lundi 25 janvier 2021

Massacre de Madame France en dix-huit coups de couteau : suicide ou assassinat ?

Nous revenons à regret une nouvelle fois sur cette horrible affaire qui nous occupe tous un tant soit peu depuis dix mois. En effet, les soixante-six millions de procureurs viennent de rendre leur décision en leur âme et conscience et nous, faisant partie de ces dits procureurs,  croyons utile de vous faire part de notre cheminement vers la lumière grâce à quelques détails non divulgués par la presse.

D’abord, les faits. Madame France a été trouvée morte, gisant dans son sang, sur les carreaux bleus et blancs de sa salle de bain, un couteau de cuisine dans la main, après qu’une escouade de pompiers a enfoncé la porte. Elle portait, outre son bonnet de bain écarlate, la bagatelle de dix-huit coups de couteau, dont un au moins — le dernier, présume-t-on généralement — a été mortel, preuve d’un acharnement barbare rarement vu. La porte était fermée à clé, ce qui explique la méthode d’intrusion des secours. Il n’y avait aucune autre issue et personne ne se trouvait dans la pièce en dehors de Madame France. C’est pourquoi il a été envisagé dès le départ, malgré l’horreur et la brutalité de la scène, que la victime avait pu périr de sa propre main.

Néanmoins, les autres pistes n’ont pas été tout de suite écartées. L’assassinat aurait même été privilégié, de loin, si les circonstances n’avaient pas été ce qu’elles sont. La piste de l’étranger, du cambriolage tournant mal a rapidement pu être évacuée. Toutes les portes étaient fermées de l’intérieur et aucun signe d’effraction n’a été découvert. Trois personnes seulement ont pénétré dans la résidence de Madame France le jour des faits, toutes des connaissances proches. Le premier est le suspect habituel, le docteur Olive Le Véreux. Bien qu’il porte le titre de Docteur, et a quelques vagues souvenirs reliés à cette noble profession, il était plutôt connu dans la maison pour être le fournisseur attitré des drogues de Madame France qui en avait bien besoin. Les ordonnances de complaisance et les arrêts de travail non justifiés n’ont aucun secret pour lui. Il était le suspect idéal. Et il venait justement de remplir l’armoire à pharmacie de la salle de bain ce matin-là, avec ses boites de Doliprane et divers médicaments peu recommandables qu’il faisait évidemment payer beaucoup trop cher à Madame France. Pourtant on ne s’explique pas son mobile. Ce serait comme pour un parasite de tuer son hôte ou un dealer de tuer son meilleur client : ça n’a pas de sens. Le second suspect, beaucoup plus crédible, est Manu le mari. Tout le monde dans le cercle proche de Madame France savait que le couple était en conflit permanent. Manu dépensait tout l’argent de Madame avec ses copains et même beaucoup plus. Les dettes du ménage étaient colossales. Quant à la sexualité du couple, elle était arrivée au point zéro. Pas d’argent, pas de sexe : voilà un bien mauvais mélange. Madame France s’en plaignait amèrement à qui voulait l’entendre et l’impuissance de Manu à faire jouir sa femme comme un honnête homme était devenue un sujet de plaisanterie dans le petit cercle des intimes. Mais il s’avéra après enquête que le suspect avait un alibi sérieux : il se trouvait en effet au moment des faits en train de faire du saut à l’élastique dans la cage d’escalier de son lieu de travail, sis au 55 rue du Faubourg Saint-Honoré, Paris. De plus, l’avorton aurait été incapable de porter un coup de la force qui a traversé la boite crânienne de cette pauvre Madame France. Restait un troisième et dernier suspect : Bruno, le comptable. Il se trouvait justement dans le petit salon en train de maquiller tranquillement les comptes de la famille, comme à dire vrai chaque année, ce matin-là. On sait par ailleurs que c’est un adepte du golf et de ses dix-huit trous : nous nous contentons de noter la coïncidence. Mais les enquêteurs pensent que s’il avait dû tuer quelqu’un, effaré par ce qu’il lisait, ce serait certainement Manu le mari et non France. Enfin, de toute façon, aucun d’entre eux ne pouvait entrer ou n’a pu sortir de cette salle de bain.

La théorie du complot a bien entendu été soulevée. Est-ce que les trois odieux individus avaient pu se concerter pour assassiner France et faire croire à un suicide ? Certainement, car ils avaient partie liée et des intérêts communs. De plus, cela aurait expliqué la vigueur très différente des coups de couteau portés à Madame France. On note d’ailleurs que dix-huit est un multiple de trois, indice très fort. Les enquêteurs ayant lu Le Crime de l’Orient Express et fervents adeptes de la méthode Poirot se sont donc bien gardés d’exclure cette hypothèse d’emblée. Mais même à trois, on ne voyait pas comment ils auraient fait pour entrer et sortir de cette pièce close sans laisser aucune trace et laisser la clé dans la serrure côté intérieur. On trouve dommage que ces policiers n’aient pas été aussi passionnés par la description et la résolution que propose M. Leroux d’un problème similaire dans son excellente étude de cas, Le Mystère de la Chambre Jaune, car ils auraient alors sans nul doute interpellé le capitaine des pompiers, le premier à avoir fait irruption dans la salle de bain et le plus insoupçonnable des suspects (une loi que l’on retrouve également dans l’œuvre de Madame Christie est que plus vous êtes insoupçonnable, plus forte est la présomption que vous êtes l’assassin).

Au lieu de quoi, les procureurs dans leur grande sagesse ont finalement décidé de laisser tomber toutes les charges et de ne poursuivre aucun des trois, voire quatre suspects, optant pour la première thèse du suicide malgré l’apparente absurdité de la chose. De trop nombreux faits tendaient en effet vers cette hypothèse. Les malheurs en mariage de Madame France qui ne duraient que depuis trop longtemps, son abus de psychotropes, de produits hallucinatoires et plus récemment du doliprane, ses tentatives de suicide plus ou moins réelles et ses lettres d’intention de suicide, très nombreuses et avérées, elles. Reste la question des coups de couteau, déroutante il faut le reconnaître. On pense que Madame France a porté les coups les plus violents au début puis perdant progressivement son sang et sa force, s’est infligée les coups plus superficiels à la fin, pour le plaisir pourrait-on dire. Mais l’inverse n’est pas exclu. Il est en effet difficile de croire que le coup terrifiant de brutalité qui a traversé sa boîte crânienne a pu être donné le premier, bien que ce ne soit pas totalement impossible selon certains experts qui ont cité plusieurs cas de personnes ayant eu le cerveau traversé de part en part et ont continué pendant un moment à agir comme si de rien n’était.

C’est donc sur cette note optimiste et émerveillée devant l’ingéniosité et la ténacité humaine à parvenir à ses fins malgré les obstacles que nous refermons cet article et offrons nos sincères condoléances à tous les proches et relations de la défunte, Madame France. Et nous sommes particulièrement heureux de constater que grâce à cette triste affaire, la question qui nous tenaillait depuis si longtemps de savoir si on peut se suicider par dix-huit coups de couteau a été enfin tranchée, de la manière la plus éclatante et incontestable. 


Autres articles sur le même sujet, ô combien douloureux : 

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Podomètres, momètres® et déconomètres® 

Homocide, un petit mal pour un grand bien

samedi 23 janvier 2021

Premier Cercle de l’Enfer : Fille des Étoiles, alias la Fille de Lucifer

 



Fille des Étoiles est un titre kitsch. Je l’ai néanmoins préféré à La Fille de Lucifer, qui aurait été tout aussi kitsch et en plus lourdement gothique. La lourdeur du gothisme ne me convenait pas, encore moins un gothisme lourd. Bien que Fille des Étoiles est un roman sombre dans l’ensemble — même la fin n’est pas si rose si vous y réfléchissez à deux fois — il est plutôt léger, presque éthéré à certains moments.

Toutefois, le titre que je me suis refusé aurait eu le mérite de la clarté. Le roman raconte effectivement les tribulations de la fille de Lucifer, ce qui paraît tout indiqué pour commencer une série portant le titre de Sept Cercles De L’Enfer. J’ai renouvelé la vieille mythologie à la sauce SF. Lucifer est devenu un extraterrestre métamorphe quasi immortel, dont le nom est Drev, transformé en Andreï Tcherniev pour les besoins de sa naturalisation (mais on peut supposer qu’il a dû avoir bien d’autres noms avant celui-ci). Andreï Tcherniev peut d’ailleurs se traduire par L’Homme Noir. Pourtant, ce n’est pas tant la noirceur du diable qui m’occupe ici que le sens premier de ce nom : Lucifer = porteur de lumière. C’est donc lui, grâce à un savoir venu d’ailleurs et au nombre gigantesque de ses années, qui apporte la clé des étoiles à l’humanité. Néanmoins, comme c’est Lucifer, il ne le fait évidemment pas pour notre bien mais seulement par intérêt personnel. Comme a dit Hugo, Satan est celui qui toujours fait le bien en voulant faire le mal (le toujours étant peut-être de trop mais allez savoir avec ces poètes). Drev a comme dans la légende été chassé, exilé de son monde, déchu de ses droits et possessions, rendu incapable de voyager à nouveau dans l’espace. Et bien entendu, il désire se venger. Dans ce cas, sa vengeance sera un plat qui se mange très froid, qu’il ne mangera en fait pas du tout puisque si elle a lieu, elle ne pourra se faire que par procuration.

Dans mon récit, il commet un autre genre de bien involontaire en faisant une fille, à sa plus grande surprise, sûr que rien ne pourrait sortir de l’union d’un extraterrestre et d’une terrienne. Mais le fait que Drev soit métamorphe joue sûrement un rôle là-dedans. Peut-être que ses gènes eux-mêmes se sont métamorphosés pour convenir à ceux de la terrienne aimée (car il est capable d’aimer dans mon histoire), ce qui expliquerait qu’il perde aussi son immortalité à la naissance de Nat, la Fille des Étoiles en question, la clé pourrait-on dire (peut-être aurais-je dû appeler ce livre La Clé des Étoiles : trop tard).

Nat ressemble à son père physiquement : elle est donc très belle, blonde, lumineuse, et vieillit plus lentement que ses compagnes de voyage sans être éternelle. Elle a aussi quelques pouvoirs de métamorphose, beaucoup plus réduits que ceux de son père. Ainsi, dans un moment d’émotion extrême, elle peut reconfigurer sa main pour s’enlever une lame plantée dedans, entre les os, ou changer de sexe quand elle dort et rêve, probablement. Pour le caractère, elle doit ressembler à sa mère, suppose-t-on. Elle déteste son père ou dit le détester. Mais on notera au cours du roman des points communs entre la fille et le père, comme un air de famille, en particulier sa faculté pour raconter des histoires. Elle n’est en tout cas certainement pas diabolique. C’est plutôt une fille assez ordinaire, accablée par son diable de père, plongée dans une situation qui ne l’est pas du tout.

Ne pouvant voyager plus loin que l’atmosphère terrestre, et encore grâce à un stock de médicaments, sans doute de sa propre fabrication (Andreï Tcherniev porte le titre de Docteur), il envoie donc sa fille vers les étoiles avec d’autres camarades de son âge, issues d’un programme d’amélioration génétique, accompagnée d’un psy humain, à la solde du père, et d’une bande de robots humanoïdes formant l’encadrement de l’équipage. L’amélioration est évidemment très relative. Elle n’est conçue que pour leur permettre de supporter les rigueurs inhumaines du voyage spatial. Certains jugeraient qu’elles sont des monstres. Leurs frères sont également améliorés mais dans un objectif différent, celui d’être des sortes de super-guerriers, destinés à conquérir et subjuguer ceux qui ont condamné Drev à l’exil. Comme ils sont incapables de supporter les rayons cosmiques, ils sont enfermés durant tout le trajet dans des caissons de sommeil : on les appelle les Dormeurs.

Mais tout cela arrive bien trop tard. La civilisation qui a condamné Drev n’existe plus et sans doute depuis longtemps quand le vaisseau, La Matriochka, arrive enfin à destination (mais pas à bon port, ce serait vraiment trop dire). Drev ne le saura jamais mais il n’aura pas sa vengeance : son plan, comme toujours a échoué. Son clone, Drev Dwight-Dir (ou Drev 22, alias commandant Andros) qui ne peut en aucun cas être une continuité de l’entité Drev (quand vous mourez, vous mourez : point final) et le veut encore moins, le trahira et préfèrera prendre la fille de l’air que de suivre le “Grand Destin” que lui avait tracé son procréateur. Quant à sa fille, elle fera tout ce qu’elle peut pour redresser le mal du père.

Et finalement, comme dans les contes de fées, elle se mariera avec un indigène de la nouvelle planète, métamorphe évidemment, sera très heureuse et aura beaucoup d’enfants roses et bleus.

Autre article sur ce livre : ici.



samedi 9 janvier 2021

Podomètres, momètres® et déconomètres® (des inventions pour Notre Nouvelle République de Chine)

 Voici pour commencer l’année un article très bref mais à la haute valeur ajoutée, sous forme de futures et imminentes royalties, grâce à mes brevets.

Le podomètre est une très belle invention. Sa portabilité, son utilité, sa nécessité oserais-je dire même, ne sont plus sujets de discussion puisque tout le monde connaît quelqu’un qui possède et parfois même, notez bien la nuance,  utilise cet article indispensable. Dans cette série d’innovations géniales et pourtant si simples qu’on se demande comment on n’y a pas pensé soi-même le premier, je propose le momètre®. Très simple donc, et portable à la boutonnière de préférence, il comptabilisera vos mots réellement prononcés, et donc audibles par le micro miniaturisé en forme de fleur ou de coquillage ou de tête de mort ou encore, pourquoi pas, de vulve, si vous tenez à afficher votre courageux militantisme pour un progrès social toujours plus vertueux (et vous faites bien). Naturellement, si vous êtes du genre comme moi, pour l'essentiel, à parler tout seul et tout haut, il faudra penser à déduire tous les mots prononcés dans des plages horaires où vous étiez manifestement seuls et où votre téléphone n’a enregistré aucune conversation. Il faudra donc dans l’avenir que j’implémente un logiciel supplémentaire capable de repérer, grâce à quelques mots-codes, nos conversations par portable, skype ou zoom, afin de les ranger dans la bonne catégorie, à savoir, conversations virtuelles et leur attribuer un coefficient différent, inférieur selon moi, ou peut-être supérieur après tout (les Experts jugeront), puisque cela risque à relativement court terme de devenir la norme. Et voilà, c’est fait.

Vous pourrez ainsi mesurer objectivement votre sociabilité et votre sens de la convivialité. Pour certains, il sera très faible. Mais il sera donc d’autant plus facile d’augmenter votre score. Prenons mon exemple puisque j’ai des données très fiables à ce sujet. Mon score non seulement n’augmente pas mais a tendance à diminuer. De par mon métier, forestier, ma région d’activité (vous me direz que les deux ne doivent pas être complètement indépendants) et mon caractère, mes scores en la matière sont généralement extrêmement décevants, mais avec des pointes journalières ou horaires aussi imprévisibles qu’impressionnantes. Je peux dire que certains jours, mon score est inférieur à cent, en comptant rigoureusement tout, y compris les saluts et les s’il vous plait et les passe-moi le sel sans s’il te plait, y compris en incluant les conversations virtuelles dont je parlais plus haut. Et je n’ai pas besoin de l’excuse d’être de mauvaise humeur ou d’être ermite sans femme ni enfant pour atteindre, si je peux dire, un score aussi éminent. Dans notre future Grande République de Chine, mon score social ne présage pas d’un brillant et long avenir en ce qui me concerne mais ce n’est qu’un détail insignifiant face à l’immense progrès qui s’annonce.

Une autre utilité incontestable de mon invention sera de vérifier la fausseté de l’idée courante, si tenace et si malheureuse, que les femmes parlent plus que nous, les hommes, et paraît-il même, beaucoup trop. Naturellement, comme nous en informe déjà régulièrement une source autorisée à la TV, je ne doute pas un instant du résultat qui sera que les femmes ne parlent pas plus que les hommes et peut-être, surprise ! beaucoup moins. C’est en effet à cela qu’on reconnaît un vrai scientifique comme on les aime dans notre Nouvelle Chine, à savoir qu’il connaît le résultat avant même de faire l’étude. Néanmoins, quelques chiffres sont toujours utiles et plaisants à la fois pour publier ses résultats ornés de tableaux ou graphes dans les revues sérieuses, c’est-à-dire revues par les pairs.

Ma seconde invention de l’année est le déconomètre®. Celle-ci demande une technologie beaucoup plus évoluée et disons-le carrément, c'est de l’IA très haut de gamme. Mais cela ne me fait absolument pas peur. Et d’ailleurs voilà, c’est fait. Il s’agit en effet de traiter les données brutes fournies par ma première invention, le momètre® et de traquer les conneries incontestables que vous avez prononcées en une journée. Cette invention est particulièrement intéressante et propice à l’amélioration individuelle continue. Bien sûr les critères fixés pour évaluer la catégorie dans laquelle tombe chacune de nos phrases ou expressions pourront et devront être définis par les Experts de notre Nouvelle République Démocratique Progressiste (NRDP, le F a été jugé de trop, dépassé, ringard pour prendre un langage populaire dont on sait que je ne suis pas coutumier). On pourra tirer de plus des informations autrement impossibles à réunir. Car l’essentiel n’est pas le nombre moyen absolu de conneries que vous prononcez dans une journée ; c’est le ratio entre le nombre de mots prononcés/jour et le nombre de conneries prononcées/jour. Il serait trop facile en effet d’échapper à la juste accusation d’être un con en ne prononçant de toute la journée que des phrases sans risque, du style de celles que j’ai énumérées plus haut : merci, bonjour, au revoir, s’il vous plait, un vrai temps de chien ce temps, etc. Ce serait donner une prime à des individus de mon acabit, et donc totalement immoral, et donc totalement contre-productif. Il sera donc nécessaire d’associer mes deux inventions à l’échelle mondiale et je me figure déjà l’étendue astronomique de mes futures royalties. Mais naturellement, rassurez-vous, tout finira par être reversé au Parti, je veux dire au Peuple.

Je songe déjà à ma prochaine invention : un déconomètre pour les pensées. Ce sera encore plus merveilleux. Faites vos réservations.