dimanche 4 août 2024

La septième merveille de Russie : la cathédrale de fer

    J’ai placé cette vidéo avant le corps de mon article car j’aimerais que vous la visionniez en totalité — dix petites minutes — avant de revenir ici. Mieux vaut en effet en savoir le moins possible sur le sujet pour en apprécier la beauté. Moins il y a de préjugés, plus l’impression est grande. La vidéo ne pouvant s'imbriquer dans Blogger (choix du propriétaire), je vous invite donc à la regarder sur Youtube, à l'adresse indiquée ci-dessous:

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https://www.youtube.com/watch?v=3sHavfEbzcc

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Bien, vous avez fait la visite grâce à nos deux guides d’occasion et vous savez maintenant à peu près de quoi il est question, même si vous n’êtes pas très fort en langues étrangères. Vérifions.
    La cathédrale de la Résurrection du Christ de Kubinka, village dans la région de Moscou, a été inaugurée en 2020, il y a donc seulement quatre ans. Ce qui me frappe plus que tout autre chose, y compris sa splendeur externe et interne, est précisément le fait de sa contemporanéité. L’esprit qui l’habite et qui a présidé à sa construction me rappelle de façon saisissante l’esprit qui se dégageait (et qui se dégage encore, parfois, si on arrive à faire abstraction de tout le reste) des grandes réalisations architecturales d’inspiration chrétienne du Moyen-âge, tout particulièrement en France. Les différences entre l’architecture orthodoxe et l’architecture gothique sont nombreuses dans la forme mais l’esprit général est très proche (c’est vrai en fait de la plupart des architectures sacrées) : une communion des savoirs et de l’excellence, une émulation des talents, où tous, architectes, ingénieurs, tailleurs de pierre, charpentiers, maîtres verriers, sculpteurs, peintres, fondeurs de cloches et dans ce cas, dans le rôle des principaux solistes, les métallurgistes, sont déterminés à donner le meilleur de ce qu’ils savent faire dans le cadre d’une réalisation unique et monumentale, destinée à demeurer longtemps dans la mémoire des hommes. Bien sûr, ce genre d’édifices grandioses et ‘inutiles’ coûte très cher mais ce n’est pas une raison pour s’en priver. D’une certaine manière, cela agit sur l’esprit humain comme les fusées qui vont sur la Lune ou sur Mars : ça n’a pas d’utilité pour la science et pourtant cela en vaut la peine. L’Homme ne vit pas que de pain, a dit quelqu’un. Et croire que la construction d’un tel monument ou le lancement de la mission Apollo a été un fardeau financier pour les Russes comme pour les Étasuniens serait une forme d’œillère où l’on ne voit que la colonne dépense. Souvent, on entend dire que ces monuments grandioses sont des vanités de rois, de pharaons, de tsars, égoïstement destinés à entretenir leur légende dorée et que tout cela finira dans le sable comme Ozymandias. Peut-être. Quelquefois sûrement. Peut-être qu’ils croyaient se bâtir une statue, les Ramsès, Périclès, Artaxerxés. Mais alors ils se trompaient. La véritable fonction de ces œuvres démesurées, quand elles sont réussies, est de montrer de la façon la plus concrète et la plus saisissante qu’il existe en ce monde quelque chose de bien plus grand que l’Homme, que l’Homme n’est pas la mesure de toutes choses, qu’il soit roi ou simple ouvrier.
    Sur le plan simplement architectural, je note que cette basilique sort des sentiers battus par les architectes ‘orthodoxes’. Les Russes, comme les orientaux en général, ont tendance à privilégier les formes arrondies sur les angles contondants, les arabesques sur les droites et les pointes. Ils ont aussi un goût presque excessif (à mes yeux du moins) pour les dorures, les émaux, les couleurs vives et claires. Je vous épargne ici une longue thèse de doctorat sur le lien entre l’hiver russe, long et gris, ou blanc, et cette prodigalité de couleurs, de brillance et de lumière. Mais comme on peut le constater dans le cas de cette nouvelle cathédrale, les matériaux ont été choisis dans des teintes particulièrement sombres, qui évoquent (et parfois sont) le basalte, le schiste vert, le marbre noir, le bronze et l’acier passé à la flamme. Dans ce paysage enneigé, le contraste est particulièrement saisissant et, je trouve, émouvant (d’une manière générale, l’architecture russe est encore plus émouvante par ces météos hivernales).
    Les métaux, de façon également très inhabituelle, ont été employés en placages sur les murs extérieurs ou pour d’autres ornementations architecturales, y compris le bas-relief central, d’or pur dirait-on, représentant le Christ : il s’agit là d’une vraie originalité puisque le travail du métal, l’art de la ferronnerie sont rarement utilisés à cette fin, si ce n’est pour produire quelque figure sommitale anecdotique, qui dans un certain pays non imaginaire peut prendre l’apparence d’un coq.
    Le métal est d’ailleurs le lien principal entre l’extérieur et l’intérieur radicalement opposés de la construction, que ce soit le fer, le bronze ou le cuivre aux reflets verts. Le vert est d’ailleurs la teinte dominante de l’édifice, plus encore que le noir. Autant l’apparence extérieure est sombre, froide, sévère, funèbre même, presque hostile et barbelée, autant l’intérieur est clair, coloré, doré, joyeux, inondé de lumières naturelles et artificielles. On pourrait ajouter en caricaturant un peu que ce contraste entre extérieur froid et dur et intérieur plus chaleureux décrit bien aussi l’homme russe (c’est moins vrai pour les femmes, qui ici comme ailleurs, ont une tendance à la sociabilité plus développée, ce qui implique généralement de sourire). Seul le pavement de métal sombre, très beau d’ailleurs, et pas seulement pour le contraste, rappelle l’extérieur. Comme le précisent nos guides, ce curieux carrelage a été réalisé en fondant une partie des innombrables trophées de guerre issus des années 1941-45, divers armements de la Wehrmacht, en particulier les blindés avec ses tonnes de ferraille. Voilà une utilisation joliment ingénieuse, esthétique et opportune des présents involontaires laissés par l’ennemi.
    Admettons-le si ce n’est pas déjà fait, je suis particulièrement sensible à l’architecture de cette cathédrale, par son contraste puissant entre l’apparence extérieure très sombre et très dure avec l’intérieur tellement plus clair, plus doux et chaleureux. Cette balance, que l’on retrouve d’une autre manière dans l’architecture gothique française, par son mélange d’ombre et de lumière (avec toutefois un net avantage pour cette première) me séduit par sa beauté mais aussi par sa vérité métaphorique de la vie et de la psyché humaine. En Russie, ce mélange d’ombre et de lumière, du jour et de la nuit est rare. Les architectes russes privilégient très nettement la lumière sur l’ombre, le connu sur l’inconnu, le connaissable sur l’inconnaissable, le réel sur l’irréel, à l’image de Tolstoï, l’écrivain le plus typique de ce pays avec son ambition forcenée d’éliminer le moindre coin d’ombre de la création ; eh bien ce n’est pas le cas ici.
    Bien sûr, il faudrait être particulièrement bouché pour ne pas percevoir le symbolisme de cette architecture, sans même parler des peintures et mosaïques. Il s’agit de la cathédrale consacrée aux forces armées, en premier lieu donc à l’armée soviétique, l’armée rouge, celle qui a payé si chèrement sa victoire contre le troisième Reich. Cette idée peut choquer dans un cadre religieux, plus spécialement chrétien. Il faut alors comprendre que le sens profond de cette construction est littéralement inscrit sur la façade de son portique d'entrée (qui sert de clocher) : « Nul n’est oublié, rien n’est oublié ». La cathédrale de la Résurrection est donc littéralement un monument aux morts géant, à mon avis d’une splendeur extraordinaire, comme il n’en existe nulle part ailleurs. C’est un hommage à tous les soldats inconnus mais aussi à tous les autres, hommes, femmes, enfants qui n’ont pas de fleur ni de plaque ni de nom sur leur tombe de cendre et de terre. Et il y en beaucoup : rappelons que les morts lors de la seconde guerre mondiale pour l’Union Soviétique seule sont estimés actuellement à vingt-sept millions. Imaginez : un sixième de la population disparue en cinq ans, auquel il faut ajouter les innombrables blessés, infirmes pour la vie. C’est bien plus qu’une décimation.
    Le fait est là : la guerre a été et est toujours une source d’inspiration majeure pour les Russes, écrivains, peintres, musiciens, architectes. Mais ce n’est pas un choix de leur part. Je crois pouvoir assurer sans me tromper qu’ils auraient préféré mille fois ne pas être la cible principale des grands massacreurs en chef, Napoléon, Hitler et ces Otasuniens de malheur. Mais il y a un bon côté dans toute chose. Citez-moi un seul monument de ce calibre, un seul édifice architectural mémorable que la France, que l’Occident dans son ensemble, aurait créé depuis 1945. Vous pouvez essayer mais vous risquez de me faire rire.
    En France, on peut dire que l’art, le grand art (j’excepte les arts « mineurs » comme la chanson, le ciné ou la BD) est mort en I945, à quelques très rares exceptions près (Messiaen, Dutilleux ont encore produit quelques chefs d’œuvre de musique ‘savante’ après). À une époque, le plus grand génie de la France ou plus justement de l’esprit français s’est incarné dans son architecture, que l’on pourrait qualifier de paysagère, non pas seulement dans ses édifices les plus imposants mais aussi et surtout dans ses réalisations les plus modestes, qu’elles aient été en pierre, en brique, en bois ou en torchis. Cette époque est terminée ; au mieux on refait maintenant ce qu’on a déjà fait, et en moins bien. En Russie, non seulement l’inspiration architecturale ne s’est pas tarie mais elle est repartie de plus belle.

Pour finir en beauté, quelques photos du site qui ne figurent pas dans cette courte vidéo.

Vue d'ensemble du site, en fin de construction, qui révèle les grandes verrières sur les toits



Autre vue aérienne montrant le plan en cercles imbriqués



Parvis: scultpture monumentale représentant une femme le visage dans les mains




Vue de face, plus impressionnant

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