samedi 13 septembre 2025

Le Dogme Hasard comme principe scientifique

 « On trouve 3 douzaines de briques empilées  dans la jungle (Ou les mégalithes de Stonehenge  si on veut montrer qu’on a voyagé.) et on passe  pour un imbécile  si on croit que c’est  le fruit du hasard. On trouve 3 milliards de cellules organisées pour opérer l’acte de vision  ou de digérer ou  de se questionner sur leur origine et on passe pour un imbécile si on ne croit pas que c’est le fruit du hasard »

Alfred Kastler

 

    La science moderne, académique et enseignée dans toutes les bonnes écoles occidentales depuis au moins un siècle, admet tacitement et parfois textuellement comme principe indiscutable ou/et comme fait avéré que la vie est le fruit du hasard. En réalité, depuis la nuit des temps, ou disons depuis que l’Homme est l’Homme, il y a deux hypothèses concurrentes pour expliquer l’origine de la vie : le hasard ou un créateur. Toutes les autres hypothèses sont en réalité des variantes de l’une des deux. Ainsi l’hypothèse des multivers n’est qu’un énième avatar très imaginatif de l’hypothèse du hasard.

Mais l’hypothèse adverse et traditionnelle, celle du créateur, a été de nos jours nullifiée sous prétexte qu’elle ne serait pas scientifique. L’idée derrière est que puisqu’on ne peut prouver que ce créateur — Dieu pour parler simplement — n’existe pas, l’hypothèse n’est donc pas réfutable et seules les hypothèses réfutables sont scientifiques. Bon, admettons, mais en quoi alors l’hypothèse du hasard serait plus scientifique ? Peut-on prouver que le hasard n’existe pas ? Non, pas davantage.

On pourrait aussi dire qu’il n’est aucun besoin de ces deux hypothèses pour faire de la science et ce serait vrai. Néanmoins dans la pratique, on ne cesse de faire cette hypothèse plus ou moins implicitement que le monde et la vie sont nés du seul hasard. Quand on étudie l’origine de la vie, on ne doute pas un seul instant que les atomes se sont rencontrés au petit bonheur la chance, puis que les molécules se sont formées par hasard et que ces rencontre et transformations fortuites ont fini par donner les premières formes de vie, même si on n’a pas l’ombre d’une idée du processus qui fait passer de molécules dites organiques à une cellule vivante. Ainsi d’un univers désordonné, on serait arrivé à ce phénomène hautement ordonné qu’est la vie et ceci par hasard. Ce n’est ni logique ni raisonnable d’en arriver à cette conclusion qui ne suit guère le principe de parcimonie d’Ockham, c’est le moins qu’on puisse dire. En fait vous l’avez compris, l’hypothèse du hasard à l’origine de toutes choses n’est pas une hypothèse dans nos sociétés occidentales mais un dogme absolu. Exactement comme il y a eu des dogmes théocratiques à des époques antérieures, nous sommes maintenant sous l’emprise toute puissante de dogmes athées qui n’ont pas plus de fondement scientifique que les précédents. On pourrait résumer l’évolution de notre pensée en disant que c’est le monde du Rien qui succède au monde du Tout.

Bien que la science puisse très bien se passer de ces hypothèses, il ne faudrait pas croire que ce dogme n’est pas un obstacle à son avancement. Les dogmes, quels qu’ils soient, sont toujours, non pas des remparts pour préserver la vérité mais des défenses d’y pénétrer. Cela signifie dans la pratique, dans le monde réel et non théorique, que si vos découvertes ou recherches laissent à croire que vous vous écartez du dogme, même implicitement, elles doivent être rejetées sans plus d’examen (de procès). Ou bien, s’il n’est pas possible de les éliminer complètement, il faut les tordre jusqu’à ce qu’elles rentrent dans le cadre permis.

L’un des problèmes majeurs auquel a dû faire face le croyant fidèle du nouveau paradigme dès le début est la quantité apparemment infinie d’événements et leur improbabilité non moins infinie pour chacun d’entre eux d’arriver qui aurait finalement conduit à la vie. Et plus la science avance, plus elle révèle de complexités, plus elle révèle d’intrications entre les corps, les particules, plus il devient difficile de le justifier par le simple jeu du hasard.

À une époque pas si lointaine, la réponse la plus typique et standard à cette objection était : « si le monde n’était pas tel qu’il est, nous ne serions pas là pour l’observer, donc nous ne pouvons observer un monde que s’il possède toutes les qualités qui nous émerveillent… à tort ». Cela s’appelle en langue savante le principe anthropique. Notez qu’il s’agit d’une pure tautologie (une façon d’enfoncer très fort une porte ouverte). Il est en effet indiscutable. Mais il est aussi faible, bien faible (c’est d’ailleurs son nom : le principe anthropique faible). Il n’explique rien et ne veut surtout rien expliquer. Par exemple, il ne répond absolument pas à la question de la cause de cette complexité apparemment inaccessible au seul hasard. Le fait, évident en soi, que les propriétés de notre univers sont obligatoires pour permettre notre existence et donc celle d’un observateur n’expliquent en rien comment ces propriétés si pratiques et si nécessaires, toutes nécessaires, ont pu être réunies dans notre univers.

Il a donc fallu chercher une réponse qui soit plus à la hauteur du défi posé et qui rentre dans le cadre du dogme général. Et c’est là qu’on a eu l’idée géniale de ce fameux multivers qui fait les gros titres des journaux et des youtubeurs « sérieux ». Voici le raisonnement : puisqu’il est effectivement très difficile de contrer l’argument de ces nouveaux hérétiques concernant l’improbabilité extrême de notre présence dans cet univers, eh bien avançons l’hypothèse que cet univers improbable est en fait hautement probable et même certain s’il existe une infinité d’univers. Comment cette infinité d’univers est apparue, simultanément ou successivement, peut être laissé à l’imagination de chacun, le but n’étant pas d’expliquer mais de justifier l’extraordinaire improbabilité mathématique que notre monde soit le produit du hasard. Cette idée reprend l’idée ancienne que si un singe ou n’importe quel âne tapait à la machine sans s’arrêter pendant un temps infini, il finirait forcément au moins une fois par écrire la bible, l’œuvre complète de Shakespeare et, j’imagine, celle de la comtesse de Ségur. Ainsi donc sur une infinité d’univers, il doit nécessairement apparaître un jour le nôtre, avec toutes ses lois si bien réglées. Et voilà le tour est joué, question suivante…

Bien entendu, il n’y a pas l’ombre d’une preuve, pas l’ombre d’un indice que ce multivers soit autre chose qu’un fantasme. Et il ne peut pas y en avoir. Ce n’est donc absolument pas une hypothèse scientifique. On peut en effet être certain que cette hypothèse ne fera pas avancer la science d’un iota même si l’humanité devait perdurer un milliard d’année ou même durant l’éternité. Répéter une action ou une parole pendant un temps infini ne la rend pas plus pertinente si elle est stupide. C’est de plus tout le contraire de ce que le principe de parcimonie appelle : toutes choses égales par ailleurs, l’hypothèse la plus probable pour expliquer un phénomène est la plus simple. Ensuite l’affirmation même que de l’infinité sort obligatoirement la bonne pioche est fausse. Bien des ensembles pourtant infinis ne contiennent pas le chiffre 1. Et un livre infini ne contiendrait pas nécessairement le texte que je suis en train de taper.

Enfin, même si on admettait sans autrement discuter l’existence de ce supposé multivers, aurait-on avancé d’un pouce ? Non. Ce n’est qu’une façon particulièrement compliquée et peu scientifique de reculer le problème. Ce problème fondamental : pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

Une autre tentative, plus ancienne et beaucoup mieux conçue, pour balayer l’hypothèse de Dieu est la célèbre théorie de Darwin. Son aura et son emprise sur nombre d’esprits vient d’un glissement subtil et pas toujours noté. Au commencement, la nouvelle théorie de Darwin, née de ses ruminations sur le pont du Beagle se voulait une réponse à certains constats comme les différentes formes de becs des pinsons des différentes îles Galapagos et elle explique en effet de façon convaincante ces différences. Il s’agissait donc à l’origine d’une théorie modeste, de portée très limitée. Mais cela ne suffisait visiblement pas à son auteur qui avait un tour d’esprit philosophique et vous savez que les philosophes ont un goût immodéré pour les généralisations grandioses et universelles. Darwin a donc eu l’idée typiquement philosophique d’étendre sa petite théorie de l’évolution des becs des pinsons des Galapagos à la vie entière, depuis son apparition sous forme de bactérie unicellulaire jusqu’à l’Homme (et pour les Darwiniens les plus convaincus jusqu’à l’Homme à grosse tête qui doit nous remplacer incessamment sous peu). Vous notez le glissement ? Si Darwin avait en effet des indices — certains les qualifient très généreusement de preuves — que des changements comme la forme d’un bec ou la couleur des ailes d’un papillon se passent effectivement selon le modèle proposé par l’Anglais, à savoir par incrémentation successives de mutations aléatoires avantageuses pour son porteur et sélectionnées par l’environnement (c’est-à-dire par la loi de la jungle), il n’en avait aucun(e) pour sa théorie non restreinte et pour tout dire « générale ». Et comme Darwin était tout de même scientifique (en plus d’être philosophe), il en était si bien conscient que pour pallier ce manque, il s’est lancé dans une série de prédictions que l’on découvrirait ceci et cela dans l’avenir proche qui justifieraient sa théorie générale. En fait, on a découvert beaucoup de choses depuis ce jour mais pas du tout ce que prévoyait Darwin. On n’a, par exemple, jamais trouvé les quantités innombrables de chaînons manquants nécessités par son modèle d’évolution par (tout) petits pas. En revanche, on a découvert l’ADN et l’ARN, les protéines, on a commencé à comprendre comment fonctionne les gènes et rien de tout cela ne s’accorde vraiment avec la vision de Darwin. Ce dernier avait l’idée simple et fausse que les gènes et les caractères physiques étaient liés par une bijection : à un gène donné, un caractère donné et un seul ; à un caractère donné, un gène et un seul. Darwin avait l’idée simple et fausse que seuls les gènes déterminent le phénotype (l’ensemble des caractères physiques d’un individu) et que ces caractères ne sont jamais induits par des pressions extérieures, environnementales, bref que ces caractères arrivent toujours par hasard. Aujourd’hui, nous savons qu’il se trompait sur tous ces points. Eh bien, il avait le droit de se tromper, n’est-ce pas, il avait le droit de ne pas tout savoir, comme tout un chacun. La question est : pourquoi nous, Terriens du vingt-et-unième siècle continuons à faire comme si de rien n’était et continuons à enseigner la théorie de Darwin, rebaptisée parfois néodarwinisme, comme si c’était vérité d’Évangile ?

Eh bien justement parce que c’est ça : le dogme hasard est devenu vérité d’Évangile.

Un article de ma part centré plus précisément sur la théorie de Darwin et ses limites : ici.

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