dimanche 11 septembre 2022

Notre seuil d'incompétence (en science et ailleurs)

 Non, cet article n'est pas, pour une fois, dirigé contre nos politiques et autres demi-crétins qui nous guident, le sourire aux lèvres, vers des lendemains qui déchantent toujours un peu plus.

Je vais parler ici de notre incompétence, à nous êtres humains, l'espèce prise dans son ensemble. Et plus précisément, je vais discuter de ce seuil que nous rencontrons dans les domaines scientifiques où l'intelligence semble se heurter à un mur indépassable. Pourquoi est-il indépassable ? parce qu'il semble défier toute percée de la raison ou de la logique.

Pour illustrer mon propos, j'ai choisi une citation assez récente du livre "The miracle of the cell" (2020) du généticien Michael Denton, qui lui sert de conclusion (les précisions entre crochets sont de moi):

"... Je crois que d'autres éléments d'adéquation de la nature [pour l'apparition de la vie] seront découverts dans les décennies à venir qui révèleront finalement le sentier fatal qui mène de la chimie vers la vie. Et je crois que lorsque ce sentier sera finalement élucidé, il s'avérera extraordinaire, une des plus grandes merveilles scientifiques..."

J'ai souvent lu des professions de foi, ou de grandes espérances, venant aussi bien de scientifiques croyants qu'incroyants (tel n'est pas la question), terminant leurs ouvrages en beauté en ouvrant des perspectives radieuses sur l'avenir de la Science. Et il ne fait aucun doute que des découvertes scientifiques auront lieu, comme elles ont eu lieu dans le passé, du moins tant qu'il restera une civilisation capable de produire et d'accueillir en son sein des esprits novateurs. Je peux même admettre que si l'Homme était éternel, il pourrait théoriquement progresser indéfiniment. Néanmoins, même cette éventualité absurde ne signifie toujours pas que l'humanité, par l'intermédiaire de ses plus brillants scientifiques, pourrait franchir certains pas. Pour prendre un exemple trivial, vous pouvez vous taper la tête jusqu'à la fin de votre vie contre la Grande Muraille de Chine, elle ne reculera pas, ne disparaîtra pas et ne s'écroulera pas selon toute probabilité. D'autres exemples encore plus absolus viennent à l'esprit: ainsi selon l'équation célèbre de Einstein E = m C², il en découle que la vitesse de la lumière est inateignable et encore plus indépassable pour un objet de masse non nulle; vous pouvez faire des recherches pour briser ce mur de la lumière pendant l'éternité, vous ne le ferez pas bouger. L'infini ne veut pas dire forcément la totalité. Les nombres réels compris entre 0 et 100 sont infinis mais l'ensemble ne contient pas le nombre 101. Si vous retracez une fonction dont l'asymptote est 1 sur l'axe des x, vous avancerez avec votre doigt infiniment vers la droite, de plus en plus lentement mais sans cesse, et vous n'atteindrez pourtant jamais le chiffre 1, encore moins vous le dépasserez.

L'idée donc que la Science en progressant toujours finira par élucider  chaque mystère de l'univers est très attirante mais nullement une garantie.

Pour revenir au problème spécifique dont parle Denton, l'origine de la vie, c'est bien sûr plus complexe que mon asymptote. Denton montre dans son livre que les éléments de base constituant la vie la plus primitive, sont naturellement présents dans l'univers, que ce soit des acides aminés, les briques de base de l'ADN/ARN, ou d'autres nombreuses molécules dites organiques. Toutes peuvent et sont de fait fabriquées naturellement dans le brouet cosmique. Il montre aussi qu'au-delà de la fabrication de ces briques de base, on ne sait rien du chemin qui a pu mener jusqu'à la première cellule auto-reproductrice. Il affirme et je suis prêt à le croire, qu'aujourd'hui encore, personne n'a pu non seulement découvrir un début d'indice dans la pratique mais n'a pu même imaginer ne serait-ce qu'une vague hypothèse quant à la manière dont les choses auraient pu théoriquement se produire. Il signale à un moment du livre que le problème fondamental qui bloque les chercheurs est un paradoxe du style de la poule et de l'oeuf, c'est-à-dire un problème où l'existence d'un élément B est conditionné par l'existence antérieure d'un élément A, sauf que cet élément A est lui-même conditionné par l'existence antérieure de l'élément B. Ici, les protéines ne peuvent apparaître sans l'ARN qui code pour leur fabrication mais l'ARN ne peut exister sans les protéines. Ce type de cercles vicieux se rencontre dans d'autres domaines de la science que la biologie. 

Je suis étonné que Denton, connaissant l'existence de ce paradoxe, et scientifique de première classe, puisse être aussi optimiste quant à la résolution finale et finalement toute proche de ce problème. L'espoir fait vivre mais ce n'est pas un plan, comme on dit. Et je ne vois pas comment l'Homme pourrait surmonter ce type de problèmes: ça ne me semble tout simplement pas être dans ses cordes. Au contraire de lui, j'ai tendance à croire qu'il existe des barrières infranchissables pour notre intellect et que lorsqu'on les heurte, cela signale la fin d'une route. Mais c'est probablement parce que je ne suis pas scientifique. Après tout, il est difficile de convaincre une personne qu'il fait fausse route quand les moyens d'existence de cette personne dépendent justement de ne pas le savoir.

Vous pouvez trouver ici le livre de Denton (qui n'est pas son meilleur) mais je vous recommande plutôt celui-ci sur le même sujet, qui a en plus l'avantage d'être traduit en français.

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