Le tableau ci-dessus est une représentation du cadre quelque
peu mélodramatique où se déroulent les événements non moins mélodramatiques du premier chapitre de mon roman Dans la cité des Anges. Si c’était un hommage en forme de pastiche,
je dirais que c’est mon Turner, ou mon Friedrich peut-être, toutes proportions
gardées (je ne suis qu’un petit illustrateur devant s’accommoder de petits
talents). Pour une raison inexplicable, il n’a pas été retenu pour la
couverture du livre, bien qu’il aurait fait à mon avis une bien jolie
couverture. Les raisons des éditeurs sont impénétrables. Peut-être a-t-il été
estimé en ces hauts lieux que cela ne faisait pas assez science-fiction.
Dans la cité des Anges appartient en effet, très
incontestablement, au genre de la science-fiction. Très précisément, un éditeur fou, espèce rare, pourrait s’amuser à le définir comme un thriller ou un roman policier de
science-fiction métaphysique. Il se déroule en tout cas dans un avenir très
très lointain (le deuxième “très” n’est pas en trop, loin de là). En fait, nous
sommes cette fois tout près de la fin des temps. Au moins pour nous, les
Hommes. Notre vieux soleil, toujours présent à l’extrême gauche en haut, est
devenu une géante rouge et n’a plus de carburant que pour quelques centaines de
millions d’années (une paille comparée à la durée de l’univers mais une quasi
éternité comparée aux quelques dizaines de milliers d’années que nous avons
passées sur ce globe magique). Cette métamorphose a été, bien sûr, anticipée
par nos glorieux descendants, qui ont, pour une part au moins, décidé d’émigrer
du côté de Jupiter. Oh, bien sûr, à cette époque fort fort lointaine, comme
dirait l’autre, Jupiter ne s’appelle plus Jupiter et la Terre n’est plus la
Terre. D’ailleurs, on ne parle plus de Terriens mais d’Anges, d’où la
majuscule. Enfin disons que l’on suppose charitablement que ces Anges sont nos
glorieux descendants… quelque peu changés… améliorés ?… hum, ça reste à
voir.
Jupiter porte le nom de Phædra et ne se présente plus sous
la forme d’une géante gazeuse. L’accident cosmique, qui a brûlé notre planète, a
eu de bien meilleurs effets sur la planète géante. Le soudain puissant
rayonnement du soleil a soufflé une bonne grosse couche de l’enveloppe gazeuse, et
transformé une autre couche en océan d’une profondeur abyssale. Dyardyn, le
vieux despote qui règne sur la société des Anges, a eu alors l’idée nemrodienne
de construire une tour inimaginable, de nos jours, prenant ses fondations dans
le socle rocheux de la planète une centaine de kilomètres sous la surface et
dépassant celle-ci d’encore quelques kilomètres, ce qu’il faut pour que la partie
sommitale soit habitable pour des Anges. En effet, la pression à la surface,
due à l’atmosphère encore terriblement épaisse de la planète est beaucoup trop
forte pour leurs poumons. Comme cette tour cyclopéenne est au milieu de l’océan
(forcément : toute la surface de Phædra est submergée), on l’appelle le
phare de Dyardyn. Mais ce n’en est pas un. Il n’y a aucun bateau sur cet océan et
aucun port non plus. Cela serait impossible tant les vagues sont monstrueuses
et les courants déchaînés, aiguisés sans cesse par les vents surpuissants qui
balayent la surface. Si vous regardez bien la peinture, vous discernerez deux icebergs
à gauche, les premiers icebergs de glace d’eau à apparaître sur cette mer nouvelle,
ce qui laisse penser qu’on est près d’un pôle. Et si vous avez des yeux très
perçants, vraiment très perçants, peut-être même devinerez-vous les sombres silhouettes
des nouveaux Léviathans habitant cette mer. En effet, l’océan d’hydrocarbures,
sous le feu toujours plus intense du soleil grandissant, s’évapore, laissant
place à un océan d’eau, probablement douce, bien que je ne puisse le certifier,
n’ayant pas testé sur place, et donc nettement plus hospitalier. La très mince
couche d’hydrocarbures restante, jointe aux rayons rougeâtres de l’astre
agonisant, crée d’ailleurs de très jolis reflets à la surface de la mer.
Comme souvent, mon illustration n’est pas la transcription littérale
du livre. À quoi bon : le lecteur sait lire. La scène représentée ne
figure donc pas telle quelle dans le livre mais plutôt en off. Je dirais qu’elle
se situe immédiatement après le premier chapitre et avant le second, quand l’événement
incroyable a déjà eu lieu et que tous les vautours habituels se sont mis à
tourner autour de ce lieu solitaire : police, justice, médias et vilains
curieux. L’événement impensable en question est en effet l’assassinat d’un Ange
dans cette tour.
Bon, il est juste d’ajouter que les Anges sont rendus quasi
immortels de par leur capacité à projeter leur mémoire, qu’ils appellent âme, dans
le nouveau clone qui l’attend dans la sphère du Réveil, une des sept sphères
orbitant autour de Phædra, et que donc cette mort sera très provisoire. Mais
alors, pourquoi assassiner un Ange ? C’est la principale question que va
tâcher de résoudre Azadyn, l’Ange Assassiné, car tel est son nouveau nom, un
nom durement mérité.
Et comme vous l’avez deviné, j’en suis sûr, la réponse ne va
pas être agréable.
Après tout, c’est un thriller métaphysique : on n’est
pas là pour rire.
Le roman est (ou sera) disponible ici.