samedi 29 octobre 2022

La seule biographie autorisée de Jean Levant : sa pierre tombale

 Suite à la triste nouvelle du décès de Jean Levant et la floraison de biographies plus fantaisistes les unes que les autres qui apparaissent de ci de là, nous nous faisons un devoir de rétablir les faits bruts et banals, tâche pour laquelle nous sommes uniquement habilités, ceci dû à notre longue fréquentation du défunt (et qui peut en dire autant?). En cette époque de mensonge omniprésent et pour ainsi dire institutionnalisé, dans cet immense château de sable qu'est devenue notre société, nous nous sentons en effet obligés d'apporter notre modeste pierre à l'édifice.

Jean Levant est né dès le premier jour du beau mois d'avril 1901, d'un père et d'une mère, aux Bottereaux, tout près de la ville d'Ouzouère en Gâtine, elle-même sise non loin de la ville de Montargis, elle-même à proximité de la ville d'Orléans qui se trouve à seulement cent cinquante kilomètres de Paris: on peut donc dire que Jean Levant était un presque Parisien. Nous recommandons d'ailleurs pour nos amis de la capitale ce tout petit déplacement vers Ouzouère où en plus de visiter la maison familiale en pierre de taille et frise en brique multicolore, l'église et son coq girouette en fer forgé artisanal, ils pourront admirer la statue en aluminium argentée du plus célèbre de ses concitoyens, sculpté par le grand Marcel Sandor lui-même, à partir de boîtes de conserve recyclées. J'attire l'attention sur le fait que cette oeuvre a été réalisée au début des années soixante, saisissant son sujet à midi tapante, dans toute la force de l'âge, démontrant à quel point les deux génies étaient en avance sur leur époque (car qui d'autre aurait eu alors l'idée de trier ses conserves?); on notera aussi que Jean Levant y est représenté avec son célèbre béret qui lui venait de sa chère tante Léonie, qui était Basque du côté maternel. 

Dès son enfance, le petit Jean a fait l'admiration de tous par ses dons en arithmétique. A l'âge de sept ans, il composait déjà de grands livres, celui par exemple établissant le bilan financier du ménage des Levant en l'an 1908, qui fut suivi par les budgets anticipés des années 1909 à 1913, un vrai plan quinquennal, qui s'avèrent après examen d'une précision et d'une préscience admirables si l'on considère l'âge de son auteur. Hélas, la guerre interrompit ces premiers essais très prometteurs. La grande passion de sa vie fut toujours les bons comptes et les statistiques. Quand Jean allait en voyage, du côté de chez sa tante Léonie, à Mimizon-les-pins, il ne manquait pas de faire un compte détaillé des automobiles qu'il croisait (encore rares à cette époque), notant leur marque, leur nationalité, leur nombre de feux avant et leur numéro de plaque, toutes données dont il se chargeait ensuite de tirer la substantifique moelle durant ses vacances en plus de ses devoirs scolaires. A la plage de Mimizon, bercé par la senteur balsamique des pins et le vent du large, il prit l'habitude poursuivie toute sa vie de compter les baigneuses en les distinguant par la couleur et la forme de leur bonnet ou de de leur maillot de bain, d'abord une pièce, puis deux puis à nouveau une puis une demie. C'est grâce à de tels ouvrages statistiques qu'il fût d'ailleurs embauché plus tard par Louis Réard qui lançait alors la mode des bikinis.

La mémoire de Jean Levant était fantastique. C'est certainement grâce à une particularité précieuse de son cerveau qui mariait automatiquement à chaque chiffre une couleur du spectre qu'il pouvait se rémémorer avec la plus grande exactitude autant de nombres. Sa mémoire était la plus rangée qui soit. Sa passion du chiffre juste n'avait qu'une égale, celle du chiffre rond. Il aimait dire qu'il était impossible pour lui d'imaginer un plus grand plaisir que de réaliser un bilan de comptes et de trouver après de longs et savants calculs tout en bas de son livre l'alignement de chiffres les plus parfaits et les plus ronds qui soient, une suite infinie de zéros. Naturellement , la carrière de comptable était un chemin tout tracé. Il commença très jeune dans l'épicerie familiale comme aide-comptable, puis devint comptable en titre, puis chef comptable puis expert comptable puis Grand Maître Comptable et termina sa carrière comme Professeur Extraordinaire à l'université de Giens, où il dispensait ses lumières il y a encore quelques mois. Durant toute sa carrière, il collectionna les prix et les honneurs académiques, à tel point qu'il serait rapidement fastidieux d'en faire ici la liste. En vérité, comme l'a très justement qualifié dans un de ses rares et authentiques éclairs de génie son contemporain Pablo Picasso, "Jean Levant est le grand compteur de notre siècle".

Le goût des livres lui vint en même temps que le goût des chiffres. La vérité, selon ses propres mots, est qu'il n'a jamais bien distingué les deux concepts, les lettres lui ayant toujours paru des chiffres d'un autre genre, des codes que l'on pouvait (et devait) déchiffrer. Le déchiffrage des livres les plus abscons, comme la Kabbale ou les Prophéties de Nostredame, étaient ainsi pour lui des jeux d'enfant. Mais sa lecture préférée était le rapport annuel de la Cours des Comptes suivi de près (ou plutôt précédé, chronologiquement parlant) par la prévision budgétaire annuelle du ministère des finances qui était une source d'amusement sans fin pour ce fin limier de la fausse comptabilité. Ses propres oeuvres, outre évidemment ses budgets et bilans annuels personnels (lecture d'un intérêt considérable tant y est finement détaillé le moindre achat, la moindre rentrée, qui lui fit dire qu'il n'y a pas de livre plus éclairant sur la vie et la personalité d'un auteur que son grand livre de compte) comptent plusieurs recueils de contes édifiants, un roman inspiré de La Fortune de Gaspard, mais pour adultes, un long essai intitulé "De la Comptabilité Publique et Privée"et même un recueil de poésies de jeunesse, "Sonnets Sonnants et Trébuchants" où l'on peut lire le célèbre sonnet trébuchant (car il manque des pieds) "Ah si j'avais quatre cent mille francs!"

Ah si j'avais quatre cent mille francs!

(C'est l'affaire de deux ou trois romans,

Bons ou mauvais mais au moins dans le vent)

Et la médecine me soutenant,

Voici donc en gros quel serait mon plan:

Plaçons vite sur un compte courant

Du tout, trois huitièmes exactement;

Avec ceci, en économisant,

Je verrai sans peine à tenir dix ans. 

Choisissons par ailleurs pour le restant

Un dépôt au plus juteux rendement

 Qui doit être de cinq petits pour cent,

J'aurai alors au bout de ces dix ans

Devinez quoi? Quatre cent mille francs!

Ainsi donc du perpétuel mouvement

Je tire l'impeccable enseignement:

Si ayant cette somme avant longtemps

Et la science allant toujours à pas de géant

Je vais faire, après rajeunissements,

De ces vers, jusqu'en l'an deux mille cent!

Remarquons que la prophétie outrageusement optimiste du ver final, qui plus est si l'on sait qu'elle a été faite au tout début des années 20 (celles du siècle dernier, pas le nôtre) n'était finalement pas si loin du compte. Il n'est donc absolument pas surprenant, contrairement à certaines allégations dépourvues de tout fondement qui insinuent qu'il n'aurait été qu'un prête-nom pour quelque personnage sulfureux jamais nommé en quête d'honorabilité sur le tard, il n'est pas surprenant disions-nous avant de reprendre notre souffle, que Jean Levant en ce début de vingt-et-unième siècle ait choisi de cofonder avec nous-mêmes les éditions Setting Sun, ce vrai service rendu aux auteurs de (bons) contes.

Comme faits notables marquant la vie de Jean Levant, on n'oubliera pas aussi de souligner sa participation à la Grande Guerre, non pas en tant que mobilisé d'office (il était trop jeune d'un an à la fin de la guerre) mais comme volontaire dans le corps de l'intendance. Car comme disait Napoléon, "bien peu vaut le plus grand maréchal sans son intendant", "le soldat ne marche qu'au son tintinabulant de la cuisine ambulante" et "la victoire se joue à l'intendance, pas à l'Etat-Major". Ses mois passés à l'armée resteront pour lui parmi les plus doux de sa vie, les plus enrichissants, les plus mémorables. Ce haut fait lui a valu en 2018 de devenir officiellement le dernier combattant de la Grande Guerre encore en vie et incidemment un des doyens de l'humanité.  De façon plus anecdotique, Jean Levant est également à créditer pour l'amélioration du jeu télévisé "Les Chiffres et les Lettres". Ayant en effet participé une fois à ce jeu, et perdu, il fit remarquer à la production que le fondement du jeu était lourdement erroné puique les lettres permettaient de gagner neuf points et les chiffres seulement six, sans compter qu'il y avait deux fois plus de tirages de lettres que de chiffres. Ce fut sa plainte amère qui occasionna trente ans plus tard la révision complète de ce jeu (autrefois) si populaire.

Enfin, nous devons toucher un mot de sa longévité exceptionnelle. Souvent, ces dernières années, on lui posait la question pour connaître son secret : avait-il trouvé une formule de jouvence dans les livres d'alchimie? suivait-il un régime alimentaire particulier? buvait-il de l'huile d'olive et du vin? se baignait-il dans le lait d'ânesse ou le sang de vierges (question purement rhétorique bien sûr)? était-il un adepte des nouvelles (ou anciennes) médecines douces? A toutes ces questions, il ne faisait que rire et répondait : "Mon unique secret, si j'en ai un, est d'avoir toujours eu un bilan à l'équilibre, la marque du bon compte; car un bon compte se reconnaît à ce qu'il ne reste à la fin, une fois que vous avez fini d'additionner de soustraire et de diviser, un seul chiffre, le zéro".

R.I.P. Jean, avril 1901 - octobre 2022 : "Naître au printemps. mourrir en automne, Tel fut le destin banal de notre homme" (extrait de Prophéties et autres Bagatelles, choisi pour épitaphe de sa pierre tombale).

Rédigé à trois mains le 29 octobre 2022 par Norbert Braün, Christine Vermoren et Haï Tongchak


Article en lien avec celui-ci : .


samedi 8 octobre 2022

L'art de la propagande : Poutine, ce nouvel Hitler

 D'abord, il faut savoir de quoi on parle quand on parle de propagande. Plutôt qu'une longue dissertation, je vais utiliser quelques aphorismes pour bien délimiter les contours de la chose.

La propagande se définit moins par ses méthodes que par son objectif, toujours double.

La propagande est au fond une forme de publicité comparative portée à l'échelle des nations (au lieu d'entreprises concurrentes). Son double objectif est d'exalter les qualités imaginaires ou réelles du pays réalisant cette propagande, sa vertu surtout, son courage, sa force, son intelligence, son unité, son ardeur patriotique, ses victoires présentes ou futures (il n'y a pas de défaite possible dans ce cadre de pensée) tout en soulignant au feutre rouge les innombrables vices imaginaires ou réels de l'Autre, l'adversaire, sa méchanceté, sa stupidité, son incompétence, sa lâcheté, sa désunion, sa faiblesse, ses défaites présentes ou futures (il ne peut y avoir de victoires réelles pour ce dernier).

La propagande ne fait pas dans la subtilité et la nuance. Elle suit le précepte de Goebbels résumé ainsi : plus c'est gros, mieux ça passe. La vérité de ce précepte a été vérifiée des dizaines, des centaines de fois; il n'y a aucune raison d'en douter. Elle est utilisée par toutes les nations sans exception, c'est-à-dire par l'appareil de leur gouvernement. Les grands médias font évidement partie de cet appareil. Si vous disposez d'une industrie de l'entertainment puissante - comme le cinéma américain - c'est encore beaucoup mieux. La propagande existe en tous temps mais ne donne réellement son plein potentiel qu'en temps de guerre, ou dans la période qui y mène (c'est notre situation actuelle). On peut donc affirmer que l'objectif final de la propagande est de préparer la population à la guerre puis d'entretenir la flamme.

La propagande cible premièrement la population domestique, secondairement la population de l'ennemi. Mais la seconde partie est à peu près vouée à l'échec puisque la propagande inverse existe chez l'ennemi. Les deux propagandes en s'affrontant n'ont qu'un résultat, celui de se nourrir l'une de l'autre, exactement comme une insulte envoyée à la face de l'adversaire est le meilleur moyen de recevoir à son tour une insulte. La méthode douce ("on comprend vos malheurs avec un tel dictateur, rendez-vous et soyons amis") est également vouée à l'échec; les larmes de crocodiles n'impressionnent personne.

Une erreur habituelle est de croire que la méthode préférée, voire unique, de la propagande est le mensonge. Elle n'a pas de méthode privilégiée, seul l'objectif compte et donc toute méthode susceptible d'amener à ce but est bonne. La propagande se sert donc aussi bien de la vérité que du mensonge; elle est entièrement agnostique à cet égard. On peut même affirmer que la propagande, en théorie, pourrait être constituée entièrement de vérités si le cours des événements se conformait toujours aux souhaits du propagandiste : il n'aurait tout simplement plus besoin de mentir. Dans la pratique, bien sûr, ce n'est jamais le cas. Donc, au final, le propagandiste ne retient de la vérité que ce qui le sert et déforme tout le reste, tordant les faits jusqu'à ce qu'ils soient conformes à la "narrative".

Une autre erreur souvent répétée est l'idée que les pays totalitaires, ou moins démocratiques, auraient une plus grande puissance de propagande. En fait, la puissance d'une propagande se mesure par la puissance des instruments qui la porte, la puissance du porte-voix pourrait-on dire. Qui a le plus puissant porte-voix ? La réponse est aisée : celui qui a les plus grands médias (avec la plus grande audience), les plus grands médias sociaux contrôlés, les industries de divertissement les plus universelles. On voit donc que selon ces critères, L'Empire washingtonien est actuellement sans égal, sans rival possible, même de loin. Il dispose des trois agences d'information mondiales les plus utilisés, en particulier dans le monde occidental : AP, Reuters, AFP, sans parler des grandes chaînes d'information internationales; il dispose des plus grands médias sociaux : Facebook, Twitter, etc., des moteurs de recherches les plus utilisés : Google, Bing, Yahoo, etc., de la plus grosse entreprise de divertissement : Hollywood. Tous sont contrôlés par les organes de propagande washingtoniens, dont fait partie le Commissariat Européen, plus ou moins étroitement, mais de manière de plus en plus visible. Ce contrôle se fait essentiellement par l'auto-censure et le filtrage des voix discordantes, éventuellement par les amendes, les interdictions de diffusion et enfin les peines lourdes (voir Assange, Snowden). Évidemment, comme on peut en avoir un faible exemple sous les yeux en lisant cet article, il n'est pas parfait et ne le sera jamais; mais il est largement suffisant pour obtenir qu'une grande majorité de la population cible soit convaincue.

Une telle propagande quasi omniprésente et d'une puissance sans égale dans l'espace et dans le temps n'a pourtant pas que des avantages. Comme je l'ai dit, la propagande peut aussi bien se servir de la vérité que du mensonge. Mais dans le cas où la réalité, le cours véritable des événement (qui n'a que faire de la propagande) se trouve de plus en plus éloigné de la "narrative", il se produit une disjonction de plus en plus importante entre les faits et le discours officiel. Tous les faits ne peuvent être cachés; ils peuvent toujours être distordus mais pas cachés. La perte d'une armée entière, le bombardement massif d'une ville de première grandeur pour prendre quelques exemples ne peuvent être cachés. Il existe donc toujours un moment où la propagande se heurte au mur de la réalité. Est-ce que cela empêche la propagande de continuer? Non. On en a eu un exemple très triste mais absolument limpide durant la fin de la seconde guerre mondiale, en Allemagne. Alors que les armées allemandes étaient partout anéanties sur le front Est, que les bombardements des alliés frappaient quotidiennement les grandes villes, la propagande nazie faisait feu de tout bois. Cette propagande en roue libre a eu plusieurs conséquences désastreuses : le prolongement inutile de la guerre, des bombardements massifs sur les civils, des contre-offensives forcenées où les troupes fraîches de la jeunesse hitlérienne étaient littéralement lancées à l'abattoir quant on sait la puissance et la densité de l'artillerie russe à la fin de la guerre. Toutes ces opérations étaient vouées à l'échec. Même la propagande la plus intense, la plus déconnectée du réel, ne pouvait plus obscurcir l'évidence, du moins pour une grande partie de la population. Tous les chefs militaires et politiques du Reich le savaient, hormis peut-être Hitler dans la solitude de son bunker. Même les premiers responsables de la propagande, qui y avaient pourtant cru (tant il est facile de finir par croire ses propres mensonges à force d'être répétés aux autres) ne se faisaient plus aucune illusion. L'absurdité patente à laquelle était arrivée la propagande la rendait inaudible. Ne croyez pas que c'étaient les grands chefs, les Bormann, les Himmler, les Göring, les Keitel, les Rommel, les Ribentropp et Cie qui y ont cru jusqu'au bout, non ce sont des jeunes soldats de seize ou dix-huit ans qui sont morts en chantant leurs hymnes. Songez à ce qui se passe en ce moment-même dans ce qu'on appelle l'Ukraine.

La propagande que nous subissons actuellement dans le camp de l'Ouest (qui comprend, je le rappelle à toutes fins utiles outre son berceau européen, l'Amérique du Nord, les deux des Antipodes, le Japon et la Corée du Sud, Israël, tout le reste, c'est-à-dire, environ 8 Terriens sur 10, faisant partie de l'autre camp, de manière plus ou moins déclarée) a trois thèmes, ou plutôt mèmes : Poutine est le nouvel Hitler, Les Russes sont des barbares arriérés d'une sous-espèce mal définie, la guerre (par proxy) que mène la civilisation libre et démocratique de l'Occident n'est qu'à un pas de la victoire totale et définitive. Notons déjà que la seconde proposition vient en collision presque frontale avec la première. Si l'objectif est de faire porter le chapeau à l'homme fort de Russie, et que le peuple ne serait que sa victime crédule et trompée (un peu comme de faire semblant de croire qu'Hitler est le seul coupable pour les horreurs nazies et que le peuple allemand est blanc comme neige), il faut éviter de traiter ce peuple d'imbéciles arriérés dans la même salve de boulets. Si le but est de diviser la population, ou plutôt de séparer la population de son chef, c'est l'échec assuré. Traiter l'autre de crétin ou d'incompétent est le moyen le plus sûr d'abréger la conversation. Et le fait est qu'à l'heure actuelle, il n'y a plus guère de conversation.

Poutine, ce nouvel Hitler, est probablement des trois mèmes celui qui a vocation à durer le plus longtemps. La question de la victoire imminente de l'Otan va être réglée assez rapidement et celle de l'incompétence et de la primitivité des Russes le sera par la même occasion, à moins de croire qu'une nation stupide, incompétente et arriérée peut battre toutes les forces de l'Occident réunies, si compétentes, éclairées et supérieures par la grâce de Dieu ou de Saint Darwin. La diabolisation de Poutine risque pourtant de perdurer chez une bonne partie des vingt pour cent de la population mondiale qui marchent au pas derrière l'aigle-vautour américain. La comparaison avec Hitler est tentante mais n'en est pas moins grotesquement fausse. Je dis grotesquement parce que Poutine est, par sa personnalité, presque l'inverse de Hitler. Leurs points de départ ont des similitudes - tel que le redressement économique de leur pays après une catastrophe économique et sociale (la république de Weimar pour Hitler, l'effondrement du bloc soviétique pour Poutine), leur grande popularité intérieure et, disons, des mesures drastiques lorsqu'il a fallu sortir le pays de l'ornière. Mais leur trajectoires sont très différentes. Hitler n'a cessé de glisser vers l'autocratie, Poutine ne cesse de se rapprocher du libéralisme au sens premier du terme ; cela peut nous paraître insuffisant mais la liberté dont jouissent les Russes est certainement plus grande aujourd'hui qu'elle ne l'a été dans n'importe quelle autre période de leur histoire. Les questions de race, contrairement à Hitler, n'intéressent Poutine que d'une manière positive, pour rassembler autant que possible sous une seule bannière toutes les ethnies qui coexistent en Russie, ce pays grand comme un continent. Poutine ne fait pas de guerres offensives mais toujours défensives. Si l'Ukraine n'avait pas été transformée en machine anti-russe, elle serait encore le plus grand pays d'Europe, géographiquement parlant, et compterait même la Crimée parmi ses régions. Hitler était exalté, charismatique (paraît-il), spectaculaire, sujet aux accès de colère et aux décisions prises à chaud; Poutine est mesuré, prudent, patient, légaliste, le genre à tourner sept fois la langue dans sa bouche avant de parler.

 Autre chose: penser qu'il bluffe est une stupidité. On bluffe au poker, pas aux échecs.


Sur le même sujet mais dans une veine plus poutinesque, je veux donc dire prudente et mesurée, vous pourriez apprécier ce texte très intéressant de Big Serge : Putin and Clausewitz : Politics by other means

samedi 1 octobre 2022

Grand temps pour l'Europe de crier le nom de son ennemi: U.S.A, U.S.A, U.S.A!

 Après le sabotage de Nord Stream 1 et 2, qui rend pratiquement impossible toute marche arrière dans la voie suicidaire que suit l'Allemagne, il est plus que temps que les Européens se réveillent, et pointent leur index vers l'Ouest en épelant de leur plus forte voix le nom de leur ennemi commun: U.S.A, U.S.A, U.S.A!

le diplomate Cao YI résume l'affaire

Qui de l'Oncle Sam ou de ses proxys a réellement fait le coup n'a qu'une importance très secondaire et de toute façon personne ici ne cherchera plus loin que le suspect habituel, de peur de trouver. Vous connaissez la doctrine des trois singes : ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire: c'est la doctrine de l'Europe quand cela concerne notre grand "ami" d'Amérique. Mais croire que la Russie a fait le coup est du même niveau que croire qu'elle a bombardé pendant trois semaines la centrale nucléaire de Zaporojia qu'elle occupe! En fait, on a un quatrième singe de plus en plus répandu dans ce coin du monde : celui qui ne réfléchit pas.

L'Allemagne, cette grosse dinde, semble fichue. Elle réunit une quantité de circonstances anormalement élevée qui  joue en sa défaveur, et cela au pire moment, sauf si bien sûr son but est l'auto-destruction. Avoir par exemple autant de ministres "Vert" aux postes clés, à cette croisée des chemins, est une vraie malédiction puisque ce groupe politique se partage à peu près également entre les idéologues inhumains (transhumanistes est le terme en novlangue) et les incompétents de bonne volonté. Cela lui pendait au nez depuis un bon moment mais l'application actuelle de ce programme vert, dans toute sa rigueur germanique, est d'une rapidité et d'une brutalité qui surprennent même les plus pessimistes. Je dis programme en plaisantant. Il existe grosso modo deux thèses opposées pour expliquer le cours des événements actuels: l'incompétence ou le complot sorti du cerveau génial de Schwab ou d'un de ses crânes d'oeuf de congénères débarqués de quelque soucoupe; personnellement, je m'en tiens à la version la plus probable : l'incompétence, c'est-à-dire, un mélange de stupidité, d'ignorance, d'arrogance, de corruption et d'aveuglement.

Non, je ne crois pas du tout que c'était le plan de départ. En revanche, je suis entièrement persuadé que certains, en particulier côté US, ont très vite compris le potentiel de la situation, une fois que nos abrutis en chef ont démarré leur programme d'extinction des lumières avec leur tristement fameuses sanctions "anti-russes" (celles-là vont rester un sacré bout de temps dans les annales historiques, à supposer qu'il y ait des annales). En gros, et en caricaturant à peine, tout le monde, je veux dire la Terre entière, s'est pris la baffe des sanctions, à commencer par l'envoyeur, sauf la cible visée, la Russie.  Ce résultat n'était pas prévu, j'en mettrais ma main au feu. Des médiocrités comme Sullivan, Blinken, Austin, Miley, Harris sans parler de Biden n'ont de plan qui excède le mois en cours. Quand vous arrivez à mettre au pouvoir un tel ramassis d'invertébrés et/ou de stipendiés par le lobby monetaro-militaro-industriel si ce n'est par le lobby pharmaceutique, il devient inutile de chercher un plan. Néanmoins les effets d'aubaine restent et il n'est nullement besoin d'être très fin pour flairer la bonne aubaine, le cadavre à dépecer.

Eh bien le cadavre et la bonne odeur de charogne viennent aujourd'hui d'Allemagne (ceux d'Ukraine ne sentent pas bon, trop d'os, plus rien à tirer de juteux pour le faux aigle, vrai vautour de Washington). Mais ceux qui, en France, se réjouissent déjà de profiter de la bonne aubaine -- l'élimination de facto de l'industrie allemande et donc du voisin encombrant -- se fourrent le doigt dans l'oeil très profondément. Je n'ai pas de sympathie particulière pour l'Allemagne, on pourrait même dire  sans grand risque que j'ai à son égard un préjugé défavorable, certainement venu de mon ignorance envers cette nation et même ce peuple (trop vu de films américains sans doute). Mais croire que je vais individuellement ou collectivement, en tant que Français, profiter de l'effondrement du voisin d'outre-Rhin, me semble au mieux une farce. Un tout petit peu de réflexion me dit qu'on ne sera pas les gagnants de l'opération, loin de là. 

Voyons voir, que peut-il se passer suite à l'effondrement du secteur industriel allemand, c'est-à-dire européen (en excluant la Russie bien sûr)? A court ou moyen terme, la question sera pour les entreprises allemandes de survivre. Elles auront en gros deux choix pour cela : s'expatrier ou se vendre (ou les deux). Si la première solution est retenue, ce ne sera certainement pas pour aller en France, côté Guermantes (idée grotesque au plus haut point) mais bien probablement du côté de chez Swann. Si la seconde prévaut, ce sera non pas selon la loi du plus offrant mais la loi du plus fort et vous savez qui est le plus fort dans notre partie du monde. Théoriquement, les Chinois, voire les Indiens, pourraient prendre leur part si les dés n'étaient pas pipés mais ils le sont et le seront encore plus à l'avenir. A moins que la guerre, la vraie, ne s'étende jusqu' à nos contrées, je doute que ces acteurs puissent participer à la vente à la découpe des actifs germaniques puis européens, autrement que de façon marginale. De toute façon, ils sont plus intéressés par les marchés asiatiques et africains. A plus long terme, les Allemands vont tout de même finir par se poser les bonnes questions et l'une des toutes premières sera : à quoi bon rester dans l'Euro? Leur seul intérêt, énorme cela dit, pour figurer dans cette triste bande est, ou a été, de propulser leurs exportations jusqu'à la stratosphère grâce à une monnaie beaucoup moins forte que s'ils étaient restés avec leur mark (vous vous demandiez peut-être pourquoi l'UE avec l'Allemagne à sa tête avait si volontiers accepté en son sein des boulets parfaitement identifiés comme, au hasard, la Grèce, la Roumanie, la Bulgarie, eh bien maintenant vous avez la réponse: rien de tel pour faire baisser une monnaie). La plus grosse partie de leur industrie disparue (d'une manière ou d'une autre, voir plus haut), cette motivation disparaît. Et comme ils n'ont plus rien à perdre, ils sortent de l'Euro. Une fois l'Allemagne partie, la zone Euro ressemblera à l'empereur du conte pour enfants. Plus d'industrie, plus guère d'énergie, pas de matière première et pas suffisamment de nourriture pour tout le monde (avec les politiques agricoles vertes de ces dernières années et la hausse vertigineuse des prix de l'énergie, on peut le considérer comme un fait acquis). Autant dire que tous les fondamentaux d'une économie solide auront disparu.

Le scénario que je décris plus haut est le plus probable. Ce n'est pas le seul. On a le droit d'être plus optimiste. Mais je dirais que la fenêtre temporelle pour espérer avec quelque semblant de raison un avenir un peu moins sombre (inutile d'attendre un futur radieux pour les décennies à venir) est tout proche de se fermer. Nous avons déjà beaucoup perdu ces derniers temps, à tous les niveaux, mais nous ne sommes pas dans le trou, pas encore. Il reste dans notre pays un réseau d'infrastructures, une administration peut-être fainéante mais encore honnête et fonctionnante si j'ose dire (j'ose beaucoup) et surtout quelques beaux restes de compétence dues aux anciennes générations (ce n'est pas de la faute de la nouvelle si on lui a lavé le cerveau de tout savoir utile dès la maternelle). Tout cela vaut la peine d'être préservé et peut l'être encore, sans doute. Mais il faut faire vite. La pourriture est en train de se répandre, comme souvent, en commençant par la tête, le savoir réel, qui permet de produire des biens matériels utiles comme des boîtes de petits pois, de l'essence raffinée, de l'électricité à un coût abordable ou un bon livre, est en train de se perdre. Il va falloir des transformations radicales dans un temps très limité. Comment un tel changement peut-il se produire est la question qui fait peur. Politiquement, n'y comptons pas. Par des blocages ciblés, des grèves massives, y compris des urnes, peut-être... Des barricades, la révolution, à la Bastille, sûrement... 

Excusez-moi, je plaisantais, je ne peux pas m'en empêcher. Pour la dernière phrase, je plaisantais. Non bien sûr, il n'y aura rien de tout ça. Ces jours-là sont passés depuis belle lurette. Il n'y aura plus ni révolution, ni guerre civile ni guerre du tout : on ne le mérite pas. On va tranquillement suivre notre chemin sans faire de vagues, et continuer nos toute petites affaires comme des vieillards et des enfants idiots. Rassurez-vous, on va continuer à vivoter, longtemps, j'en suis sûr, tout comme les Égyptiens ont continué à vivre après le dernier des pharaons bâtisseurs.

Vous voulez connaître le fond de ma pensée? Pure rhétorique car je vais vous la donner, que vous le vouliez ou pas.  La vision du futur qui me vient spontanément à l'esprit, la voici : un pays en voie rapide de sous-développement, où de modernes bidonvilles (mais pas mieux que les anciens) envahissent le paysage, qui survit de tourisme, d'une agriculture de subsistance et de pots de vin. Les anciennes centrales nucléaires, depuis longtemps arrêtées et abandonnées relâchent leur poison sans que ça fasse beaucoup d'émoi parmi les indigènes pustuleux, vêtus de peaux de mouton et de sacs plastiques récupérés dans quelque décharge sauvage avoisinante. 

Et si le réchauffement climatique est à la hauteur des prophéties de malheur, ce sera en fait notre plus grande chance : on pourra se contenter de pagnes et de claquettes made in China, même en hiver.