Dick n’a pas eu
beaucoup de chance avec le monde littéraire durant sa vie mais son fantôme au
moins peut se consoler en se disant qu’il en a beaucoup avec le cinéma. Le
nombre de ses textes, romans et nouvelles surtout, qui ont été adaptés au
cinéma, voire plus récemment en série vidéo, est tout à fait
impressionnant : je vous laisse le vérifier en allant voir sur Wiki.
Tous ses textes
n’ont pas donné lieu à des chefs d’œuvre du septième art et il faut dire ici
que tous ses textes adaptés n’étaient pas des chefs d’œuvres de la littérature,
loin s’en faut. Actuellement, je n’ai pas encore réussi à visionner toutes les
adaptations vidéographiques qui ont été faites à partir de ses récits mais j’en
ai vues tout de même une bonne part, des films très connus, d’autres beaucoup
moins. Aussi il y a une remarque générale que je ferai tout de suite,
absolument frappante dans le cas de Dick. La remarque est la suivante :
les meilleurs films sont tirés d’œuvres secondaires ou trop brouillonnes pour
être qualifiées de réussites ; ses meilleures histoires — parmi celles qui
ont fait l’objet d’adaptation(s) — ont donnés des films de série B plutôt
moyens. La seule exception à cette règle que je peux voir est la très récente
adaptation de son roman The Man In The High Castle en série vidéo (seule la
première saison est sortie mais elle est réellement excellente) sauf que l'intrigue n'a plus grand chose à voir avec le roman du moins la partie que j'ai lue. Et encore, je
fais là abstraction de mes propres goûts, considérant seulement le nombre de prix et de
louanges critiques reçus par ce roman de Dick ; car personnellement je
n’ai jamais réussi à finir le livre après deux tentatives, malgré son écriture
pour une fois très soignée. Et c’est bien le seul livre de Dick que j’ai laissé
tomber. J’appellerai ce paradoxe, assez courant comme on verra, et pas
seulement dans le cas discuté, le syndrome Dick.
Durant l’année
1953, un bon millésime visiblement pour Dick quoiqu’il n’ait eu alors que
vingt-cinq ans, il a écrit deux textes qui ont très ultérieurement retenus
l’attention d’Hollywood. Il s’agit de la nouvelle intitulée Imposter (orthographe
inhabituelle apparemment en relation avec the imposter syndrome, le syndrome de
l’imposteur) et de la novella intitulée Second Variety. Vous n’avez peut-être
jamais entendu parler de ces deux films sauf si vous aimez les films de série
B. Ces films, intitulés Impostor (2002) et Screamers (1995), sont dans l’ensemble fidèles aux
récits originaux, en particulier le second qui est quasi la transcription
exacte de la novella. Néanmoins, sans être mauvais, aucun des deux ne donne une
grande idée de l’originalité et du talent de Dick. Car si la première nouvelle
de Dick est juste bonne pourrait-on dire, la seconde est franchement
remarquable : un long récit au cordeau parfaitement maîtrisé et pourtant
remarquablement original et personnel par ses thèmes, surtout si on considère
l’époque à laquelle il a été écrit. J’ajoute que cette nouvelle a inspiré
quantité de films ou séries, allant de Terminator à Battlestar Galactica.
La nouvelle écrite
seulement trois années plus tard, Minority Report, est un autre exemple frappant
du syndrome Dick, mais inversé par rapport à Second Variety. En effet, la
nouvelle est très moyenne, présente des faiblesses en particulier au niveau des
personnages et de la dramaturgie, pas vraiment efficace. Enfin et peut-être
surtout, Dick semble être passé à côté du thème fort de son histoire — une
police qui vous arrête et vous envoie en camp de détention (dans la nouvelle)
sans jugement sous prétexte que trois mutants idiots dotés d’une tête trop
grosse vous ont vu commettre un acte regrettable dans un des futurs possibles —
et des implications effrayantes qu’il recèle. Ni le sort horrible des trois
idiots encagés et branchés ni le sort des malheureux incarcérés par Precrime ne
semble beaucoup l’intéresser. La nouvelle est ratée dans l’ensemble mais comme
je l’ai expérimenté moi-même, ce sont souvent les ratés des autres qui vous inspirent
le plus. C’est évidemment le cas pour les auteurs du film de 2002, de très
bonne qualité lui et qui s’est nettement recentré sur l’essentiel, même s’il y
ajoute une intrigue policière relativement convenue (toutefois supérieure à
celle imaginée par Dick). Remarquons, pour ceux qui n’ont pas lu la nouvelle, que
le rapport minoritaire n’en est pas un puisqu’il n’existe aucun rapport
majoritaire et qu’on devine bien que si Dick avait mis dix précogs au lieu de
trois, il y aurait eu dix rapports différents.
En 1966, Dick
écrit We Can Remember It For You Wholesale. C’est à mon avis une de ses
meilleures nouvelles, au moins parmi celles qui ont été adaptées. Néanmoins les
deux films qui en ont été tirés sont très décevants, le dernier en date est
même au-dessous de tout ce qui s’est fait en matière de films dicksiens. Il s’agit
bien sûr de Total Recall. La première mouture de Verhoeven est honorable dans
sa première partie, assez fidèle au livre, avant de dégénérer complètement. Il
faut noter que dans l’histoire originale, contrairement à la première version
filmée, le héros n’arrive jamais sur Mars.
1968 est sans
doute pour Dick une moins bonne année que 69, par exemple, littérairement
parlant, mais elle lui a permis de donner le jour au roman qui fera de lui un
homme riche et célèbre, avec l'inconvénient d'être mort : Do Androids
Dream Of Electric Sheep ? qui deviendra au cinéma Blade Runner. C’est à
mon sens et celui apparemment de pas mal de monde le plus beau film de
science-fiction réalisé à ce jour (personnellement, je ne vois que le Solaris
de Tarkovsky pour, sinon l’égaler, au moins le talonner). De la poésie pure en
action. Une réussite artistique sur tous les plans : réalisation, scénario,
dialogues, lumières, décors, musique, jeux des acteurs. Du roman complexe et plutôt
confus (comme souvent chez Dick), mêlant deux intrigues et au moins trois
thèmes principaux, dont celui bien sûr de la dualité humain/machine ou
nature/artifice, Ridley Scott a tiré une tragédie simple, belle et émouvante.
Je pourrais
mentionner aussi Paycheck, A Scanner Darkly, deux films que j’ai vus, mais cela
n’ajouterais pas grand-chose à ma conclusion. Il semble donc bien que ce soient les
textes de Dick les plus inachevés, parfois presque brouillons, qui ont donné matière
aux plus belles adaptations. Cela n’est pas réellement étonnant. Si tout est
déjà dans le livre, l’adaptateur se retrouve coincé et ne dispose pas de la liberté créative
nécessaire à toute œuvre de valeur. Il ne peut faire qu’une pâle copie. C’est
justement dans les blancs ou les égarements de l'auteur que l’adaptateur, qu’on doit
alors appeler recréateur, peut faire intervenir sa propre imagination, sa
propre vision de l’histoire et retravailler le minerai brut ou tout juste
dégrossi. Mais naturellement pour ça, encore fallait-il que la matière précieuse soit
présente à l’origine.
Tout à fait d'accord avec votre analyse : Blade Runner est centrée sur le fait que le héros veut se taper une "gueule d'humain" excitante. Désir doublé par le besoin de posséder un mouton mécanique. C'est tout.
RépondreSupprimerBref, cela n'a rien à voir avec l'excellent film de Ridley Scott.