisqu’il n’existe aucun rapport majoritaire et qu’on devine bien que si Dick avait mis dix précogs au lieu de trois, il y aurait eu dix rapports différents.

En 1966, Dick écrit We Can Remember It For You Wholesale. C’est à mon avis une de ses meilleures nouvelles, au moins parmi celles qui ont été adaptées. Néanmoins les deux films qui en ont été tirés sont très décevants, le dernier en date est même au-dessous de tout ce qui s’est fait en matière de films dicksiens. Il s’agit bien sûr de Total Recall. La première mouture de Verhoeven est honorable dans sa première partie, assez fidèle au livre, avant de dégénérer complètement. Il faut noter que dans l’histoire originale, contrairement à la première version filmée, le héros n’arrive jamais sur Mars.

1968 est sans doute pour Dick une moins bonne année que 69, par exemple, littérairement parlant, mais elle lui a permis de donner le jour au roman qui fera de lui un homme riche et célèbre, avec l'inconvénient d'être mort : Do Androids Dream Of Electric Sheep ? qui deviendra au cinéma Blade Runner. C’est à mon sens et celui apparemment de pas mal de monde le plus beau film de science-fiction réalisé à ce jour (personnellement, je ne vois que le Solaris de Tarkovsky pour, sinon l’égaler, au moins le talonner). De la poésie pure en action. Une réussite artistique sur tous les plans : réalisation, scénario, dialogues, lumières, décors, musique, jeux des acteurs. Du roman complexe et plutôt confus (comme souvent chez Dick), mêlant deux intrigues et au moins trois thèmes principaux, dont celui bien sûr de la dualité humain/machine ou nature/artifice, Ridley Scott a tiré une tragédie simple, belle et émouvante.

Je pourrais mentionner aussi Paycheck, A Scanner Darkly, deux films que j’ai vus, mais cela n’ajouterais pas grand-chose à ma conclusion. Il semble donc bien que ce soient les textes de Dick les plus inachevés, parfois presque brouillons, qui ont donné matière aux plus belles adaptations. Cela n’est pas réellement étonnant. Si tout est déjà dans le livre, l’adaptateur se retrouve coincé et ne dispose pas de la liberté créative nécessaire à toute œuvre de valeur. Il ne peut faire qu’une pâle copie. C’est justement dans les blancs ou les égarements de l'auteur que l’adaptateur, qu’on doit alors appeler recréateur, peut faire intervenir sa propre imagination, sa propre vision de l’histoire et retravailler le minerai brut ou tout juste dégrossi. Mais naturellement pour ça, encore fallait-il que la matière précieuse soit présente à l’origine.

jeudi 17 décembre 2015

L'inspiration : une valeur en chute libre

    

Illustration pour La Porte, nouvelle "inspirée" par C.A. Smith
   De nos jours, il ne fait pas bon parler d'inspiration si vous êtes écrivain ou artiste, et encore moins si vous n'appartenez à aucune de ces deux catégories. Vous passeriez pour un mythomane, un inadapté, un fainéant, un parasite ou, ce qui est pire car il réunit les quatre dans l'imaginaire contemporain, un poète. Ne vous laissez jamais traiter de poète. Si vous ne comprenez pas pourquoi, c'est que vous n'en êtes probablement pas un et c'est tant mieux pour vous.

   Il n'y a pas de véritable poésie sans inspiration. Je ne vais perdre mon temps à essayer de vous démontrer cette affirmation ; c'est un axiome. Il n'y a pas d'art qui vaille sans poésie. Voilà mon second postulat indémontrable. Il va donc de soi qu'il n'y a pas d'art qui vaille sans inspiration.

   L'inspiration est ce moment magique, bref et intense où de nombreuses idées, de nombreuses images, de nombreuses émotions se cristallisent sous une seule forme si lumineuse, si évidente que vous ne pouvez pas vous empêcher de penser : « Bon sang mais c'est bien sûr ! » ou « Eurêka ! » si vous êtes grec et nettement plus distingué. Ce n'est pas une idée, c'est un véritable monde qui vous est donné à voir. Pour un écrivain, l'inspiration apporte un gain de temps et de confort considérable, sans parler du reste. Tout est si clair, si précis, si détaillé que vous n'avez presque qu'à laisser courir la pointe de votre crayon si vous êtes adepte, comme moi, de ces ustensiles préhistoriques, ou taper comme un pic épeiche devenu fou sur votre clavier d'ordinateur. Eh oui, ça n'arrive pas que dans les romans et les films.

   Dans mon cas, l'inspiration, telle que je l'ai définie plus haut, procède de causes secondaires bien distinctes. A dire vrai, je suis incapable de remonter à la source. Mais dans de nombreux cas, je peux retrouver cet élément déclencheur. Souvent, il s'agit bien sûr d'un souvenir d'une chose vue ou vécue, parfois il y a très longtemps et parfois très récemment, parfois en apparence insignifiante ou qui m'avait paru telle. Cela peut aussi être une réflexion, un simple fil de réflexion qui, soudain, quand vous l'avez tiré assez longtemps, se révèle appartenir à une immense tapisserie. Dans plusieurs cas, il s'agit d'un rêve, d'un rêve fait en dormant, qui m'a presque dicté le texte à mon réveil (dans ce cas-là, différer est une grave erreur) même si la matière rêvée doit obligatoirement subir une sorte de traduction pour avoir un intérêt littéraire. Dans deux cas au moins, le catalyseur a été la lecture d'un texte — une fiction généralement — d'un autre écrivain, qui m'a semblé tenir une idée forte et qui ne s'en est pas servi ou de façon très marginale, ce qui m'a visiblement fortement contrarié. Je pourrais citer ainsi une nouvelle de Clark Ashton smith qui a eu cet effet sur moi. Peut-être, si vous êtes amateur de fantastique et même si vous ne l'êtes pas, avez vous lu cette belle nouvelle de lui intitulée Morthylla, assez facile à trouver dans notre langue. Ce n'était pas celle-là. L'histoire qui m'a inspiré, beaucoup plus faible, s'appelait, je crois, et du moins dans sa traduction française, Meurtre dans la quatrième dimension. Une autre nouvelle de science-fiction, de Gene Wolfe, intitulée To the seventh (non traduite à ce jour selon ma connaissance), m'a récemment inspiré, pour les mêmes raisons, L'ange tombé du ciel. Je peux même trouver un cas, celui de mon dernier petit roman en date,  D'étoile en étoile, de porte en porte, qui m' a été inspiré par une série TV, en l'occurence le début de Stargate Universe, qui aurait pu être une excellente série si les scénaristes ou les producteurs ne s'étaient pas pris les pieds dans le tapis au bout de deux ou trois épisodes. Néanmoins je doute fort que si quelqu'un venait à lire ce roman après avoir vu les premiers épisodes de la série, sans avoir lu ces lignes, il penserait jamais à faire le rapprochement entre les deux tant l'inspiration, justement, m'a éloigné de ce point de départ. C'est vraiment un phénomène très étrange et qui rappelle le rôle d'un catalyseur dans une réaction chimique ; sans lui, pas de réaction, mais à la fin de la réaction, il est quasi impossible à détecter.

   Bien sûr, on ne peut pas compter toujours sur l'inspiration. Elle vient quand ça lui chante et vous me direz qu'on a besoin de manger tous les jours. Vrai. Mais ça c'est une autre histoire et vous la connaissez déjà suffisamment pour que je ne vous la raconte pas à mon tour.

Liens :
Morthylla et Meutre dans la quatrième dimension : ici
To the seventh (en anglais) : ici 
  D'étoile en étoile, de porte en porte

dimanche 6 décembre 2015

Science-fiction : des écrivains du ghetto



   
Ambiance pour l'uchronie cauchemardesque de The man in the high castle
   

  Quelqu’un a dit — Gandhi peut-être, ou sa légende — à propos de ses adversaires : « d’abord ils vous ignorent, ensuite ils vous ridiculisent puis ils vous combattent et alors vous avez gagné ». Malheureusement, les écrivains du ghetto, en particulier celui de la SF, se trouvent toujours à la première case. On pourrait même dire sans prendre beaucoup de risque que leur statut s’est encore détérioré durant la seconde moitié du vingtième siècle. Où sont les Jules Verne, les H.G. Wells, les Edgar Poe, les Jack London, les George Orwell aujourd’hui ? Ces écrivains avaient une réputation littéraire qui n’avait pas grand-chose à envier à celle de leurs confrères mainstream et avaient parfois même pignon sur rue. Vous me direz que Bernard Werber ou l’auteur inoubliable des aventures d’Harry Potter dont j’ai oublié le nom ont eux aussi pignon sur rue. Oui, mais quelle descente ! Ces écrivains de gondole de supermarché ont autant à voir avec la littérature que les aventures d’Alice revues par Walt Disney ou le roman Anna Karénine revu et corrigé par les fumeurs de havanes de Hollywood. Les auteurs de SF ou de fantastique veulent et on le droit d’être jugés selon les mêmes critères que les auteurs mainstream. On pourrait alors comparer. Alors la vérité serait criante : d’abord, les premiers ont quelque chose à nous dire quand les seconds n’ont presque plus rien ; ensuite, ils sont environ cent trente-deux fois plus novateurs et originaux que les derniers ; et enfin ils sont, en moyenne, bien meilleurs écrivains. Comment a-t-on pu en arriver là ? Justement en ghettoïsant les premiers et en prenant soin qu’ils ne ressortent pas de leur petit monde où ils peuvent continuer de tourner en rond tout à loisir. Maintenir l’ignorance est le mot d’ordre des cercles au pouvoir. Oh, on ne leur a pas mis d’insigne infamant sur le revers de la veste — quoique : allez donc mettre un gros SF sur la jaquette des derniers Houellebecq (horrible romancier s’il en est) comme il aurait été attendu, vu les thèmes abordés, et vous auriez vu l’effet sur les foules (et sur les jurys de prix littéraires) on a fait bien pire : on le leur a greffé dans le cerveau. Le piège est quasi parfait. Soit vous vous coulez dans le moule tout prêt pour l’écrivain de SF/Fantasy à futurs (hypothétiques) best sellers et renoncez à à peu près tout ce qui fait qu’un livre vaut la peine d’être lu et relu, soit vous vous en écartez et vous êtes condamné à travailler comme un forçat pour arriver, tout juste, dans le meilleur des cas, à joindre les deux bouts. Peut-être qu’arrivés à ce point, vous me citerez, pour le plaisir de me contredire, le nom fameux de Philip K. Dick. D’accord, il a réussi, je l’avoue, probablement même réussi au-delà de ses rêves. Même Hollywood et compagnie sont à genoux devant son Œuvre (je vous conseille en passant la remarquable série commandée dernièrement par Amazon — mais oui ! — tirée de son roman the man in the high castle). C’est indiscutable : Dick est devenu riche, célèbre et on le demande partout. Le problème, c’est qu’il est mort avant de l'être. Il n’a même pas eu la chance de visionner le film qui allait le rendre célèbre : Blade Runner. Et toute sa vie a été un combat perpétuel pour faire bouillir la marmite. Dick a eu la “chance” de s’évader du ghetto par la plus étroite porte qui soit : celle qu’on a vissée sur son cercueil.
   Comme je disais, le piège est parfait. Soit vous jouez le jeu de ce petit monde qui tourne en rond et tout va bien pour vous, ou disons pas trop mal, sauf que vous tournerez vous aussi en rond. Vous bénéficierez d’un auditoire, petit certes généralement, mais plutôt fidèle, du moment qu’il y a le sigle SF écrit en gros bien au milieu sur votre bouquin. Mais si vous ne suivez pas les règles du jeu, attention ! Vous ferez fuir le lectorat d’aficionados, qui détestent, souvent à juste titre vu ce qui se publie de nos jours, tout ce qui tend vers la littérature mainstream, et vous serez snobé comme avant par le public mainstream, car votre insigne infamant n’a nullement disparu comme vous pourriez naïvement le croire. Donc vous perdez sur les deux tableaux. C’est le sort le plus commun réservé à tous les auteurs de SF qui ont tenté la grande évasion. Dick bien sûr, mais aussi Sturgeon, Wolfe, Crowley, Le Guin, Tiptree et bien d’autres sont là, ou étaient là, pour en faire la démonstration. Dans le meilleur des cas, si on peut dire, vous serez réintégrés par la communauté que vous avez tenté de fuir après avoir battu votre coulpe et signé votre reddition complète sous la forme de quelques pavés monumentaux et à peu près ineptes, en plusieurs volumes naturellement, du genre Helliconia ou Majipoor (traduire par « pauvre magie »).
   Et pourtant, malgré tous les obstacles, les véritables murs dressés partout autour de ces audacieux explorateurs, c’est bien à eux que l’on doit que la littérature de ces dernières décennies, tous genres confondues, n’a pas entièrement rendu l’âme et a continué, vaille que vaille, à explorer de nouveaux territoires vierges et dangereux de l’esprit humain.
   En remarque finale, j’ajouterai que ce que je décris dans le monde littéraire est apparemment en train de contaminer d’autres secteurs, peut-être plus inattendus, comme les séries TV. Franchement, les séries les plus novatrices, les plus osées sur le plan du discours (à vingt mille lieues du politiquement correct), les plus mémorables, ne sont pas venues ces derniers temps de la littérature mainstream mais bien de la SF, de la fantasy ou du policier : je pense à l’exceptionnelle audace du Battlestar Galactica nouvelle version, qui, malgré son titre, n’a vraiment rien de la série plutôt ringarde et kitsch des années 70 (ou 80 ?), je pense à l’excellente adaptation de a song of ice and fire de G.G. Martin intitulée justement mais moins joliment Games of Thrones, aux deux premières saisons de Breaking Bad ou encore aux premiers épisodes, magnifiquement scénarisés, réalisés et joués de the man in the high castle (espérons qu'il y ait une suite), voire à la seconde saison de The Walking Dead (remarquable de tension dramatique après une première saison très inégale et avant, hélas, le grand guignol répétitif et sanguinolent qui suit).
   N'y aurait-il pas là des signe que quelque chose est en train de bouger dans ce ghetto ? Ces murs vont-ils tomber, enfin, après que bien d’autres, qu’on aurait cru plus durs et mieux protégés, soient tombés ?

Pastiche de la Cène dans cette série hors-série : à noter que Gaïus Baltar, le "traître"de l'histoire, occupe bien la place de Judas. Le fait qu'une actrice se soit dédoublée n'est pas une erreur et sera compris par ceux qui savent qui est Head Six.

lundi 23 novembre 2015

Gene Wolfe's Starwater Strains : a review





I
n my opinion (humble or not), Wolfe is a marvelous story teller and one of the four or five greatest writers of the age, in genre or out.
Starwater Strains is his last collection of short stories until now and the last I read, and, more unfortunately, it is perhaps the least too.
First, it is read on the cover that it's a "New Science Fiction Stories" collection; here is a double misstatement : in fact, there are some SF stories, indeed, and some fantasy stories and at least one story which is neither SF nor fantasy story, as far as I can see. Besides, there are some old stories. But it's not the point.
Here is the point.
In Starwater Strains, there are, as usual, a lot of inscrutable stories (Wolfe's favorite saying seems to be why make it easy when you can make it hard): among these, some are good, like “Games In The Pope's Head”, some are less good like "The Fat Magician".
There are some exercises in style, some in the best English like “In Glory Like Their Star” but a little boring for my taste, some in sort of funny dialects like “The dog of The Drops” (this one seems to be a game where you have to replace the wrong or missing letters).
There are some investigation stories where the investigator is a Doctor in religion and folklore (Does this really exist in the US ?) like “Lord of The Land” or an (exo)archaeologist like “The Seraph from its sepulcher”.
There is one story it is said to be a SF post-apocalyptic story though it is actually a pretty good fantasy story (“Mute”) and one story, a good one also, it is never said to be a SF post-apocalyptic story but it is (“Petting Zoo”).
There is a couple of stories which could feature in some Best Short Stories of Gene Wolfe, like “Pulp cover” or “The Seraph...” and more stories which could feature in some Wolfe's Worst.
Now, I read all his collections of short stories, with some novellas in there, and I can give a verdict : Starwater Strains is the weakest of his collections, not really bad, but this is definitively not the book to start with if you are to discover Wolfe. I would rather advise a new and genuine reader who prefers short stories (and novellas) like I do to look for his first collection “The island of doctor Death and other stories and other stories” or this other one, by far my favorite (but not necessarily better), “Storeys from the old hotel”.


Starwater Strains
Another of my home-made English articles about Wolfe: here.
Malheureusement, le recueil dont il est question, ainsi que le dernier cité ne sont disponibles qu'en version originale, d'où la chronique en anglais. Si vous êtes intéressé par Gene Wolfe, voici un ou deux liens utiles, en anglais : 
http://www.wolfewiki.com/pmwiki/pmwiki.php?n=WolfeWiki.Contents
et en français :
http://jeanlevant.blogspot.fr/2014/08/une-lignee-fantastique-lovecraft-borges.html 

jeudi 22 octobre 2015

Les personnages ou l'intrigue : il faut choisir

    Tout écrivain débutant est amené assez rapidement à découvrir cette ennuyeuse réalité : si vous privilégiez les personnages dans vos histoires, l'intrigue en pâtit et inversement si vous privilégiez l'intrigue. C'est fromage ou dessert, rarement les deux, pour ne pas dire jamais. Et si vous refusez de choisir, vous risquez fort de n'avoir ni l'un ni l'autre au bout du compte.
    Généralement un écrivain choisit une fois pour toutes si ce sera fromage ou dessert et s'y tient durant sa carrière littéraire, par goût ou par nécessité, ou plus probablement par un mélange des deux. Néanmoins, il existe des grandes tendances qui dépassent largement le cadre individuel. Ainsi, on peut dire que les anglo-saxons ont tendance à choisir dessert, l'intrigue, quand les francophones sont plus nettement fromage. Cette grande tendance est bien illustrée à mon sens par deux écrivains œuvrant dans la littérature populaire, à peu près contemporains et dans un genre similaire, Agatha Christie d'un côté, Georges Simenon de l'autre. La première donne la priorité à ses intrigues, toujours complexes, imaginatives, aux ressorts efficaces et parfois très astucieusement concoctées tandis que ses personnages ont à peu près l'épaisseur d'une carte à jouer, juste à peine moins superficiels que Docteur Olive ou Colonel Moutarde. L'écrivain belge en revanche n'est pas très loin de bâcler ses intrigues ; si vous interrogez un lecteur sur ce qu'il a retenu du dernier Maigret qu'il a lu, ce ne sera probablement pas l'histoire mais plutôt des personnages ; toute la richesse, la complexité, l'originalité contenues dans sa série des Maigret se trouvent en effet localisées dans ses personnages. Et ce penchant se retrouve chez les écrivains de plus grande classe, avec quelques exceptions toutefois. Stevenson, Poe, Conrad, Chesterton, Wolfe (Gene, pas Tom), Kipling, London privilégient certainement l'histoire au détriment de leurs personnages. Balzac, Flaubert, Maupassant, Rousseau incontestablement, Proust, Céline ou Zola mettent davantage dans leurs personnages que dans leurs intrigues. Certains cas sont plus difficiles à trancher : de quel côté sont James, Le Fanu, Melville ? D'autres sont franchement à rebours de la tendance qui prévaut dans leur pays : Leroux chez nous, la plupart des grands écrivains femmes anglo-saxons.
    Il y a au moins deux questions qu'on peut se poser. La première est celle ci : est-ce que privilégier l'intrigue se fait nécessairement au détriment des personnages et inversement ? Ma réponse est globalement oui. Cela ne signifie pas que vos personnages seront forcément inintéressants si votre intrigue est passionnante ou que votre intrigue sera banale ou bancale si vos personnages sont mémorables — ce serait même impossible car un personnage littéraire ne peut vivre sans une histoire suffisamment bonne pour le supporter de même qu'une histoire ne peut convaincre sans personnages suffisamment crédibles pour la conduire. Le mot important dans la phrase précédente est bien sûr suffisamment. La seconde est comment est-ce que cela se fait ? La réponse est relativement simple. Dans toute histoire de fiction, le champ des possibles se réduit à chaque fois que l'écrivain fait un choix, emprunte une direction plutôt qu'une autre. Au début, l'horizon des possibles est total, infini. À la fin, il est généralement réduit à un fil. Faites passer d'abord la personnalité de votre personnage et c'est elle qui déterminera un champ d'actions possibles pour ce personnage ; et plus ce personnage est approfondi, plus ce champ d'action se précise et se réduit, contraignant ainsi fortement l'intrigue sous peine d'invraisemblance grave. Réciproquement, faites passer l'intrigue en premier et c'est elle qui conditionnera la personnalité de vos personnages qui ne deviendront d'une certaine façon que les faire-valoir de l'intrigue. Si vous ne le faites pas, ce sera pire : on ne vous croira pas. Et rappelez-vous qu'en art, comme en magie, il n'y a qu'une règle d'or : être cru.
    Naturellement, ce n'est pas toujours aussi tranché que je le dis et des nuances sont permises entre le blanc et le noir, ou pour reprendre mon image de départ, entre fromage et dessert.Ce qui est à peu près sûr, c'est qu'il y a une balance entre les deux et que plus vous mettrez de poids dans un des plateaux, plus l'autre s’allégera. Car il y a une vérité dont on ne peut pas se sortir : la fiction littéraire est une invention humaine, une forme élevée du mensonge ; elle est donc limitée parce qu'elle est humaine, imparfaite parce qu'elle est mensonge.

mercredi 19 août 2015

Pierre, de Melville : un livre maudit



 
Herman Melville, à peine plus âgé que son héros, Pierre

   On pourrait même dire trois fois maudit. Maudit par la critique, celle de l'époque et même encore celle d'aujourd'hui, quoiqu'avec plus de prudence. Maudit par le lecteur de 1852 comme, à peu de monde près, celui de 2015. Maudit enfin par Melville lui-même qui n'attendait sans doute quand même pas un tel bide, au moins lorsqu'il a démarré l'entreprise. Le plus drôle, si on ose dire, est que le but plus ou moins avoué de ce roman, dans les premiers plans de l'auteur, était de regagner les faveurs des lecteurs, en particulier du lectorat féminin, un peu délaissé jusque-là, grâce à ce roman décrit à son éditeur comme un roman sentimental gothique, et de remonter ainsi quelque peu les finances défaillantes de son ménage. L'éditeur, Harper, a reçu le roman terminé avec un commentaire qui tient sans doute de l'humour anglo-saxon : « j'ai trouvé le roman plutôt moins bien calculé pour la popularité que ce que l'auteur m'avait laissé espérer ». Dois-je préciser qu'il s'agit d'un euphémisme.  En réalité, Pierre ou Les Ambiguïtés ressemble plus à un suicide commercial.

   Parvenu à un certain stade de son roman, il me paraît impossible de croire que Melville n'ait pas su que son projet initial était mort et qu'il était en train d'écrire un monstre littéraire. Il le laisse entendre d'ailleurs assez clairement en parlant par la bouche de son héros, ventriloquisme dont il est coutumier, ou par un de ces commentaires de texte dont il n'est pas avare au cours du roman. En réalité le destin de son livre est le même que celui de Pierre et il ne fait guère de doute que Melville est le premier à le deviner.

En théorie et selon les principes de toute bonne règle littéraire, ce roman devrait être impossible à aimer, impossible même à lire jusqu'à la fin. Voici, pour ce qui me concerne, les dix-sept raison qui font que ce roman aurait dû me tomber des mains :

- le style : hétéroclite, compliqué, désordonné (il faut le lire dans la version originale pour “admirer” ces phrases en forme de puzzle où le labeur de remettre les mots à leur place naturelle vous fait souvent perdre le sens de ce que vous êtes en train de lire), enflé qui plus est par une rhétorique monstrueuse et omniprésente,

- la psychologie fantastique des personnages face à certains événements (et c'est bien un des domaines où le fantastique a le moins sa place),

- le goût immodéré de Melville pour l'allégorie : on le savait déjà,
- la parodie d'un genre qui est déjà une parodie (et tout à fait contreproductive dans ce cas),

- Les digressions incessantes : si on les enlevait, il ne resterait qu'un quart du livre, et encore…

- les commentaires de texte dans le texte : je déteste ça,

- les essais philosophiques et/ou métaphysiques inclus dans la narration : ça aussi, je déteste,

- l'auteur qui est à certains moments son héros et qui ne l'est plus du tout à d'autres, ce qui crée des effets pour le moins bizarres, que je ne peux comparer qu'à certains mauvais rêves où on est parfois l'acteur et parfois le spectateur, mais jamais les deux à la fois,

- le narrateur omniscient ou complètement ignorant selon l'intérêt bien compris de l'auteur

- les forgeries de l'auteur : des expressions ou locutions brèves que personne semble-t-il n'est capable de comprendre, même après un siècle et demi d'études érudites,

- dans le même esprit, des références nombreuses à des événements ou des personnages censément célèbres mais dont personne n'a gardé trace (il est possible que ce soit encore des inventions de l'auteur),

- le mélo le plus débridé, que dis-je, le plus délirant,

- l'inceste : ça me gêne, je n'y peux rien ; peut-être l'idée la plus bizarre de tout le roman (car il ne fait aucun doute, malgré l'ellipse victorienne, que la première chose que font le frère et la sœur, à peine réunis et mariés pour de faux est de se sauter dessus l'un l'autre ; voir les aberrations psychologiques dont je parlais plus haut ; l'idée même de se marier avec sa sœur bâtarde, tout en ne se mariant pas vraiment, pour lui donner le statut social auquel elle aurait droit est une idée incroyablement saugrenue et totalement improductive, surtout dans le contexte d'une Amérique puritaine),

- les ellipses outrancières : je n'ai rien contre en principe et pratique même assidûment la chose dans mes propres histoires ; mais dans le cas de Melville, je ne sais pas si on peut encore parler d'ellipse : l'histoire s'arrête ici et reprend là sans solution de continuité claire pour le lecteur, ; une fois encore, un peu comme dans certains rêves,

- les mystères irrésolus : je ne suis pas de ceux qui aiment les mystères que l'auteur résout au prix d'explications aussi laborieuses que superflues lors des cinquante dernières pages de son roman ; néanmoins par loyauté envers le lecteur, il ne semble pas excessif d'attendre de l'auteur qu'il nous donne quelques pistes, quelques indices, quelques clés au détour d'une page pour percer quelques-unes de ses énigmes les plus haletantes ; Melville ne fournit rien de la sorte ; il est possible, en fait, pour ne pas dire probable, que Melville n'en sache pas plus que le lecteur,

- sa désinvolture : je ne sais pas si on peut vraiment parler de désinvolture pour un livre aussi écrit, pensé, pesé, conscient de lui-même ; mais c'est l'impression qu'il peut donner.
    Voilà, j'ai donné toutes les raisons pour lesquelles je ne saurais aimer un tel livre. Mais je n'ai pas donné celle, l'unique, pour laquelle je l'aime. Pour une raison très simple : je n'en ai toujours aucune idée.

Illustration très (trop?) personnelle de Maurice Sendlak pour Pierre