samedi 8 octobre 2022

L'art de la propagande : Poutine, ce nouvel Hitler

 D'abord, il faut savoir de quoi on parle quand on parle de propagande. Plutôt qu'une longue dissertation, je vais utiliser quelques aphorismes pour bien délimiter les contours de la chose.

La propagande se définit moins par ses méthodes que par son objectif, toujours double.

La propagande est au fond une forme de publicité comparative portée à l'échelle des nations (au lieu d'entreprises concurrentes). Son double objectif est d'exalter les qualités imaginaires ou réelles du pays réalisant cette propagande, sa vertu surtout, son courage, sa force, son intelligence, son unité, son ardeur patriotique, ses victoires présentes ou futures (il n'y a pas de défaite possible dans ce cadre de pensée) tout en soulignant au feutre rouge les innombrables vices imaginaires ou réels de l'Autre, l'adversaire, sa méchanceté, sa stupidité, son incompétence, sa lâcheté, sa désunion, sa faiblesse, ses défaites présentes ou futures (il ne peut y avoir de victoires réelles pour ce dernier).

La propagande ne fait pas dans la subtilité et la nuance. Elle suit le précepte de Goebbels résumé ainsi : plus c'est gros, mieux ça passe. La vérité de ce précepte a été vérifiée des dizaines, des centaines de fois; il n'y a aucune raison d'en douter. Elle est utilisée par toutes les nations sans exception, c'est-à-dire par l'appareil de leur gouvernement. Les grands médias font évidement partie de cet appareil. Si vous disposez d'une industrie de l'entertainment puissante - comme le cinéma américain - c'est encore beaucoup mieux. La propagande existe en tous temps mais ne donne réellement son plein potentiel qu'en temps de guerre, ou dans la période qui y mène (c'est notre situation actuelle). On peut donc affirmer que l'objectif final de la propagande est de préparer la population à la guerre puis d'entretenir la flamme.

La propagande cible premièrement la population domestique, secondairement la population de l'ennemi. Mais la seconde partie est à peu près vouée à l'échec puisque la propagande inverse existe chez l'ennemi. Les deux propagandes en s'affrontant n'ont qu'un résultat, celui de se nourrir l'une de l'autre, exactement comme une insulte envoyée à la face de l'adversaire est le meilleur moyen de recevoir à son tour une insulte. La méthode douce ("on comprend vos malheurs avec un tel dictateur, rendez-vous et soyons amis") est également vouée à l'échec; les larmes de crocodiles n'impressionnent personne.

Une erreur habituelle est de croire que la méthode préférée, voire unique, de la propagande est le mensonge. Elle n'a pas de méthode privilégiée, seul l'objectif compte et donc toute méthode susceptible d'amener à ce but est bonne. La propagande se sert donc aussi bien de la vérité que du mensonge; elle est entièrement agnostique à cet égard. On peut même affirmer que la propagande, en théorie, pourrait être constituée entièrement de vérités si le cours des événements se conformait toujours aux souhaits du propagandiste : il n'aurait tout simplement plus besoin de mentir. Dans la pratique, bien sûr, ce n'est jamais le cas. Donc, au final, le propagandiste ne retient de la vérité que ce qui le sert et déforme tout le reste, tordant les faits jusqu'à ce qu'ils soient conformes à la "narrative".

Une autre erreur souvent répétée est l'idée que les pays totalitaires, ou moins démocratiques, auraient une plus grande puissance de propagande. En fait, la puissance d'une propagande se mesure par la puissance des instruments qui la porte, la puissance du porte-voix pourrait-on dire. Qui a le plus puissant porte-voix ? La réponse est aisée : celui qui a les plus grands médias (avec la plus grande audience), les plus grands médias sociaux contrôlés, les industries de divertissement les plus universelles. On voit donc que selon ces critères, L'Empire washingtonien est actuellement sans égal, sans rival possible, même de loin. Il dispose des trois agences d'information mondiales les plus utilisés, en particulier dans le monde occidental : AP, Reuters, AFP, sans parler des grandes chaînes d'information internationales; il dispose des plus grands médias sociaux : Facebook, Twitter, etc., des moteurs de recherches les plus utilisés : Google, Bing, Yahoo, etc., de la plus grosse entreprise de divertissement : Hollywood. Tous sont contrôlés par les organes de propagande washingtoniens, dont fait partie le Commissariat Européen, plus ou moins étroitement, mais de manière de plus en plus visible. Ce contrôle se fait essentiellement par l'auto-censure et le filtrage des voix discordantes, éventuellement par les amendes, les interdictions de diffusion et enfin les peines lourdes (voir Assange, Snowden). Évidemment, comme on peut en avoir un faible exemple sous les yeux en lisant cet article, il n'est pas parfait et ne le sera jamais; mais il est largement suffisant pour obtenir qu'une grande majorité de la population cible soit convaincue.

Une telle propagande quasi omniprésente et d'une puissance sans égale dans l'espace et dans le temps n'a pourtant pas que des avantages. Comme je l'ai dit, la propagande peut aussi bien se servir de la vérité que du mensonge. Mais dans le cas où la réalité, le cours véritable des événement (qui n'a que faire de la propagande) se trouve de plus en plus éloigné de la "narrative", il se produit une disjonction de plus en plus importante entre les faits et le discours officiel. Tous les faits ne peuvent être cachés; ils peuvent toujours être distordus mais pas cachés. La perte d'une armée entière, le bombardement massif d'une ville de première grandeur pour prendre quelques exemples ne peuvent être cachés. Il existe donc toujours un moment où la propagande se heurte au mur de la réalité. Est-ce que cela empêche la propagande de continuer? Non. On en a eu un exemple très triste mais absolument limpide durant la fin de la seconde guerre mondiale, en Allemagne. Alors que les armées allemandes étaient partout anéanties sur le front Est, que les bombardements des alliés frappaient quotidiennement les grandes villes, la propagande nazie faisait feu de tout bois. Cette propagande en roue libre a eu plusieurs conséquences désastreuses : le prolongement inutile de la guerre, des bombardements massifs sur les civils, des contre-offensives forcenées où les troupes fraîches de la jeunesse hitlérienne étaient littéralement lancées à l'abattoir quant on sait la puissance et la densité de l'artillerie russe à la fin de la guerre. Toutes ces opérations étaient vouées à l'échec. Même la propagande la plus intense, la plus déconnectée du réel, ne pouvait plus obscurcir l'évidence, du moins pour une grande partie de la population. Tous les chefs militaires et politiques du Reich le savaient, hormis peut-être Hitler dans la solitude de son bunker. Même les premiers responsables de la propagande, qui y avaient pourtant cru (tant il est facile de finir par croire ses propres mensonges à force d'être répétés aux autres) ne se faisaient plus aucune illusion. L'absurdité patente à laquelle était arrivée la propagande la rendait inaudible. Ne croyez pas que c'étaient les grands chefs, les Bormann, les Himmler, les Göring, les Keitel, les Rommel, les Ribentropp et Cie qui y ont cru jusqu'au bout, non ce sont des jeunes soldats de seize ou dix-huit ans qui sont morts en chantant leurs hymnes. Songez à ce qui se passe en ce moment-même dans ce qu'on appelle l'Ukraine.

La propagande que nous subissons actuellement dans le camp de l'Ouest (qui comprend, je le rappelle à toutes fins utiles outre son berceau européen, l'Amérique du Nord, les deux des Antipodes, le Japon et la Corée du Sud, Israël, tout le reste, c'est-à-dire, environ 8 Terriens sur 10, faisant partie de l'autre camp, de manière plus ou moins déclarée) a trois thèmes, ou plutôt mèmes : Poutine est le nouvel Hitler, Les Russes sont des barbares arriérés d'une sous-espèce mal définie, la guerre (par proxy) que mène la civilisation libre et démocratique de l'Occident n'est qu'à un pas de la victoire totale et définitive. Notons déjà que la seconde proposition vient en collision presque frontale avec la première. Si l'objectif est de faire porter le chapeau à l'homme fort de Russie, et que le peuple ne serait que sa victime crédule et trompée (un peu comme de faire semblant de croire qu'Hitler est le seul coupable pour les horreurs nazies et que le peuple allemand est blanc comme neige), il faut éviter de traiter ce peuple d'imbéciles arriérés dans la même salve de boulets. Si le but est de diviser la population, ou plutôt de séparer la population de son chef, c'est l'échec assuré. Traiter l'autre de crétin ou d'incompétent est le moyen le plus sûr d'abréger la conversation. Et le fait est qu'à l'heure actuelle, il n'y a plus guère de conversation.

Poutine, ce nouvel Hitler, est probablement des trois mèmes celui qui a vocation à durer le plus longtemps. La question de la victoire imminente de l'Otan va être réglée assez rapidement et celle de l'incompétence et de la primitivité des Russes le sera par la même occasion, à moins de croire qu'une nation stupide, incompétente et arriérée peut battre toutes les forces de l'Occident réunies, si compétentes, éclairées et supérieures par la grâce de Dieu ou de Saint Darwin. La diabolisation de Poutine risque pourtant de perdurer chez une bonne partie des vingt pour cent de la population mondiale qui marchent au pas derrière l'aigle-vautour américain. La comparaison avec Hitler est tentante mais n'en est pas moins grotesquement fausse. Je dis grotesquement parce que Poutine est, par sa personnalité, presque l'inverse de Hitler. Leurs points de départ ont des similitudes - tel que le redressement économique de leur pays après une catastrophe économique et sociale (la république de Weimar pour Hitler, l'effondrement du bloc soviétique pour Poutine), leur grande popularité intérieure et, disons, des mesures drastiques lorsqu'il a fallu sortir le pays de l'ornière. Mais leur trajectoires sont très différentes. Hitler n'a cessé de glisser vers l'autocratie, Poutine ne cesse de se rapprocher du libéralisme au sens premier du terme ; cela peut nous paraître insuffisant mais la liberté dont jouissent les Russes est certainement plus grande aujourd'hui qu'elle ne l'a été dans n'importe quelle autre période de leur histoire. Les questions de race, contrairement à Hitler, n'intéressent Poutine que d'une manière positive, pour rassembler autant que possible sous une seule bannière toutes les ethnies qui coexistent en Russie, ce pays grand comme un continent. Poutine ne fait pas de guerres offensives mais toujours défensives. Si l'Ukraine n'avait pas été transformée en machine anti-russe, elle serait encore le plus grand pays d'Europe, géographiquement parlant, et compterait même la Crimée parmi ses régions. Hitler était exalté, charismatique (paraît-il), spectaculaire, sujet aux accès de colère et aux décisions prises à chaud; Poutine est mesuré, prudent, patient, légaliste, le genre à tourner sept fois la langue dans sa bouche avant de parler.

 Autre chose: penser qu'il bluffe est une stupidité. On bluffe au poker, pas aux échecs.


Sur le même sujet mais dans une veine plus poutinesque, je veux donc dire prudente et mesurée, vous pourriez apprécier ce texte très intéressant de Big Serge : Putin and Clausewitz : Politics by other means

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