dimanche 31 mars 2024

La chute fatale des démocraties

    Aujourd’hui, je vais commettre un nouvel acte de barbarie impensable aux dépends de mes concitoyens. Je vais en effet m’attaquer à l’un des derniers bastions de la foi occidentale : leur conviction de la supériorité intrinsèque de notre démocratie sur tout autre système. Cet article de foi a été synthétisé agréablement à l’oreille par Churchill, si du moins on en croit les ragots, sous cette forme : « La démocratie est le pire des systèmes politiques à l’exception de tous les autres ». Vous remarquerez que ce n’est qu’une manière humoristique d’affirmer que la démocratie est le meilleur des systèmes, relativement à tous les autres. Cette idée est si fortement ancrée dans nos populations et plus encore parmi nos "élites" que certaines d’entre elles ont même parlé de « la fin de l’Histoire », tant nous voyons notre démocratie comme l’aboutissement ultime de la politique, de toute civilisation. Ce principe de base n’est pour ainsi dire jamais discuté, encore moins remis en question, où s’il l’est comme ici, c’est dans les souterrains, les marges lointaines et louches de la société. Ou encore, il est critiqué par des royalistes qui pensent que leur système est intrinsèquement meilleur que tous les autres, ce qui n’est certes pas le point de vue que je défends. Mon idée ici n’est pas de montrer que la démocratie est pire que les autres systèmes mais qu’elle n’est pas moins pire, si j’ose dire, au minimum dans la pratique et probablement même en théorie. Ce n’est pas une nuance, c’est une différence de fond.

    Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas me lancer dans une thèse académique en trois partie et cinquante pages. Comme d’habitude, je vais juste souligner quelques points forts qui devraient donner matière à réflexion, particulièrement en cette époque très dangereuse que nous vivons, où les frontières du bien et du mal, où les valeurs humaines sont redéfinies par le fait que votre nation est pourvue d’un système démocratique ou non. Ce nouveau manichéisme est en plein essor en ce moment : vous l’entendez sans cesse martelé sous diverses formes, de moins en moins subtiles : Il y a le bon Américain (Américain est ici synonyme bizarrement de Nord-Américain, en excluant bien sûr les Mexicains), le bon Européen, mais le méchant Chinois, le méchant Russe, le méchant Iranien, le méchant Africain du Sahel qui préfère les méchants Chinois et les méchants Russes aux bons occidentaux, etc.

    Dans la courte discussion qui suit, j’opposerai par simplification à la démocratie le système opposé, autocratique, où je range pêle-mêle dictature, royauté, ploutocratie, en fait tous les systèmes où les pouvoirs en place ne font pas l’objet d’élections au suffrage (à peu près) universel. Je ne veux bien sûr pas dire qu’il n’existe pas de différences importantes entre ces divers systèmes non démocratiques mais qu’elles n’ont pas vraiment d’incidence sur l’argumentation présentée ici. 

    D’abord, je dirai que ce qui se passe dans nos pays d’Europe occidentale (je mets pour l’instant les USA de côté), à savoir l’effondrement en cours de ses structures mêmes, n’est pas un accident de parcours, une sorte d’aléa imprévisible comme l’arrivée d’une météorite. Ce n’est pas non plus une sortie de route mais le point obligé où mène cette route, ou disons ces routes. Je dirai également que ce n’est pas davantage de la faute d’un défaut spécifique à notre démocratie, qui est la cause de cet effondrement. En gros, je me garderai bien d’appliquer à nos démocraties le célèbre argument des marxistes qui veut que toutes les expériences socialistes ont échoué parce que ce n’était pas vraiment du socialisme, le vrai socialisme dont ils rêvent. En fait, l’échec des gouvernements vraiment socialistes peut être prédit par les mêmes causes que l’échec final des démocraties. Sur le papier, en théorie, la démocratie avec suffrage universel (c’est la forme de démocratie dont je m’occupe ici et je ne le répéterai plus) est incontestablement le meilleur système, le plus attirant, le plus juste, celui qui satisfait le mieux les différents critères de l’humanisme éclairé. Cependant, pour que ce système soit vertueux, c’est-à-dire s’améliore au fil du temps au lieu de se détériorer, il y a au minimum une condition préalable : c’est que le corps électoral ne soit pas moins éclairé que ceux qu’il élit au pouvoir. Or, il est évident que ça ne peut pas être le cas au départ. L’espoir des démocrates est donc que ce corps électoral, le peuple pour appeler les choses par leur nom, accède à force d’éducation à ces lumières au fil des années, des décennies, des siècles. Pourtant, c’est ce phénomène vertueux qui ne s’enclenche jamais et qui ne peut pas s’enclencher. C’est encore un problème du type de la poule et de l’œuf, insoluble : qui commence le premier ? Le peuple ne peut accéder à ces lumières supérieures, pas par la faute de son QI insuffisant, mais parce que l’enseignement qui lui est donné est fautif, biaisé dès le départ. Dès le départ, on ne lui donne pas les bonnes informations, celles qui comptent vraiment. Oh, il pourra être docteur, mathématicien, professeur, peu importe, car il est élevé dans l’ignorance de certaines informations essentielles. Et pourquoi n’a-t-il pas accès à ces informations ? Pas parce qu’elles n’existent pas, non, mais parce que ces informations le dresseraient contre ceux même pour qui il vote et doit continuer de voter. En démocratie, les gens qui ont le pouvoir se rendent très vite compte que leur élection ou réélection est impossible s’ils partagent leurs informations sur la situation réelle du pays, vérités généralement impopulaires dans un premier temps (et c’est le seul temps qui compte pour le politicien en démocratie). Donc, au lieu de chercher à élever le peuple à leur niveau de compréhension, ce qui leur serait fatal, ils se mettent au niveau du peuple. Ils amorcent ainsi le cycle pernicieux qui vous fait descendre la pente en tant que collectif au lieu de la monter. Et donc, et surtout, ils apprennent à mentir. D’abord en creux puis en plein. Quand le mensonge devient positif, on peut prédire que la fin du système est proche. Eh bien nous y sommes en plein dedans. 

    Le politicien en général, mais de façon bien plus accusée en démocratie, est fondamentalement un propagandiste. J’ai écrit sur la propagande un article qui mérite d’être lu, ici ; je ne vais donc pas rentrer à nouveau dans les détails, mais disons de façon succincte que la propagande est un autre mot pour publicité comparative. Ne nous trompons pas, la propagande est un outil obligatoire pour n’importe quel gouvernement. Le problème est qu’il y a de la bonne propagande et de la mauvaise. La meilleure propagande, à moyen et long terme, est celle qui souligne les forces réelles du pays et accuse les faiblesses réelles de l’adversaire ou du concurrent (du partenaire comme dirait Poutine) sans rien y ajouter. Une forme de propagande déjà dégradée est celle qui exagère ses propres forces, quoique réelles, et exagère les faiblesses du concurrent, quoique réelles. Enfin, le stade ultime de la propagande, stade où nous sommes arrivés en Occident, tout spécialement en Europe, est l’inversion des forces et des faiblesses, le mensonge patenté. En gros, on observe dans ce cas de propagande une projection de nos faiblesses réelles vers l’adversaire et on se pare des forces de ce même adversaire. Cela peut marcher. En fait il a été démontré que cela fonctionne très bien… à court terme. On a eu un magnifique exemple de ce type de propagande récemment, un vrai cas d’école (mais qui ne sera probablement jamais au programme de la nôtre, ou alors dans un siècle) qui est le covid. Qui pourrait nier que ça a marché ? Parce que vous faites partie comme moi des 10% qui ont résisté ? La belle blague ! Le but du propagandiste est plus qu’atteint lorsque vous avez converti 90% de la société à vos mensonges, que cette conversion soit fervente ou passive, peu lui chaut. Néanmoins, ce bon effet ne dure pas, comme on le voit pour le covid. Et il ne peut pas durer car sans cesse, ce type de propagande, ces mensonges pour l’appeler par son nom, se verront contredits par les faits, par la réalité. Et naturellement, on assiste au bout de quelques mois ou quelques années à ce spectacle inévitable des rats quittant le navire, puis de l’équipage puis du capitaine.

    Je résume donc mon point central : c’est parce que les politiciens en démocratie sont obligés de mentir à leurs électeurs, et à mentir de plus en plus au fil du temps, que la démocratie est assurée de se corrompre et d’échouer au final. Et les politiciens sont obligés de mentir et de prendre les mauvaises décisions en connaissance de cause parce que leur population d’électeurs ne peut avoir la lucidité nécessaire pour les pousser dans la bonne direction. Le mensonge des uns entraîne l’ignorance des autres qui entraîne les mauvaises décisions des premiers et ainsi de suite. C’est le serpent qui se mord la queue, c’est ce qu’on appelle un cercle vicieux. Et c’est pourquoi ce système est condamné à long ou très long terme, selon ce qu’on entend par long.

    Est-ce que je suis en train de prêcher ici pour un système différent, dit « autoritaire » par exemple ? Absolument pas. La démocratie a ses mérites et peut être la solution à certains endroits à certains moments. En fait, ma pensée est que tous les systèmes politiques, quels qu’ils soient, en tout cas tous ceux qui ont été essayés, ont en leur sein leur erreur fatale. Mon but est de montrer que notre prétendue supériorité est factice, repose sur du sable. 

    Bien que mon point principal soit achevé, je terminerai par deux dernières remarques, étroitement liées. La première est le lieu commun en Occident que les pays non démocratiques sont systématiquement corrompus, de la base jusqu’au sommet. Et pour illustrer leur point, cette sorte de penseurs note le nombre apparemment anormal de procès pour corruption qu’on trouve dans des pays comme la Chine ou la Russie, suivis généralement de l’élimination de l’accusé reconnu coupable (et ils ne mettent pas en doute la réalité de l’accusation). Apparemment, ils ne sont pas sensibles à la contradiction contenue dans leur propos. L’élimination des « fameux oligarques russes » (plutôt de l’histoire ancienne aujourd’hui) ou des magnats chinois peut impressionner défavorablement par leur méthode mais le but est bien de combattre la corruption jusqu'au sommet de la pyramide. Il faut comprendre que dans l’esprit des dirigeants russes ou chinois, et à juste titre, la corruption ne se limite pas à la prise de pots de vin, à tromper le fisc ou à escroquer la population ; elle commence quand votre entreprise se met directement en travers de l’intérêt du peuple dans son ensemble ; très clairement donc, une entreprise ou en fait un parti politique qui travaille contre les intérêts du pays et pire parfois pour les intérêts d’un autre, très généralement hostile (suivez mon regard), risque fort de se retrouver sur le banc des accusés. Si nous appliquions cette règle saine dans nos pays, nous découvririons que bien des politiciens ou chefs de très grosses entreprises sont corrompus. Je veux bien croire qu’on ne leur mettrait pas une balle dans la tête comme les Chinois ou les expédierait prendre l’air en Sibérie mais il y a bien d’autres sentences possibles, à commencer par leur enlever tous les avantages financiers indus qu’ils ont pris par le fait même de cette corruption et les exclure de toutes responsabilités importantes futures (personnellement, je ne serais pas contre l'exil: c'est plus simple). En second, il est inexact de postuler qu’un système non démocratique est forcément autoritaire. Est-ce qu’un système est autoritaire quand les trois quarts ou plus de la population adhèrent à ce système, à son gouvernement ? Êtes-vous vraiment sûr que la Chine actuelle est plus autoritaire que nos pays ? Il faudrait demander l’avis aux Chinois, non ? Eh bien l’avis d’au moins quatre-vingt pour cent des Chinois et de tous ceux que j’ai pu rencontrer sans exception est qu’ils sont dans l’ensemble, malgré les difficultés, bien gouvernés. Vous vous dites : c’est parce qu’on leur a lessivé le cerveau. Pourquoi ? Pourquoi cela vous étonne que huit cent millions de personnes qui ont été tirées de la grande pauvreté régnant encore dans les années 80 jusqu’à un niveau de vie comparable au nôtre (et bientôt supérieur sans doute si ce n’est déjà fait), plus leurs enfants, éprouvent une forme de gratitude envers leurs gouvernants, ou au minimum du respect ? Mon avis est que s’ils avaient le droit de voter pour des candidats différents, ils voteraient quand même massivement pour Xi, ou un autre représentant du PCC, et de bon cœur. Pourquoi vous étonner que le peuple russe vote à 86 % pour Poutine ? Tous les sondages depuis des années, je parle des sondages réalisés par diverses officines sponsorisées par l’Occident (les USA pour être clair) n’ont cessé de rapporter ce type de chiffres absolument désolant pour leurs commanditaires. Les Russes dans leur très grande majorité votent pour Poutine parce que leurs conditions de vie se sont améliorées lors du dernier quart de siècle et qu’ils trouvent que le capitaine et l’équipage à la barre de cet énorme paquebot sont raisonnablement compétents, honnêtes et surtout fiables. Mais qui ici vote de bon cœur pour Macron ou un de ses semblables ? Dix pour cent, peut-être bien… curieux effet de notre belle démocratie, n’est-ce pas ?

Bon, voilà qui devrait suffire à vos réflexions pour la journée.

Salut.

(Le libellé précis de cet article devrait être "politique" mais puisque c'est devenu un mot qui pue dans notre partie du monde, je ne l'emploierais pas).