dimanche 25 décembre 2022

Les plus grands romans ratés : de Melville à Kafka

 D'abord, je tiens à préciser que tous les livres ou auteurs auquels je consacre plus de trois lignes dans mes articles sont des livres ou des auteurs que j'estime et parfois même que j'aime. Mon intention ici n'est donc certainement pas de me payer leur tête mais plutôt de rendre compte de ma perplexité et d'en tirer, comme toujours, quelques enseignements d'une portée plus large. En fait, je peux dire que tous les livres dont je vais bientôt parler comptent, d'une certaine manière, parmi mes préférés, et plus bizarrement encore parmi ceux que j'ouvre et feuillète le plus souvent.

Les romans ratés dont je vais parler sont réellement et franchement ratés dans leur ensemble mais pas dans toutes leurs parties (sinon je n'en parlerais pas). Il ne s'agit pas là de quelques défauts ennuyeux mais sur lequel un lecteur magnanime peut passer, il s'agit de failles béantes ou d'incapacités si patentes qu'elles seraient rédhibitoires chez n'importe quel autre écrivain moins inspiré. Car bien entendu l'inspiration n'évite pas toujours les faux-pas, voire les chutes les plus ridicules, du genre du chevalier sans peur et sans reproche qui trébuche sur sa propre épée.

Mon premier exemple est Pierre ou Les Ambiguïtés de Herman Melville. Dans un article précédent, j'ai inventorié dix-sept défauts dans ce roman dont un seul aurait dû me dégoûter à jamais d'en continuer la lecture. Melville est parmi les écrivains de première force sans doute celui qui collectionne le plus de défauts, d'irrégularités, d'excroissances, d'excès en tous genres mais dans ce livre il se surpasse. J'imagine sans difficulté la tête effarée qu'a faite son éditeur, Hertzen, quand il a reçu le roman, que Melville lui promettait d'être un succès de librairie, apte à lui faire retrouver les faveurs du public et en particulier de ces dames après des années d'échec. On peut en effet, si on est farceur ou si on est un peu fou, décrire le livre comme un roman psychologique sentimental ou un mélo issu du gothique flamboyant. Il y est beaucoup question d'amour certes là-dedans mais je doute que les dames en question l'aient beaucoup trouvé à leur goût et ce n'est pas qu'une question d'époque. En réalité ce que Hertzen a découvert, car il savait lire, était un roman quasi impubliable, irréductible à toutes catégories (un peu comme Moby Dick à cet égard), un véritable monstre littéraire dont seuls les génies peuvent accoucher (car lorsqu'un génie se rate, c'est dans les plus grandes largeurs).

Pourquoi ce roman si visiblement raté est pourtant grand est un mystère que je n'ai toujours pas réussi à percer.

Mon second grand roman raté préféré est le seul véritable roman qu'a publié Lovecraft -- les autres soi-disant romans étant plus des novellas -- "The dream-quest of the unknown Kaddath" connu du public francophone sous le titre de "A la recherche de Kadath". Ce roman raconte les aventures merveilleuses ou horrifiques, en fait presque toujours horrifiques, du voyageur des rêves Randolph Carter et est parfois réuni avec l'autre aventure de Carter, "La porte de la clé d'argent" sous le titre "Démons et merveilles" bien qu'on se demande plus d'une fois où est passée la seconde partie promise (les chats d'Ulthar peut-être ?). Ce roman est un must-have pour les admirateurs de Lovecraft, malgré ses failles hideuses et abominables, comme dirait le maître de Providence (mais pas indicibles comme je vais le montrer). C'est aussi le plus lovecraftien de ses livres, où là encore l'auteur se surpasse dans la qualité de son inspiration comme dans l'étalage de ses idiosynchrasies débilitantes. L'empilage des adjectifs confine ici à l'hystérie et un jeu pour le lecteur est de comptabiliser par paragraphe le nombre de visqueux, hideux, gluants, nauséabonds, griffus, maudits, sinistres, cauchemardesques, abominables, innomables et autres indicibles qualificatifs. L'impuissance que ressent l'écrivain à communiquer sa vision onirique effrayante, cette peur primale pourrait-on dire, est ici palpable. Néanmoins, quoique ce défaut soit très irritant et disons-le presque insupportable pour un lecteur qui a dépassé l'âge de treize ans, ce n'est que le plus bénin des deux. L'autre, une faille pour un écrivain de fictions, est la gaucherie pour ne pas dire l'incompétence de l'écrivain concernant la dramaturgie de son histoire. Faire monter savamment la tension du lecteur jusqu'à un climax, ce qui est en somme la base de l'art de raconter des histoires, est une qualité très rare chez cet écrivain et a peu près absente de ce roman. En fait, il n'y a que dans les toutes dernières oeuvres de sa carrière (et de sa vie) que Lovecraft aura enfin trouvé une manière narrative à la dramaturgie plutôt efficace à défaut d'être remarquable : lisez par exemple pour vous en convaincre "le Cauchemar d'Insmouth", "le Clergyman Maudit" ou "Celui qui chuchotait dans les Ténèbres".

Ce roman de Lovecraft est grand malgré tous ses défauts parce que l'impression qu'il laisse est plus forte, plus tenace, que bien des oeuvres mieux léchées, mieux construites, mieux écrites. On peut aussi y trouver dedans des gemmes précieuses, non pas brutes mais bien mal taillées.

Mon troisième choix est en fait le plus évident, le plus spectaculaire et le plus inconnu aussi : "Le pays de la nuit" de William Hope Hodgson. Celui-ci est à mon goût le plus grand roman raté de tous les grands romans ratés. C'est à la fois celui qui atteint les plus grandes cimes de l'inspiration et s'abîme dans les plus bas fonds. Pour celui qui n'a pas l'abnégation et la foi enracinée au plus profond de lui du chercheur d'or, je conseillerais de ne lire que les trois ou quatre premiers chapitres de ce long roman s'il veut éviter l'accablement affreux qui saisit trop souvent le lecteur par la suite. Comme chez Lovecraft, je vois deux défauts majeurs à cette oeuvre. Le premier concerne encore une fois la forme, très importante évidemment dans les choses de l'art. Hodgson a choisi de narrer son histoire dans le grand style, le style biblique, en usant et abusant de formules archaïques et des répétitions typiques de ce genre de littérature. Sur un récit ou un poème de dix ou vingt pages, ça peut être très bien, sur un roman de trois cent pages, c'est rapidement imbuvable. De plus, il n'a pas le talent stylistique d'un Nietzsche pour se permettre ce genre d'extravagance. Mais son plus grand défaut est certainement d'avoir progressivement transformé ce nouveau livre de Révélations (au sens biblique) en un étrange mélo sentimental dont il ne possède absolument pas l'ombre d'une qualité pour ce faire. Contrairement à son disciple Lovecraft, Hodgson n'est pas un mauvais dramaturge, il sait même fort bien faire naître l'inquiétude chez ses lecteurs sans abuser des adjectifs morbides et pathologiques cités plus haut. Son problème est que, comme Lovecraft, il ne connaît pas, ne comprend pas les femmes, et vouloir écrire une histoire d'amour sans la connaissance de l'autre sexe est aller à l'échec assuré (de ce côté, son successeur américain était plus sage, il faisait littéralement disparaître le second sexe de ses histoires pour ne pas risquer le couac, un peu comme le douanier Rousseau faisait disparaître les mains et les pieds de ses modèles pour ne pas avoir à peindre ces ennuyeux appendices corporels).

Dans le cas du Pays de la Nuit, je conseillerais, même pour le lecteur maîtrisant bien l'anglais, de le lire dans sa traduction française, un traducteur compétent ayant généralement tendance à gommer autant que faire se peut les défauts les plus superficiels d'un livre. Mais pour le reste, il ne peut évidemment rien.

Enfin, je terminerai (mais le A.G.Pym de Poe n'est pas passé loin de figurer dans cette brève anthologie des monstres littéraires) en mentionnant rapidement L'Amérique de Kafka, qui a la particularité inverse du précédent livre, à savoir qu'il commence mal et finit très bien, ce qui d'ailleurs est un trait exceptionnel dans toute la littérature romanesque qui suit très généralement la pente inverse. Hélas, il faut attendre l'avant-dernier chapitre pour sentir le texte prendre enfin son envol avant de se conclure (si on ose dire car la fin ne conclut rien du tout)  par un ultime chapitre admirable et enchanteur. Kafka est un des plus grands poètes oniristes de la littérature même si c'est plus discret que les cauchemars flamboyants de Lovecraft, les voyages merveilleusement inventifs de Carroll où les rêves éveillés de Dantes. Je ne connais pas de poésie romanesque qui ait le goût et le charme ensoleillé de ce merveilleux dernier chapitre. Personnellement, je n'ai rien lu dans l'oeuvre du Tchèque de plus mémorable que cette extraordinaire et si imprévisible fin de roman raté (et probablement d'ailleurs inachevé, comme souvent avec cet écrivain), pas même ce chef d'oeuvre qu'est La Métamorphose. Hélas, il faut donc auparavant absorber un très gros roman ennuyeux et très maladroit pour en sentir toute la beauté.


Un autre article de ma part concernant Lovecraft et Hodgson : ici.



samedi 26 novembre 2022

Russie : une tête saine sur un corps sain

 Ici, je reprends ma métaphore déjà utilisée assimilant l'élite d'un pays à sa tête et le peuple à son corps -- membres, coeur, estomac, tripes, foie, etc.  D'ailleurs, le seul mot chef est la même métaphore.

En France et plus largement en Europe, nous sommes devenus tellement habitués à un sentiment d'accablement sans remède quand nous pensons à notre "élite", à nos chefs, qu'il nous est très difficile de croire, d'imaginer, qu'il puisse en être autrement ailleurs. La norme dans nos pays est une élite déloyale, incompétente, fainéante, corrompue, ignorante, aveugle idéologiquement ou pour ainsi dire organiquement, presque entièrement détachée des aspirations, besoins ou inquiétudes du reste de la population. Je sais bien que le constat de l'ignorance, de la stupidité ou de l'incompétence d'une élite dans quelque pays que ce soit est un mystère difficile à percer. Comment des gens bénéficiant généralement des meilleurs conditions d'existence -- famille aisée, milieu cultivé, instruction de pointe -- peuvent arriver à un tel niveau d'incompétence confinant à la pure bêtise, pris collectivement (on doit évidemment admettre des exceptions à cette gabégie omniprésente mais on peut parier que ces membres encore dignes de figurer dans l'élite sont marginalisés, loins des leviers de pouvoir)? Dans l'ensemble, notre élite est composée maintenant de champions de l'usine à gaz, inutile pour quoi que ce soit sauf pour remplir les poches de ceux qui la conçoivent (quand nous avons affaire à la variété cynique et corrompue de l'élite) ou celles de ceux toujours à l'affût de la bonne aubaine (et là nous avons affaire à la variété ignorante, incompétente et aveugle). La réponse courte au mystère mentionné plus haut est une sorte de grand remplacement, non pas premièrement des populations, mais des valeurs.  Quand l'instruction consiste à remplacer la physique et l'ingénierie par des modélisations informatiques, l'économie par la financiarisation sans contreparties solides, le français par des baragouins divers dont l'anglais financier n'est pas le moindre, l'arithmétique par la sociologie, la famille traditionnelle par une nébuleuse non identifiable, la morale collective par des éthiques claniques à géométries variables et toujours à deux vitesses (selon que vous appartenez au clan ou non), il ne faut pas s'étonner si votre quantité d'instruction supérieure est inversement proportionnelle à votre emprise sur la réalité. Notre élite ignore tout simplement les bases de la morale, de l'économie (qui sont tout sauf virtuelles, comme certains commencent à s'apercevoir avec horreur), de la physique, du français, de l'histoire, et même de la géographie si on en juge par quelques récentes performances de nos têtes pensantes (un oxymoron évidemment).

Néanmoins, même en restant dans notre pays, cela n'a pas toujours été le cas. En fait, jusqu'à relativement récemment, disons un demi-siècle, nos élites sans être géniales, savaient grosso modo ce qu'elles faisaient et étaient raisonnablement honnêtes. Comment je le sais? Eh bien, c'est très simple : on ne met pas en place un réseau de centrales nucléaires, on ne fabrique pas des Airbus, le Concorde, des fusées et le TGV sans que les divers maillons de la chaîne conceptuelle et productive soient plutôt honnêtes et certainement compétents. Toutefois, même à cette époque, je peux clairement voir dans nos archives les signes d'une gangrène déjà présente. Je les vois dans les premiers grands délires de l'Education Nationale, par-dessus tout dans la littérature à ch...  Rappelez-vous, les premiers précurseurs des grands changements de tendance, vers les sommets comme vers les abysses, ne sont jamais à chercher chez les mathématiciens, les savants, les érudits mais toujours chez les poètes. Et les poètes, les écrivains des années soixante soixante-dix quatre-vingt sont affreux, de plus en plus affreux, toujours plus affreux.  Non, les poètes ne servent pas qu'à envoyer des épitre aigres-douces à des demoiselles , ornées de jolies petites fleurs. Quand ils sont bons, ce sont les visionnaires par excellence. Mais quand ils sont mauvais, la vision se perd et la direction n'est plus la bonne. Tout le reste s'effondre en suivant le faux joueur de flûte. Et c'est bien normal que ce soit par la langue que tout commence car rien n'est plus central dans une culture que sa langue. 

La Russie n'est pas du tout dans ce cas de figure. Loin de se trouver dans une phase de déclin, de décadence, et encore moins dans cet enfer économique prévu par un de nos génies nationaux dont je préfère oublier le nom, la Russie se trouve actuellement et depuis deux décennies dans une phase d'essor, de renaissance et de reconquête. Les Russes sortent pourtant de la pire crise qu'ils ont connu depuis 1917, et porteuse de beaucoup moins d'espérance que lors de la révolution rouge, la débâcle quasi complète des années 90. La Glasnot (ouverture) voulue par Gorbatchev a signifié la fin de la guerre froide mais de toute évidence pas de la guerre chaude et ce dégel a été bien sûr, comme souvent en Russie, le prélude de la débâcle : ce brave Gorbatchev aurait pu se méfier, surtout quand on fait ami-ami avec l'oncle Sam, le spécialiste du suicide assisté, et enlever ses lunettes roses avant que d'autres ne se chargent de les lui enlever manu militari. Incontestablement, Vladimir Poutine a été et est encore l'acteur le plus éminent de ce redressement, d'abord lent et presque imperceptible (pour nous, occidentaux, pas pour les Russes) puis beaucoup plus rapide depuis une bonne demi-douzaine d'années. Mais il est non moins incontestable qu'il n'aurait pas pu faire grand chose pour son pays s'il n'avait bénéficié de l'aide d'une part importante de l'élite russe restée loyale envers son pays, possédant une instruction de très bon aloi quoique soviétique et donc compétente. Dans ses douze travaux d'Hercule, le premier a été de se débarrasser d'une manière pas toujours distinguée mais très efficace de ce qu'on appelle chez nous les oligarques (comme si la Russie avait l'exclusivité de ce type de prédateurs/parasites !). Il est en effet impossible de réaliser de grands projets de réformes sociétales et économiques si vous êtes sans cesse entravés par des personnages puissants, positionnés en travers de chaque rouage de l'Etat, qui ne voient que leurs intérêts personnels ou pire, celui d'étrangers malveillants (l'oncle américain ne donne jamais rien sans lourdes contreparties). Quand je parlais de reconquête, je n'avais pas du tout dans l'idée la reconquête militaire : toute l'histoire de la Russie laisse à penser que cela n'a que très rarement été le soucis de la Russie; son soucis premier est de garder ses frontières, protéger sa population des innombrables tentatives d'invasions par les voisins et quand vous avez un pays aussi gigantesque, c'est une tâche bien suffisante pour vous occuper à plein temps. La guerre en Ukraine est donc, du point de vue russe, moins une guerre de reconquête que de sécurisation de sa frontière la plus sensible, la frontière occidentale aux prises avec le nouveau bras armé des Washingtoniens, après la Tchéchénie et la Georgie, beaucoup mieux préparé, beaucoup plus puissant que les deux précédents. Je n'exclue pas un certain désir de revanche ou d'accaparement de terres riches chez les têtes pensantes russes (elles pensent clairement celles-là) mais je le vois comme un objectif éventuel et tout à fait secondaire, qui n'entrait même pas dans les plans de départ. Car à moins d'être complètement intoxiqué par notre nouvelle ORTF, ce grand conglomérat né de la convergence d'intérêts englobant France Télévision, Radio France, Europe 1, RTL, TF1, BFM et consorts,  il est maintenant évident que le destin de l'Ukraine est au minimum à la sévère "troncation" du corps et possiblement même à la décapitation.

Pour en revenir à mon sujet plus précisément, la tête saine de la Russie se remarque par l'amélioration de tous ses secteurs vitaux durant ces dernières années : industrie, agriculture, extraction et raffinage des matières premières, armement (secteur absolument vital quand vous êtes aux prises plus ou moins directes avec Washington et ses vassaux toujours plus aggressifs et envahissants). Il est d'ailleurs stupéfiant de constater qu'un pays qui a le dizième du budget militaire des Washingtoniens arrive à sortir des armes parfois plus performantes (et certainement beaucoup plus nombreuses). Je viens de parler de la véritable économie, la seule qui compte en temps de crise, mais on peut noter aussi en passant l'amélioration considérable du secteur du divertissement depuis les années 90 : le niveau des films et des séries russes est impressionnant, surtout comparé à celui des Américains (le budget moyen d'un film russe ou d'une série russe est un dixième de celui des Hollywoodies) et pire encore des Européens : imaginez de vrais acteurs disant de vrais textes dans de vrais rôles  racontant de vraies histoires (même si elles sont inventées bien sûr): quelle bouffée d'air frais, n'est-ce pas! Enfin, on peut ajouter à la liste des succès indéniables de l'élite russe de ces dernières années, un secteur complètement délaissé par l'Occident (quand vous traitez 80% de l'humanité comme des arriérés ou des écoliers de primaire à qui on tape sur les doigts, pas étonnant que la cote de nos pays baisse à vue d'oeil) : la diplomatie.

Deux exemples montrent de façon flagrante à quel point diverge la tête russe de la tête européenne. Le premier concerne le secteur clé de toute économie, l'énergie et sa production ou/et son approvisionnement à un coût soutenable pour cette économie. Ces dernières décennies, en s'aggravant considérablement lors des toutes dernières années, les têtes écervelées de l'Europe n'ont cessé d'accumuler les choix et décisions improductifs ou pire, contreproductifs. Je n'en ferai pas le détail, tout lecteur qui n'est pas un fainéant incurable trouvera autant d'exemples à son goût en quelques efforts vite récompensés. Au lieu de quoi, la tête russe, voyant loin et large, n'a eu de cesse de renforcer ce secteur par de gros investissements quand tout le monde sans exception dans la planète "Occident" -- une minuscule planète -- faisait l'inverse (y compris les Washingtoniens avec Biden mais c'était déjà bien amorcé sous Saint Obama; c'est une des rares choses qu'on peut mettre au crédit des Républicains et de Trump en particulier de n'avoir pas cédé au délire catastrophiste de Sainte Greta et ses fervents zélotes). Il faut bien réaliser, si ce n'est encore fait, que la civilisation occidentale n'a pu prendre son essor fabuleux que grâce à une énergie abondante, très efficace et bon marché, d'abord le charbon puis cette merveille des merveilles naturelles, à peine en dessous de l'eau, le pétrole. Avec le temps d'avance que cela lui a donné sur tous ses concurrents potentiels, même la vieille Europe aurait pu garder son statut de pays riches quelques décennies encore, au moins, si elle n'avait pas décidé alors de s'autodétruire. Vient en effet le dernier acte de cette tragicomédie (la bouffonnerie à laquelle est arrivée notre tête nous tire plus vers la farce sinistre que la noble tragédie qu'on imagine en lisant cette sobre épitaphe de l'Europe pour les futurs manuels d'histoire que je propose ici : "à une grande civilisation disparue"). Son idée de mettre un plafond sur le prix du pétrole, elle qui n'en produit pas une goutte (parmi les pays de l'UE), est un de ces coups de génie imprévisibles qui va accélérer l'histoire et jeter à la baille ce qui restait d'industrie dans le sous-continent en moins de deux. Et plus farce encore, dans le même temps, cette décision va fournir une opportunité inespérée à toutes ces laborieuses fourmis asiatiques qui auront le coût de leur énergie et donc de leur production industrielle et agricole considérablement avantagé par rapport à leur concurrents européens puisqu'ils continueront à payer le gaz, le pétrole, le charbon, les fertilisants russes à un prix discount tandis que les Européens auront le choix de payer plein pot ou ne rien recevoir des Russes (mis à part éventuellement quelques missiles si on les fâche vraiment trop). Comme si les Chinois et les Indiens avaient besoin de cet avantage supplémentaire! Ils n'en avaient même pas rêvé, on l'a fait. On peut donc prédire que les deux pays cités, plus la Russie et quelques autres que j'ignore vont connaître grâce à notre impayable stupidité un coup d'accélérateur énorme lors des toutes prochaines années. Le second exemple est un exemple de choix, la guerre en Ukraine et sa gestion par nos diverses têtes militaires et autres pseudo-stratèges, comparée à celle des têtes russes. Il est évident que toute la stratégie occidentale est de faire durer la guerre tant que le "tsar" Poutine n'aura pas abdiqué ou décédé d'une manière ou d'une autre (comme si cela changerait la volonté russe d'en finir avec son très pénible voisin, je prédis exactement la réaction inverse) par la voie libre et très démocratique de quelques oligarques prenant le pouvoir (hé oui, encore eux!) cela, quoiqu'il en coûte (l'expression préférée des Européens) et bien sûr tant qu'il restera un Ukrainien en état de porter un fusil. Eh bien cela tombe pile poil car cette stratégie est pleinement en accord avec celle de l'Etat-Major russe. Rien de mieux qu'une guerre qui dure pour démilitariser l'Ukraine, ce qui signifie, je le répète, détruire un maximum de personnels et de matériels militaires, rien de mieux pour vider les stocks d'armement de l'OTAN et son maître à Washington, rien de mieux pour affaiblir l'Europe en lui envoyant un afflux de réfugiés augmentant sa charge pondérale déjà collossale, ceci jusqu'au collapsus final, ce qui ne fera guère couler les larmes dans le reste du monde et surtout pas du côté de Washington qui a déjà visiblement mis de côté les bouteilles de champagne pour l'occasion (pendant qu'il en reste). L'ignorance des Européens est tellement grande de ce qui se passe en Russie que nos matamores sans armes font exactement l'inverse de ce qu'ils devraient faire s'ils veulent se débarrasser de Poutine (tout en sachant que ça ne servirait de toute façon qu'à échanger un modéré contre un faucon), c'est-à-dire pousser l'Ukraine à des négociations au lieu de lui envoyer sans cesse des armes, des instructeurs militaires, des milliards de dollars ou d'euros qui ne servent qu'à engraisser les nazis et autres kapos chargés d'alimenter sans cesse la grande pompe sanglante. 

Pour finir et sans rapport, je voudrais souligner l'étrange concept auquel nous sommes arrivés ces derniers temps à force de russophobie, à savoir l'idée neuve d'une Russie non occidentale. Certes, géographiquement parlant, la Russie est plus en Asie qu'en Europe (à supposer que ce continent existe autrepart que dans l'imagination présomptueuse de Européens) mais culturellement, il est évident que la Russie est très largement occidentale, dans son architecture, dans sa religion, dans sa littérature, dans ses arts, dans sa langue et d'une manière générale dans ses coutumes. Physiquement il est souvent bien difficile, voire impossible, de différencier un Russe d'un Anglais, d'un Espagnol ou d'un Norvégien. Les Russes eux-mêmes se sont toujours considérés, en majorité, comme des Européens. En voyant ce spectacle, de véritables asiatiques, les Chinois, doivent secrètement se frotter les mains : quoi de mieux pour leur pays qu'une guerre totale entre occidentaux. Le Xi semble toujours en train de rire sous cape ces derniers temps et il y a de quoi. Bon, se dit-il, il faut juste leur rappeler de temps en temps de ne pas presser le bouton rouge. Non, pas celui de Poutine, l'autre.

Autres articles sur le même sujet : ici et .

Une ballade en Russie.

samedi 29 octobre 2022

La seule biographie autorisée de Jean Levant : sa pierre tombale

 Suite à la triste nouvelle du décès de Jean Levant et la floraison de biographies plus fantaisistes les unes que les autres qui apparaissent de ci de là, nous nous faisons un devoir de rétablir les faits bruts et banals, tâche pour laquelle nous sommes uniquement habilités, ceci dû à notre longue fréquentation du défunt (et qui peut en dire autant?). En cette époque de mensonge omniprésent et pour ainsi dire institutionnalisé, dans cet immense château de sable qu'est devenue notre société, nous nous sentons en effet obligés d'apporter notre modeste pierre à l'édifice.

Jean Levant est né dès le premier jour du beau mois d'avril 1901, d'un père et d'une mère, aux Bottereaux, tout près de la ville d'Ouzouère en Gâtine, elle-même sise non loin de la ville de Montargis, elle-même à proximité de la ville d'Orléans qui se trouve à seulement cent cinquante kilomètres de Paris: on peut donc dire que Jean Levant était un presque Parisien. Nous recommandons d'ailleurs pour nos amis de la capitale ce tout petit déplacement vers Ouzouère où en plus de visiter la maison familiale en pierre de taille et frise en brique multicolore, l'église et son coq girouette en fer forgé artisanal, ils pourront admirer la statue en aluminium argentée du plus célèbre de ses concitoyens, sculpté par le grand Marcel Sandor lui-même, à partir de boîtes de conserve recyclées. J'attire l'attention sur le fait que cette oeuvre a été réalisée au début des années soixante, saisissant son sujet à midi tapante, dans toute la force de l'âge, démontrant à quel point les deux génies étaient en avance sur leur époque (car qui d'autre aurait eu alors l'idée de trier ses conserves?); on notera aussi que Jean Levant y est représenté avec son célèbre béret qui lui venait de sa chère tante Léonie, qui était Basque du côté maternel. 

Dès son enfance, le petit Jean a fait l'admiration de tous par ses dons en arithmétique. A l'âge de sept ans, il composait déjà de grands livres, celui par exemple établissant le bilan financier du ménage des Levant en l'an 1908, qui fut suivi par les budgets anticipés des années 1909 à 1913, un vrai plan quinquennal, qui s'avèrent après examen d'une précision et d'une préscience admirables si l'on considère l'âge de son auteur. Hélas, la guerre interrompit ces premiers essais très prometteurs. La grande passion de sa vie fut toujours les bons comptes et les statistiques. Quand Jean allait en voyage, du côté de chez sa tante Léonie, à Mimizon-les-pins, il ne manquait pas de faire un compte détaillé des automobiles qu'il croisait (encore rares à cette époque), notant leur marque, leur nationalité, leur nombre de feux avant et leur numéro de plaque, toutes données dont il se chargeait ensuite de tirer la substantifique moelle durant ses vacances en plus de ses devoirs scolaires. A la plage de Mimizon, bercé par la senteur balsamique des pins et le vent du large, il prit l'habitude poursuivie toute sa vie de compter les baigneuses en les distinguant par la couleur et la forme de leur bonnet ou de de leur maillot de bain, d'abord une pièce, puis deux puis à nouveau une puis une demie. C'est grâce à de tels ouvrages statistiques qu'il fût d'ailleurs embauché plus tard par Louis Réard qui lançait alors la mode des bikinis.

La mémoire de Jean Levant était fantastique. C'est certainement grâce à une particularité précieuse de son cerveau qui mariait automatiquement à chaque chiffre une couleur du spectre qu'il pouvait se rémémorer avec la plus grande exactitude autant de nombres. Sa mémoire était la plus rangée qui soit. Sa passion du chiffre juste n'avait qu'une égale, celle du chiffre rond. Il aimait dire qu'il était impossible pour lui d'imaginer un plus grand plaisir que de réaliser un bilan de comptes et de trouver après de longs et savants calculs tout en bas de son livre l'alignement de chiffres les plus parfaits et les plus ronds qui soient, une suite infinie de zéros. Naturellement , la carrière de comptable était un chemin tout tracé. Il commença très jeune dans l'épicerie familiale comme aide-comptable, puis devint comptable en titre, puis chef comptable puis expert comptable puis Grand Maître Comptable et termina sa carrière comme Professeur Extraordinaire à l'université de Giens, où il dispensait ses lumières il y a encore quelques mois. Durant toute sa carrière, il collectionna les prix et les honneurs académiques, à tel point qu'il serait rapidement fastidieux d'en faire ici la liste. En vérité, comme l'a très justement qualifié dans un de ses rares et authentiques éclairs de génie son contemporain Pablo Picasso, "Jean Levant est le grand compteur de notre siècle".

Le goût des livres lui vint en même temps que le goût des chiffres. La vérité, selon ses propres mots, est qu'il n'a jamais bien distingué les deux concepts, les lettres lui ayant toujours paru des chiffres d'un autre genre, des codes que l'on pouvait (et devait) déchiffrer. Le déchiffrage des livres les plus abscons, comme la Kabbale ou les Prophéties de Nostredame, étaient ainsi pour lui des jeux d'enfant. Mais sa lecture préférée était le rapport annuel de la Cours des Comptes suivi de près (ou plutôt précédé, chronologiquement parlant) par la prévision budgétaire annuelle du ministère des finances qui était une source d'amusement sans fin pour ce fin limier de la fausse comptabilité. Ses propres oeuvres, outre évidemment ses budgets et bilans annuels personnels (lecture d'un intérêt considérable tant y est finement détaillé le moindre achat, la moindre rentrée, qui lui fit dire qu'il n'y a pas de livre plus éclairant sur la vie et la personalité d'un auteur que son grand livre de compte) comptent plusieurs recueils de contes édifiants, un roman inspiré de La Fortune de Gaspard, mais pour adultes, un long essai intitulé "De la Comptabilité Publique et Privée"et même un recueil de poésies de jeunesse, "Sonnets Sonnants et Trébuchants" où l'on peut lire le célèbre sonnet trébuchant (car il manque des pieds) "Ah si j'avais quatre cent mille francs!"

Ah si j'avais quatre cent mille francs!

(C'est l'affaire de deux ou trois romans,

Bons ou mauvais mais au moins dans le vent)

Et la médecine me soutenant,

Voici donc en gros quel serait mon plan:

Plaçons vite sur un compte courant

Du tout, trois huitièmes exactement;

Avec ceci, en économisant,

Je verrai sans peine à tenir dix ans. 

Choisissons par ailleurs pour le restant

Un dépôt au plus juteux rendement

 Qui doit être de cinq petits pour cent,

J'aurai alors au bout de ces dix ans

Devinez quoi? Quatre cent mille francs!

Ainsi donc du perpétuel mouvement

Je tire l'impeccable enseignement:

Si ayant cette somme avant longtemps

Et la science allant toujours à pas de géant

Je vais faire, après rajeunissements,

De ces vers, jusqu'en l'an deux mille cent!

Remarquons que la prophétie outrageusement optimiste du ver final, qui plus est si l'on sait qu'elle a été faite au tout début des années 20 (celles du siècle dernier, pas le nôtre) n'était finalement pas si loin du compte. Il n'est donc absolument pas surprenant, contrairement à certaines allégations dépourvues de tout fondement qui insinuent qu'il n'aurait été qu'un prête-nom pour quelque personnage sulfureux jamais nommé en quête d'honorabilité sur le tard, il n'est pas surprenant disions-nous avant de reprendre notre souffle, que Jean Levant en ce début de vingt-et-unième siècle ait choisi de cofonder avec nous-mêmes les éditions Setting Sun, ce vrai service rendu aux auteurs de (bons) contes.

Comme faits notables marquant la vie de Jean Levant, on n'oubliera pas aussi de souligner sa participation à la Grande Guerre, non pas en tant que mobilisé d'office (il était trop jeune d'un an à la fin de la guerre) mais comme volontaire dans le corps de l'intendance. Car comme disait Napoléon, "bien peu vaut le plus grand maréchal sans son intendant", "le soldat ne marche qu'au son tintinabulant de la cuisine ambulante" et "la victoire se joue à l'intendance, pas à l'Etat-Major". Ses mois passés à l'armée resteront pour lui parmi les plus doux de sa vie, les plus enrichissants, les plus mémorables. Ce haut fait lui a valu en 2018 de devenir officiellement le dernier combattant de la Grande Guerre encore en vie et incidemment un des doyens de l'humanité.  De façon plus anecdotique, Jean Levant est également à créditer pour l'amélioration du jeu télévisé "Les Chiffres et les Lettres". Ayant en effet participé une fois à ce jeu, et perdu, il fit remarquer à la production que le fondement du jeu était lourdement erroné puique les lettres permettaient de gagner neuf points et les chiffres seulement six, sans compter qu'il y avait deux fois plus de tirages de lettres que de chiffres. Ce fut sa plainte amère qui occasionna trente ans plus tard la révision complète de ce jeu (autrefois) si populaire.

Enfin, nous devons toucher un mot de sa longévité exceptionnelle. Souvent, ces dernières années, on lui posait la question pour connaître son secret : avait-il trouvé une formule de jouvence dans les livres d'alchimie? suivait-il un régime alimentaire particulier? buvait-il de l'huile d'olive et du vin? se baignait-il dans le lait d'ânesse ou le sang de vierges (question purement rhétorique bien sûr)? était-il un adepte des nouvelles (ou anciennes) médecines douces? A toutes ces questions, il ne faisait que rire et répondait : "Mon unique secret, si j'en ai un, est d'avoir toujours eu un bilan à l'équilibre, la marque du bon compte; car un bon compte se reconnaît à ce qu'il ne reste à la fin, une fois que vous avez fini d'additionner de soustraire et de diviser, un seul chiffre, le zéro".

R.I.P. Jean, avril 1901 - octobre 2022 : "Naître au printemps. mourrir en automne, Tel fut le destin banal de notre homme" (extrait de Prophéties et autres Bagatelles, choisi pour épitaphe de sa pierre tombale).

Rédigé à trois mains le 29 octobre 2022 par Norbert Braün, Christine Vermoren et Haï Tongchak


Article en lien avec celui-ci : .


samedi 8 octobre 2022

L'art de la propagande : Poutine, ce nouvel Hitler

 D'abord, il faut savoir de quoi on parle quand on parle de propagande. Plutôt qu'une longue dissertation, je vais utiliser quelques aphorismes pour bien délimiter les contours de la chose.

La propagande se définit moins par ses méthodes que par son objectif, toujours double.

La propagande est au fond une forme de publicité comparative portée à l'échelle des nations (au lieu d'entreprises concurrentes). Son double objectif est d'exalter les qualités imaginaires ou réelles du pays réalisant cette propagande, sa vertu surtout, son courage, sa force, son intelligence, son unité, son ardeur patriotique, ses victoires présentes ou futures (il n'y a pas de défaite possible dans ce cadre de pensée) tout en soulignant au feutre rouge les innombrables vices imaginaires ou réels de l'Autre, l'adversaire, sa méchanceté, sa stupidité, son incompétence, sa lâcheté, sa désunion, sa faiblesse, ses défaites présentes ou futures (il ne peut y avoir de victoires réelles pour ce dernier).

La propagande ne fait pas dans la subtilité et la nuance. Elle suit le précepte de Goebbels résumé ainsi : plus c'est gros, mieux ça passe. La vérité de ce précepte a été vérifiée des dizaines, des centaines de fois; il n'y a aucune raison d'en douter. Elle est utilisée par toutes les nations sans exception, c'est-à-dire par l'appareil de leur gouvernement. Les grands médias font évidement partie de cet appareil. Si vous disposez d'une industrie de l'entertainment puissante - comme le cinéma américain - c'est encore beaucoup mieux. La propagande existe en tous temps mais ne donne réellement son plein potentiel qu'en temps de guerre, ou dans la période qui y mène (c'est notre situation actuelle). On peut donc affirmer que l'objectif final de la propagande est de préparer la population à la guerre puis d'entretenir la flamme.

La propagande cible premièrement la population domestique, secondairement la population de l'ennemi. Mais la seconde partie est à peu près vouée à l'échec puisque la propagande inverse existe chez l'ennemi. Les deux propagandes en s'affrontant n'ont qu'un résultat, celui de se nourrir l'une de l'autre, exactement comme une insulte envoyée à la face de l'adversaire est le meilleur moyen de recevoir à son tour une insulte. La méthode douce ("on comprend vos malheurs avec un tel dictateur, rendez-vous et soyons amis") est également vouée à l'échec; les larmes de crocodiles n'impressionnent personne.

Une erreur habituelle est de croire que la méthode préférée, voire unique, de la propagande est le mensonge. Elle n'a pas de méthode privilégiée, seul l'objectif compte et donc toute méthode susceptible d'amener à ce but est bonne. La propagande se sert donc aussi bien de la vérité que du mensonge; elle est entièrement agnostique à cet égard. On peut même affirmer que la propagande, en théorie, pourrait être constituée entièrement de vérités si le cours des événements se conformait toujours aux souhaits du propagandiste : il n'aurait tout simplement plus besoin de mentir. Dans la pratique, bien sûr, ce n'est jamais le cas. Donc, au final, le propagandiste ne retient de la vérité que ce qui le sert et déforme tout le reste, tordant les faits jusqu'à ce qu'ils soient conformes à la "narrative".

Une autre erreur souvent répétée est l'idée que les pays totalitaires, ou moins démocratiques, auraient une plus grande puissance de propagande. En fait, la puissance d'une propagande se mesure par la puissance des instruments qui la porte, la puissance du porte-voix pourrait-on dire. Qui a le plus puissant porte-voix ? La réponse est aisée : celui qui a les plus grands médias (avec la plus grande audience), les plus grands médias sociaux contrôlés, les industries de divertissement les plus universelles. On voit donc que selon ces critères, L'Empire washingtonien est actuellement sans égal, sans rival possible, même de loin. Il dispose des trois agences d'information mondiales les plus utilisés, en particulier dans le monde occidental : AP, Reuters, AFP, sans parler des grandes chaînes d'information internationales; il dispose des plus grands médias sociaux : Facebook, Twitter, etc., des moteurs de recherches les plus utilisés : Google, Bing, Yahoo, etc., de la plus grosse entreprise de divertissement : Hollywood. Tous sont contrôlés par les organes de propagande washingtoniens, dont fait partie le Commissariat Européen, plus ou moins étroitement, mais de manière de plus en plus visible. Ce contrôle se fait essentiellement par l'auto-censure et le filtrage des voix discordantes, éventuellement par les amendes, les interdictions de diffusion et enfin les peines lourdes (voir Assange, Snowden). Évidemment, comme on peut en avoir un faible exemple sous les yeux en lisant cet article, il n'est pas parfait et ne le sera jamais; mais il est largement suffisant pour obtenir qu'une grande majorité de la population cible soit convaincue.

Une telle propagande quasi omniprésente et d'une puissance sans égale dans l'espace et dans le temps n'a pourtant pas que des avantages. Comme je l'ai dit, la propagande peut aussi bien se servir de la vérité que du mensonge. Mais dans le cas où la réalité, le cours véritable des événement (qui n'a que faire de la propagande) se trouve de plus en plus éloigné de la "narrative", il se produit une disjonction de plus en plus importante entre les faits et le discours officiel. Tous les faits ne peuvent être cachés; ils peuvent toujours être distordus mais pas cachés. La perte d'une armée entière, le bombardement massif d'une ville de première grandeur pour prendre quelques exemples ne peuvent être cachés. Il existe donc toujours un moment où la propagande se heurte au mur de la réalité. Est-ce que cela empêche la propagande de continuer? Non. On en a eu un exemple très triste mais absolument limpide durant la fin de la seconde guerre mondiale, en Allemagne. Alors que les armées allemandes étaient partout anéanties sur le front Est, que les bombardements des alliés frappaient quotidiennement les grandes villes, la propagande nazie faisait feu de tout bois. Cette propagande en roue libre a eu plusieurs conséquences désastreuses : le prolongement inutile de la guerre, des bombardements massifs sur les civils, des contre-offensives forcenées où les troupes fraîches de la jeunesse hitlérienne étaient littéralement lancées à l'abattoir quant on sait la puissance et la densité de l'artillerie russe à la fin de la guerre. Toutes ces opérations étaient vouées à l'échec. Même la propagande la plus intense, la plus déconnectée du réel, ne pouvait plus obscurcir l'évidence, du moins pour une grande partie de la population. Tous les chefs militaires et politiques du Reich le savaient, hormis peut-être Hitler dans la solitude de son bunker. Même les premiers responsables de la propagande, qui y avaient pourtant cru (tant il est facile de finir par croire ses propres mensonges à force d'être répétés aux autres) ne se faisaient plus aucune illusion. L'absurdité patente à laquelle était arrivée la propagande la rendait inaudible. Ne croyez pas que c'étaient les grands chefs, les Bormann, les Himmler, les Göring, les Keitel, les Rommel, les Ribentropp et Cie qui y ont cru jusqu'au bout, non ce sont des jeunes soldats de seize ou dix-huit ans qui sont morts en chantant leurs hymnes. Songez à ce qui se passe en ce moment-même dans ce qu'on appelle l'Ukraine.

La propagande que nous subissons actuellement dans le camp de l'Ouest (qui comprend, je le rappelle à toutes fins utiles outre son berceau européen, l'Amérique du Nord, les deux des Antipodes, le Japon et la Corée du Sud, Israël, tout le reste, c'est-à-dire, environ 8 Terriens sur 10, faisant partie de l'autre camp, de manière plus ou moins déclarée) a trois thèmes, ou plutôt mèmes : Poutine est le nouvel Hitler, Les Russes sont des barbares arriérés d'une sous-espèce mal définie, la guerre (par proxy) que mène la civilisation libre et démocratique de l'Occident n'est qu'à un pas de la victoire totale et définitive. Notons déjà que la seconde proposition vient en collision presque frontale avec la première. Si l'objectif est de faire porter le chapeau à l'homme fort de Russie, et que le peuple ne serait que sa victime crédule et trompée (un peu comme de faire semblant de croire qu'Hitler est le seul coupable pour les horreurs nazies et que le peuple allemand est blanc comme neige), il faut éviter de traiter ce peuple d'imbéciles arriérés dans la même salve de boulets. Si le but est de diviser la population, ou plutôt de séparer la population de son chef, c'est l'échec assuré. Traiter l'autre de crétin ou d'incompétent est le moyen le plus sûr d'abréger la conversation. Et le fait est qu'à l'heure actuelle, il n'y a plus guère de conversation.

Poutine, ce nouvel Hitler, est probablement des trois mèmes celui qui a vocation à durer le plus longtemps. La question de la victoire imminente de l'Otan va être réglée assez rapidement et celle de l'incompétence et de la primitivité des Russes le sera par la même occasion, à moins de croire qu'une nation stupide, incompétente et arriérée peut battre toutes les forces de l'Occident réunies, si compétentes, éclairées et supérieures par la grâce de Dieu ou de Saint Darwin. La diabolisation de Poutine risque pourtant de perdurer chez une bonne partie des vingt pour cent de la population mondiale qui marchent au pas derrière l'aigle-vautour américain. La comparaison avec Hitler est tentante mais n'en est pas moins grotesquement fausse. Je dis grotesquement parce que Poutine est, par sa personnalité, presque l'inverse de Hitler. Leurs points de départ ont des similitudes - tel que le redressement économique de leur pays après une catastrophe économique et sociale (la république de Weimar pour Hitler, l'effondrement du bloc soviétique pour Poutine), leur grande popularité intérieure et, disons, des mesures drastiques lorsqu'il a fallu sortir le pays de l'ornière. Mais leur trajectoires sont très différentes. Hitler n'a cessé de glisser vers l'autocratie, Poutine ne cesse de se rapprocher du libéralisme au sens premier du terme ; cela peut nous paraître insuffisant mais la liberté dont jouissent les Russes est certainement plus grande aujourd'hui qu'elle ne l'a été dans n'importe quelle autre période de leur histoire. Les questions de race, contrairement à Hitler, n'intéressent Poutine que d'une manière positive, pour rassembler autant que possible sous une seule bannière toutes les ethnies qui coexistent en Russie, ce pays grand comme un continent. Poutine ne fait pas de guerres offensives mais toujours défensives. Si l'Ukraine n'avait pas été transformée en machine anti-russe, elle serait encore le plus grand pays d'Europe, géographiquement parlant, et compterait même la Crimée parmi ses régions. Hitler était exalté, charismatique (paraît-il), spectaculaire, sujet aux accès de colère et aux décisions prises à chaud; Poutine est mesuré, prudent, patient, légaliste, le genre à tourner sept fois la langue dans sa bouche avant de parler.

 Autre chose: penser qu'il bluffe est une stupidité. On bluffe au poker, pas aux échecs.


Sur le même sujet mais dans une veine plus poutinesque, je veux donc dire prudente et mesurée, vous pourriez apprécier ce texte très intéressant de Big Serge : Putin and Clausewitz : Politics by other means

samedi 1 octobre 2022

Grand temps pour l'Europe de crier le nom de son ennemi: U.S.A, U.S.A, U.S.A!

 Après le sabotage de Nord Stream 1 et 2, qui rend pratiquement impossible toute marche arrière dans la voie suicidaire que suit l'Allemagne, il est plus que temps que les Européens se réveillent, et pointent leur index vers l'Ouest en épelant de leur plus forte voix le nom de leur ennemi commun: U.S.A, U.S.A, U.S.A!

le diplomate Cao YI résume l'affaire

Qui de l'Oncle Sam ou de ses proxys a réellement fait le coup n'a qu'une importance très secondaire et de toute façon personne ici ne cherchera plus loin que le suspect habituel, de peur de trouver. Vous connaissez la doctrine des trois singes : ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire: c'est la doctrine de l'Europe quand cela concerne notre grand "ami" d'Amérique. Mais croire que la Russie a fait le coup est du même niveau que croire qu'elle a bombardé pendant trois semaines la centrale nucléaire de Zaporojia qu'elle occupe! En fait, on a un quatrième singe de plus en plus répandu dans ce coin du monde : celui qui ne réfléchit pas.

L'Allemagne, cette grosse dinde, semble fichue. Elle réunit une quantité de circonstances anormalement élevée qui  joue en sa défaveur, et cela au pire moment, sauf si bien sûr son but est l'auto-destruction. Avoir par exemple autant de ministres "Vert" aux postes clés, à cette croisée des chemins, est une vraie malédiction puisque ce groupe politique se partage à peu près également entre les idéologues inhumains (transhumanistes est le terme en novlangue) et les incompétents de bonne volonté. Cela lui pendait au nez depuis un bon moment mais l'application actuelle de ce programme vert, dans toute sa rigueur germanique, est d'une rapidité et d'une brutalité qui surprennent même les plus pessimistes. Je dis programme en plaisantant. Il existe grosso modo deux thèses opposées pour expliquer le cours des événements actuels: l'incompétence ou le complot sorti du cerveau génial de Schwab ou d'un de ses crânes d'oeuf de congénères débarqués de quelque soucoupe; personnellement, je m'en tiens à la version la plus probable : l'incompétence, c'est-à-dire, un mélange de stupidité, d'ignorance, d'arrogance, de corruption et d'aveuglement.

Non, je ne crois pas du tout que c'était le plan de départ. En revanche, je suis entièrement persuadé que certains, en particulier côté US, ont très vite compris le potentiel de la situation, une fois que nos abrutis en chef ont démarré leur programme d'extinction des lumières avec leur tristement fameuses sanctions "anti-russes" (celles-là vont rester un sacré bout de temps dans les annales historiques, à supposer qu'il y ait des annales). En gros, et en caricaturant à peine, tout le monde, je veux dire la Terre entière, s'est pris la baffe des sanctions, à commencer par l'envoyeur, sauf la cible visée, la Russie.  Ce résultat n'était pas prévu, j'en mettrais ma main au feu. Des médiocrités comme Sullivan, Blinken, Austin, Miley, Harris sans parler de Biden n'ont de plan qui excède le mois en cours. Quand vous arrivez à mettre au pouvoir un tel ramassis d'invertébrés et/ou de stipendiés par le lobby monetaro-militaro-industriel si ce n'est par le lobby pharmaceutique, il devient inutile de chercher un plan. Néanmoins les effets d'aubaine restent et il n'est nullement besoin d'être très fin pour flairer la bonne aubaine, le cadavre à dépecer.

Eh bien le cadavre et la bonne odeur de charogne viennent aujourd'hui d'Allemagne (ceux d'Ukraine ne sentent pas bon, trop d'os, plus rien à tirer de juteux pour le faux aigle, vrai vautour de Washington). Mais ceux qui, en France, se réjouissent déjà de profiter de la bonne aubaine -- l'élimination de facto de l'industrie allemande et donc du voisin encombrant -- se fourrent le doigt dans l'oeil très profondément. Je n'ai pas de sympathie particulière pour l'Allemagne, on pourrait même dire  sans grand risque que j'ai à son égard un préjugé défavorable, certainement venu de mon ignorance envers cette nation et même ce peuple (trop vu de films américains sans doute). Mais croire que je vais individuellement ou collectivement, en tant que Français, profiter de l'effondrement du voisin d'outre-Rhin, me semble au mieux une farce. Un tout petit peu de réflexion me dit qu'on ne sera pas les gagnants de l'opération, loin de là. 

Voyons voir, que peut-il se passer suite à l'effondrement du secteur industriel allemand, c'est-à-dire européen (en excluant la Russie bien sûr)? A court ou moyen terme, la question sera pour les entreprises allemandes de survivre. Elles auront en gros deux choix pour cela : s'expatrier ou se vendre (ou les deux). Si la première solution est retenue, ce ne sera certainement pas pour aller en France, côté Guermantes (idée grotesque au plus haut point) mais bien probablement du côté de chez Swann. Si la seconde prévaut, ce sera non pas selon la loi du plus offrant mais la loi du plus fort et vous savez qui est le plus fort dans notre partie du monde. Théoriquement, les Chinois, voire les Indiens, pourraient prendre leur part si les dés n'étaient pas pipés mais ils le sont et le seront encore plus à l'avenir. A moins que la guerre, la vraie, ne s'étende jusqu' à nos contrées, je doute que ces acteurs puissent participer à la vente à la découpe des actifs germaniques puis européens, autrement que de façon marginale. De toute façon, ils sont plus intéressés par les marchés asiatiques et africains. A plus long terme, les Allemands vont tout de même finir par se poser les bonnes questions et l'une des toutes premières sera : à quoi bon rester dans l'Euro? Leur seul intérêt, énorme cela dit, pour figurer dans cette triste bande est, ou a été, de propulser leurs exportations jusqu'à la stratosphère grâce à une monnaie beaucoup moins forte que s'ils étaient restés avec leur mark (vous vous demandiez peut-être pourquoi l'UE avec l'Allemagne à sa tête avait si volontiers accepté en son sein des boulets parfaitement identifiés comme, au hasard, la Grèce, la Roumanie, la Bulgarie, eh bien maintenant vous avez la réponse: rien de tel pour faire baisser une monnaie). La plus grosse partie de leur industrie disparue (d'une manière ou d'une autre, voir plus haut), cette motivation disparaît. Et comme ils n'ont plus rien à perdre, ils sortent de l'Euro. Une fois l'Allemagne partie, la zone Euro ressemblera à l'empereur du conte pour enfants. Plus d'industrie, plus guère d'énergie, pas de matière première et pas suffisamment de nourriture pour tout le monde (avec les politiques agricoles vertes de ces dernières années et la hausse vertigineuse des prix de l'énergie, on peut le considérer comme un fait acquis). Autant dire que tous les fondamentaux d'une économie solide auront disparu.

Le scénario que je décris plus haut est le plus probable. Ce n'est pas le seul. On a le droit d'être plus optimiste. Mais je dirais que la fenêtre temporelle pour espérer avec quelque semblant de raison un avenir un peu moins sombre (inutile d'attendre un futur radieux pour les décennies à venir) est tout proche de se fermer. Nous avons déjà beaucoup perdu ces derniers temps, à tous les niveaux, mais nous ne sommes pas dans le trou, pas encore. Il reste dans notre pays un réseau d'infrastructures, une administration peut-être fainéante mais encore honnête et fonctionnante si j'ose dire (j'ose beaucoup) et surtout quelques beaux restes de compétence dues aux anciennes générations (ce n'est pas de la faute de la nouvelle si on lui a lavé le cerveau de tout savoir utile dès la maternelle). Tout cela vaut la peine d'être préservé et peut l'être encore, sans doute. Mais il faut faire vite. La pourriture est en train de se répandre, comme souvent, en commençant par la tête, le savoir réel, qui permet de produire des biens matériels utiles comme des boîtes de petits pois, de l'essence raffinée, de l'électricité à un coût abordable ou un bon livre, est en train de se perdre. Il va falloir des transformations radicales dans un temps très limité. Comment un tel changement peut-il se produire est la question qui fait peur. Politiquement, n'y comptons pas. Par des blocages ciblés, des grèves massives, y compris des urnes, peut-être... Des barricades, la révolution, à la Bastille, sûrement... 

Excusez-moi, je plaisantais, je ne peux pas m'en empêcher. Pour la dernière phrase, je plaisantais. Non bien sûr, il n'y aura rien de tout ça. Ces jours-là sont passés depuis belle lurette. Il n'y aura plus ni révolution, ni guerre civile ni guerre du tout : on ne le mérite pas. On va tranquillement suivre notre chemin sans faire de vagues, et continuer nos toute petites affaires comme des vieillards et des enfants idiots. Rassurez-vous, on va continuer à vivoter, longtemps, j'en suis sûr, tout comme les Égyptiens ont continué à vivre après le dernier des pharaons bâtisseurs.

Vous voulez connaître le fond de ma pensée? Pure rhétorique car je vais vous la donner, que vous le vouliez ou pas.  La vision du futur qui me vient spontanément à l'esprit, la voici : un pays en voie rapide de sous-développement, où de modernes bidonvilles (mais pas mieux que les anciens) envahissent le paysage, qui survit de tourisme, d'une agriculture de subsistance et de pots de vin. Les anciennes centrales nucléaires, depuis longtemps arrêtées et abandonnées relâchent leur poison sans que ça fasse beaucoup d'émoi parmi les indigènes pustuleux, vêtus de peaux de mouton et de sacs plastiques récupérés dans quelque décharge sauvage avoisinante. 

Et si le réchauffement climatique est à la hauteur des prophéties de malheur, ce sera en fait notre plus grande chance : on pourra se contenter de pagnes et de claquettes made in China, même en hiver.



samedi 17 septembre 2022

France, Occident : quand l'élite nous tire vers le gouffre

 

"Vous regardez ces maisons éparpillées et vous êtes saisi par leur beauté. Je les regarde et la seule pensée qui me vient, moi, est le sentiment de leur isolement et de l'impunité avec laquelle un meurtre peut être commis ici [...] Elles me remplissent toujours d'une certaine horreur. C'est ma conviction [...] que les ruelles les plus sordides de Londres ne présentent pas un bilan plus terrible qu'une belle campagne riante.

- Vous m'horrifiez.

- Mais la raison en est très évidente. La pression de l'opinion publique peut faire dans la ville ce que ne peut accomplir la loi. Il n'y a pas d'allée si vile où le hurlement d'un enfant torturé ou le choc sourd d'un coup d'ivrogne n'éveille pas quelque sympathie parmi les voisins et puis toute la machinerie de la justice est si  proche qu'un seul mot de plainte la mettra en branle et il n'y a qu'un pas entre le crime et la prison. Mais voyez ces maisons solitaires occupant chacune un bout de terre, remplies de pauvres gens ignorants qui savent peu de chose de la loi. Pensez aux actes d'une cruauté infernale, d'une méchanceté cachée, qui peuvent se poursuivre année après année dans de tels endroits..."

Peut-être avez vous reconnu l'auteur très célèbre de cette longue citation tirée de la nouvelle "L'Aventure aux Hêtres Dorés". Son héros à la misanthropie si particulière, presque archétypique du puritain anglo-saxon urbain et imbu de sa supériorité supposée, s'y dévoile crûment. Néanmoins, il est d'habitude nettement plus perspicace. Avec cette brève description, vous avez maintenant probablement reconnu, si ce n'était pas déjà fait, les deux personnages en train de converser: Sherlock Holmes et le docteur Watson.

J'aime beaucoup Conan Doyle et son personnage fétiche malgré ou même à cause de ses grands défauts. Sherlock Holmes n'est pas un humaniste, très représentatif au contraire de ce sombre courant philosophique propre à l'église réformée. Il se targue d'être un réaliste et dans l'ensemble il l'est le plus souvent. Mais ici, il se trompe; en fait je dirais qu'il l'a mais à l'envers. la plupart de ses arguments sont recevables; il a juste interverti les "bons" et les "mauvais". En effet, vivre comme un criminel ou simplement en dehors des usages admis est à coup sûr beaucoup plus difficile à la campagne qu'en ville. Le fait d'être entouré par des dizaines de milliers, voire des millions de personnes anonymes, sans liens les unes avec les autres,  ne crée certainement pas le genre de pression normalisante que le grand détective ou plus probablement l'auteur Doyle imagine. Mais habiter dans un village où tout le monde connaît tout le monde et où le moindre acte répréhensible est très rapidement connu de la moitié de la population est précisément cette forme de pression sociale dont parle  Conan Doyle. On pourrait ajouter que l'ignorance des citadins vaut bien celle des villageois, elle est juste différente.

La misanthopie de Sherlock Holmes ne tient pas seulement à sa culture anglo-saxonne puritaine et sa vision profondément pessimiste de la nature humaine mais aussi à son élitisme d'intellectuel, élitisme qui lui n'a pas de frontière. Et l'on voit ici que le fait d'appartenir, même aussi incontestablement que Sherlock Holmes à l'élite intellectuelle, n'empêche nullement l'ignorance de faits très simples et parfaitement évidents pour beaucoup d'autres, bien moins savants. Les intellectuels vivant au milieu d'autres intellectuels ont une tendance naturelle à oublier (parce qu'ils ne les voient plus, ne les éprouvent plus) les principes premiers qui ont fait de leur pays une grande civilisation, à la culture riche, permettant justement l'apparition de tels cercles intellectuels. En bref, ils ont tendance à se couper des racines sur lesquelles ils ont poussé  et leur arrogance ne les aide sûrement pas à en prendre conscience.

Ce à quoi nous assistons en Europe à notre époque, son effondrement, son incompréhensible course de lemmings vers le gouffre, peut en grande partie s'expliquer par ce phénomène courant, cyclique et probablement inéluctable.

dimanche 11 septembre 2022

Notre seuil d'incompétence (en science et ailleurs)

 Non, cet article n'est pas, pour une fois, dirigé contre nos politiques et autres demi-crétins qui nous guident, le sourire aux lèvres, vers des lendemains qui déchantent toujours un peu plus.

Je vais parler ici de notre incompétence, à nous êtres humains, l'espèce prise dans son ensemble. Et plus précisément, je vais discuter de ce seuil que nous rencontrons dans les domaines scientifiques où l'intelligence semble se heurter à un mur indépassable. Pourquoi est-il indépassable ? parce qu'il semble défier toute percée de la raison ou de la logique.

Pour illustrer mon propos, j'ai choisi une citation assez récente du livre "The miracle of the cell" (2020) du généticien Michael Denton, qui lui sert de conclusion (les précisions entre crochets sont de moi):

"... Je crois que d'autres éléments d'adéquation de la nature [pour l'apparition de la vie] seront découverts dans les décennies à venir qui révèleront finalement le sentier fatal qui mène de la chimie vers la vie. Et je crois que lorsque ce sentier sera finalement élucidé, il s'avérera extraordinaire, une des plus grandes merveilles scientifiques..."

J'ai souvent lu des professions de foi, ou de grandes espérances, venant aussi bien de scientifiques croyants qu'incroyants (tel n'est pas la question), terminant leurs ouvrages en beauté en ouvrant des perspectives radieuses sur l'avenir de la Science. Et il ne fait aucun doute que des découvertes scientifiques auront lieu, comme elles ont eu lieu dans le passé, du moins tant qu'il restera une civilisation capable de produire et d'accueillir en son sein des esprits novateurs. Je peux même admettre que si l'Homme était éternel, il pourrait théoriquement progresser indéfiniment. Néanmoins, même cette éventualité absurde ne signifie toujours pas que l'humanité, par l'intermédiaire de ses plus brillants scientifiques, pourrait franchir certains pas. Pour prendre un exemple trivial, vous pouvez vous taper la tête jusqu'à la fin de votre vie contre la Grande Muraille de Chine, elle ne reculera pas, ne disparaîtra pas et ne s'écroulera pas selon toute probabilité. D'autres exemples encore plus absolus viennent à l'esprit: ainsi selon l'équation célèbre de Einstein E = m C², il en découle que la vitesse de la lumière est inateignable et encore plus indépassable pour un objet de masse non nulle; vous pouvez faire des recherches pour briser ce mur de la lumière pendant l'éternité, vous ne le ferez pas bouger. L'infini ne veut pas dire forcément la totalité. Les nombres réels compris entre 0 et 100 sont infinis mais l'ensemble ne contient pas le nombre 101. Si vous retracez une fonction dont l'asymptote est 1 sur l'axe des x, vous avancerez avec votre doigt infiniment vers la droite, de plus en plus lentement mais sans cesse, et vous n'atteindrez pourtant jamais le chiffre 1, encore moins vous le dépasserez.

L'idée donc que la Science en progressant toujours finira par élucider  chaque mystère de l'univers est très attirante mais nullement une garantie.

Pour revenir au problème spécifique dont parle Denton, l'origine de la vie, c'est bien sûr plus complexe que mon asymptote. Denton montre dans son livre que les éléments de base constituant la vie la plus primitive, sont naturellement présents dans l'univers, que ce soit des acides aminés, les briques de base de l'ADN/ARN, ou d'autres nombreuses molécules dites organiques. Toutes peuvent et sont de fait fabriquées naturellement dans le brouet cosmique. Il montre aussi qu'au-delà de la fabrication de ces briques de base, on ne sait rien du chemin qui a pu mener jusqu'à la première cellule auto-reproductrice. Il affirme et je suis prêt à le croire, qu'aujourd'hui encore, personne n'a pu non seulement découvrir un début d'indice dans la pratique mais n'a pu même imaginer ne serait-ce qu'une vague hypothèse quant à la manière dont les choses auraient pu théoriquement se produire. Il signale à un moment du livre que le problème fondamental qui bloque les chercheurs est un paradoxe du style de la poule et de l'oeuf, c'est-à-dire un problème où l'existence d'un élément B est conditionné par l'existence antérieure d'un élément A, sauf que cet élément A est lui-même conditionné par l'existence antérieure de l'élément B. Ici, les protéines ne peuvent apparaître sans l'ARN qui code pour leur fabrication mais l'ARN ne peut exister sans les protéines. Ce type de cercles vicieux se rencontre dans d'autres domaines de la science que la biologie. 

Je suis étonné que Denton, connaissant l'existence de ce paradoxe, et scientifique de première classe, puisse être aussi optimiste quant à la résolution finale et finalement toute proche de ce problème. L'espoir fait vivre mais ce n'est pas un plan, comme on dit. Et je ne vois pas comment l'Homme pourrait surmonter ce type de problèmes: ça ne me semble tout simplement pas être dans ses cordes. Au contraire de lui, j'ai tendance à croire qu'il existe des barrières infranchissables pour notre intellect et que lorsqu'on les heurte, cela signale la fin d'une route. Mais c'est probablement parce que je ne suis pas scientifique. Après tout, il est difficile de convaincre une personne qu'il fait fausse route quand les moyens d'existence de cette personne dépendent justement de ne pas le savoir.

Vous pouvez trouver ici le livre de Denton (qui n'est pas son meilleur) mais je vous recommande plutôt celui-ci sur le même sujet, qui a en plus l'avantage d'être traduit en français.

samedi 10 septembre 2022

L’art de la guerre russe

Un Chinois, Sun Tzu, a écrit un traité fort célèbre sur le sujet. Je pense que certains Russes pourraient écrire eux aussi leur « Art de la guerre » et qu’il serait du plus grand intérêt pour les stratèges militaires du monde entier et plus particulièrement de ce louche conglomérat de nations qu’on appelle l’Occident, mené et entièrement dominé par les USA. Car ces derniers en auraient de toute évidence bien besoin. Encore faudrait-il qu’ils veuillent apprendre.

Les Russes ont baptisé cette guerre en Ukraine Opération Militaire Spéciale (OMS pour la suite, à ne pas confondre avec l’autre acronyme, car les buts sont diamétralement opposés). De leur point de vue, en tout cas du point de vue de Vladimir Poutine et de ses délégués à la dite Opération, ce n’est donc pas une guerre. Et de fait, la Russie n’a déclaré formellement la guerre à personne, pas même à l’Ukraine. Pour cela, Poutine a commencé par reconnaître l’indépendance des territoires du Donbass. En continuant le raisonnement, il devenait donc évident que c’était l’Ukraine qui avait envahi des nations, celles du Donbass, les Républiques de Luhansk et Donetsk, en plus de les bombarder depuis huit ans. Et qu’en tant que seule alliée de ces républiques indépendantes, la Russie se devait d’intervenir pour repousser l’envahisseur, tout comme les USA estiment de leur devoir d’intervenir, avec beaucoup moins de raisons, quand un de leurs lointains et sympathiques alliés est en difficulté, qu’il s’appelle Isis ou Al Qaeda en Syrie, Taïwan en Chine ou justement Ukraine. Sur le plan légal, on peut donc dire que la guerre en Ukraine est une guerre civile entre Ukrainiens de l’Ouest, commandités et payés par les USA, et Ukrainiens de l’Est, soutenus par leurs alliés russes. Dans les faits, on dira qu’il s’agit d’une guerre par proxy des USA contre la Russie, qu’elle voit comme son éternelle rivale.

Pourquoi les stratèges russes n’ont pas choisi l’option de la guerre ouverte ? Une réponse évidente est bien entendu le nom de leur réel adversaire, qu’on nomme OTAN pour être aimable avec tout le monde mais qu’on ferait mieux d’appeler l’Empire US. Comme tous gens de bon sens, ils veulent autant que possible éviter une confrontation directe avec celui-ci, et l’escalade prévisible qui s’ensuivrait. Et c’est d’autant plus important que les gens de bons sens sont une denrée extrêmement rare de nos jours dans l’Empire. Nous le savons bien, nous en faisons partie. Une seconde raison est que la conquête de l’Ukraine ne fait pas partie des buts de l’Opération. Nulle part, Poutine n’a affirmé que leur but était d’aller à Kiev (sous-entendu comme à Berlin en 1945). Les trois objectifs clairement posés dès le premier jour par le Président sont la libération des territoires occupés, le Donbass donc qui compte pour à peu près un cinquième de la surface de l’ex Ukraine, la démilitarisation et la dénazification de l’Ukraine. Quelle signification sur le plan pratique ? Le premier objectif se passe d’explication. Le second consiste, pour dire les choses telles qu’elles sont, à éliminer une partie si importante de l’armée ukrainienne, matériellement et, hélas, humainement, qu’elle soit rendue infirme, inoffensive. Le troisième est, je crois, volontairement obscur ; il laisse la porte ouverte à bien des interprétations et peut conduire vers des horizons bien différents pour l’Ukraine nouvelle. L’interprétation minimaliste est que les groupes Azov, Kraken et autres formations néo-nazis doivent être éliminés avec ou sans procès. A ces trois objectifs clairement exprimés, il faut ajouter un quatrième plus tacite mais tout aussi important : éviter au maximum les pertes civiles et militaires (du côté russe évidemment). Eviter les pertes civiles puisque les combats se déroulent uniquement, sauf quelques missiles ciblés vers Kiev ou Lvov, dans des territoires à la population très majoritairement russophile. Cet objectif qui est en fait une contrainte ajoute à la difficulté du plan des opérations.

Bien, maintenant que le cadre est posé, passons au vif du sujet, cette fameuse OMS, ou qui le deviendra, fameuse, qui semble si complètement à rebours de tous les manuels militaires. En effet, ceux-ci affirment depuis des siècles que pour espérer réussir une offensive, les assaillants doivent présenter un ratio de 3 contre un par rapport aux défenseurs. Mais voilà, les forces alliées tout compris, russes et républicaines, étaient à peine le tiers de l’armée ukrainienne au commencement de l’OMS, c’est-à-dire très exactement l’inverse du ratio recommandé (la Russie jusqu’à ce jour, n’a dédié que 10 à 15 % de son armée régulière et de ses équipements militaires à l’OMS). Et vous pouvez être certain que les Russes qui ont vaincu l’armée napoléonienne et la Wehrmacht le savent. Pourquoi donc accepter un tel désavantage de la part des Russes ? Pourquoi combattre avec un bras dans le dos ? Elémentaire mon cher Watson : parce que la Russie n’a aucune intention ni désir de conquérir ou tenir les territoires et villes qui, selon le cours plein d’aléas de sa campagne viendraient à tomber sous sa coupe (l’idée que l’armée russe forte à ce moment-là de ses cinquante mille hommes allait prendre Kiev est ainsi une erreur d’interprétation ou plus probablement un mensonge assumé du camp adverse). Remarquez qu’elle n’en a pas besoin puisque les troupes "d’occupation", de maintien de la paix en fait, sont et seront les troupes ou plutôt les milices locales, entièrement favorables à la Russie. Ce faible chiffre est aussi, de manière tout aussi élémentaire, une précaution dans l’hypothèse improbable mais non négligeable où l’Empire entrerait directement dans ce conflit, envoyant ses propres troupes sur le terrain en plus de son matériel (quelques mercenaires plus ou moins compétents ne peuvent représenter les troupes de l’Empire). On peut admettre que la supériorité de l’équipement russe compense en partie ce déficit en soldats (par exemple, l’emploi quotidien de missiles à longues distances inarrêtables et d’une grande précision permet de réduire significativement les points de concentration en personnels ou en matériels ou les deux de l’Ukraine sans mettre leurs propres troupes en danger) mais c’est très loin de remettre les camps à égalité. Et même maintenant, après les pertes monstrueuses subies par l’armée ukrainienne et l’arrivée de soldats venus renforcer le camp Russe (quelques dizaines de milliers apparemment), le ratio n’est toujours pas favorable à une vaste offensive du côté allié. Comment donc ont-ils fait et comment continuent-ils de faire pour atteindre leurs objectifs, libération des territoires occupés par l’envahisseur, démilitarisation et dénazification, tous objectifs en bonne voie de réalisation ? Je rappelle ici qu’à ce jour, les alliés ont repris la totalité de la République de Luhansk, une partie de celle de Donetsk plus quelques territoires qui n’étaient pas marqués sur la feuille de route comme ceux de Kherson et Marioupol (quoique ce dernier puisse rentrer dans l’objectif de dénazification puisque c’était le quartier général des nazis estampillés et tatoués d’Azov). Cette réalisation est d’autant plus remarquable que l’Empire n’a de son côté pas cessé de fournir argent, matériels, tâchant de remplir sans cesse le panier percé qu’est une armée en déroute.

Comment donc ont procédé les Russes pour surmonter leur énorme désavantage ? Et ceci en remplissant consciencieusement le quatrième objectif, qui est d’économiser au maximum les vies amies, militaires ou civiles. Dans le brouillard de la guerre, il est évidemment difficile de voir les formes et les mouvements avec précision (et si vous comptez sur les MSM pour vous éclairer, c’est que vous êtes mûrs pour recevoir la visite d’un charmant VRP qui vous vendra le pont de Brooklyn ou la pyramide de Mykérinos pour un très gentil prix) mais sur la durée, on peut observer des schémas qui reviennent. Les Russes attaquent au nord puis se retirent après quelques escarmouches ; les Ukrainiens voyant la faiblesse de l’adversaire se ruent à sa poursuite et sont décimés. Les Russes attaquent au sud, prennent quelques villages sans grande importance et sans grand combat avant d’être bloqués par la puissante défense ukrainienne et se retirent sans tambour ni trompette ; devant cet aveu d’échec, les Ukrainiens prennent confiance (au moins leurs chefs, surtout ceux qui sont à Kiev, à Washington ou à Londres) et ordonnent une contre-offensive : l’armée ukrainienne est décimée. Les Russes attaquent à l’est… Bon, j’arrête là. Et quand j’emploie le verbe décimer c’est dans le sens moderne — je ne fais pas dans l’antique — qui signifie que la grande majorité des contre-attaquants finit à l’hôpital, au cimetière ou dans un camp de prisonniers.

Toute la tactique russe semble être d’attirer les forces ukrainiennes hors de leurs défenses fortifiées et préparées depuis des années, afin de pouvoir utiliser toute la puissance ravageuse de leur artillerie, qui comme chacun sait ou devrait savoir s’il s’intéresse quelque peu aux affaires militaires, est la meilleure du monde autant sur le plan quantitatif que qualitatif. Mais pour que le piège fonctionne encore et encore, il faut plusieurs conditions. La première est que l’appât doit être irrésistible, ce qui signifie qu’il faut que sa propre position soit jugée très faible par l’adversaire (qui je le rappelle bénéficie de la surveillance satellitaire américaine, ce qui interdit toute manœuvre d’importance cachée, comme par exemple de prépositionner des forces là où on espère attirer l’ennemi) qu’il faut être prêt à perdre des pièces dans l’opération, des hommes et des machines, probablement de nombreuses pièces. Et il faut être rapide et très bien organisés, très bien coordonnés, pour pouvoir retirer le gros des troupes en bon ordre jusqu’au lieu retranché déjà préparé tout en envoyant au moment idoine et pas avant (que le poisson ait avalé l’hameçon) des renforts de milliers d’hommes avec tout le matériel nécessaire en quelques heures ou quelques jours au plus (sans quoi les troupes qui sont chargées d’attirer l’adversaire, très inférieures en nombre, même bien retranchées, sont parties pour un très mauvais moment). Cette rapidité et je dirais cette versatilité dans les manœuvres russes sont frappantes. Ils ne cessent pas de changer leurs aires d’attaques et de replis, le théâtre des opérations est incroyablement mouvant (contrairement à l’impression qu’en ont beaucoup d’observateurs trop superficiels ou trop myopes). Naturellement de telles prises de décisions et une telle rapidité dans la manœuvre sont les marques d’un entraînement, d’un savoir-faire et d’une compétence admirables à tous les niveaux que certainement peu d’armées actuelles peuvent se vanter d’avoir. En somme, les Russes incitent leurs adversaires à échanger leurs positions retranchées très favorables pour des positions qui ne le sont pas du tout, (partir en terrain découvert sous une artillerie et une force aérienne comme celles de la Russie confine au suicide de masse) en leur faisant miroiter quelques victoires prestigieuses. Néanmoins, toutes ces qualités ne suffisent pas à expliquer le succès affolant de l’OMS, à mon avis supérieur aux attentes les plus optimistes de l’Etat-Major russe. L’obstination des chefs ukrainiens ou plus vraisemblablement américains à tomber presque systématiquement dans le panneau est en effet inexplicable sans un autre facteur. Ironiquement, c’est le plus grand point fort des USAméricains qui est ici l'épée de damoclès pour l'armée ukrainienne. Toute la politique et la stratégie militaire de l’Empire est sinon basée au moins dépendante fortement du département "Comm" ce que les anglo-saxons appellent Public Relations (PR). Les Américains ont absolument besoin de succès médiatiques, c’est-à-dire de ces succès mineurs, réels ou illusoires, que leur énorme machine médiatique va pouvoir transformer en grande victoires devant leurs populations ébaubies, afin de justifier l’investissement politique total dans l’affaire, avec tous les effets contreproductifs qu’on connaît, et les dépenses toujours grandissantes de l’Etat en faveur de l’Ukraine (mais surtout du secteur militaro-industriel domestique, voir Raytheon et consort). Bien sûr ce qui est dit pour les USA est aussi vrai pour nous. Cette force médiatique joue entièrement en défaveur de l’armée ukrainienne à court et moyen termes (je doute qu’il y ait de long terme pour elle) chargée qu’elle est d’obtenir à n’importe quel prix ces succès fictifs ou de très courte durée et de très faible ampleur. Les pertes en vies humaines, gigantesques, jamais vues depuis la seconde guerre mondiale, n’entrent quasiment pas dans le champ de considérations de l’Empire puisque ce sont des vies ukrainiennes, en très grande majorité. On a rarement vu chair à canon plus cheap.

Nous avons en ce moment de magnifiques exemples si on peut dire de ces opérations PR si dévastatrices pour l’armée ukrainienne. Les dites contre-offensives de Kherson puis de Kharkov, entreprises sans appui aérien ou presque, sont des opérations suicidaires que des militaires dans leur bon sens, normalement compétents, ne devraient jamais ordonner. Et l’on entend justement des bruits insistants comme quoi l’Etat-major ukrainien aurait contesté ce choix à de multiples reprises. Mais voilà ce ne sont pas les militaires qui décident au bout du compte, ce sont les politiques et plus particulièrement les payeurs, qui sont USaméricains avec bien sûr ces dindons farcis d’Européens. Le deal est très simple et très cynique comme toujours avec ce brave oncle Sam : vous voulez continuer à être payés ? alors donnez-nous-en pour notre argent. 

Encore quelques victoires de ce genre et l’armée ukrainienne aura cessé d’exister. Et le second objectif de Vladimir Poutine aura été plus que rempli.


Enfin, pour décrypter cette énigme qu’est toujours une guerre en cours, d’autant plus quand on est dans un pays partie prenante de cette guerre, avec donc la propagande obligatoire et généralisée régnant sur tous les canaux officiels (il ne faut pas démoraliser le front domestique, assis devant sa télé ou derrière sa radio, qui s’apprête à se faire hara-kiri sans le savoir) je vais donner quelques noms de personnes, spécialistes en renseignements ou en opérations militaires, qui m’ont aidé à me faire mon idée sur l’Opération en cours, en plus de mes propres petites cellules grises, et qui pourraient donc vous rendre le même service. Hélas, il n’y en a aucune qui soit francophone. Je citerai sans ordre de préférence Andrei Martyanov, Andrei Raïevsky, Mac Gregor (j’ignore son prénom à moins que ce soit Colonel), Scott Ritter, Brian Berletic, Larry Johnson et, avec prudence celui-ci, car il est à moitié fou, un jour génial un jour fou, Jacob Dreizin. Cela fait trois Américains d’origine russe sur sept, ce qui peut sembler beaucoup pour un panel impartial mais que voulez-vous ? si vous voulez des informations sur une guerre qui se passe en Ukraine, entre gens qui parlent tous russe, mieux vaut comprendre le russe. Pour être honnête, je dois signaler que le premier cité est un porte-voix non officiel mais pas vraiment déguisé du Ministère de la Défense russe (localisé aux USA), ce qui ne l’empêche pas d’être très drôle en plus d’être informatif.


samedi 27 août 2022

Europe : un suicide assisté (à suivre en direct)

Eh bien  nous vivons des temps intéressants comme on dit et malheureusement des temps intéressants sont des temps toujours difficiles à vivre, proportionnellement difficiles selon la place que vous occupez  dans la chaîne alimentaire. Et nous allons vivre des temps de plus en plus intéressants. 

Là-dessus, Macron n'a pas tort. C'est un fait : les conditions de vie pour la majorité vont rapidement se transformer. On était déjà en mode dégradé, on va maintenant passer en mode survie. Naturellement, si le constat est correct, son interprétation des faits est grotesque, si même on peut y trouver un sens, comme tout ce qui sort de la bouche d'un politicien actuel ou d'un porte-voix estampillé de l'establishment. Ecouter un discours d'une heure de Macron ou d'un de ses faire-valoir puis le réécouter pour s'assurer qu'il était bien aussi vide qu'il le paraissait à la première écoute est un exercice relativement utile mais que je ne conseillerai qu'aux esprits les plus endurcis et les moins sujets au vertige des abîmes.

Le titre de cet article, une brève réflexion plutôt qu'un article d'ailleurs, peut sembler outrageusement dramatique. Il ne l'est pas. Il s'agit bien, culturellement, économiquement, socialement, d'un suicide que nous avons la chance, si j'ose dire, de vivre en direct. J'en viendrai après au qualificatif "assisté".

Pourquoi se suicider quand on fait partie soi-disant du gratin des nations, aux standards de vie incomparables, dans le confort douillet de notre bienveillant Etat providence, me direz-vous? Voilà qui paraît fantastiquement  absurde. Eh bien oui, le monde, le nôtre en tout cas, est devenu absurde. Cela pourrait être bien pire, ricanez-vous en contemplant le poli parfait de votre Mac dernier cri. Eh bien en fait, cela va être bien pire.

Je ne vais pas m'attarder sur les causes évidentes de la faillite complète de l'Europe, exceptée sa partie la plus orientale (suivez mon doigt). Je ne parlerai pas de l'incompétence, de l'ignorance, de la médiocrité, de la corruption au sens large de nos dirigeants, politiciens, financiers, businessmen, technocrates, sommités "scientifiques", artistes, écrivains et autres fers de lance de notre glorieuse élite. Tout cela ne sont que des symptômes.

Le problème de fond que nous, les individus réels qui formons cet Occident abstrait, en particulier l'Europe occidentale, est un problème de lucidité et plus encore de mauvaise volonté, ou si l'on préfère, de lâcheté. Le reste, la corruption, l'incompétence, l'ignorance crasse, la médiocrité n'en sont que les conséquences. C'est cet aveuglement volontaire qui nous empêche de changer le cours des événements, nos actes, notre pensée même, qui, pour les plus doués, les plus lucides, nous poussent toujours vers plus de corruption, de mensonges, y compris et surtout avec nous-mêmes. Et pour mieux me faire comprendre, je vais avoir recours à une très très brève histoire. Imaginez que dans le cours de votre vie, vers le milieu ou un peu avant, vous ayez pris la mauvaise route et que depuis ce moment vous n'avez cesser de suivre cette route. Et maintenant, vous êtes vieux, malade, proche de cet horrible cercueil ou autre récipient qui vous attend dans le plus proche funérarium. Voudriez-vous connaître la vérité sur votre vie, à savoir que vous avez descendu la mauvaise route? Auriez-vous la volonté pour ça? Probablement pas. Mieux vaut rester aveugle, pas vrai? Vous ne voulez pas changer votre comportement, votre train de pensée, votre vision du monde (bien que vous nourissez peut-être au fond de votre coeur de terribles doutes) parce que cela serait admettre que toute votre vie est un échec et qu'il vous en reste si peu devant. C'est trop tard, vous dites-vous, tandis que vous cheminez lentement vers votre dernière demeure, ce grand cimetière où rêvent à leur gloire passée Aztèques, Mayas, Etrusques, Egyptiens, Babyloniens, Grecs, Romains... s'ils rêvent.

Quant au fait que ce suicide soit assisté, il est évident que des braves gens nous tordent le bras discrètement mais très fermement, au cas où nous mollirions au dernier instant, et ce ne sont pas des Russes. Kissinger a dit, si je ne me trompe pas d'auteur (mais c'est bien son style en tout cas) : "il est dangereux d'être l'ennemi des USA, il est fatal d'en être l'allié".


lundi 15 août 2022

Julius Klever, le plus grand peintre de soleils couchants

 


    Hormis Chagall, Kandinsky et peut-être Soutine pour les amateurs quelque peu éclairés, les peintres russes sont à peu près inconnus dans nos pays, même un nom aussi grand que celui de Savrassov. Ce dernier, sur lequel je devrai revenir un jour prochain, n'est cependant pas l'objet de cet article. Julius Klever (Yuliy Klever en fait) a un génie plus modeste, ou plus exactement un génie très circonscrit. Des peintres comme Degas, Turner, De La Tour, Rembrandt, sont géniaux, ou du moins peuvent l'être, quel que soit ou presque le sujet traité : portrait, nu, scène historique ou religieuse, scène de genre, paysage, etc. Klever ne peut l'être (mais il l'est alors grandement) que lorsqu'il peint des paysages, et pas n'importe quand, mais uniquement quand il peint une heure au plus après le lever du soleil  ou une heure avant le coucher du soleil. Personnellement, je pense que ce sont des couchers de soleil mais ce n'est qu'un ressenti, peut-être même l'expression d'une préférence, je n'en ai aucune preuve, sauf pour un titre qui n'est d'ailleurs peut-être qu'une invention des critiques d'art. Je défie quiconque de différencier avec certitude un lever d'un coucher de soleil à partir d'une peinture, ou d'une photo, s'il n'a pas la connaissance précise du site où a été réalisée la peinture et peut donc s'orienter. Rien ne ressemble plus à un lever de soleil qu'un coucher de soleil. Néanmoins, si vous assistez à la scène, rien n'est plus différent, car subjectivement nous attribuons un éventail d'émotions, de symboles, diamétralement opposés s'il s'agit d'un lever ou bien au contraire d'un coucher de soleil. C'est donc parce-que la palette d'émotions (et non de couleurs) des tableaux de Klever, ses meilleurs tout au moins, m'évoquent plus des soleils couchants que levants que j'ai attribué à Klever le titre de plus grand peintre de soleils couchants. Il y en a pourtant d'autres qui viennent immédiatement à l'esprit : Turner, Friedrich, Le Lorrain, mais aucun d'entre eux ne me semblent atteindre à la variété des rendus, à la puissance évocatrice et à la poésie de Klever sur ce sujet précis. Certains pourront juger que ce sujet est bateau, comme une carte postale envoyée des vacances, mais il a au moins le grand mérite d'être le plus démocratique qui soit. Tout le monde peut jouir, s'il a des yeux pour ça, de la vue de ce spectacle si banal qu'est un beau coucher ou lever de soleil, y compris s'il habite les plus moches banlieues de béton et bitume, disons par exemple dans le 93.

Les deux premiers peintres que je viens de citer, et peut-être même le troisième, ne sont pas choisis au hasard : ce sont les influences les plus évidentes de Klever, de très bonnes influences, auxquelles il faudrait ajouter Corot. Le Russe, né en 1850 dans un des pays baltes (russes à l'époque) et mort à Léningrad en 1924 (redevenue depuis Saint-Petersbourg), qui est un contemporain de Gauguin ou Van Gogh, s'ils avaient vécus assez longtemps tout du moins, n'a donc pas grand chose d'un novateur et vous savez, si vous avez quelques connaissances du monde de l'art occidental, que c'est une tare absolument rédhibitoire, qui par ici, vous vaudrait le mépris le plus universel (l'univers étant composé, comme on sait, de l'Europe occidentale et de l'Amérique du Nord). Il n'est donc peut-être pas si étonnant que ce peintre soit inconnu ou presque en France.

Klever est généralment qualifié, par chez nous, quand il est qualifié, de peintre romantique, ce qui n'est pas faux, mais ne dit pas grand chose de son génie particulier. Le tableau présenté plus haut, très clairement influencé par Friedrich, est en effet un bon exemple de peinture romantique. Personnellement, je dirais surtout que c'est un très beau tableau, plus réaliste que ceux du peintre allemand, moins axé vers le fantastique.

La peinture qui suit l'est déjà beaucoup moins, romantique (un village de maisons en bois, un traineau en hiver, à la fin du dix-neuvième siècle en Russie n'a rien de romantique, c'est juste la banale réalité, mais j'admets que le moulin est pittoresque).



Encore un pas de plus vers le crépuscule et la nuit complète. Le ciel est d'une justesse de tons et de textures parfaite. Je trouve le rendu de l'atmosphère si particulière de ces quelques minutes précédant l'extinction de tous les feux, remarquablement réussi. L'ambiance faussement paisible, tel l'eau qui dort de cette rivière, a quelque chose de menaçant dans les ombres; je vois personnellement beaucoup trop d'yeux brillants et quelques créatures maléfiques grimpant ou descendant de l'arbre, un saule plutôt qu'un chêne selon toutes vraisemblances, (les peupliers au fond sont aussi très à leur place).




Eh bien cette fois, je crois vraiment que c'est la nuit. Une nuit de pleine lune. Honnêtement, n'ayant jamais vu l'original, je ne sais pas ce que vaut la photo montrée ici. Elle me semble très douteuse; l'herbe est trop verte, de même que le ciel, et les feuillages trop rouges même si c'est probablement l'automne, mais l'ambiance générale me fait penser que l'original doit valoir le coup d'oeil. Il est probable aussi que le tableau ait beaucoup souffert car les traînées à gauche semblent la marque de mauvais traitements.


Par exception, je serais prêt à croire que le prochain tableau, daté de 1891, est un lever et non un coucher de soleil. Mais voilà, son titre anglais est Sunset in Winter ou quelque chose comme ça. Il tire davantage vers le décoratif que les précédents mais sans y tomber complètement et retient une bonne part de la poésie et du charme particulier de ce peintre. Il me fait davantage penser à Brueghel qu'aux romantiques ou impressionnistes du 19e siècle.



Remarquez que le soleil est toujours présent dans les tableaux de Klever (sauf dans le nocturne si j'ai correctement interprété l'astre montré, ce qui n'est pas sûr). Ce qui veut dire en pricipe que l'heure est très tardive, ou très précoce éventuellement. Mais on doit souligner que le fait de vivre dans des régions très septentrionales, régions baltiques, Léningrad, faisait que Klever ne devait que rarement avoir le soleil bien haut, en particulier l'hiver. Et il est possible donc que parfois, ce que nous prenons pour des couchers de soleil n'en soient pas vraiment.

Cette toile ci-dessous est clairement une variante de la précédente. On y retrouve la même maison, le même saule noueux,  la même barque. La maison de gauche, sur l'autre rive est disposée autrement. Et le peintre a rajouté deux bouleaux à droite qui se trouvaient bien plus en arrière-plan sur le tableau précédent. Les variations sur un même thème sont toujours intéressantes, et pas seulement pour un peintre: je ne sais pas laquelle est la plus réussie. Les deux sont très belles mais la première me semble plus mystérieuse et peut-être plus émouvante.



Voici à nouveau une variation, sur le premier thème présenté, celui de la forêt. Comme d'habitude, le soleil est en plein dans nos yeux et fait rougeoyer le ruisseau, ou plutôt le marais, comme une plaque de cuivre. Les troncs des conifères ont des reflets bleutés du côté ombre. Une grande réussite dans sa simplicité.


J'ai tendance à trouver les Russes plutôt clairs et simples quand ils sont bons.  Je ne les trouve pas très doués pour exprimer le côté obscur de la vie, je veux dire son aspect  nocturne, fantastique, pas son aspect négatif qu'ils décrivent très bien. Quand ils font dans la fantaisie ou le fantastique, ils ne peuvent pas s'empêcher de glisser vers la comédie, la satire, voire le comique, comme Gogol par exemple. Naturellement il y a des exceptions. Les deux tableaux qui suivent, et qui sont des variantes très différentes, en dehors du cavalier, d'une même scène (tirée du Roi des Aulnes), sont ainsi de pures merveilles, dignes de Böklin. Mais Von Klever (la particule de noblesse a sauté avec l'arrivée des soviets je présume) a de toute évidence quelques origines germaniques, ce qui explique peut-être cela.






Vous pouvez regarder la page wiki de Klever, puisqu'elle existe en français, si vous désirez quelques informations sur sa biographie. Sinon, en employant le moteur de recherche Yandex (tapez Юлий Юльевич Клевер), vous pouvez avoir un bien plus ample panorama de l'oeuvre de ce peintre, qui a vécu assez longtemps, sans avoir été trop affecté par les grands événements de son époque apparemment et a donc un catalogue considérable. Ma sélection n'est pas forcément au goût de tout le monde. Mais je vous mets en garde contre les déceptions : selon moi, une grande partie de son oeuvre est dénuée d'intérêt. Soyons clair : les neuf dixièmes sont parfaitement dispensables. Comme je vous l'ai dit, ce n'est pas Degas. Ni Savrassov.

Autre grand peintre russe : article.