Setting
Sun Services est née officiellement dans les dernières lueurs de l'année
2014, peu avant ou peu après le coucher du soleil, comme pour saluer
l'événement, suite à une réflexion commune de ses trois
fondateurs originels.
À l’époque, elle ne se
composait en effet que de trois personnes : Norbert Brön, le
Promoteur-Éditeur, Jean Levant, le Producteur et Haï Tongchak (ou
Tongchan selon certaines sources), l’Interprète-Traducteur. C’est
pourquoi on les appelle parfois en plaisantant les PÉPIT. Chacun
avait une part égale dans l’affaire, ce qui ne facilitait pas les
calculs du Promoteur, qui en plus de ses nombreuses autres tâches,
avait la lourde charge de la trésorerie, quoique d’une manière
que d’aucun aurait jugé lointaine et pour le moins fantaisiste.
Plus tard, quand la maison eut enregistré ses premiers succès, elle
embaucha à temps (très) partiel une quatrième personne, Christine
Vermoren, qui reçut très vite le titre motivant d’Administratrice
en Chef, les bureaux de l’entreprise ne comptant alors plus qu’une
seule personne, Brön ayant décidé que ses autres fonctions lui
suffisaient. Peu après, Vermoren devint associée à part égale, ce
qui facilita grandement le calcul des rétributions de chacun, quand
il y en avait.
Pour être exact, Setting
Sun était alors plus une maison de services éditoriaux qu’un
éditeur au sens strict, puisqu’elle n’avait pas alors les moyens
financiers de faire imprimer des ouvrages, de les distribuer et
surtout de les promouvoir efficacement. Elle permettait à des
auteurs jeunes ou moins jeunes mais tous talentueux (en théorie du
moins), prometteurs et imaginatifs qui ne trouvaient pas d’éditeur,
chose étrange mais assez courante semble-t-il à l’époque, de
relire leur texte, de les faire corriger par un professionnel (comme
l’était à n’en pas douter Tongchak, ou Tongchan), de les
traduire éventuellement dans une langue plus usitée, l’anglais
par exemple, mais aussi le mandarin, deux langues parmi les sept que
maîtrisait parfaitement Tongchack. La réalisation de maquettes,
d’illustrations ou de mises en page plus compatibles avec les
critères habituels régnant dans l’édition faisaient également
partie de ses services. En somme, elle se posait en maillon
intermédiaire entre l’auteur armé de son seul manuscrit et la
publication, qu’elle eût lieu sous forme traditionnelle ou
virtuelle. Un manuscrit soigneusement relu par un tiers doté de
compétences linguistiques certaines, remis en forme par une
incontestable spécialiste du traitement de texte et égayé d’une
couverture qui ne déparerait pas dans la vitrine d’une librairie —
pour prendre l’hypothèse la plus optimiste — ou dans une
bibliothèque part assurément d’un meilleur pied dans la vie,
quelles que soient ses qualités intrinsèques. De plus, une fois
imprimés, Brön se faisait fort de promouvoir les livres maison
grâce à sa méthode de vente très particulière.
À l’époque dont je
parle, la demande potentielle pour ce type de service était devenue
assurément forte, tant les auteurs sans éditeur étaient nombreux,
à tel point que certains dans le milieu prétendaient qu’il y en
avait plus que de lecteurs, ceux-ci ayant curieusement suivi dans le
même temps une évolution inverse, ce qui pourrait laisser penser
qu’il existait un lien entre les deux phénomènes. Il était donc
illusoire pour ce type d’écrivain d’espérer gagner sa vie sur
le dos du lecteur, je parle du vrai lecteur, celui qui achète un
livre avec l’idée simple de le lire, et éventuellement de le
relire. C’est là que Brön intervenait. Il a très bien résumé
la situation dans son style punchy. « De toute façon, du point
de vue financier qui est le mien, ouh, ah, ah, le problème n’est
pas de trouver des lecteurs mais des collectionneurs, ou si vous
préférez des meubleurs de rayonnages, wouah, ha. Vous avez un salon
d’apparat à meubler, un grand bureau ? Eh bien il vous faut
une bibliothèque, O.K ? Et avec quoi peut-on remplir une
bibliothèque sinon avec des livres ? Mais pas n’importe quel
livre, hein, il faut que ça flashe, que vos visiteurs voient à qui
ils ont à faire ! Bon, vous ne pouvez pas la remplir uniquement
des œuvres complètes de Shakespeare ou de Higgins-Clark (Brön
n’avait pas une idée très claire des hiérarchies littéraires,
semble-t-il). Il faut du neuf pour impressionner le péquin moyen,
montrer que vous êtes à la page. Mais vous n’avez pas le temps de
lire tous ces trucs naturellement, qui l’a de nos jours ?
Alors laissez faire des spécialistes. Nous vous confectionnerons une
bibliothèque de rêve qui fera verdir de jalousie votre boss comme
le petit ami de votre nièce en vous valant au passage l’admiration
béate de votre femme de ménage. Et nous le ferons gratuitement en
plus (il voulait dire qu’ils ne paieraient pas la main d’œuvre,
sauf qu’ils payaient bel et bien les livres). » Et
naturellement, il en profitait pour placer dans le lot, les livres
maison. Comme de toute façon, disait-il « le bonhomme
n’ouvrirait jamais les livres, il aurait aussi bien pu leur
fourguer des livres blancs avec juste le titre et la couverture. »
Il comparait le milieu de l’édition à celui du vin. « Vous
ne devenez pas riche en vendant des bouteilles à des soûlards ou à
des fins palais mais à des collectionneurs. Vous avez le nom,
l’étiquette, le prix de machin-chose : c’est tout ce qu’il vous
faut. Quelle importance ce qu’il y a dedans ! Peut-être que
le client ouvrira un jour la bouteille, mais il est plus probable
qu’elle finira de moisir dans une cave sans avoir jamais été
débouchée. Ou bien il la revendra pour faire la culbute. Pareil
avec les livres. Encore mieux même ! Imaginez : un nom
devenu soudain fameux, une édition introuvable sauf chez l’heureux
bénéficiaire de nos services d’ameublement, avec en plus des
illustrations originales faites à la main et tout et tout,
exactement ce que nous proposons (il voulait dire si tout se
déroulait selon le plan) et vous avez tous les ingrédients d’une
pièce de collection. Waouh ! C’est le jackpot ! »
Bien que son discours n’ait guère varié avec le temps, on imagine
cependant qu’il utilisait des termes un peu plus choisis pour
appâter le client (le pigeon, dixit NB).
Vermoren, en tant
qu’administratrice générale, et parce que son incorruptibilité
ne faisait aucun doute, fut chargée de graver un règlement dans le
marbre. Voici in extenso les dix articles, ou plutôt les neuf
composant ces inflexibles tables de la loi.
- Article 1
Chaque membre associé de
l’entreprise a droit à une voix et une seule lors des conseils
d’administration. En cas de litige, par exemple si les voix pour et
les voix contre étaient strictement égales, événement qui ne
semble pas improbable puisque le Conseil se compose actuellement de
quatre membres, la voix du Président, à savoir en l’occurrence de
la Présidente, sera prépondérante.
- Article 2
Les livres retenus à des
fins de publication/ promotion/ mise en page/ traduction/ maquette/
révision devront être élus par la moitié des votants présents et
non à la majorité, encore moins à l’unanimité. Les électeurs
se composeront des membres du Conseil plus les auteurs ayant déjà
fait appel à l’entreprise si ceux-ci souhaitent participer au vote
(cela leur sera proposé et nous leur conseillerons fortement
d'accepter) ainsi que les collaborateurs futurs salariés ou
bénévoles de l’entreprise (correcteurs, relecteurs,
illustrateurs, secrétaires, etc.). Ils formeront le Comité de
lecture.
- Article 3
Tout livre appartenant à
la littérature de l’imaginaire peut être proposé au Comité de
lecture. Ce qui ressort de l’imaginaire et ce qui ne l’est pas
est un choix du Comité et seulement de lui. Les critères
d’appréciation seront les qualités d’imagination, de style, de
narration, l’intérêt et l’émotion suscités, l’originalité
de la forme ou du fond. Tout autre argument avancé pour défendre un
livre sera considéré comme de mauvaise foi et pourra être tenu par
la Présidente comme un motif de nullification du vote du défendeur.
- Article 4
Les membres du Conseil ou
du Comité peuvent présenter leurs propres ouvrages au Comité. Non
seulement ils le peuvent mais ils le doivent, tout contact avec un
éditeur ou autre fournisseur de services éditoriaux avant
présentation au Comité étant considéré comme un acte de félonie.
Dans ce cas, le fautif serait immédiatement traduit devant le
Conseil et pourrait perdre le bénéfice de son droit d’électeur
ou se voir inflige une amende, ou perdre même sa place dans le
Conseil s’il en est membre, selon la gravité des faits reprochés.
Seul le refus du Comité de s’occuper du livre en question peut
motiver de telles démarches extérieures à l’entreprise.
- Article 5
Les membres du Comité
présentant leur propre ouvrage ne disposeront plus de leur voix
d’électeur. De même, chaque membre peut défendre le livre d’un
proche, ami, parent ou simple relation, mais dans ce cas, il perdra
également son droit de vote pour le livre en question.
- Article 6
En cas de dissimulation
avérée d’une information permettant d’établir un lien de
proximité ou une collusion d’intérêt entre le défendeur et
l’auteur du livre défendu, une procédure de forfaiture sera
engagée par le Conseil vis-à-vis du défendeur. Les sanctions
seront les mêmes que dans le cas prévu par l’article 5, après
délibération du Conseil.
- Article 7
Les articles 4 et 5
représentent la règle générale en matière de choix éditorial.
Néanmoins une exception aux règles susdites pourra être accordée
à chaque membre du Comité durant son (ou ses) mandat(s) ; il
pourra élire un ouvrage de son choix sur sa seule voix une fois par
année se terminant par un chiffre pair. Nous l’appellerons le
droit d’exceptionnalité. Si son choix s’avère judicieux pour
l’entreprise, il gardera son droit d’exceptionnalité ;
sinon, il le perdra, définitivement, et se verra de plus dans
l’obligation de rembourser les frais avancés pour cet ouvrage. Ce
droit est une possibilité offerte et n’est en aucun cas un devoir.
- Article 8
Le vote se déroulera à
main levée (et non à bulletin secret par exemple), chacun devant
être responsable de ses choix. Ceci permettra à la Présidente de
la réunion de se rendre compte si les votes correspondent bien à
l’argumentaire déployé et de prendre les dispositions qu’elle
estimera nécessaires en cas de décalage manifeste. La sanction
prévue est l’interdiction de vote pour une durée plus ou moins
longue.
- Article 8 bis
En cas de litige —
nombre d’électeurs impair et une seule voix manquant pour obtenir
la moitié des voix — un nouveau tour de scrutin aura lieu avec un
tour de table préalable où chacun pourra affiner ses arguments et
ainsi de suite jusqu’à obtenir un résultat ne souffrant plus
d’aucune contestation. En tout état de cause le nombre de votants
lors du dernier tour ne pourra être inférieur à la moitié des
électeurs. Ceci évitera qu’un livre puisse être élu à l’insu
des autres, faute de combattants.
- Article 9
Les questions de
redistribution des bénéfices, s’il y en a, feront l’objet d’un
chapitre à part. Néanmoins certaines grandes lignes sont d’ores
et déjà établies. Les réunions du Conseil et du Comité ne
devront entraîner aucune dépense afférente pour l’entreprise,
frais de bouche ou de déplacement par exemple. Chacun devra prendre
ses dispositions ou, s’il ne peut assister à ces réunions de
façon réitérée, devra loyalement remettre sa démission à la
Présidente. Un tour d’hébergement gratuit pourra être établi
entre les différents membres. Les réunions pourront aussi être
réalisées en vidéo conférence selon les moyens disponibles de
chacun. Ceci posé, les bénéfices seront alloués, suivant des
modalités qui ne peuvent être définies à l’avance, et par ordre
de priorité :
- à investir pour la
prospection de nouveaux auteurs et la promotion des auteurs maison,
ainsi que dans le matériel nécessaire pour moderniser l’entreprise,
- aux auteurs
nécessiteux,
- aux membres du Conseil,
- aux membres du Comité
moins les membres du Conseil.
- Article 10
Par respect pour le peuple
juif et son prophète, il n’y aura pas d’article 10 (ceci ne
figurera donc pas dans le règlement final).
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