samedi 26 novembre 2022

Russie : une tête saine sur un corps sain

 Ici, je reprends ma métaphore déjà utilisée assimilant l'élite d'un pays à sa tête et le peuple à son corps -- membres, coeur, estomac, tripes, foie, etc.  D'ailleurs, le seul mot chef est la même métaphore.

En France et plus largement en Europe, nous sommes devenus tellement habitués à un sentiment d'accablement sans remède quand nous pensons à notre "élite", à nos chefs, qu'il nous est très difficile de croire, d'imaginer, qu'il puisse en être autrement ailleurs. La norme dans nos pays est une élite déloyale, incompétente, fainéante, corrompue, ignorante, aveugle idéologiquement ou pour ainsi dire organiquement, presque entièrement détachée des aspirations, besoins ou inquiétudes du reste de la population. Je sais bien que le constat de l'ignorance, de la stupidité ou de l'incompétence d'une élite dans quelque pays que ce soit est un mystère difficile à percer. Comment des gens bénéficiant généralement des meilleurs conditions d'existence -- famille aisée, milieu cultivé, instruction de pointe -- peuvent arriver à un tel niveau d'incompétence confinant à la pure bêtise, pris collectivement (on doit évidemment admettre des exceptions à cette gabégie omniprésente mais on peut parier que ces membres encore dignes de figurer dans l'élite sont marginalisés, loins des leviers de pouvoir)? Dans l'ensemble, notre élite est composée maintenant de champions de l'usine à gaz, inutile pour quoi que ce soit sauf pour remplir les poches de ceux qui la conçoivent (quand nous avons affaire à la variété cynique et corrompue de l'élite) ou celles de ceux toujours à l'affût de la bonne aubaine (et là nous avons affaire à la variété ignorante, incompétente et aveugle). La réponse courte au mystère mentionné plus haut est une sorte de grand remplacement, non pas premièrement des populations, mais des valeurs.  Quand l'instruction consiste à remplacer la physique et l'ingénierie par des modélisations informatiques, l'économie par la financiarisation sans contreparties solides, le français par des baragouins divers dont l'anglais financier n'est pas le moindre, l'arithmétique par la sociologie, la famille traditionnelle par une nébuleuse non identifiable, la morale collective par des éthiques claniques à géométries variables et toujours à deux vitesses (selon que vous appartenez au clan ou non), il ne faut pas s'étonner si votre quantité d'instruction supérieure est inversement proportionnelle à votre emprise sur la réalité. Notre élite ignore tout simplement les bases de la morale, de l'économie (qui sont tout sauf virtuelles, comme certains commencent à s'apercevoir avec horreur), de la physique, du français, de l'histoire, et même de la géographie si on en juge par quelques récentes performances de nos têtes pensantes (un oxymoron évidemment).

Néanmoins, même en restant dans notre pays, cela n'a pas toujours été le cas. En fait, jusqu'à relativement récemment, disons un demi-siècle, nos élites sans être géniales, savaient grosso modo ce qu'elles faisaient et étaient raisonnablement honnêtes. Comment je le sais? Eh bien, c'est très simple : on ne met pas en place un réseau de centrales nucléaires, on ne fabrique pas des Airbus, le Concorde, des fusées et le TGV sans que les divers maillons de la chaîne conceptuelle et productive soient plutôt honnêtes et certainement compétents. Toutefois, même à cette époque, je peux clairement voir dans nos archives les signes d'une gangrène déjà présente. Je les vois dans les premiers grands délires de l'Education Nationale, par-dessus tout dans la littérature à ch...  Rappelez-vous, les premiers précurseurs des grands changements de tendance, vers les sommets comme vers les abysses, ne sont jamais à chercher chez les mathématiciens, les savants, les érudits mais toujours chez les poètes. Et les poètes, les écrivains des années soixante soixante-dix quatre-vingt sont affreux, de plus en plus affreux, toujours plus affreux.  Non, les poètes ne servent pas qu'à envoyer des épitre aigres-douces à des demoiselles , ornées de jolies petites fleurs. Quand ils sont bons, ce sont les visionnaires par excellence. Mais quand ils sont mauvais, la vision se perd et la direction n'est plus la bonne. Tout le reste s'effondre en suivant le faux joueur de flûte. Et c'est bien normal que ce soit par la langue que tout commence car rien n'est plus central dans une culture que sa langue. 

La Russie n'est pas du tout dans ce cas de figure. Loin de se trouver dans une phase de déclin, de décadence, et encore moins dans cet enfer économique prévu par un de nos génies nationaux dont je préfère oublier le nom, la Russie se trouve actuellement et depuis deux décennies dans une phase d'essor, de renaissance et de reconquête. Les Russes sortent pourtant de la pire crise qu'ils ont connu depuis 1917, et porteuse de beaucoup moins d'espérance que lors de la révolution rouge, la débâcle quasi complète des années 90. La Glasnot (ouverture) voulue par Gorbatchev a signifié la fin de la guerre froide mais de toute évidence pas de la guerre chaude et ce dégel a été bien sûr, comme souvent en Russie, le prélude de la débâcle : ce brave Gorbatchev aurait pu se méfier, surtout quand on fait ami-ami avec l'oncle Sam, le spécialiste du suicide assisté, et enlever ses lunettes roses avant que d'autres ne se chargent de les lui enlever manu militari. Incontestablement, Vladimir Poutine a été et est encore l'acteur le plus éminent de ce redressement, d'abord lent et presque imperceptible (pour nous, occidentaux, pas pour les Russes) puis beaucoup plus rapide depuis une bonne demi-douzaine d'années. Mais il est non moins incontestable qu'il n'aurait pas pu faire grand chose pour son pays s'il n'avait bénéficié de l'aide d'une part importante de l'élite russe restée loyale envers son pays, possédant une instruction de très bon aloi quoique soviétique et donc compétente. Dans ses douze travaux d'Hercule, le premier a été de se débarrasser d'une manière pas toujours distinguée mais très efficace de ce qu'on appelle chez nous les oligarques (comme si la Russie avait l'exclusivité de ce type de prédateurs/parasites !). Il est en effet impossible de réaliser de grands projets de réformes sociétales et économiques si vous êtes sans cesse entravés par des personnages puissants, positionnés en travers de chaque rouage de l'Etat, qui ne voient que leurs intérêts personnels ou pire, celui d'étrangers malveillants (l'oncle américain ne donne jamais rien sans lourdes contreparties). Quand je parlais de reconquête, je n'avais pas du tout dans l'idée la reconquête militaire : toute l'histoire de la Russie laisse à penser que cela n'a que très rarement été le soucis de la Russie; son soucis premier est de garder ses frontières, protéger sa population des innombrables tentatives d'invasions par les voisins et quand vous avez un pays aussi gigantesque, c'est une tâche bien suffisante pour vous occuper à plein temps. La guerre en Ukraine est donc, du point de vue russe, moins une guerre de reconquête que de sécurisation de sa frontière la plus sensible, la frontière occidentale aux prises avec le nouveau bras armé des Washingtoniens, après la Tchéchénie et la Georgie, beaucoup mieux préparé, beaucoup plus puissant que les deux précédents. Je n'exclue pas un certain désir de revanche ou d'accaparement de terres riches chez les têtes pensantes russes (elles pensent clairement celles-là) mais je le vois comme un objectif éventuel et tout à fait secondaire, qui n'entrait même pas dans les plans de départ. Car à moins d'être complètement intoxiqué par notre nouvelle ORTF, ce grand conglomérat né de la convergence d'intérêts englobant France Télévision, Radio France, Europe 1, RTL, TF1, BFM et consorts,  il est maintenant évident que le destin de l'Ukraine est au minimum à la sévère "troncation" du corps et possiblement même à la décapitation.

Pour en revenir à mon sujet plus précisément, la tête saine de la Russie se remarque par l'amélioration de tous ses secteurs vitaux durant ces dernières années : industrie, agriculture, extraction et raffinage des matières premières, armement (secteur absolument vital quand vous êtes aux prises plus ou moins directes avec Washington et ses vassaux toujours plus aggressifs et envahissants). Il est d'ailleurs stupéfiant de constater qu'un pays qui a le dizième du budget militaire des Washingtoniens arrive à sortir des armes parfois plus performantes (et certainement beaucoup plus nombreuses). Je viens de parler de la véritable économie, la seule qui compte en temps de crise, mais on peut noter aussi en passant l'amélioration considérable du secteur du divertissement depuis les années 90 : le niveau des films et des séries russes est impressionnant, surtout comparé à celui des Américains (le budget moyen d'un film russe ou d'une série russe est un dixième de celui des Hollywoodies) et pire encore des Européens : imaginez de vrais acteurs disant de vrais textes dans de vrais rôles  racontant de vraies histoires (même si elles sont inventées bien sûr): quelle bouffée d'air frais, n'est-ce pas! Enfin, on peut ajouter à la liste des succès indéniables de l'élite russe de ces dernières années, un secteur complètement délaissé par l'Occident (quand vous traitez 80% de l'humanité comme des arriérés ou des écoliers de primaire à qui on tape sur les doigts, pas étonnant que la cote de nos pays baisse à vue d'oeil) : la diplomatie.

Deux exemples montrent de façon flagrante à quel point diverge la tête russe de la tête européenne. Le premier concerne le secteur clé de toute économie, l'énergie et sa production ou/et son approvisionnement à un coût soutenable pour cette économie. Ces dernières décennies, en s'aggravant considérablement lors des toutes dernières années, les têtes écervelées de l'Europe n'ont cessé d'accumuler les choix et décisions improductifs ou pire, contreproductifs. Je n'en ferai pas le détail, tout lecteur qui n'est pas un fainéant incurable trouvera autant d'exemples à son goût en quelques efforts vite récompensés. Au lieu de quoi, la tête russe, voyant loin et large, n'a eu de cesse de renforcer ce secteur par de gros investissements quand tout le monde sans exception dans la planète "Occident" -- une minuscule planète -- faisait l'inverse (y compris les Washingtoniens avec Biden mais c'était déjà bien amorcé sous Saint Obama; c'est une des rares choses qu'on peut mettre au crédit des Républicains et de Trump en particulier de n'avoir pas cédé au délire catastrophiste de Sainte Greta et ses fervents zélotes). Il faut bien réaliser, si ce n'est encore fait, que la civilisation occidentale n'a pu prendre son essor fabuleux que grâce à une énergie abondante, très efficace et bon marché, d'abord le charbon puis cette merveille des merveilles naturelles, à peine en dessous de l'eau, le pétrole. Avec le temps d'avance que cela lui a donné sur tous ses concurrents potentiels, même la vieille Europe aurait pu garder son statut de pays riches quelques décennies encore, au moins, si elle n'avait pas décidé alors de s'autodétruire. Vient en effet le dernier acte de cette tragicomédie (la bouffonnerie à laquelle est arrivée notre tête nous tire plus vers la farce sinistre que la noble tragédie qu'on imagine en lisant cette sobre épitaphe de l'Europe pour les futurs manuels d'histoire que je propose ici : "à une grande civilisation disparue"). Son idée de mettre un plafond sur le prix du pétrole, elle qui n'en produit pas une goutte (parmi les pays de l'UE), est un de ces coups de génie imprévisibles qui va accélérer l'histoire et jeter à la baille ce qui restait d'industrie dans le sous-continent en moins de deux. Et plus farce encore, dans le même temps, cette décision va fournir une opportunité inespérée à toutes ces laborieuses fourmis asiatiques qui auront le coût de leur énergie et donc de leur production industrielle et agricole considérablement avantagé par rapport à leur concurrents européens puisqu'ils continueront à payer le gaz, le pétrole, le charbon, les fertilisants russe à un prix discount tandis que les Européens auront le choix de payer plein pot ou ne rien recevoir des Russes (mis à part éventuellement quelques missiles si on les fâche vraiment trop). Comme si les Chinois et les Indiens avaient besoin de cet avantage supplémentaire! Ils n'en avaient même pas rêvé, on l'a fait. On peut donc prédire que les deux pays cités, plus la Russie et quelques autres que j'ignore vont connaître grâce à notre impayable stupidité un coup d'accélérateur énorme lors des toutes prochaines années. Le second exemple est un exemple de choix, la guerre en Ukraine et sa gestion par nos diverses têtes militaires et autres pseudo-stratèges, comparée à celle des têtes russes. Il est évident que toute la stratégie occidentale est de faire durer la guerre tant que le "tsar" Poutine n'aura pas abdiqué ou décédé d'une manière ou d'une autre (comme si cela changerait la volonté russe d'en finir avec son très pénible voisin, je prédis exactement la réaction inverse) par la voie libre et très démocratique de quelques oligarques prenant le pouvoir (hé oui, encore eux!) cela, quoiqu'il en coûte (l'expression préférée des Européens) et bien sûr tant qu'il restera un Ukrainien en état de porter un fusil. Eh bien cela tombe pile poil car cette stratégie est pleinement en accord avec celle de l'Etat-Major russe. Rien de mieux qu'une guerre qui dure pour démilitariser l'Ukraine, ce qui signifie, je le répète, détruire un maximum de personnels et de matériels militaires, rien de mieux pour vider les stocks d'armement de l'OTAN et son maître à Washington, rien de mieux pour affaiblir l'Europe en lui envoyant un afflux de réfugiés augmentant sa charge pondérale déjà collossale, ceci jusqu'au collapsus final, ce qui ne fera guère couler les larmes dans le reste du monde et surtout pas du côté de Washington qui a déjà visiblement mis de côté les bouteilles de champagne pour l'occasion (pendant qu'il en reste). L'ignorance des Européens est tellement grande de ce qui se passe en Russie que nos matamores sans armes font exactement l'inverse de ce qu'ils devraient faire s'ils veulent se débarrasser de Poutine (tout en sachant que ça ne servirait de toute façon qu'à échanger un modéré contre un faucon), c'est-à-dire pousser l'Ukraine à des négociations au lieu de lui envoyer sans cesse des armes, des instructeurs militaires, des milliards de dollars ou d'euros qui ne servent qu'à engraisser les nazis et autres kapos chargés d'alimenter sans cesse la grande pompe sanglante. 

Pour finir et sans rapport, je voudrais souligner l'étrange concept auquel nous sommes arrivés ces derniers temps à force de russophobie, à savoir l'idée neuve d'une Russie non occidentale. Certes, géographiquement parlant, la Russie est plus en Asie qu'en Europe (à supposer que ce continent existe autrepart que dans l'imagination présomptueuse de Européens) mais culturellement, il est évident que la Russie est très largement occidentale, dans son architecture, dans sa religion, dans sa littérature, dans ses arts, dans sa langue et d'une manière générale dans ses coutumes. Physiquement il est souvent bien difficile, voire impossible, de différencier un Russe d'un Anglais, d'un Espagnol ou d'un Norvégien. Les Russes eux-mêmes se sont toujours considérés, en majorité, comme des Européens. En voyant ce spectacle, de véritables asiatiques, les Chinois, doivent secrètement se frotter les mains : quoi de mieux pour leur pays qu'une guerre totale entre occidentaux. Le Xi semble toujours en train de rire sous cape ces derniers temps et il y a de quoi. Bon, se dit-il, il faut juste leur rappeler de temps en temps de ne pas presser le bouton rouge. Non, pas celui de Poutine, l'autre.

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Une ballade en Russie.