dimanche 19 décembre 2021

Jeu De Mort : préface pour une édition future

 

Couverture du livre d'après une peinture de l'auteur


D’une manière générale, on ne devrait lire les préfaces qu’après avoir lu les livres dont elles parlent. Et donc on devrait les appeler des postfaces. Ou bien ne lire que les préfaces des livres qu’on n’a de toute façon aucune intention de lire, soit parce que le livre est trop gros (Une préface à la Critique de la Raison Pure me semble largement suffisante par exemple) soit que le propos nous intéresse mais que le style est indigeste (le pavé philosophique de Kant est toujours un très bon exemple), soit pour les deux raisons à la fois (et le livre précédent fait encore un meilleur exemple). Personnellement, il y a des livres célèbres, de gros romans surtout, que je ne connais que par la préface écrite par Borges ou par un autre préfacier de talent.

Après cette légère digression, venons-en au sujet. Jeu de mort est le sixième livre de la série des Sept Cercles De L’Enfer qui en compte, ou plutôt en compterait dans un avenir toujours plus incertain, un total de sept comme vous l’aurez probablement deviné. Comme souvent, ce livre est plutôt court, de la taille d’une longue novella, distance qui me convient particulièrement, que je peux courir presque les yeux fermés. La vérité est que je ne crois pas à l’enfer ni au diable. Mais il n’y a pas besoin de croire aux fées ou aux extra-terrestres pour écrire de bonnes histoires de fées et d’extra-terrestres. Je ne veux pas dire par là que je ne crois pas que les méchants n’aient pas de soucis à se faire quant à la question de la survie de leur âme mais que leur châtiment éternel n’est pas positif, si vous voyez ce que je veux dire par là. L’enfer est un vide et non un plein. Mais l’Enfer traditionnel n’est pas devenu mythologique pour rien : il est plus parlant et – d’un point de vue extérieur – nettement plus divertissant que le néant. Aussi ai-je choisi, sans avoir besoin de longtemps réfléchir, d’ignorer mes conceptions habituellement privilégiées pour cette série.

Néanmoins, un châtiment éternel, comme celui de Sisyphe, pris au pied de la lettre, a quelque chose d’excessivement absurde et c’est pourquoi, dans cette série, l’enfer a plutôt les caractéristiques généralement attribuées au purgatoire. Un purgatoire dur. C’est un genre de bagne, disons, mais sans qu’aucune clause de perpétuité vous soit signifiée : on ne sait juste pas combien de temps ça va durer ni si ça s’arrêtera un jour (contrairement à la vie) mais rien ne nous prouve non plus le contraire. Dans la série, Kólassy est clairement un exemple de ce type de purgatoire. Jeu de mort en est un autre.

Habituellement, le cercle de l’enfer en question était une planète, un satellite ou un vaisseau, plus ou moins sphérique, voire cylindrique. Ici, ce n’est rien de tout ça mais un O.D.I comme il est baptisé par les personnages du récit, un Objet D’Intérêt, apparu par une nuit très sombre en bord de mer, notre mer, ou disons celle des Américains, une sorte de bathyscaphe ou d’énorme coquillage, plus ou moins sphérique.

Le personnage central du récit est le Président de la première puissance mondiale, dont le nom n’est pas précisé, mais comme l’action se déroule à notre époque ou peu s’en faut (quelques détails peuvent mettre le doute), et qu’on n’est visiblement pas en Chine, le lecteur ne devrait pas avoir beaucoup de peine à combler ce vide d’information. Son Excellence Tommy est sur le point d’entrer dans sa campagne pour sa cinquième réélection, si tant qu’il en soit jamais sorti, et l’apparition de l’O.D.I pourrait se révéler fort néfaste dans cette perspective, qui est la seule qui compte pour un politicien. Imaginez : c’est un peu comme si une nouvelle épidémie, aux effets inconnus, vous tombait dessus alors que jusqu’ici le plan se déroulait sans accroc. Ces imprévus peuvent être parfois très contrariants. Et quand l’imprévu en question se révèle enfin sur son écran, flamboyant tel l’œil du Mordor, il ne fait plus aucun doute que la contrariété de Tommy ne va faire qu’empirer.

Mon ton ici est un peu trompeur car Jeu de mort n’est pas une comédie, pas même satirique. Une tragi-comédie à la rigueur. Mais elle est surtout tragique, pas très loin de l’horreur. Elle est aussi probablement morale mais j’ignore quelle est sa leçon ; comme je le laissais entendre plus haut, il est toutefois possible que ce soit une histoire de rédemption. 

Voilà, vous êtes prévenu.

Le livre est disponible ici.


vendredi 10 décembre 2021

Ô Micron, que ton règne vienne ! (et nous délivre des méchants)

 


Cette illustration est tellement bonne, tellement parlante sur la situation actuelle, que je ne vois pas pourquoi je me fatiguerais à écrire un long texte après. C'est évidemment une adaptation très libre du célèbre tableau de Munch, Le Cri. Elle n'est pas de moi — je n'ai pas le talent pour réaliser ce genre de montage — mais je n'ai pu trouver le nom de l'auteur qui doit en recevoir tout le crédit. Tout ce que je peux dire c'est qu'elle sert à illustrer l'article de Brandon Smith : Omicron, We Warned You The Covid Farce Would Never End (soit en français "Omicron, nous vous avons averti que la farce covid ne finirait jamais). Je n'ai pas lu l'article, pour la raison que je viens de mentionner plus haut,  mais il est sûrement très bon et vous pouvez vérifier ici.

Dans le même style, vous pourriez aimer lire cet article ou celui-là.

samedi 20 novembre 2021

Écrire : travail ou hobby ?

Comme l’indique la biographie admirablement concise que vous pouvez lire sur cette page à gauche, mon temps se partage entre trois activités principales : l’écriture, la foresterie et le dessin (la peinture). Je n’ai aucun doute sur le statut de deux d’entre elles. La foresterie, quoiqu’assez plaisante en fait, est un travail. Le dessin est incontestablement un hobby : je suis une sorte de peintre du dimanche, assez littéralement d’ailleurs. Mais qu’en est-il de la troisième ? me suis-je alors demandé et la réponse m’a semblé nettement moins claire.

D’emblée, pour y répondre, j’ai écarté les notions vaseuses de passion ou de vocation dans la discussion qui suit puisqu’il me faudrait écrire un volume de la taille de La Critique De La Raison Pure pour donner un peu de solidité à des concepts aussi étrangers que la nécessité intérieure et que de toute façon je déteste ce genre de livres qui coupent les cheveux en quatre. Ensuite, j’ai écarté tout ce qui n’est pas littérature sérieuse, essais, chroniques, dissertations philosophiques pour rire ou articles comme celui que je suis en train de taper et qui appartiennent évidemment à la catégorie du hobby, de la distraction oiseuse pour riche dilettante, de la conversation pour passer le temps, voire des ruminations silencieuses d’un promeneur solitaire fort délassantes à dire vrai quoique peut-être uniquement pour le promeneur en question

Qu’est-ce qui différencie fondamentalement le travail d’un hobby ? Les deux angles que je vais retenir sont l’étymologie et l’utilité. Étymologiquement, le travail est la peine, le châtiment, tandis que le hobby est le plaisir, la récompense. L’utilité première et souvent unique du travail, sauf pour les esclaves et les forçats (et les femmes ajouteraient certain(e)s), est de gagner de l’argent, assez pour survivre tout au moins, à la sueur de son front, dans la peine et l’ennui ; la fonction d’un hobby est précisément le contraire, de vous faire dépenser votre argent péniblement gagné par le travail pour satisfaire un plaisir (et remplir au passage les poches d’autrui).

Examinons l’aspect étymologique et voyons dans quelle catégorie se range l’écriture.

Mais d’abord, quelques précisions. Dans mon cas au moins, le processus d'écriture comporte trois phases : ce qu’on appelle le premier jet, la réécriture, le polissage ou correction. Le premier jet, avec la découverte, la marche irrésistible vers l’inconnu, le jaillissement spontané de l’inspiration, pourrait être un plaisir mais le fait est que dans l’ensemble, sauf rares exceptions, il ne l’est pas. Pourquoi ? Parce que je ne suis pas dans mon état normal. Parce que je suis tiré du lit à quatre heures du matin, ou en fait à n’importe quelle heure de la nuit. Parce que je n’aime pas sentir ma main échapper à tout contrôle et courir sur le papier de gauche à droite à une allure très excessive sans jamais prendre conseil de mon cerveau, jusqu’au moment où elle arrive dans une impasse et alors je dois retracer laborieusement sa piste encore fumante, armé d’une gomme jusqu’à ce que j’ai retrouvé l’embranchement fatal où elle s’est égarée. Naturellement, le résultat est un torchon infâme, parfaitement illisible, même pour moi. Peu importe, je n’ai de toute façon aucune intention de le relire ni de m’en servir en aucune manière si ce n’est éventuellement comme pense-bête ; le premier jet est juste une façon compliquée de rassembler des éléments épars, de séparer le bon grain de l’ivraie et de me les imprimer dans la tête. Le statut de la première phase est donc ambigu, au mieux. 

La seconde phase, toujours réalisée plusieurs mois ou plusieurs années après la première, peut-être aussi bien l’un que l’autre, labeur ou plaisir. Si tout se déroule selon le plan, qui est d’arriver à un texte lisible (et presque publiable) au bout de l’opération, c’est un plaisir. Mais c’est le cas le plus rare. Très souvent, il faut plus d’une réécriture — deux, trois, quatre, six, dix, treize — et plus il y en a, plus on s’approche de la définition habituelle d’un travail au sens étymologique du terme pour finir par les tourments du damné, tel Sisyphe roulant sa pierre éternellement au sommet de la montagne, uniquement pour la voir redescendre beaucoup plus vite. D’ailleurs taper quatre cent pages avec deux index exclut d’emblée toute idée de plaisir.

Quant à la dernière phase, si elle arrive, elle se range sans discussion possible dans le pur labeur du scribe à loupe et lunettes à double foyer, méticuleux, routinier, sans intérêt.

Et donc, tout compte fait, écrire devrait plutôt appartenir à la catégorie travail selon ce premier angle. Qu’en est-il du second ? Un bilan financier s'impose.

Voyons pour la première phase. J’écris tous mes premiers jets à la main, au crayon de bois, sur des feuilles volantes, dont le recto a été préalablement utilisé pour d'autres besognes. On peut donc considérer que le coût en papier est nul, d’autant que ces feuilles auront une troisième et ultime fonction en me servant d’allume-feu pour ma chaudière à bois. J’ai besoin de cinq crayons de bois, de deux gommes et deux taille-crayons (au cas où l’un viendrait à flancher, je suis prévoyant) pour noircir quatre cent versos de feuilles, ce qui reste modique. Malheureusement, ça se gâte avec la seconde phase. Il me faut alors un PC ou Mac (je ne suis pas sectaire) tous les 10 ans, un logiciel d’écriture non gratuit et un autre de dessin pour les illustrations, car j’adore les livres illustrés, du moins en tant que lecteur (beaucoup moins en tant que fabricant). Si j’ajoute quelques frais promotionnels obligés, le rachat d'un ou plusieurs exemplaires pour le contrôle qualité, il est mathématiquement certain que je ne gagne pas d’argent avec l’écriture et ma centaine de lecteurs, malgré un sens de l’économie que d’aucuns jugent remarquable. D’un point de vue strictement comptable, je peux donc avancer cette affirmation paradoxale que plus je publie de livres, novellas, romans ou recueils de nouvelles (ces derniers sont vraiment terribles à cet égard), plus je perds de l’argent. Et encore, je n’ai pour l’heure pas osé publier de recueils de poèmes !

Le statut de l’écriture est donc étrange. Il combine chez moi tous les défauts ou presque des deux catégories et n’en possède à peu près aucun des avantages : écrire ne me fait ni gagner de l’argent ni ne me procure beaucoup de plaisir et me donne encore moins de satisfaction intellectuelle, puisque j’ai la maladie du perfectionnisme en ce domaine (et uniquement en celui-ci) et qu’il n’y a point de fond ni de fin à cette quête. 

Drôle de hobby.

Pour terminer cet article (hé oui, il n’était pas terminé), et pour élargir sa perspective quelque peu autocentrée, je voudrais citer le cas d’un autre écrivain, très fameux lui, Rousseau. Alors déjà célèbre auteur du Contrat Social ou de La Nouvelle Héloïse, aussi adulé que détesté, invité, souvent sans succès, dans tous les salons des dames à la mode et toutes les cours d’Europe, et voyant donc qu’une richesse condamnable le guettait, il eut une idée géniale pour rester pauvre contre vents et marées. De mauvaises langues diront qu’il a alors inventé le dumping de l’écrivain, ou disons du producteur de livres électroniques, chose courante de nos jours quand on voit ces monstrueux pavés de mille pages et plus (ceux-là se pèsent en Ko), vendus à 0,99€, mais ces mauvaises langues auraient tort. Rousseau était un idéaliste, un vrai, et qui allait au bout de ses idées, du moins jusqu’au point ou ses faiblesses de caractère et de constitution le lui permettaient. Rousseau, à cette époque, était écrivain professionnel, mais pas le genre d’écrivain auquel on pense. Il écrivait ou plus exactement copiait des partitions de musique, des livrets d’opéra, ce genre de choses, car il était aussi musicien. Et pour ce travail, il prenait tant du mot ou j’imagine de la ligne puisque je ne vois guère de mots dans une partition excepté les glissando, piano, moderato et tutti quanti. Son prix n’était pas cher et je suppose qu’à sa porte, il y avait un écriteau vantant la modicité de ses tarifs. Eh bien, pour ne pas risquer de devenir riche à cause de tous ces inconnus oisifs qui voulaient absolument sinon lire au moins avoir le plaisir supérieur d’arborer son dernier livre dans leur bibliothèque, il eut l’idée géniale, quoique burlesque, presque délirante à nos yeux de laborieux petits commerçants de troisième classe, d’imposer à ses éditeurs (quelle belle imposition ! devaient-ils se dire) de ne le payer que le tarif exact qu’il prenait comme copiste de musique, en une seule fois, comme pour un forfait, tant du mot et pas un sou de plus. J’imagine qu’il n’a pas eu trop de mal à trouver éditeur avec ce type de condition draconienne.

Drôle de travail.


jeudi 11 novembre 2021

Merveilles de Terres et de Ciels

 Comme il s'agit avant tout d'un livre d'art graphique, autant débuter ce bref article par une des "merveilles" qu'il recèle.


En faisant cette peinture, je pensais à un monde gazeux, ou plutôt semi-liquide, puisque les nuages sont faits de gouttelettes liquides en suspension dans une masse gazeuse. Ici, la différence se fait dans la densité de liquide entre les différentes couches de cette atmosphère. Celle-ci est probablement plus épaisse que l'atmosphère terrestre : elle sert ici à soutenir ces flotteurs en forme de poisson mais qui me semblent plutôt des dirigeables touristiques. J'ignore comment on peut faire tenir un phare dans de pareilles conditions et à quoi ils peuvent bien servir : il faudrait leur demander. J'aurais pu intituler cette peinture Un monde de nuages. En fait, j'aurais probablement dû.





Cette peinture est la seule du livre qui ne comporte ni titre ni commentaire parce que je n'en ai pas trouvé alors. Je n'en trouve toujours pas aujourd'hui.



Je ne sais pas si des ciels de ce genre existent près des pôles terrestres. Qui sait? En croyant inventer, on ne fait souvent que découvrir. Et en croyant découvrir, on ne fait quelquefois que se remémorer. J'ai oublié quel titre j'ai donné dans le livre à cette peinture (l'astronaute du premier plan est un montage) mais cela aurait pu être Sculpture sur glace.



Certaines peintures du livre — un bon tiers, je dirais — me semblent tirer plus du côté du fantastique que de la science-fiction. C'est le cas de celle-là. Il y a des influences picturales ici que j'ai du mal à définir. Ernst peut-être pour le géant de pierre bariolé. Plus profondément, j'y verrais bien une inspiration venue de plus loin, des primitifs italiens. Néanmoins, il manque alors le chevalier en armure sur son destrier caparaçonné, venu pourfendre le dragon. Et du coup, il manque peut-être aussi la belle éplorée.



Si vous désirez faire l'acquisition ou en savoir plus sur ce bel objet qui n'a d'autre ambition que de faire voyager vers des mondes inconnus, imaginaires ou peut-être réels, en tout cas à jamais hors d'atteinte par les moyens de transport ordinaires et même extraordinaires, vous pouvez allez voir ici. Ce n'est vraiment pas cher pour voyager aussi loin. Le livre existe en version brochée (28 cm X 21, 5 cm) ou en version e-book, légèrement adaptée étant données les exigences spécifiques variées d'un livre virtuel consultable sur tablette, liseuse, voire smartphone (évidemment, dans ce dernier cas, le téléchargement est un peu long).

Autre article sur le livre: ici.
Où trouver le livre en question : .

samedi 16 octobre 2021

Lettre à un Covidien : un voyage dans le temps

Image de Margaret Anna Alice: "femme fourrée dans une bouteille"

Voici un document intéressant, je veux dire d’un point de vue historique — les meilleures estimations le datent d’il y a environ mille ans, juste au commencement de notre glorieux reich — mais aussi clinique, oserais-je dire psychiatrique, tant il démontre à l’excès l’effroi irrationnel de certains devant l’avancée inéluctable du Progrès. Car qui pourrait douter que le Nouvel Ordre Hygiéniste Mondial constitue un progrès formidable? Seule une âme dérangée, profondément pervertie, peut-être délirante (le pseudo de l'auteur,  Alice Through the Looking-Glass, le laisse clairement entendre) peut voir le mal là où au contraire réside le plus grand bien, y compris le sien, tel que l’a défini très clairement notre Docteur Suprême de la Loi. L’auteur, à en juger par son nom de plume Margaret Anna Alice, se revendique triplement femelle (coutume ancienne et grotesque où on séparait les gens en fonction d’un sexe imaginaire) et présente le travers habituel de cette sorte de personne, à savoir une tendance au babillage sans queue ni tête. Connaissant la patience très restreinte de nos lecteurs pour ce type de verbiage incohérent, mélodramatique, exalté et insensé, j’ai donc procédé durant ma traduction à des coupes que je qualifierais de sanitaires.  Mais le lecteur historien ou amateur de ce genre de cas psychiatrique, et doté d’une abnégation au moins égale à la nôtre, peut retrouver la version originale et intégrale ici.

Bonjour chez vous. Je comprends, vous êtes un croyant. Vous avez une foi sans faille et zélée dans le système. Vous croyez en la ScienceTM. Vous jugez que tout ce qui tombe en dehors des limites admises par l’histoire officielle est de la désinformation, des théories du complot, des fausses nouvelles.
Vous arborez consciencieusement votre insigne d’obédience. Vous observez scrupuleusement les distanciations sociales. Vous vous enfermez quand on vous dit de vous enfermer. Vous reportez aux autorités ceux qui violent le confinement et les autres restrictions.
Vous avez été le premier dans la queue pour recevoir l’injection. Vous avez encore été le premier pour recevoir la seconde injection. 
Vous avez pleuré de joie à ces deux reprises. Vous ne supportez pas d’attendre la troisième, le booster.
Vous n’avez pas perdu votre temps à faire vos propres recherches hors des avenues autorisées ; à lire des articles scientifiques revus par les pairs non financés par le cartel des drogues pharmaceutiques ; ou d’évaluer avec un esprit critique les articles de presse répétés comme des perroquets par vos politiciens, journalistes, experts préférés.
Vous demandez que quiconque est non-croyant se soumette aux décrets de votre foi ou bien soit exclu de la sphère publique, privé d’emploi, refusé aux portes des hôpitaux, perde son droit à manifester, soit intimidé jusqu’à soumission complète et mis en quarantaine.
Vous trouvez ces hérétiques dégoûtants, de méprisables individus par qui passe la maladie, des menaces pour la santé publique. Vous ne seriez pas contre le fait de les enlever de votre communauté, peut-être les concentrer dans des centres de détention spéciaux — en tout cas jusqu’à ce qu’ils reçoivent leur injection. Vous ne ressentez aucune pitié s’ils meurent. C’est leur faute après tout.
Peut-être n’êtes-vous pas à ce stade. Pas encore. Donnez vous quelques semaines de plus. Les propagandistes vous y amèneront. Regardez où vous êtes déjà arrivé. Regardez combien de droits vous avez abandonnés volontairement, combien de valeurs vous avez laissé tomber en route — au nom de la sécurité, au nom de la santé, au nom du bien public. Vous avez senti que ça valait le coup. Et vous ne le regrettez pas.
Vous souhaitez seulement que d’autres ne continuent pas de crier des « mes libertés », « mon corps, mon choix » et autres idées stupides obsolètes. Ne réalisent-ils pas à quel point ils sont égoïstes ? Quel risque ils font courir à leurs concitoyens ? C’est une urgence — une crise mondiale catastrophique incalculable, sans précédent — et nous ne retournerons jamais à la vie normale s’ils continuent obstinément d’insister pour garder leurs « libertés », pas vrai ?

J’aimerais parler à votre moi d’il y a deux ans. Si on avait dit à ce moi que le monde entier pouvait être mis à l’arrêt et nos libertés suspendues au gré des caprices de ses leaders pour un phénomène avec lequel les humains ont fait et su faire depuis des millénaires, vous croiriez que je suis en train de décrire une dystopie de fiction. Il se peut que je sois capable de raisonner avec cet ancien moi. Au lieu de quoi, c’est un exercice probablement voué à l’échec d’essayer de réveiller un otage victime du syndrome de Stockholm subissant les machinations maléfiques de son geôlier.
Revenez deux ans en arrière — l’été 2019 disons. Que faisiez-vous alors ? À quoi ressemblait votre vie ? Comment voyiez-vous votre vie passée, présente et future ? De quoi vous souciiez-vous ? Comment passiez-vous votre temps ? Quelles étaient vos valeurs centrales ? Que penseriez-vous de vos pensées, de vos ressentis, de vos comportements actuels ?
C’est à cette personne que je veux parler — pas à votre moi actuel. Je suis certaine que votre moi de 2019 serait fasciné d’entendre ce que votre moi actuel a à lui dire — bien que je serais prête à parier quelques milliers de dollars inflationnistes qu’il ne reconnaîtrait pas ce que vous êtes devenu.
Et je ne parle pas de vous personnellement. Vous êtes probablement une personne de bonne volonté qui fait ce qu’elle pense être le mieux. Je comprends d’où vous venez. Je comprends pourquoi tant de personnes de bonne volonté sont comme vous.
Je parle à tous ceux qui persistent à accepter sans esprit critique les raisons données pour transformer notre monde en une prison à ciel ouvert. Je parle à tous ceux qui marchent tout endormis dans leur esclavage sans s’étonner de rien, sans même le désir d’examiner la situation d’un autre œil que celui de ses maîtres.
Si nous n’avions pas subi un cas collectif du phénomène Baader-Meinhof, orchestré par des experts en contrôle des foules comme The Behavioural Insights Team — équipe décrite sans malveillance par le site officiel du gouvernement anglais comme « l’Unité des Pousseurs de Coude » — et appliqué au travers des médias mainstream et des réseaux sociaux, vous seriez toujours en train de vivre et d’apprécier la vie comme deux ans plus tôt.
Mais alors vous avez volontairement abandonné nos droits, un à un, à cause de votre peur. Nous n’aurions pas commencé à percevoir nos congénères comme des armes biologiques qui doivent être vilipendés, ostracisés, éliminés.
La ségrégation médicale divise davantage des populations déjà fragmentées, nous rendant ainsi plus faciles à contrôler. Le traumatisme psychologique de cette isolation et de cette fragmentation est incalculable, et l’étendue entière des dégâts ne sera pas comprise avant des décennies.
Voici un exemple. Dans une manifestation, une vieille femme en chaise roulante brandissait une pancarte disant « Je préférerais mourir de Covid que de solitude » — un sentiment partagé par des millions d’autres dans les maisons de retraites médicalisées du monde entier. Quel droit avez-vous de prendre cette décision pour elle, pour eux — pour n’importe lequel d’entre nous ?
Revenez à votre moi d’avant et considérez ce qu’il pense du fait de criminaliser des actes comme s’étreindre, s’embrasser, sourire, chanter. Les maladies contagieuses existaient alors tout autant. Nous n’avions pas été encore conditionnés à craindre la présence physique de l’autre.
La déshumanisation est si efficace que nous ne pouvons plus voir le visage des autres, toucher leur main, leur parler de vive voix, ou les prendre dans nos bras. Et aujourd’hui, la nouvelle chef de la santé de la Nouvelle-Galles du Sud dit aux gens :  « ne commencez pas une conversation ». Que craignent-ils que nous nous disions ? Quand les gens n’ont plus de conversation en réel, toutes les discussions passent par le filtre de Big Tech, qui décide ce qu’il est bien pour vous d’entendre.
Chaque aspect des régulations appliquées mondialement est conçu pour nous séparer les uns des autres, ils créent un système d’apartheid qui rend illégal toute dissension et encourage la persécution de ceux qui questionnent l’État.
S’il vous plait, rappelez-vous l’humanité de ceux qui ont été progressivement voués aux gémonies — jusqu’au point où vous trouvez normal qu’ils soient financièrement pénalisés, exclus des premières nécessités, arrêtés, retenus en captivité. Cela se passe ailleurs. Ne vous faites pas d’illusion en croyant que ça ne peut arriver ici, chez vous.
Pour terminer, je vous laisse avec le témoignage d’une femme courageuse, survivante de l’Holocauste, qui avait traversé tant de terribles épreuves avant de succomber finalement dans un confinement solitaire.
Selon la nécrologie du New-York Times : « Vers le printemps 2020, Inge Ginsberg vivait dans un centre médicalisé de Zurich quand elle a contracté le coronavirus. Les restrictions dues à la pandémie ont souvent empêché les résidents de voir qui que ce soit, autres résidents ou visiteurs, et l’isolement a fait une victime en sa personne. « Nous n’avons aucun doute qu’elle soit morte d’ennui, de solitude et de dépression », dit M. Da Silva. Lui et Mme Caruso sont restés en contact avec elle par téléphone et les trois ont commencé une nouvelle chanson pour le groupe (NdT : le groupe musical d’Inge Ginsberg) intitulée « Jamais Plus », tirée aussi de l’expérience de l’Holocauste de Mme Ginsberg.
« Toutes mes chansons contiennent un message » a dit Mme Ginsberg. « Ne détruisez pas ce que vous ne pouvez pas remplacer ». Elle a ajouté un second message : « Vous ne pouvez éviter la mort, alors riez en. »

Sur le même sujet : ceci et cela

samedi 18 septembre 2021

Le Fanu : grand maître du fantastique

 




Si on inclut dans la littérature fantastique, par ordre chronologique, L’Odyssée, Les Mille Et Une Nuits, La Divine Comédie en plus des évidents Hoffmann (pour ses Élixirs Du Diable), Poe, Le Fanu, Stevenson (Olalla et ses Nouvelles Nuits Arabes) Maupassant (une poignée de nouvelles), Leroux, Hodgson, Lovecraft, Borges, Kafka et beaucoup plus récemment Gene Wolfe, ce genre est celui qui aura le plus compté pour moi, en tant que lecteur et probablement comme source d’inspiration littéraire. Comme dans le reste de la littérature, je divise ces différents auteurs en deux groupes : ceux que j’admire, d’un point de vue professionnel mettons, et ceux que j’aime, qu’on pourrait nommer mes âmes-sœurs. Dans ce dernier groupe, celui qui me marque le plus est sans doute Le Fanu. Avec Melville, c’est probablement l’auteur dont je me sens le plus proche, pour des raisons qui m’échappent, tant leur biographie ou leurs thèmes de prédilection ou leur style ont peu à voir avec moi.
Le thème de prédilection de Le Fanu est assez clairement le fantôme, le spectre ou le quasi spectre, à l’image de son personnage Silas qui annonce de façon si frappante le comte Dracula, ce croisement improbable entre un noble sanguinaire et débauché et un majordome victorien, sans pourtant, dans le premier cas, déroger en rien à la banale nature humaine. Je peux en deviner une raison, hormis le fait qu'il soit Irlandais, dans la disparition précoce de sa femme et dans son non remariage, mais n’étant pas spécialiste de la question, je peux aussi me tromper. Ce thème donne lieu à des ambiances assez brumeuses, rêveuses et mélancoliques mais pas seulement. Parmi les grands créateurs de fantômes, Le Fanu est sans doute le plus naturaliste (hormis Maupassant mais le Français n’est pas un spécialiste des fantômes, plutôt des cerveaux dérangés), le plus précis dans ses descriptions du cadre de l’action, chez lui toujours assez sauvage. En fait, il y a donc un point commun avec moi : dans ses descriptions de la nature, Le Fanu est souvent précis et ses associations végétales révèlent des qualités d’observation nettement plus élevées que chez l’écrivain romantique moyen. Peut-être était-il chasseur comme Maupassant. Ou plus probablement, grand promeneur comme cet autre excellent observateur de la nature qu’est Rousseau.
Mais Le Fanu n’a pas qu’une seule corde à son arc comme nombre de ses confrères “en fantastique”. Il peut aussi avoir des formes et des coloris beaucoup plus tranchants, en particulier dans ses textes à mystères (mystery stories des anglais) comme Oncle Silas et surtout, de manière à peine croyable, La Maison Près Du Cimetière (qui dépasse nettement le cadre de la mystery story, ou du roman historique, comme je l'ai vu récemment qualifié, et d’ailleurs tout cadre préétabli). Dans ce dernier, sa science du dialogue et du monologue est impressionnante, dans la lignée de Joyce ou Hemingway. D’une manière générale, il est excellent dans l’animation de ses personnages, des deux sexes, chose encore plus rare chez les fantastiqueurs anglo-saxons (pour qui généralement n’existe qu’un sexe quand il y en a un). J’ai dit ici pourquoi un auteur ne pouvait à la fois mettre la focale sur ses personnages et sur l’intrigue. Le Fanu rentre dans le premier cas. D’ailleurs les titres de certains de ses meilleurs textes sont typiques à cet égard : Shalken Le Peintre, Monsieur Le Juge Harbottle, Carmilla, Oncle Silas. 
Le Fanu est un grand styliste en plus d’être un bon narrateur, au charme discret ou ébouriffant selon les cas, à la différence de Hodgson ou Lovecraft, souvent très maladroits, et même de Poe, beaucoup trop alambiqué dans la plus grande partie de son œuvre (il faut excepter au moins ses histoires d’horreur les plus concises, ses véritables chefs d’œuvre que sont Le Chat Noir, Le Cœur Révélateur, Le Puits Et Le Pendule). Il tient plus de Machen. Ou pour remettre les choses dans le bon sens, Machen tient plus de Le Fanu que de Poe. Le Fanu est plutôt égal dans la qualité de ses livres et n’est donc pas ce type d’auteurs qui, de second ou troisième ordre dans presque toute leur carrière, vont pourtant avoir un coup de génie à un moment de leur vie, un grand moment d’inspiration, et produire des œuvres aussi marquantes que Le Moine ou Dracula. Il n’est pas l’auteur d’un seul livre. Au contraire, en ouvrant un de ses livres, on peut être raisonnablement assuré qu’il sera assez bon et digne d’intérêt dans toutes ses parties. Même une novella écrite bien avant son apogée, comme "Le Mystérieux Locataire", vaut la peine d’être lue et même relue. Même le petit roman de la même époque au titre très semblable "The Evil Guest", non traduit en français à ma connaissance, malgré la faiblesse de l'intrigue, est très intéressant car il contient à peu près tous les thèmes fondamentaux de Le Fanu et évoque irrésistiblement à tour de rôle presque toutes les oeuvres de sa maturité, y compris une oeuvre aussi opaque que "The Haunted Baronet".
Néanmoins, si je ne devais garder qu’un seul livre de lui, ce serait son recueil In A Glass Darkly, recueil de cinq novellas toutes admirables sans exception et tout à fait marquantes pour certaines, écrites à l’apogée de sa carrière (qui en est aussi la fin). En fait, j’ai tendance à penser que ce livre est le meilleur livre fantastique dans son sens le plus strict, le plus parfait en tout cas, de toute la littérature, prix décerné évidement dans les limites de ma bibliothèque. Mais à ma connaissance, il n’existe pas en version française, sauf par une version tronquée, Les Créatures Du Miroir, à laquelle il manque son couronnement, la dernière pièce et la plus célèbre, Carmilla.
Lire ces cinq textes à la suite, comme ils ont été pensés dans leur ensemble, est vraiment un plus. Ils se complètent les uns les autres et donnent de Le Fanu un aperçu de toute sa gamme, de toutes ses qualités, de son charme particulier, de sa profondeur, de son originalité, de son sens poétique.
"Thé vert" est la moins spectaculaire de toutes et Le Fanu a eu la bonne idée de la placer donc en tête. Il s'agit d'une histoire de doubles, très originale pour l’époque, même encore maintenant, qui se place dans la lignée qui donnera plus tard "Docteur Jekyll et Mister Hyde", en plus convaincant, plus personnel aussi sans doute.
"Le familier" est un des chefs-d’œuvre du fantastique, mais dans le genre discret, trop discret apparemment. C'est une histoire très originale, très insolite, où le damné obtient une forme de grâce divine qui est de subir son châtiment par avance, durant sa vie donc, de sorte qu'une fois mort, on peut supposer qu'il n'aura pas à retourner expier ses fautes (réelles) en enfer.
"Le juge Harbottle" est aussi impressionnante mais dans des coloris bien plus hauts, bien plus vifs, bien plus contrastés, que les deux premiers récits. Le personnage principal, répugnant à souhait, est, hélas, très crédible. Dans ce récit, l’auteur utilise aussi, comme cela lui arrive de temps en temps, ce qu'on pourrait appeler le folklore chrétien, mais toujours d'une manière très originale et personnelle (on pense un peu à certains tableaux de Bosch).
"La chambre de l'auberge du dragon volant" n'est pas fantastique, au sens de surnaturel. C'est davantage ce que les anglo-saxons nomment a mystery story. La nouvelle a la longueur d'un petit roman et est absolument excellente. Même si elle n'a sans doute pas l'intensité des deux précédentes, elle est en revanche particulièrement divertissante. On peut noter que cette fois, Le Fanu enlève tout filtre, en l'espèce d'un de ces doctes personnages qui sont chargés de narrer doctement une histoire qui sinon serait "trop horrible". Le lecteur est donc en prise directe, immergé dans les mésaventures du narrateur qui est aussi l'acteur principal du récit. Une des très grandes réussites de Le Fanu dans le genre, avec Oncle Silas. Mais ici, c’est la situation inverse : l’ingénu est masculin et l’antagoniste principal féminin.
Enfin, je vais dire un mot de Carmilla, la dernière nouvelle. Ce n'est pas la plus forte histoire du recueil mais sans doute — je ne prends guère de risque à l'affirmer — la plus séduisante. Les métaphores sexuelles et l'érotisme lesbien sont bel et bien présents dans cette histoire mais évidemment discrets, légers, plus en fait que la sexualité transparente des vampires mâles et femelles de Stoker. Sa qualité principale, comme souvent chez Le Fanu, réside dans son charme, sa grâce et, justement, sa légèreté.

mardi 13 juillet 2021

Homocide, des progrès en cours

Photo "prise" par The Babylon Bee, tirée de cet  article

Nous revenons dans cette chronique avec une joie difficilement contenue sur nos progrès foudroyants et presque inespérés, du moins aussi vite, depuis ces deux dernières années, date à laquelle nous avons publié avec un espoir mitigé notre dorénavant glorieux manifeste (lire ici à titre de piqûre de rappel, pour les rares d’entre vous à ne pas l’avoir encore appris par cœur). Car c’est un fait acquis : la doctrine de l’Homocide règne aujourd’hui sans partage sur les cœurs et les esprits. Nous remarquons avec délice le nombre sans cesse croissant de nos adeptes et surtout leur qualité inégalable, impressionnés qu’ils sont par notre rigueur hygiénique, notre volonté de fer de guider les foules, notre ton mesuré même au milieu de la tempête, notre puissance psychique, notre santé mentale au-dessus de tout soupçon, chose vraiment admirable en ces temps d’égarement général. Le dernier de nos disciples n’est autre que l’Empereur lui-même Micron Premier (c’est son nom de famille, pas son rang : en réalité son titre complet est Micron Premier 2022). Mais nous pouvons compter aussi parmi nos grands sympathisants outre-Atlantique Super Bidon – à prononcer Sleeper Biden (oui je sais, l’anglais est parfois surprenant) – c’est dire l’aura intellectuelle, morale et physique dont nous jouissons à présent.

Micron Premier, nouvellement sacré par lui-même et dix pour cent de ses nouveaux sujets, Empereur de la grande nation Franche (à ne pas confondre avec la nation Francque, disparue depuis belle lurette), après avoir reçu nos dernières directives par lettre recommandée, vient de déclarer hier soir la guerre, pas celle pour rire, la vraie cette fois. La guerre à l’ennemi intérieur, la guerre aux nouveaux Protestants, aux non-baptisés par nos cinq bons apôtres, Yonson & Yonson, Fizzer, Baderna, Zara Sénèque, grâce à leur sainte seringue pleine d'eau bénite. Nous parlons ici de la guerre civile évidemment, la plus efficace et de loin pour atteindre les nobles buts de l’Homocide, ce projet le plus grandiose conçu pour l’Humanité depuis le déluge.

Nous estimons avoir suffisamment expliqué notre sainte doctrine dans nos trente-sept volumes de L'Homocide Heureux et ses vingt mille et une sublimes sourates (comment nous avons divisé harmonieusement et également trente-sept par vingt mille et un est un fabuleux mystère que seul le lecteur le plus attentif pourra percer). Le Manifeste, ce résumé pour décideurs, est de toute façon là pour les esprits trop faibles pour se maintenir si longtemps à de telles hauteurs. Vous nous connaissez, nous sommes en principe un partisan de méthodes plus douces, plus consensuelles, plus distinguées pourrait-on dire, comme les épidémies (c’est fait), les dérèglements climatiques (c’est fait), les pluies acides (c’est fait), les trous d’ozone (c’est fait), la déforestation (c’est fait), les pesticides (c’est fait), la radioactivité (c’est fait), le dégel du permafrost, l’arrêt du Gulf-Stream, l’invasion de criquets, les éruptions solaires, la chute d’astéroïde, le brouillard blanc. Mais il faut reconnaître l’échec, ou tout au moins le demi-succès de ces précédentes méthodes, toute appréciables soient-elles. Rappelons quand même que le but final de notre doctrine est la réduction du corps électoral, des corps tout courts en fait, de neuf dixièmes, pour le plus grand bien du dixième restant. Notez que c’est l’exact inverse d’une décimation, propos calomnieux que nous avons trop souvent entendu dans la bouche grossière de quelque ignoramus pour discréditer notre pensée profonde et authentique. Ainsi, nous retomberions à des niveaux de population dignes de l’Âge d’Or, que nous situons vers l’an1000, bien plus compatibles avec l’Harmonie générale, avec la prospérité des Choisis, des petites fleurs, des petits oiseaux et de nos amis les loups. Nous privilégions autrefois ces méthodes douces pour ne pas être accusé (faussement, il va sans dire) de favoriser indûment quelques groupes spécifiques, en particulier les membres de notre ligue des Homocidaires réunis. Le tri aléatoire réalisé par ces événements extérieurs et contingents nous disculpait d’avance de tout reproche et nous protégeait de toute mauvaise conscience. Alors, les survivants, élus de la destinée, bénis par Sainte Greta, étaient les Choisis, The Tchou-Tchou-Tchou-Choosen Ones comme dirait Bidon dans ses instants d’éloquence anormaux. Hélas, nous devons constater que malgré tous ces efforts méritoires que je viens de lister sans vouloir d’ailleurs prétendre à l’exhaustivité, nous n’avons pas tellement avancé vers notre but. Les populations d’inutiles parasites continuent d’augmenter, quoique plus faiblement, les ours blancs maigrissent à vue d'œil et l’espérance de vie est restée identique à ce qu’elle était avant notre dernier grand effort – cette merveilleuse covid tombée du ciel, au développement si inattendu. Le progrès dans les esprits est incontestable, il l’est moins dans les chiffres bruts. Et nous sommes avant tout scientifique. Nous regardons les chiffres. Nous nous devions, comme on dit chez le bas peuple, de changer de braquet. La guerre civile, quoiqu’un peu sommaire dans ses méthodes au premier abord, nous a paru donc la nouvelle voie à suivre.

Par chance, nous avons trouvé de puissants et chauds partisans. Micron Premier nous a dédié en privé son discours du 12 juillet (quel génie de l’avoir prononcé seulement deux jours avant la Fête Nationale Franche !) ce qui n’était que justice, même si nous aurions préféré moins de discrétion. Quel est le plan ? Notre réflexion a été celle-ci : un pays en voie de sous-développement comme la nation Franche (c’est une louange, pas un reproche) tire ses derniers et principaux subsides du tourisme et de ses vils profiteurs habituels, restaurateurs, hôteliers, voyagistes et autres serviteurs voués au culte du divertissement et de l’oisiveté. Il fallait donc cibler prioritairement ce domaine, limiter son accès aux seuls détenteurs d’un ausweis estampillé par le club des Cinq, réduire les déplacements, surtout ceux venus des riches pays d’Orient. C’est fait. Affaiblir l’économie, empêcher tout ce qui freine la décroissance, est un premier point déjà acquis. Mais nous devons aller encore plus vite, frapper plus fort. Interdire l’accès aux grands commerces aux non-microniens, aux libertaires assoiffés de sang, aux démocrates quoi, soit exactement neuf dixième de la population, nous a paru une bonne mesure quoique encore trop timide à notre goût (le Grand Jo, Homocidaire de la première heure, nous a appris que rien ne vaut une bonne famine organisée pour réduire drastiquement les cohortes d’indésirables). Nous aurions souhaité aller plus loin : interdire l’accès aux médecins, aux hôpitaux (ce qui ne serait que justice), aux cliniques, aux sanatoriums, aux mairies, aux administrations, aux villes de plus de mille habitants, aux commerces, aux écoles, aux entreprises de plus d’une personne, aux églises, aux mosquées, aux temples, aux synagogues, à ces non-masqués, non-hygiénistes, non-baptisés, abjects sous-citoyens dont l’égoïsme ne le cède qu’à leur ignorance et leur stupidité. Pardonnez-moi cette petite saillie au ton inhabituellement populiste mais s’ils n’aiment pas notre nation, notre loi, pourtant votée par la majorité des dix pour cent de la micronerie, qu’ils aillent voir ailleurs ! Ah non, c’est vrai, ils n’ont pas le droit aux longs trajets. Eh bien qu’ils aillent à la campagne… ou dans les bois. Bref, qu’ils aillent au diable !... Ah non, ils n’ont pas droit aux lieux de culte.

Sur nos conseils, President Bidon (c’est son prénom, à prononcer P-p-p-p-president), que l’on voit plus haut en train de répandre la bonne parole au nom de Fizzer et Yonson & Yonson, a organisé des escadrons de bénévoles, entraînés au combat de rue et armés de seringues, pour convertir les impies. Peut-être ces derniers ont-ils droit aussi à un beau tatouage sur l'avant-bras, je ne sais. C’est une autre méthode, plus charlemagnesque sans doute, mais tout aussi admirable selon nous. Baptisez-vous ou mourrez. Prenez la sainte piqûre ou recevez l’injection létale. Nous verrons alors quelle est la vraie force de conviction de ces néo païens. Mais dans tous les cas, l’Homocide est en train de prendre un nouvel élan irrésistible et nous pouvons déjà envisager raisonnablement un futur radieux.

Dans trente ans, il n’y aura plus un seul impie. Dans quarante, les Homocidaires bienheureux renonceront librement à la vie, satisfaits d'avoir menés leur noble mission à son terme. Dans cinquante, la Terre aura retrouvé la Paix et l’Harmonie. Les petites fleurs des champs, les petits oiseaux, nos amis les loups régneront alors jusqu’à la fin des temps.


 

dimanche 13 juin 2021

Les couvertures de mes livres : inventaire critique (première partie)

 Cet article est le premier d'une série qui passera en revue tous mes livres en me focalisant principalement sur la couverture. Je suivrai l'ordre chronologique inverse. Ce premier article traitera donc de mes livres les plus récemment publiés, voire encore en gestation.

J'ai choisi de faire figurer la couverture de la version e-book (kindle) pour tous les titres. Les différences avec les versions brochées et reliées (quand il y en a) sont de toute façon assez minimes. 

Je ne vais pas ici parler beaucoup du contenu des livres qui fait l'objet d'autres articles que vous  pouvez trouver dans ce site, mais plutôt du contenant. En tant que dessinateur, peintre, illustrateur, je suis particulièrement sensible à cet aspect.



Dans la cité des Anges, qu'on pourrait ranger dans la catégorie thriller de science-fiction apocalyptique, si cela existe, est le dernier de mes livres publiés mais je l'ai écrit en réalité avant certains autres publiés plus tôt. Il fait partie de la série Sept Cercles De L'Enfer et porte le numéro de tome 5 pour cette raison mais devrait en fait avoir le numéro 1. J'ai fait plusieurs peintures pour ce roman et bien que peu convaincu que celle-ci fût la meilleure, c'est bien elle qui a été choisie. Rétrospectivement, c'était sans doute le meilleur choix. Les deux autres peintures étaient sans doute supérieures et plus originales mais probablement moins évocatrices de l'ambiance très futuriste dans laquelle se déroule ce récit. Il se passe en effet quelques milliards d'années dans l'avenir, dans notre système solaire (mais pas sur Terre), ce qui est, avouons-le, d'un optimisme presque insensé.



Une bonne couverture, je trouve, même si le rapport avec le roman est un peu lâche. L'idée d'invasion et d'envahisseurs est en tout cas assez évidente puisque j'ai repris le décor typique de la vieille série du même nom. Mes envahisseurs à moi sont nettement plus crédibles, me semble-t-il; ils n'ont pas de problème avec leur petit doigt mais ont donc des soucis d'éthique comme toute civilisation évoluée, soucis curieusement absents de ce type d'histoires, et ce depuis les débuts de la science-fiction, que ce soit la Guerre des Mondes ou Le Horla. Notre mère qui êtes aux cieux est le numéro trois de la série Sept Cercles De L'Enfer et c'est effectivement le troisième tome que j'ai écrit.



Ma couverture préférée de la série à ce jour. Sa simplicité ne me la rend pas moins chère. La plus évocatrice, même si, comme souvent, elle prend quelques libertés avec le récit. Mais à quoi bon répéter ce que lecteur peut lire en toutes lettres. Comme il s'agit d'une novella, il n'y a pas de version papier, mais il est prévu de la ressortir avec le tome 6, également une novella, encore à paraître, sous version brochée et peut-être reliée. Kolassy - tant pis pour l'accent - est le numéro 2 de la série Sept Cercles De L'Enfer mais a été écrite en réalité après les tomes 3 et 5.




Je ne suis pas très satisfait de cette peinture de couverture. En fait, j'en ai réalisé plusieurs autres depuis, près d'une demi-douzaine (cette nouvelle m'inspire beaucoup, il faut croire). Son problème est d'être vraiment trop générique: elle pourrait convenir à presque n'importe quelle histoire d'exploration extrasolaire. L'aspect dramatique, voire tragique, de cette novella n'y est pas. Outreterre est un conte de fée, avec une authentique fée qui plus est, mais noir. C'est le numéro 4 des Sept Cercles De L'Enfer.
Tout comme Kolassy, elle devrait ressortir l'an prochain avec le tome 6. Ainsi, les trois novellas contenues dans la série seront réunies en un seul volume de taille très honorable pour un livre papier.




Celle-ci partage le même défaut que la précédente mais n'est pas dénuée d'attractivité. J'en avais réalisé une autre, beaucoup plus originale, mais il y avait des filles nues dessus et c'est incompatible avec le puritanisme actuel, tout particulièrement américain (Amazon est la principale plate-forme d'achat pour mes livres et mieux vaut se plier à ses règles). Ici, la base est un dessin très simple réalisé au crayon de couleur avec des rehauts de pastel. Dessiner des vaisseaux spatiaux n'a rien d'une passion chez moi, loin de là. Ceux-là m'ont paru à peu près vraisemblables, à défaut de briller par l'originalité. La vérité est que je ne crois pas beaucoup à l'exploration extrasolaire dans des fusées habitées. Je ne suis d'ailleurs pas sûr que l'exploration de ces mondes lointains soit plus envisageable par des engins entièrement automatisés comme nos missions actuelles vers Mars. C'est un problème de temps et d'énergie; les deux me semblent rédhibitoires, dans l'état de la science actuelle (et je ne vois pas pourquoi elle changerait sur ces deux points précis). On me dira que ce scepticisme est incompatible avec le fait d'écrire des histoires de voyages interstellaires. Pas du tout. Pas besoin de croire aux fées ou aux loups-garous pour écrire des contes de fées ou des récits de monstres hurlant à la pleine lune avec toute la conviction nécessaire. J'en ai écrit et je ne crois ni à l'un ni à l'autre.

Fille des étoiles est le tome 1 de la série Sept Cercles de L'Enfer et assez logiquement, est centré sur le maître supposé des enfers, Lucifer. Ou plus exactement sur sa fille.



Un  Monde Secret est un conte de fée spatial, comme Outreterre, mais plus rose que mes standards habituels, ce que cherche à montrer la couverture. C'est aussi la novella qui m'a poussé à écrire le roman Fille des étoiles, histoire au moins d'expliciter les zones d'ombre de la nouvelle. Elle est néanmoins tout à fait compréhensible dans ses grandes lignes sans le recours au roman ou à la série complète. 


Pour finir, je vais présenter les peintures qui devraient servir à réaliser les maquettes des couvertures des tomes 6 et 7, les deux derniers donc des Sept Cercles De L'Enfer. Bien que ces deux tomes soient déjà écrits, au moins dans leur premier jet, il faudra probablement encore deux ans avant que le dernier tome ne paraisse. Ce délai n'est pas anormal. Laisser un texte en barrique quelques mois, voire quelques années avant de lui donner son poli définitif (même s'il n'y a rien de vraiment définitif étant donné le système de publication) permet de décanter bien des choses.



Ceci est le projet de couverture pour Jeu de mort, une novella, constituant le tome 6. Le choix de la peinture est à peu près arrêté, de même que le titre, puisque la sortie du livre est prévue pour le tout début de l'an prochain. C'est probablement une de mes couvertures les plus descriptives et fidèles au récit. Jeu de mort est située soit dans un futur proche soit dans un monde alternatif très semblable au nôtre, selon les goûts. Comme on le voit, on est loin du réchauffement climatique anticipé. Mais le climat n'est vraiment pas le thème central de l'histoire. Ici, le personnage important, si on peut dire, est le phare.



Je n'ai pas encore de titre bien fixé pour le dernier tome de la série, un assez long roman, le plus long de la série, de très loin, et en fait de tous mes livres parus à ce jour. Et je subodore que le choix de la couverture dépendra au moins en partie du titre choisi. Il me semble en effet qu'une bonne couverture doit être en résonnance étroite avec le titre. Et comme le titre est en général la dernière chose que je trouve dans un livre, il peut encore changer dix fois d'ici la publication prévue en 2023.

Par exemple, si je choisissais le titre En Abîme Passant, la peinrure ci-dessus pourrait faire une assez bonne couverture.



Un autre titre possible pour ce tome ultime est Cap sur l'étoile bleue. Dans ce cas, cette peinture serait mieux indiquée. Dans son impact visuel, la peinture est supérieure, me semble-t-il. Naturellement, elle aura besoin d'être recadrée, ce qui est toujours un peu dommage pour l'équilibre de la composition. On me dira que je pourrais dés le départ choisir un cadrage plus adapté à une couverture de livre (celui-ci semble mieux convenir à une couverture de CD). C'est vrai mais la peinture serait moins belle.

Parmi tous les titres envisagés, le plus parlant peut-être est De l'enfer au paradis, puisqu'il traduit bien le cheminement de ce roman, en sachant tout de même que la partie consacrée au paradis est nettement plus réduite que celle consacrée à l'enfer. Rien ne dit pour autant qu'il sera choisi. Pas assez science-fiction, de toute évidence. Et cela m'obligerait à faire une peinture plus fantastique que SF et ce roman est incontestablement de la SF, tendance dure, pourrait-on dire.

samedi 5 juin 2021

There Are Doors by Gene Wolfe: a dark story but a good therapy (and vice versa)



For this topic, I feel obliged to return to my home-made English because I suspect there are little more than zero French speaking readers of this novel, which is a pity but not really a surprise. So sorry for the couple of folks who may disprove my assumption.

At the outset, I must advise you that it should be wiser to read this article after rather than before reading the novel if you intend to give it a try, of course. In short, spoilers ahead.

There Are Doors is a very underrated book by a very underrated writer named Gene Wolfe. As a matter of fact, it seems the greatest fan of TAD was Wolfe himself (he said in an interview that this book was his favorite with Peace). On this particular point, I perfectly understand his feeling which is not shared by his readers, even among his handful of fans. Not only I understand but I know the reason why. You are usually told that fictions are some tools for writers to get a special catharsis. But usually, it’s just a lie, or if you are kinder than me, an urban legend.

It is not the case, here. TAD is a true catharsis and I am going to show you how and why.

 

I read for the first time TAD in my youth, indeed one of the first Wolfe’s books I read in my life. I liked it very much. In this time, I didn’t care of the deeper meanings of this story, I only appreciated the characters and the stunning cascade of strange events. I read it a bit like a sad Alice travelling underground, trying to catch up the white rabbit, in spite of all the crazy things that happen to her. Here, the rabbit is a woman named in our world Lora Masterman whom Green—the sad Alice—does believe to be a goddess. The sadness of the main character didn’t bother me much because of the remarkably poetic imagination of his adventures. It was for me like a Kafka’s story where the darkness is overwhelmed by the humoristic, poetic or comic tone. Naturally, like any reader of this story, I thought the hero or rather the anti-hero was mad. And to be sure, he is mad as a hatter, or more precisely, as a march hare (the story begins in march). The only thing I regretted in this novel was the end which seems to me very desperate, very dark, without fair-play for the protagonist as well as the reader. As Lautréamont said about a famous poet, we see here a man who happily rolls down the slope to nothingness (in French: l’écrivain qui roule vers l’abîme en poussant de petits cris joyeux).

Recently, I reread the book. My first impression remains the same: TAD is one of the best novels written by this author, thus one of the best novels published at the end of the last century. The change is that I’m a little more reflexive than then and like any reflexive person, I like to understand what I read, especially if I liked it much. So I made some extra efforts to perceive the meaning hidden behind the scene. Also, I have a better knowledge of Wolfe’s work and I know he is the kind of fictionists who usually prefers to hide the deeper meaning of his stories in some dark places, or even in plain sight but it amounts to the same thing: generally you don’t see it at the first reading. And I succeeded in this. I do believe I succeeded.

First, it is plain that the events happening in the other world, Overwood or whatever its name, only happen in Green’s head. The book is written in the third person but tightly and only through Green’s eyes. So, it’s not very different from a first person narrative. What is the interest of writing a fiction whose every event, every character may be a forgery or an illusion? None. There would be no sense at all. But Wolfe, this hugely talented storyteller, doesn’t make this great mistake as you can guess. There are real events and real characters, but more or less (rather more than less) distorted by Green. The periods when Green is back to C One, the real world, our world, inform us that he is back in his good sense and in these periods, what he sees is very close to reality. He is not healed but he seems in good way to recover. So, Lora Masterman, his doctor with buck teeth, the old woman who buys the desk, the manager of the store, by instance, are real persons. You have no reason to doubt it. In fact you have to believe it or you should better stop reading. Conversely, the moments when Green enters the other world, Overwood, where mating means death for males and where there is a goddess named Lara Morgan, you know Green is going full crazy. I suspect Green, as a great story teller, is perfectly able to make up all the characters and events and scenes which we are told in Overwood from films, dreams, remembrances or actual persons he meets. In particular, it seems very clear that North is a complete forgery. Because North is his perfect antagonist, his opposite pole: he is tall, strong, rude, harsh, violent, arrogant, smug, very active and very manly in addition to be mad; he is the archetype of what the woke libels as toxic masculinity. Green is short, passive, kind, weak, emotive, with no self-assurance. There is evidence in the text of this split personality: at their first meeting, North is sleeping and murmurs “mama” in his dream. A man like North is very unlikely to say this sort of thing, even in his sleep. But Green is. Green is still a mama's boy. Green projects himself through North because of his manliness, and more deeply because he thinks a (super)woman like Lara wants a (super)man like North. So, North is Green, a super Green.

North is not the only character made up by Green. Walsh, the mad boxing manager is certainly another fantasy (the best clue can be found in the penultimate chapter: see below). I strongly suspect mama Capini to be unreal while “her” restaurant is real. She is a projection of Green’s late mother, the person the most important for him. It is possible that the old woman plays the same part in this story, although we know she is real, because her gift to Green is very fishy. In general, a sane person doesn’t give such a precious thing (three thousands of dollars) to a stranger but a madman may believe it. Thus, I think he dreamed the gift of the ancient desk. It is no more real than Tina, the thinking doll, actually a sort of fairy. So we have maybe the craziest scene of the book: a man who tells a false story of or about the brothers Grimm to an imaginary person named Tina while he is struggling with a non-existent desk. By the way, I remark that Wolfe, without putting it clearly, make a real good story-teller of his main character because we, readers, know that there is not such a tale in this world and he had to make it up. And this is new evidence that the rest of the strange events are also his inventions. So, in this regard, Green is Wolfe, the Great Narrator.

Klamm is a projection of the absent father, a very powerful man like North, but in a different way. Klamm is distant but rather kind and protective with Green. Klamm is caring of him, contrary to Green’s real father who is still alive and had no relation with his son for more than ten years (Green is likely the only child of a divorced mother). However, I think Wolfe made one of the small mistakes of the book in the name of this character. Indeed, we hardly see how a man like Green, who has no book except the few his mother read for him, children books, could have heard of Klamm, the mysterious antagonist of Kafka’s last novel. That’s not at all the same level. But it’s also a new sign that Green is Wolfe in some regards.

The end of the story: it is very sad, very dark indeed, without a hope left. When Green meets again with Lora, the real person, he is struck by lightning in every sense. He realized that the woman will never come back to live with him, that he has never been a real partner in her mind, just a big mistake from her pity to him. So he was left with only one option, he thinks: come back to the other world, where Lara could take him as a dog or a slave at least. And he knows his come-back will be definitive this time. The madness will be complete and irreversible. It is like a suicide. In fact, we have a good piece of evidence it is literally a suicide: the title of the penultimate chapter when North is shot dead by Walsh is justly “Main Event”. So the main event of the novel is the suicide of Green since North is nobody except Green: how to be clearer! Therefore, when the sirens are ringing out in the last lines, it is probably the cops who have been called after the gunshot (I assume here that even an obvious lunatic like Green can get a real gun in the real America).

Now, why is Wolfe so pitiless with his main character? Such a gifted narrator like Wolfe, plus a charitable catholic, could have saved Green, at least his soul from the ugly despair. After all, Green is the good guy in this story. He is kind, we are told, and we are willing to believe it. What’s his crime? His crime is briefly alluded to in the course of the narration, and by no other than himself: he has no pity for others but only for him. He is a much too self-pity man. And self-pity is not a small flaw. Although it doesn’t count among the deadly sins, it should. It is as serious as hubris. North is a bad guy but at least he is a fighter. Life is an almost permanent fight, first and foremost, against oneself. Green refuses the fight. And by refusing the fight, he refuses life. You can say it’s not his fault, he’s sick, he’s a poor lonely man, he’s a blues man with no music. Yes it’s an excuse but that’s not a valuable escape from his fate. There is no escape in real life other than by yourself. Wolfe says: don’t rely on others, on pity, on pills or psychobabbles to save you. In the end, you are the only one who can save yourself. A saying comes to mind: God helps those who help themselves (aide-toi et le Ciel t’aidera in French). Green refused to help himself because of his excess of self-pity. In the view of the writer, he therefore deserves a new circle in Dante’s Hell, one that was not included by the author, regrettably.

I take a step further. In the end, Wolfe kills the Mister Green that is in him. That’s the therapy. And judging by his strong praise pronounced many years after the release of the book, the catharsis has succeeded.

Poor Green. He was the kid offered in sacrifice by Wolfe to God. Sometimes, we have to.

In the end, I come to the conclusion that TAD is in fact a very dark therapy but a very good story, one of the most perfect by Wolfe.


Some other articles I wrote about Wolfe (you can also check the sites entirely dedicated to this author referenced to the left, above):

In English:

About Starwater Srains

About Stories From The Old Hotel

En français:

Sur Le Livre Du Nouveau Soleil

Sur l'auteur

Les Dystopiques de Gene Wolfe

Sur Lovecraft, Borges et Wolfe

 

samedi 1 mai 2021

Dans la cité des Anges : roman

 


Le tableau ci-dessus est une représentation du cadre quelque peu mélodramatique où se déroulent les événements non moins mélodramatiques du premier chapitre de mon roman Dans la cité des Anges. Si c’était un hommage en forme de pastiche, je dirais que c’est mon Turner, ou mon Friedrich peut-être, toutes proportions gardées (je ne suis qu’un petit illustrateur devant s’accommoder de petits talents). Pour une raison inexplicable, il n’a pas été retenu pour la couverture du livre, bien qu’il aurait fait à mon avis une bien jolie couverture. Les raisons des éditeurs sont impénétrables. Peut-être a-t-il été estimé en ces hauts lieux que cela ne faisait pas assez science-fiction.

Dans la cité des Anges appartient en effet, très incontestablement, au genre de la science-fiction. Très précisément, un éditeur fou, espèce rare, pourrait s’amuser à le définir comme un thriller ou un roman policier de science-fiction métaphysique. Il se déroule en tout cas dans un avenir très très lointain (le deuxième “très” n’est pas en trop, loin de là). En fait, nous sommes cette fois tout près de la fin des temps. Au moins pour nous, les Hommes. Notre vieux soleil, toujours présent à l’extrême gauche en haut, est devenu une géante rouge et n’a plus de carburant que pour quelques centaines de millions d’années (une paille comparée à la durée de l’univers mais une quasi éternité comparée aux quelques dizaines de milliers d’années que nous avons passées sur ce globe magique). Cette métamorphose a été, bien sûr, anticipée par nos glorieux descendants, qui ont, pour une part au moins, décidé d’émigrer du côté de Jupiter. Oh, bien sûr, à cette époque fort fort lointaine, comme dirait l’autre, Jupiter ne s’appelle plus Jupiter et la Terre n’est plus la Terre. D’ailleurs, on ne parle plus de Terriens mais d’Anges, d’où la majuscule. Enfin disons que l’on suppose charitablement que ces Anges sont nos glorieux descendants… quelque peu changés… améliorés ?… hum, ça reste à voir.

Jupiter porte le nom de Phædra et ne se présente plus sous la forme d’une géante gazeuse. L’accident cosmique, qui a brûlé notre planète, a eu de bien meilleurs effets sur la planète géante. Le soudain puissant rayonnement du soleil a soufflé une bonne grosse couche de l’enveloppe gazeuse, et transformé une autre couche en océan d’une profondeur abyssale. Dyardyn, le vieux despote qui règne sur la société des Anges, a eu alors l’idée nemrodienne de construire une tour inimaginable, de nos jours, prenant ses fondations dans le socle rocheux de la planète une centaine de kilomètres sous la surface et dépassant celle-ci d’encore quelques kilomètres, ce qu’il faut pour que la partie sommitale soit habitable pour des Anges. En effet, la pression à la surface, due à l’atmosphère encore terriblement épaisse de la planète est beaucoup trop forte pour leurs poumons. Comme cette tour cyclopéenne est au milieu de l’océan (forcément : toute la surface de Phædra est submergée), on l’appelle le phare de Dyardyn. Mais ce n’en est pas un. Il n’y a aucun bateau sur cet océan et aucun port non plus. Cela serait impossible tant les vagues sont monstrueuses et les courants déchaînés, aiguisés sans cesse par les vents surpuissants qui balayent la surface. Si vous regardez bien la peinture, vous discernerez deux icebergs à gauche, les premiers icebergs de glace d’eau à apparaître sur cette mer nouvelle, ce qui laisse penser qu’on est près d’un pôle. Et si vous avez des yeux très perçants, vraiment très perçants, peut-être même devinerez-vous les sombres silhouettes des nouveaux Léviathans habitant cette mer. En effet, l’océan d’hydrocarbures, sous le feu toujours plus intense du soleil grandissant, s’évapore, laissant place à un océan d’eau, probablement douce, bien que je ne puisse le certifier, n’ayant pas testé sur place, et donc nettement plus hospitalier. La très mince couche d’hydrocarbures restante, jointe aux rayons rougeâtres de l’astre agonisant, crée d’ailleurs de très jolis reflets à la surface de la mer.

Comme souvent, mon illustration n’est pas la transcription littérale du livre. À quoi bon : le lecteur sait lire. La scène représentée ne figure donc pas telle quelle dans le livre mais plutôt en off. Je dirais qu’elle se situe immédiatement après le premier chapitre et avant le second, quand l’événement incroyable a déjà eu lieu et que tous les vautours habituels se sont mis à tourner autour de ce lieu solitaire : police, justice, médias et vilains curieux. L’événement impensable en question est en effet l’assassinat d’un Ange dans cette tour.

Bon, il est juste d’ajouter que les Anges sont rendus quasi immortels de par leur capacité à projeter leur mémoire, qu’ils appellent âme, dans le nouveau clone qui l’attend dans la sphère du Réveil, une des sept sphères orbitant autour de Phædra, et que donc cette mort sera très provisoire. Mais alors, pourquoi assassiner un Ange ? C’est la principale question que va tâcher de résoudre Azadyn, l’Ange Assassiné, car tel est son nouveau nom, un nom durement mérité.

Et comme vous l’avez deviné, j’en suis sûr, la réponse ne va pas être agréable.

Après tout, c’est un thriller métaphysique : on n’est pas là pour rire.


Le roman est (ou sera) disponible ici.


samedi 10 avril 2021

Le Livre Du Nouveau Soleil de Gene Wolfe : rien de neuf sous le soleil

  

Illustration de Bruce Pennington pour The Shadow of The Torturer (1980), probablement la plus belle réalisée à ce jour même si je ne suis pas un grand fan de l'héroïc-fantasy style. Sa mise en place des éléments la composant, qui narrent à elle seule une histoire, est une franche réussite.

Le titre de cet article peut sembler paradoxal pour le grand admirateur de l’œuvre de Wolfe que je suis. Soyons précis, j’estime que Wolfe est l’auteur contemporain le plus talentueux que j’ai lu, quel que soit le genre considéré. Mais j’ai en effet quelques sérieuses réserves sur le livre qui est tenu pour son chef d’œuvre aujourd’hui – et peut-être même demain, qui sait ? ni moi ni personne ne fait la réputation d’un livre et je n’emprunte pas les corridors du manoir Absolu comme Sévérian pour pouvoir vérifier les décrets impénétrables de la postérité. Et d’une manière plus incontestable, il est son best-seller, de loin, même s’il n’atteint toujours pas au statut de roman populaire (Wolfe n’a pas de roman qu’on pourrait qualifier sans rire de populaire). Je vais donc de suite expliciter cette apparente contradiction en commençant par les qualités que je lui trouve et qui ne sont pas petites.

D’abord la langue. Je ne crois pas que Wolfe ait jamais mieux écrit que dans le Nouveau Soleil. Il a pu écrire aussi bien mais jamais mieux. C’est particulièrement vrai du premier tome, L’Ombre du Bourreau (The Shadow of The Torturer). Malgré son titre kitsch, volontairement kitsch, c’est en effet écrit dans une prose admirable de musicalité, de poésie et de fluidité, du Proust hautement comestible. De ce point de vue, Wolfe était à son apogée. Et naturellement le déclin, très rapide dans son cas sur ce plan, a suivi jute après. Sa virtuosité narrative, incomparable avec n’importe quel autre auteur contemporain, était également à son zénith. Les feux de son imagination n’ont jamais brillé plus fort, ni même à vrai dire, aussi fort. Ici, de surcroit, sa puissance de constructeur cyclopéen outrepasse de loin tout le reste de son œuvre, y compris ses tétralogies ou trilogies suivantes. Cela se montre autant dans l’imbrication de l’intrigue principale avec les innombrables contes insérés, les extraits de pièce de théâtre ou les brefs essais qu’on peut trouver ici ou là sur les sujets les plus variés, y compris l’art d’écrire et de tromper le lecteur (pour son bien, à la manière d’un illusionniste, disons). Wolfe a écrit un de ces romans non pas fleuves mais mondes, comme Moby Dick ou La Recherche du Temps Perdu dans la littérature dite sérieuse. Il réinvente même un lexique plutôt cohérent pour ce faire, en s’aidant du latin, du grec ancien et de je ne sais quoi, du Lovecraftien peut-être. Il invente même un langage avec celui des guerriers Asciens. Il réinvente l’Histoire, la géographie, la politique, la biologie, la mythologie, la religion. Il réinvente même l’évangile. Il réinvente Jésus. Il fint par en en faire trop quoi.

Et c’est là en effet que vient la plus grande pierre d’achoppement de ce roman.

Qui peut croire sérieusement à son Sévérian/Jésus puisqu’il ne fait guère de doute que le conciliateur n’est que le nouveau mot ici pour rédempteur, de même que l’Incréé est Dieu ? Oh non, pas moi. Et mon manque d’enthousiasme devant cette très curieuse idée (Jésus comme bourreau, tortureur, assassin, maître du monde, etc.) d’autant plus curieuse car venant d’un catholique avoué, déjà sensible en lisant le Nouveau Soleil, s’est changé en écœurement complet en lisant la suite que Wolfe a donnée à sa tétralogie dans un livre dont je préfère ne pas me souvenir du nom, sorte de feu d’artifice à l’envers. En fait, si, je m’en souviens, hélas, et pas seulement le titre, mais c’est un de ces livres qu’on aimerait ne jamais avoir lu, et probablement ne jamais avoir écrit (tant il est clair dans le texte lui-même que Wolfe a eu la main bien dirigée par son éditeur ou son agent pour commettre ce hara-kiri littéraire).

Mais même en faisant abstraction de cet aspect, son personnage principal, son héros disons, souffre d’une tare récurrente des histoires de Wolfe – pas toutes heureusement ! – l’antipathie qu’il suscite, presque dès les premières pages. Et malheureusement, ça ne s’arrangera pas avec le temps et les pages tournées, jusqu’à l’implosion finale dans ce livre dont je ne veux pas me souvenir du nom. Je ne suis pas contre les personnages principaux antipathiques par principe. Cela peut se justifier quelquefois. Cela peut même être une nécessité pour faire passer au lecteur une certaine vision du monde, non mainstream, expurgée des indulgences ordinaires, non certifiée par le politiquement ou le socialement correct, mais réelle. Par exemple, j’imagine mal certains grands romans ou pièces de Dostoievski, de Céline, de Shakespeare, de Thompson (Jim) ou les romans gothiques du XIXe siècle sans ses protagonistes quelque peu monstrueux. La condition sine qua non pour réussir ce tour de force – car c’en est un – est que l’auteur soit le premier conscient des aspects problématiques de son personnage et malheureusement je n’ai pas l’impression que ce soit le cas de Wolfe. Il semble sous-estimer la quantité de répulsion que produit son héros sur le lecteur. Car pour qu’un tel livre fonctionne, aussi gigantesque, cela nécessite d’installer au départ un minimum d’empathie entre le lecteur et le trop sombre héros. Et plus le roman est long, plus l’empathie doit être forte. C’est pourquoi, en dernière analyse, j’estime que le personnage de Sévérian, l’orphelin-bourreau-assassin-prêtre-thaumaturge-élu-futur-maître-du-monde est la plus magistrale erreur du roman. Comme je l’ai dit ailleurs, il a les habits du moine mais n’en a pas l’étoffe.

Au final, Le Livre du Nouveau Soleil, malgré toute son inventivité, sa débauche inouïe de talents, nous relate l’itinéraire convenu du héros de roman populaire où le personnage central, aussi pauvre, malheureux et obscur qu’il soit au départ, gravit lentement le sentier abrupt vers la gloire et la fortune. Dans le cas particulier du roman de SF, il est usuel qu’il finisse aussi maître du monde, maître de l’univers, et pourquoi pas Dieu à la place de Dieu. Comme je le disais : rien de neuf sous le soleil à cet égard.

 

Le Livre Du Nouveau Soleil (dans sa plus belle édition française)

Le livre dont je ne veux pas me souvenir du nom (en français, non réédité, ce qui ne me gêne pas pour une fois)

Quelques articles à propos de Wolfe:

Lovecraft, Borges et Wolfe

Un géant dans les limbes (j'y parle aussi beaucoup du Livre du Nouveau Soleil)

Les dystopiques de Wolfe

Une montagne devant notre balcon

There are doors (en anglais)


Illustration de Guillaume Sorel (2006) pour le Livre du Nouveau Soleil en 2 tomes chez Denoël, apparemment inspirée de l'illustration de Pennington si on en juge par les coloris et les motifs très semblables, très réussie quoi qu'il en soit.