Dans ce livre, j’ai
essayé de représenter l’inimaginable, ou tout au moins de peindre ce qui est
hors de portée du champ lexical. D’expérience, je sais que la peinture permet de faire
plus facilement, plus naturellement je dirais même, une incursion dans
l’outre-monde, celui de l’au-delà, quelle que soit la signification qu’on y met.
La littérature est un art – quand il s’agit de fictions – trop rationnel, trop
raisonnable, trop abstrait surtout, pour atteindre ce but. Bien sûr, il y a la
poésie mais même la poésie est faite de mots et de syntagmes logiques. Et puis
qui lit de la poésie de nos jours ? Le recours à l’image est plus sensoriel,
plus instinctif, plus primitif, et permet par-là cette magie que je cherchais.
L’image en elle-même d’ailleurs est une forme de la magie évocatoire. Les
incantations des sorciers ne seraient rien sans l’amulette, le totem ou les
peintures rupestres qui vont avec (et probablement la musique). Ce n’est pas
seulement par goût du prestige que les peuples construisent des pyramides, des
cathédrales, des temples de tout genre pour célébrer l’occulte. Cet écrin
permet au plus grand nombre d’atteindre l’état d’esprit nécessaire, sinon
suffisant, pour s’arracher du banal quotidien et de ce que l’œil est habitué à
voir. Bien sûr, un paysage remarquable, quoique naturel, peut aussi bien faire
l’affaire. Ce n’est pas pour rien que les moines et nonnes vont s’enfermer dans
des lieux presque toujours grandioses et solitaires, que d’aucuns qualifieraient
de romantiques. Néanmoins ces sites ne sont pas à portée de tous et surtout ils
ne sont remarquables que pour ceux qui ne les contemplent pas depuis leur
naissance et finissent par ne plus les voir, aussi romantiques soient-ils. Un
voyageur peut s’émerveiller des forêts vierges d’Amazonie, un habitant beaucoup
moins ; un touriste est bouleversé par la caldeira d’un volcan en
activité, par ce désert minéral aux sables et minéraux multicolores, rêvant de
Mars ou de quelque planète lointaine, un autochtone vivant au pied beaucoup
moins. J’ai donc ici voulu peindre des paysages qui ne soient reconnaissables
pour personne.
Pourtant, j’ai
inclus dans le lot un certain nombre de jardins, prairies, forêts et montagnes
qui semblent assez familiers à première vue. Mais seulement à première vue. À
bien y regarder, une foultitude de détails ne collent pas avec le monde que
l’on connaît. Même le chat omniprésent, animal mystérieux s’il en est, n’est
pas un chat ordinaire. Il brille trop. Il n’a pas d’ombre projetée. C’est tout
l’avantage de l’image, du dessin : ils permettent des combinaisons surnaturelles,
des changements d’échelle, des perspectives surprenantes, des reflets, des
ombres et lumières impossibles. Il est difficile de faire croire à un paysage
inventé si vous l’expliquez avec des mots : on appelle ça une description
et elle est toujours limitée par l’imagination de celui qui la lit. Si vous le
montrez à cette même personne avec une image, il sera obligé d’y croire. Je ne
dis pas que c’est vrai de tout le monde mais c’est vrai pour la majorité des
gens.
Prenons deux exemples. En voici un premier
que j’ai intitulé L’Ange du village, ce qui suffit amplement comme description, mais probablement pas comme explication :
Le second exemple est un peu plus typique, dans le sens où le spectateur peut avoir l'impression d'avoir déjà vu cent fois ce type de paysages dans la science-fiction moderne, en particulier américaine.
OK, c'est le décor caractéristique pour toute histoire de méchants extraterrestres qui se respecte. Ces objets au loin sont d'ailleurs très louches. On imagine la zone 51 et ses innommables secrets, on voit déjà la tête de David Vincent se pointer au volant de sa Cadillac dans un nuage de poussière, à moins que ce ne soient les men in black.
Mais rapprochons-nous un peu de la chose et zoomons :
Voilà qui est un peu différent. L'orage pèse d'un poids immense sur ce désert de collines sèches. Et l'éclair, dans une étrange spire, semble avoir pris pour cible le bâtiment pyramidal plus élevé que les collines environnantes, à tel point que de son sommet, ces légers monts doivent avoir l'air d'être la continuation de la plaine. Mais n'est-ce pas plutôt l'inverse ? Je veux dire que l'édifice attire à lui la foudre pour mieux utiliser son énergie faramineuse ( l'énergie d'un puissant orage, comme on en voit couramment dans les zones continentales chaudes est bien supérieure à celle de n'importe quelle bombe atomique de fabrication humaine; en fait l'ordre de grandeur n'est tout simplement pas le même). Aussi, rien ne prouve que ces extraterrestres soient si malintentionnés que ça. Peut-être désirent-ils dans un acte de haute bonté nous aider à résoudre notre problème d'énergie, autrement que par des moulins à vent, laids, bruyants, innombrables, véritables hâchoirs à oiseaux et chauve-souris, et puis et surtout inefficaces. Ou peut-être ne sont-ils pas du tout extraterrestres et sommes-nous dans le futur, radieux plutôt que radiant, de l'Humanité. Les espèces de dirigeables futuristes qui tournent autour de l'édifice cyclopéen ne seraient alors pas des vaisseaux spatiaux mais des cargos gros convoyeurs d'énergie, sous une forme plus domestiquée.
"Fenêtres sur un autre monde" qui contient ces peintures est disponible ici, sous forme de livre broché ou d'e-book.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Pour recevoir les réponses à votre commentaire dans votre boîte mail, cliquez sur "m'informer"