samedi 12 octobre 2024

Sanctions, sanctions, sanctions et autre inepties Eurozonées

 

Usine géante de traitement du bois dans le merveilleux pays du Père Noël (on me dit qu'ils y croient) 

    Parmi les milliers de sanctions prises contre la Russie, il en est une qui a attiré particulièrement ma sympathie, sans doute parce que la sylviculture est ma principale (et à peu près seule) compétence, quoiqu’à dire vrai très loin derrière l’écriture, et aussi parce qu’on peut y trouver toutes les marques inimitables du ‘travail’ toujours inspiré de la Commission Européenne (CE). Depuis l’été 2022, les heureux pays de l’Euro zone, parfois appelés les Zonards, ont en effet le devoir de n’importer aucun produit bois de Russie. Très peu notée en France, puisque le secteur bois y est plutôt un boulet et qu’il est très difficile de faire la part de l’effet des sanctions de l’inefficience ordinaire régnant ici, elle a été très fortement ressentie dans un autre grand pays de ce club chanceux qu’on appelle l’UE, un pays très forestier, c’est-à-dire où le poids du secteur forestier est considérable dans l’économie nationale, surtout si on la considère depuis l’amont jusqu’à l’aval (de la fabrication de la tronçonneuse jusqu’à la grume brute, ou plutôt l’inverse) un pays boisé pour plus de 70% de sa surface, un pays qui commence par un F et finit par un e… et non ce n’est donc pas la France.

Bien, grâce à ma phrase serpentine, vous avez eu le temps de réfléchir et de deviner que ce pays en question est la Finlande. La Finlande dispose, comme je l’ai dit, de ressources forestières considérables par rapport à sa taille, très modeste. Néanmoins ce qui est encore plus considérable, c’est sa capacité de production qui excède de loin sa ressource domestique disponible. Ah, mais comment est-ce possible ?! En effet, une des lois les moins mystérieuses de la sylviculture est de ne pas couper plus de bois que ce que les forêts produisent si vous ne voulez pas rapidement vous retrouver à sec. Et quand une forêt nordique est à sec, c’est pour très très longtemps (les arbres mettent en effet beaucoup, beaucoup plus de temps à pousser que, disons, en Guyane).

D’abord, précisons quelques points utiles pour la compréhension de cet article. Comme les Français sont bien placés pour le comprendre, le volume de bois disponible n’est pas du tout égal au volume de bois existant dans un pays. Une partie plus ou moins grande est de fait indisponible, c’est-à-dire en fait non rentable, soit en raison de reliefs trop escarpés, soit en raison de terrains trop marécageux, soit tout simplement parce que les essences disponibles dans ces forêts n’ont pas vraiment d’intérêt économique (en dehors d’un petit usage local en bois de feu et autres menus produits de sorcellerie en vogue) et vous avez alors tout à fait raison de me donner l’exemple de nos forêts méditerranéennes. La Finlande n’est pas dans le cas de la France. Bénéficiant d’une platitude à peu près parfaite, ses forêts de type taïga (ce qui n’est jamais qu’un mot d’une langue barbare pour dire… forêt) sont intégralement peuplées par trois essences principales toutes d’un grand intérêt économique (là-bas, pas forcément chez nous) : l’épicéa, le pin, le bouleau. En dehors des marécages, le pays ne présente pas de difficultés d’exploitation. Ainsi donc ce pays a la très rare chance d’avoir la double particularité de posséder un ratio surface boisée/surface totale et un ratio surface boisée exploitable/surface boisée totale tous deux tournant autour de 2/3, ce qui est énorme, surtout pour un pays soi-disant riche. En fait, même si je n’ai pas vérifié ce point, je ne serais pas étonné que la Finlande soit le pays au monde qui possède le ratio de surface de bois exploitable/surface totale le plus élevé au monde. Et ne me parlez pas des forêts équatoriales, type Guyanes, dont le même ratio est ridiculement faible. En chiffres absolus, on estime que la surface boisée totale de la Finlande est de 26 millions d’hectares pour une surface disponible de17 millions, dernier chiffre qui est exactement la surface boisée ‘totale’ de la France. Et comme les forestiers finnois sont des roublards (mais rassurez-vous, nous faisons la même chose ici), ils se sont assurés que la majeure part de leurs forêts protégées (donc sans aucune coupe) se situe précisément dans la partie marécageuse ou en lisière de toundra, de toute façon inexploitable.

Eh bien malgré tous ces avantages, la Finlande a néanmoins besoin d’importer de grandes quantités de bois, soit sous forme de grumes entières, soit sous forme de sciages, soit sous forme de bois de feu (pour faire divers combustibles que vous utilisez peut-être sans le savoir), pour faire tourner leurs scieries et usines de traitements du produit bois. Et c’est de la bonne économie. Un des meilleurs moyens connus de s’enrichir rapidement est de faire venir des matières peu ou pas transformées pour obtenir une forte valeur ajoutée avant de revendre les produits finis. La France rêve depuis longtemps de le faire sans jamais y être parvenue (dans le secteur bois, c’est principalement la lointaine Chine qui nous rend ce ‘service’ inestimable). Il suffit d’en avoir la capacité industrielle et il se trouve que la Finlande l’a.

Donc, il n’y a pas si longtemps, la Finlande importait des volumes industriels de bois russe (puisque la Russie possède tout de même 800000000 ha de surface forestière, oui, vous avez bien lu : huit cents millions d’hectares boisés selon la définition internationale d’une surface boisée, soit une quinzaine de France ou une grosse vingtaine de Finlande mises bout à bout, en faisait des produits à plus haute valeur ajoutée et les revendait. Un très bon deal pour le pays scandinave, comme on voit. À la suite de la décision de la CE, les industriels finlandais pourtant habitués à la créativité sans égale de nos législateurs Eurozonés se sont retrouvés avec le choix simple suivant : soit trouver des fournisseurs de rechange, soit réduire fortement leurs capacités de production. Faire venir du bois de pays tiers non-sujets à cette sanction comme la Turquie ou la Chine qui continuent évidemment d’importer du bois russe était trop cher puisque chaque intermédiaire prend sa commission au passage, d’autant plus élevée quand on sait que l’acheteur est coincé, aux abois ; quant aux voisins scandinaves qui ont eux aussi un peu de taïga, ils ne voulaient ni ne pouvaient de toute manière fournir dans les quantités demandées. La première solution s’étant donc avérée impossible, je vous laisse deviner le temps d’un autre paragraphe instructif quelle a été leur décision.

Je rappelle dans ce paragraphe à toute fin utile que le but de la sanction de l’Euro zone est en principe d’affaiblir davantage l’économie russe que celles des heureux pays membres du club des 27. Les résultats de l’opération antirusse se sont soldés fin 2023 (et ce n’est que le début) par le bilan suivant : en l’espace d’un an, on a assisté à la diminution d’un tiers, au minimum, des importations de la Finlande, ce qui naturellement induit une diminution correspondante dans sa production de planches, charpentes, pâtes et autre produits dérivés dont la plus grande partie était destinée à l’exportation ; cette diminution sur le marché induit à son tour une explosion des prix du produit bois, en particulier les produits vendus par la Finlande, comme on a pu s’apercevoir très récemment en France (mais naturellement, aucun officiel n’a fait le lien entre cette brusque hausse et l’opération antirusse). Exactement dans le même laps de temps, un an au plus, la Russie a non seulement retrouvé son niveau d’exportation d’avant 2022 mais l’a augmenté et pas de l’épaisseur d’une brindille, hein, de 30% : il lui a suffit pour cela de rediriger ses exportations vers d’autres pays demandeurs (et ceux-ci ne manquent jamais pour des produits basiques) : Turquie, Egypte, Kazakhstan, Kirghizstan, EAU, Corée du Sud (celle-là, bon toutou pourtant, n’a pas dû recevoir le mémo de Washington) et bien sûr Chine. Actuellement, les revenus de la Russie liés au bois sont en hausse d’un tiers par rapport à 2021, dernière année avant sanction, pour une balance commerciale nette positive de 8,4 milliards de dollars en 2023 et la tendance est à la hausse rapide pour 2024, chiffre à comparer, par exemple et au hasard, avec le déficit chronique de la filière bois française qui a atteint 9,5 milliards d’euros en 2022 (je n’ai pas les chiffres de 2023, inévitablement horribles).

Ce retour de boomerang peut être retrouvé dans pratiquement n’importe quel autre secteur où la CE a sévi avec ses innombrables sanctions antirusses. Le résultat est toujours le même. Et bien que le résultat soit toujours le même, le processus est sans cesse renouvelé, dans l’espoir sans cesse différé mais jamais éteint que la même cause ait enfin un effet différent. J’aurais pu si j’avais le temps et je ne l’ai pas, je ne l’ai plus, prendre le merveilleux exemple de la sanction visant les compagnies aériennes russes où la seule lecture d’une carte, la simple connaissance la plus basique de la géographie de l’hémisphère Nord aurait dû faire comprendre aux inégalables cerveaux en charge de nous guider sur la voie du bien, de la justice et de la vertu que la sanction ne pouvait que se retourner contre leurs propres compagnies aériennes et favoriser indûment toutes celles qui peuvent continuer à traverser l’espace aérien russe (hé oui, c’est grand la Russie, 9 ou 10 fuseaux horaires, cela en fait du chemin en plus pour la contourner !) : c’est de la géopolitique à la portée d’un enfant de six ans jouant dans une cour de récréation.

C’est un secret de polichinelle pour quiconque veut bien se débrancher un moment de la Matrice, que les décisions de la CE sont inspirées, voire fortement soufflées par Washington, tout spécialement concernant les sanctions antirusses. Ces sanctions ne sont en effet pas trop impactantes pour notre grand ami de l’Ouest, d’autant moins qu’il est le premier à ne pas les appliquer quand ça l’arrange (l’an passé, les USA ont encore importé pour 1,5 milliard de dollars de bois russe pour ne parler que de ce sujet). Le problème pour l’Europe est qu’elle n’a ni la situation géographique ni les ressources de son grand ami pour pouvoir se livrer à ce type de chantage sur la Russie. C’est elle qui dépend vitalement de la Russie et pas l’inverse (elle est la seule à ne pas le savoir). En plus de sa pauvreté en ressources, elle est en cours de désindustrialisation rapide (ayons une pensée émue pour la grande baisée d’outre Rhin) et maintenant commence à boire la tasse du côté de l’agriculture (et pas seulement à cause d’une météo défavorable). Et cela continue. En effet, on m’annonce que ces sanctions qui ont eu de si puissants effets (quoique dans le sens inverse du mouvement appliqué) vont être implémentés contre cette fois… la Chine, sous forme de barrières douanières. Ah ! un vrai coup de maître cette fois. Ainsi l’UE au comble de sa puissance devenue incommensurable va s’attaquer à la première puissance industrielle mondiale (et de très loin) sur le terrain… industriel. C’est exactement ce qu’elle a fait avec la Russie sur le terrain des matières premières où celle-ci est sans rivale. Je le répète : même un enfant en primaire sorti de la cour de récré sait que cela ne peut que très mal se terminer quand un nain attaque un géant : c’est une simple question de connaître l’équilibre des forces et ce n’est vraiment pas difficile de le savoir dans ce cas. Tous ces effets des sanctions, qui vont du minable au catastrophique avec une moyenne tirant plutôt nettement vers le dernier que le premier, et l’obstination à persister dans le schéma perdant, indique un découplage à peu près total du réel de la CE et des autres politiciens en charge de cette (minuscule) partie du monde. On a affaire à des gens plongés dans la Matrice et qui ne veulent surtout pas être débranchés. Mieux, tout leur travail, comme celui de l’agent Smith de la Matrice, est de s’assurer que tout le reste du bon peuple (bon peuple : novlangue pour ramassis à base d’abruti et d’idiot congénital) reste sagement branché, absorbant avec délectation le monde fantastique mais rassurant que leur présente leur petit, moyen ou grand écran. Il faut bien réaliser ceci : dans notre Océania, les politiciens comme les gens des médias au service de l’oligarchie au pouvoir sont tous des agents Smith, pas Winston hein, juste Smith, rien de plus et rien de moins.

Au sommet de sa gloire, qui n’est éloignée que de quelques années, le secteur bois de la Finlande employait 15% des travailleurs industriels du pays, contribuait pour 18% de sa production industrielle et pour 20% de ses exportations en euros. Il est inutile de dire que cette époque est dans un passé révolu et ce ne sont pas les derniers événements en cours qui peuvent inciter à l’optimisme pour les prochaines décennies ou le prochain siècle… s’il y en a un. En avril de cette année, Merikarvia, une des plus grosses scieries du pays mettait la clef sous la porte, l’usine de pâte à papier Joutseno licenciait à tour de bras, le tout nouveau port à sec de Kouvola, qui avait coûté des dizaines de millions d’euros, se retrouvait… à sec, après avoir fonctionné seulement six mois.

Et ce n’est que le commencement.

À bientôt… peut-être. 


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