samedi 29 juin 2024

Les soldats russes sont entrés à New-York !

    Ah, en voilà un titre du tonnerre ! Quel formidable click-bait, avouez ! Naturellement, tout ahuris par la nouvelle stupéfiante, vous avez aussitôt vérifié sur votre petit calendrier qu’on n’était pas le 1er avril. Pourtant, le titre est littéralement vrai. Le 27 de ce mois, hier donc quand j’écris ce texte, la nouvelle est sortie que les Russes sont entrés à New-York, petite ville russophone du Donbass renommée ainsi par le gouvernement ukrainien en hommage à leur généreux patron, mais qui bien sûr portait un autre nom originellement. En fait, les informations provenant de l’armée russe étant contrôlées d’une main de fer (à la soviétique, diraient certains, mais pour l’armée, c’est une règle très souhaitable), on peut être raisonnablement sûr que cela a eu lieu avant le 27 juin. Un pacte non écrit entre les commandants russes et les correspondants de guerre agréés sur le front (il y en a plusieurs, souvent d’anciens militaires eux-mêmes) est que ces derniers ne reporteront que ce qui est autorisé et uniquement quand cela sera autorisé. Et ce pacte est généralement respecté parce que ces journalistes n’ont aucune envie de perdre leur place, d’autant que les candidats sont nombreux à la vouloir.
    Aujourd’hui, j’écris sans le moindre plan, n’attendez donc pas de grandes idées bien articulées mais simplement des remarques sans rapport les unes avec les autres. Ou bien s’il en existe, vous devrez les établir vous-même. Bref, je propose un pot-pourri de mes meilleures pensées suscitées par l’actualité au fil de l'eau, très léger, estival dirons-nous, pour ne pas dire festif.
    Dans le registre des feux d’artifice dont a déjà commencé la saison dans mon coin de bois, j’ai été frappé dernièrement par plusieurs déclarations de personnalités éminentes sur le sujet de l’emploi d’armes nucléaires (si, si, c’est très festif une bombe nucléaire : très beau spectacle, très impressionnant, surtout la nuit). La première, par ordre chronologique est venu de Stoltenberg, médiocre politicien scandinave qui a échoué partout où il est passé et c’est bien pourquoi on le retrouve donc à la tête de l’OTAN (la même remarque peut être faite pour Von Der Leyen). En réponse à quelque question, il a affirmé (je le cite de mémoire, ce ne sont pas ses mots exacts mais je garantis que le sens est là) que les lignes rouges des Russes n’en étaient pas et que les avertissements du Kremlin que certains types d’attaques sur le sol russe pouvait engendrer des frappes nucléaires sur l’assaillant étaient du bluff, bluff pitoyable que ce grand zéro… pardon héros, balayait d’un haussement d’épaule. En clair, et en pratique, puisqu’une invasion par des troupes au sol de l’OTAN est aussi probable qu’une invasion de criquets au pôle Nord, la doctrine russe pourrait s’appliquer en cas de frappes de missiles balistiques à longues portées sur ses actifs militaires d’importance stratégiques (comme des défenses anti-nucléaires par exemple). Vu l’évolution des événement, ça n’est certainement pas une hypothèse fantaisiste (les Kiéviens avec le concours satellitaire américain ont déjà commencé à prendre pour cible des radars russes destinés à l’interception de missiles à longues portées, nucléaires ou pas (et ça, vous ne pouvez le savoir qu’après, hein). Ce Stoltenberg semble devoir dégager de son poste mais il est probable qu’il sera remplacé par un autre clown… pardon, clone. En somme, il propose négligemment de faire un pari avec l’avenir et peut-être la survie d’au moins l’hémisphère nord de cette planète. C’est ce qu’on appelle le jeu de la roulette russe chargée avec des missiles nucléaires.
    Dans l’autre camp, je suis déjà depuis quelques temps les louches déclarations de Karaganov, un think-tankiste moscovite éminent même s’il n’a plus actuellement aucune responsabilité dans l’État russe. Tout dernièrement il a remis le couvert avec son idée d’envoyer un message fort à l’Occident. Son idée peut se résumer ainsi : puisque Washington et ses sombres acolytes n’entendent rien aux avertissements donnés, ne comprennent que le langage de la force et escaladent sans cesse dans leurs provocations, peut-être que la Russie devrait sérieusement changer sa doctrine nucléaire et s’autoriser des frappes préventives au moyen de missiles nucléaires tactiques (à portée nettement moindres que ses homologues stratégiques). Selon ce modèle, qui est celui en somme d’Hiroshima, cela stopperait net toutes velléités adverses car il est en effet probable que les USA ne voudraient pas engager une guerre totale avec la Russie pour sauver les bras cassés ukrainiens ou européens. Une des options envisagées par Karaganov serait une explosion nucléaire de démonstration pour ainsi dire, en altitude pour éviter toute victime. Il parle aussi d’autres options, encore plus limitées mais visant cette fois des cibles militaires incontestables (et donc avec des pertes très importantes : le plus petit des missiles nucléaires tactiques russe a pratiquement la puissance de la bombe d’Hiroshima). Contrairement à Stoltenberg, Karaganov est incontestablement un homme supérieurement intelligent, en plus d’être très rationnel. Néanmoins même les plus intelligents et les plus rationnels peuvent parfois émettre des propositions remarquablement stupides, d’autant plus stupides quand ils insistent pour la répéter encore et encore. En réalité, l’idée de Karaganov pour faire cesser le conflit, ou au moins pour faire cesser l’escalade, est à classer dans la même catégorie que les propos du clown blanc à lunettes norvégien : c’est un pari sur ce que sera la riposte de l’ennemi. ON NE FAIT PAS DE PARI AVEC UNE PUISSANCE NUCLÉAIRE devrait être un principe premier et absolu de la pensée de tout géostratège ou politicien responsable. Peu de chance heureusement qu’il soit suivi par les têtes pensantes du Kremlin, et à peu près aucune tant que VVP sera au pouvoir. Tant mieux.
    Dans une catégorie un peu différente, le troisième et dernier propos inquiétant vient du colonel Mac Gregor, tout fraîchement, aujourd’hui même quand je tape ces mots. Mac Gregor est un commentateur très intéressant sur certains points, un homme très intelligent (hé oui, même les militaires peuvent être des pointures intellectuelles !), parlant très bien, avec des idées claires. C’est aussi un ancien conseiller militaire de Trump (avec les clowns Pompeo et Bolton devant la porte, son passage à la Maison Blanche n’a pas duré longtemps comme vous pouvez l’imaginer), un parangon de l’esprit yankee, complètement Américanocentré, appartenant à la tendance républicaine conservatrice (mais s’il appartenait à l’autre facette, les néo-libéraux du parti Démocrate, la différence serait minime). Et quand on est Américanocentré, cela implique qu’on est Israëlocentré, puisqu’Israël est de facto le 51ème État des USA. Mac Gregor a une grande peur, à juste titre selon moi, que la faiblesse d’Israël jointe à son sentiment d’impunité et à sa conviction d’être le peuple élu ne la pousse à utiliser des armes nucléaires tactiques contre le Hezbollah et donc le Liban (mais pas seulement). C’est en effet un secret de polichinelle qu’Israël possède la bombe nucléaire. Et je suis d’accord avec le colonel qu’il y a une probabilité plus élevée qu’une guerre nucléaire soit initiée par une puissance secondaire, disons régionale, qui se sent acculée, d’autant plus si elle est convaincue de sa légitimité de peuple ‘élu’, qu’elle le soit par des puissances mondiales qui ne sont véritablement que trois à ce jour. Ce qui est inquiétant, venant de cet homme sérieux, pas du tout désinvolte comme notre derviche tourneur national, comme l’homme orange ou comme le fantoche de l’OTAN déjà cité, c’est l’absence totale d’empathie pour les peuples visés par ces frappes nucléaires éventuelles, les Libanais, ou les Iraniens, ou les Syriens, ou les Palestiniens, absence d’empathie hélas typiques des Étasuniens. Son seul souci en l’occurrence est que l’état d’Israël pourrait disparaître avec de telles frappes (suite aux représailles inévitables venant d’Iran… ou d’ailleurs). Ces propos sont consternants car ils viennent de l’un des moins stupides représentants de l’élite washingtonienne. C’est dire le reste !
    Revenons sur mon affirmation précédente, qui vous a peut-être échappée, qu’il n’y a que trois puissances mondiales aujourd’hui, qui sont donc : Les USA, la Chine, la Russie. Les USA sont encore reconnus par la majorité des commentateurs, même non américanophiles, comme la puissance numéro 1. Ce type de commentateurs a néanmoins cette œillère très répandue dans le monde occidental, qui raisonne toujours en terme d’hégémonie et de concours sportif où il ne peut exister qu’un seul champion, une seule médaille d’or. Ce type de classement a selon moi à peu près autant de rapport avec la réalité que le QI en a avec l’intelligence. Les USA ont encore pour eux leur monnaie, qui restera dominante pour les années à venir, et la force de leur secteur ‘comm’, absolument sans rival possible dans un futur prévisible. C’est la plus faible des trois puissances, elle a clairement dépassé son point optimal depuis un bon moment, mais garde un pouvoir de nuisance considérable. La Chine a une puissance économique sans rival possible (et c’est bien pourquoi les Européens et les Étasuniens cherchant la rivalité économique au lieu de la coopération avec ce géant sont condamnés à un amer destin), jamais vue dans l’Histoire, inimaginable pour la plupart de mes concitoyens et pas seulement eux. La Russie est la plus grande puissance militaire des trois, pour des raisons d’avancées technologiques, industrielles, historiques et psychologiques. C’est aussi et de loin la plus intelligente dans sa stratégie géopolitique ; elle est clairement le cerveau de la nouvelle architecture multipolaire qui est en train de se mettre en place au grand dam de l’Empire, si elle n’en est pas le moteur principal. Il est impossible réalistement aujourd’hui de se développer sans compter avec ces trois pays. Ceux qui tentent de passer outre s’en mordront et s’en mordent déjà les doigts. Tous les autres sont au mieux des puissances régionales y compris l’Inde qui peut être décrite comme une sorte de Turquie occidentalisée, assise entre deux sièges, louvoyant toujours entre deux caps, jouant sur tous les tableaux, espérant le beurre et l’argent du beurre. Ce type d’attitude interdit toute ambition d’être un acteur central au niveau mondial. Je ne parle même pas de l’Union Européenne aux membres flaccides qui est maintenant totalement américanophilisée, domestiquée, aspirée lentement sous forme de bouillie liquide par son grand ami de l’Ouest.
    Hier, au moment où j’écris, était le jour exact du soixante-dixième anniversaire de la mise en route de la première centrale nucléaire au monde. Je parle bien de la première vraie centrale, reliée au réseau national, capable de produire de l’électricité à une échelle industrielle et non du prototype américain pouvant allumer dix ampoules (et encore de faible puissance). Pour ceux qui ne le sauraient pas et que je soupçonne d’être nombreux, cet événement a eu lieu en 1954 à Obninsk dans la région de Moscou (à l’échelle de la Russie et plus encore de L’Union Soviétique, on peut dire que c’est la région de Moscou). Il est dit, probablement avec raison, que la première bombe atomique russe a été fortement ‘inspirée’ par celle des Étasuniens ; ce n’est certainement pas le cas pour le nucléaire civil. On peut dire qu’à partir de ce jour, la Russie a pris un avantage dans le domaine du nucléaire civil sur tout le monde, sur Westinghouse, évidement sur les Français (qui ont commencé par reprendre le brevet de Westinghouse) qu’elle n’a plus jamais perdu mais au contraire augmenté. Cela se voit dans sa part du marché nucléaire actuel, très largement dominé par Rosatom, dans ses innovations successives, dans la diversité des concepts qu’elle a poussé jusqu’au stade final de production, dans sa flotte de sous-marins et brise-glace nucléaires, sans équivalent ou supérieurs à tout ce qui se fait ailleurs.
    Les trois sortes de mensonges, comme disait Churchill (c’est toujours Churchill qui invente les mots d’esprit, en tout cas selon les Anglais), sont les mensonges simples, les mensonges par omission et les statistiques. Ce qui était une blague dans la bouche de Churchill… ou d’un autre moins riche que lui est devenu la simple reconnaissance d’un fait dans nos pays. Et cela marche dans les deux sens. Pendant des décennies, j’ai entendu dire que les statistiques économiques fournies par le Parti Communiste Chinois étaient des craques plus grosses que le poisson qui a gobé Jonas, qu’il fallait diviser leurs chiffres gonflés aux gaz de houille par deux, par trois, par quatre. Dans le même temps, depuis 1980 disons, la Chine est passé de nation du tiers monde, adepte des pires famines du vingtième siècle, dotée d’une technologie datant du quinzième siècle, à la puissance économique mondiale numéro 1 (par parité de pouvoir d’achat). Il faut croire que leurs chiffres n’étaient pas si faux que ça, hein. Cette année encore, j’ai entendu notre virtuose de la diplomatie mondiale, notre virtuose de la finance mondialisée en plus d’être Notre Président Mondial, Macron 1er, affirmer dans le même esprit que les chiffres du PIB russe étaient des inventions grotesques qui le faisaient bien rire. Il répondait à l’annonce que la Russie, au milieu des sanctions de mille tonnerres de Brest, venait d’atteindre 3,6% de croissance sur 2023. Ah, on ne lui avait apparemment pas précisé que ces chiffres n’étaient pas issus de l’INSEE russe mais du FMI qui a effectivement la mauvaise habitude de ‘corriger’ ses chiffres quand ils concernent les ennemis de l’Empire, mais évidemment à la baisse. Si ces organismes émetteurs de statistiques économiques bien de chez nous ‘corrigent’ à la baisse les chiffres que nous ne saurions voir, ils ont en revanche une tendance invincible à les ‘corriger’ à la hausse quand ils concernent nos prévisions et résultats économiques. Ainsi, une nouvelle tradition bien établie par ces organismes consiste à annoncer des chiffres supérieurs à la réalité avant de les rectifier à la baisse par la suite quand la vérité des choses commence à percoler dans la conscience collective. L’intérêt de la manœuvre est au moins double. On profite d’abord du fait que les premiers chiffres qui sortent sont des estimations, donc sujets à affinements, un peu comme les premiers résultats d’une élection avant que la grande masse des votes soient dépouillés, pour les faire briller dans les gros titres des médias complices ou réellement ignorants de l’astuce (ce qui serait encore plus inquiétant sur leur niveau de journalisme). Puis on les révise à la baisse chaque mois, chaque trimestre, chaque année qui passe, en comptant bien que les nouveaux chiffres tout frais brillants sorti de la machine à faire reluire les stats et tout aussi tocs éclipseront ces mauvaises nouvelles. En bref, comment toujours chasser la vérité par de nouveaux mensonges : c’est un art que nous maîtrisons de mieux en mieux. Naturellement, le terme mensonge pour décrire ces agissements est le terme le plus correct car si ces estimations étaient sincèrement, accidentellement inexactes, elles ne le seraient pas chaque mois, chaque trimestre, chaque année toujours dans le même sens, celui qui vous arrange. Par exemple, la FED vient de sortir en même temps que ses nouveaux chiffres merveilleux (c’est relatif !) les chiffres révisés de la croissance économique des USA pour le premier trimestre 2024, en baisse comme toujours de 0,5 point par rapport au mois passé. À l’année, cela fait cher du mois passé. Dieu sait ce qu’il en restera en décembre de la croissance prévue en début d’année : un chiffre que j’ai oublié mais fabuleux dans tous les sens du terme, vous pouvez en être sûr ! Ces ‘erreurs’ sont si régulières maintenant que les financiers qui ont des gros portefeuilles en gestion et donc leurs couilles à perdre ont pris l’habitude de baisser tous les chiffres donnés par la Fed d’un demi-point par trimestre… et cela marche plutôt bien.
    La place d’un vrai journaliste dans nos pays à notre époque est en prison ou en exil comme l’a prouvé amplement Julian Assange. Le deal qu’il a dû signer pour sortir enfin de sa geôle est un procédé digne de 1984 : en bref, il a reconnu tous les chefs d’accusation qui lui avaient valu d’être jeté en cul de basse-fosse. Il est reparti en Australie, son pays natal, après sa libération ; je pense qu’il n’y restera pas longtemps s’il désire vivre vieux : c’est qu’il a forcément beaucoup de choses à dire encore et il est journaliste ! J’ai d’autres exemples moins illustres à l’esprit mais pas moins talentueux. Anatoli Sharii, Ukrainien, certainement un des journalistes européens les plus spirituels, les plus percutants, est en exil depuis des années dans divers pays, pour l’heure en Espagne jusqu’à ce qu’il y soit persona non grata, ce qui ne devrait pas tarder. Sa spécialité est l’investigation des groupes criminels, profession des plus dangereuses en Ukraine mais avec beaucoup de matière à traiter. C’est pourquoi il enquête principalment sur les divers gouvernements qui se sont succédés à Kiev. Dmitri Vassilets est un autre Kiévien opposant au gouvernement de son pays. Emprisonné sans preuve pendant plus de deux ans, il mène toujours un parti d’opposition, interdit évidemment comme tous les partis d’opposition. Son domicile actuel est inconnu et cela vaut mieux car il est sur la même liste (très officielle) des autorités de Kiev qui a valu l’assassinat de Daria Doughina, qui avait pourtant beaucoup moins de causes d’irriter les Services Spéciaux du Reich ukrainien.
    Let’s send in the clowns ! Pour terminer sur une bonne note, pour ne pas dire revigorante, faisons venir les clowns Biden et Trump. Leur ‘débat’ a donné lieu à quelques répliques dont je ne suis pas sûr que le plus ancien des deux ait saisi toute la drôlerie. Trump nous a expliqué son plan pour la paix en Ukraine : menacer de doubler l’envoi d’armements à Kiev si Poutine ne négocie pas, tout en menaçant les mercenaires de Kiev de leur couper armes et argent si ils refusent aussi de négocier. Conclusion logique : Poutine ne négociera pas, si bien qu’il n’y aura pas de négociation, si bien que Kiev se retrouvera sans arme et sans argent. Sinon, Biden nous a appris que son grand ennemi personnel Poutine allait envahir la Biélorussie, en plus de la Pologne, et peut-être le reste de l’UE et de l’OTAN si on ne l’arrêtait pas avant. Effectivement, il sait encore lire une carte, le vieux : la Biélorussie se situe bien entre la Russie et la Pologne: difficile de faire autrement. Les Biélorusses, quant à eux, ont sûrement été surpris d’apprendre qu’ils venaient d’être acceptés dans l’UE et même dans l’OTAN sans même qu'ils aient eu besoin de candidater.
    Enfin, je terminerai en donnant une liste probablement non exhaustive des penseurs, acteurs politiques et autres empêcheurs de tourner en rond qui me donnent matière à réflexion et ont donc quelques crédits involontaires dans les articles traitant de l’actualité que vous pouvez lire ici. Naturellement, il n’y a ni ordre alphabétique ni ordre d’importance ni aucun autre ordre dans cette liste, rien que le reflet de la nature aléatoire d’une mémoire faillible et intermittente. Il n’y a pas non plus de quotas obligés : au diable la parité des sexes ! Et pas de bonnes manières non plus : au diable la galanterie ! Je commencerai par le premier venu. Entre parenthèses, leur profession principale, réelle ou supposée et la langue dans laquelle ils s’expriment habituellement et dans laquelle vous avez donc le plus de chance (ou de malchance) de les lire, de les écouter :

- Anatoli Sharii (journaliste, russe)
- Dmitri Vassylets (entrepreneur, politicien, syndicaliste, journaliste, russe)
- Sergueï Karaganov (politicien plus doué pour la théorie que la pratique, russe, anglais parfois)
- Jacques Sapir (économiste, français)
- Tom Benoît (entrepreneur, économiste, français à l’accent gascon)
- Vladimir Poutine (espion, politicien, russe, bon en allemand aussi, paraît-il car je ne comprends pas cette langue)
- Mac Gregor dont le prénom est Douglas et non Colonel comme certains persistent à le prétendre perfidement (militaire, économiste, politicien, anglais avec accent américain)
- Alexander Mercouris (avocat, anglais anglais, possiblement grec si cette langue n’a pas déjà disparu)
- Big Serge (probablement historien, possiblement militaire, anglais)
- Jacques Baud (activités dites de renseignement, français avec à peine un léger accent vaudois, anglais compréhensible mais bien pénible pour l’auditeur)
- Scott Ritter (militaire, anglais américain)
- Andrei Martyanov (militaire, consultant aéronautique, anglais américain approximatif mais plaisamment comique avec un très gros accent, russe)
- Gilbert Doctorow (professeur de Dieu sait quoi, anglais américain mais sans accent, ni américain ni russe, russe)
- Rhod Mackenzie (entrepreneur, industriel, anglais avec des problèmes d’élocution, dus possiblement à son état de santé)
- Lena Petrova (économiste, anglais avec un léger accent étasunien, ce qui est bien normal puisqu’elle est … Étasunienne)
- Brian Berletic (militaire, ingénieur ?, anglais américain)
- Kevin Walmsley (entrepreneur, anglais américain)
- Alastair Crooke (diplomate, anglais anglais)
- Alain Foka (journaliste, français presque sans accent bien qu’il soit du Cameroun)
- Sean Foo (financier ? économiste ? Sean semble une américanisation de son prénom véritable, chinois sans doute avec un nom pareil, anglais grammaticalement correct mais rendu à l’oral presque incompréhensible par une prononciation défectueuse, sous-titres recommandés)
- Anastassia G (journaliste pour Think BRICS, très discrète sur son nom de famille et son origine, anglais rugueux avec un accent prononcé de l’Est, du Grand Est, suivez mon regard…)
- Yivgueni Super (réalisateur de programmes TV populaires, russe, à noter que Super est bien son nom de famille, pas un pseudonyme, CYПЕР en cyrillique)
- Pravin Sawhney (militaire, éditeur, auteur, anglais à l’accent indien typique, qui partage la palme des accents anglais les plus incompréhensibles avec l’anglais de Chine et l’anglais de France, il n’a même pas l’excuse des deux autres puisque l’anglais est pour ainsi dire la première langue des Indiens de bonne famille)
- Vijay Prashad (professeur de Dieu sait quoi, anglais moins bizarre à l’écoute que celui de son concitoyen Sawhney)
- Ben Norton (journaliste, anglais américain)
- Carl Zha (historien, anglais américain, chinois)
- Mark Sleboda (militaire, renseignements, anglais américain, russe)

dimanche 23 juin 2024

Isao Takahata : une longue montée vers la perfection


Isao Takahata est mort très récemment, en 2018, ce qui aurait fourni un excellent prétexte pour écrire cet article si seulement j’avais su qui il était. Le fait est que cet artiste remarquable m’était entièrement inconnu il y a de cela encore un an. Comme à peu près tout le monde qui s’intéresse à ce qui se fait de mieux dans l’univers du film d’animation, je connaissais assez bien depuis longtemps son collègue Miyazaki et ses nombreux films mais continuais d’ignorer sans le savoir le nom, l’existence et l’œuvre de Takahata.

Que Miyazaki ait pris toute la lumière par chez nous n’est pas étonnant : il a toutes les qualités ou tous les défauts que recherche avidement le public occidental, y compris français, de plus en plus influencé par le « goût » américain. Si on excepte le folklore proprement japonais qui ornemente certains de ses films, et encore bien peu, comme le très bon ‘Voyage de Chihiro’, l’esprit comme la matière principale des films de Miyazaki semble tiré de la littérature ou des légendes occidentales, parfois passées par le filtre déformant et fantaisiste de Disney. Un peu grossièrement, on peut dire que le cinéma de Miyazaki est composé selon les standards habituels d’Hollywood, soit 95% de pure fantaisie pour 5% d’ancrage dans le monde réel. Au fil du temps et, de toute évidence, de par la saine influence de Takahata, ce dernier pourcentage a été quelque peu révisé au-dessus de la dose homéopathique, mais sans que cette injection de réalisme n’atteigne la substance même de ses films. Aussi la découverte pour moi de Isao Takahata a été une double surprise. Car en plus de ses immenses qualités artistiques, les proportions chez lui sont presque l’inverse de celles chez son collègue de Ghibli. Même le fantastique le plus débridé de ‘Pompoko’ parvient à ne jamais se couper de la réalité quotidienne du Tokyoïte, aussi bien dans ses aspects psychologiques que politiques. Et cela pour une raison très simple : le réalisme est au cœur du propos de Takahata ; la forme peut changer radicalement selon les films — quel grand écart entre ‘Souvenirs goutte à goutte’ et ‘Pompoko’, pourtant réalisés à la suite, en trois ans à peine ! — mais le fond reste tout à fait cohérent.

Parlons donc un peu de la forme, également admirable chez ce réalisateur. C’est d’autant plus surprenant à première vue car Takahata, contrairement à Miyazaki, n’est ni animateur ni dessinateur. Or, une vision comparée même cursive de leur œuvre respective suffit à révéler l’énorme avantage en matière d’inventivité graphique pour le premier. Là où le style de Miyazaki ne s’éloigne jamais du standard de Ghibli, Takahata cherche les styles graphiques les mieux adaptés à son sujet. Cela peut sembler paradoxal, mais le pur plaisir du dessin, de la peinture, sont à trouver chez ce non-dessinateur. 

Enfin, un trait que j’apprécie particulièrement chez Takahata, un trait rare chez les artistes et chez les hommes en général, est qu’il n’aura cessé de se bonifier avec l’âge. Si on prend son premier film avec Ghibli et son dernier, la différence de qualité en faveur du dernier est criante, et cela à tous les niveaux, aussi bien artistiques que philosophiques si on ose dire. Et je ne parle même pas de sa longue carrière avant Ghibli, que je connais encore mal. Quelle heureuse stupeur de considérer que celui qui a commencé avec la série animée ‘Heidi’ a terminé avec ‘Le conte de la princesse Kuguya’, son chef d’œuvre, juste quelques années avant sa mort, alors qu’il avait déjà près de soixante-dix ans ! Combien d’exemples de ce type peut-on trouver dans toute l’histoire de l’art, même en ajustant l’âge de la vieillesse selon l’époque de l’artiste ?

Je vais maintenant passer en revue sa courte filmographie avec Ghibli et je terminerai donc par le meilleur.




Le tombeau des lucioles : pas le meilleur quoiqu’il soit déjà très bon. Le style graphique est standard pour le studio, avec juste une attention plus importante pour les petits détails qui font vrai. La volonté évidente de mélodramatisation a pour effet d’affaiblir et non de renforcer le propos. Les horreurs de la guerre n’ont pas besoin de cet artifice. On peut regretter aussi le discours à sens unique, à charge : la guerre est un grand révélateur pour l’être humain, et que ça plaise ou non, du meilleur comme du pire ; ici, je crains bien qu’on n’ait droit qu’au deuxième aspect en dehors des deux enfants. Reste malgré ces réserves une histoire centrale forte et une des meilleures évocations de la guerre dans le cadre d’un film d’animation. 




Souvenirs goutte à goutte : ici, l’intérêt du récit semble minimal. On est dans du cinéma vérité, naturaliste, apparenté à l’ancien cinéma italien et français (disparus aujourd’hui) qui semble avoir pour horizon indépassable le documentaire. On sait que Takahata était un grand admirateur de la culture européenne, tout particulièrement de la feue culture française, naturaliste par essence. Bien sûr, il s’agit d’une illusion soigneusement construite car ce type de récit ou d’écriture demande autant de soin et d’art que des drames extraordinaires. Il n’y a pas moins d’art chez Tolstoï que chez Shakespeare ou Cervantès. Mais l’effet est atteint dans l’ensemble et on croit à l’itinéraire banal de cette citadine vers une vie paysanne plus rêvée qu’authentique, jusqu’à ce que justement la réalité la rattrape. Je noterai en particulier la splendeur graphique de certaines scènes, comme la promenade des deux (ou trois ?) jeunes gens dans la lumière dorée du soleil couchant, tellement bien rendue dans les tons, les ombres et les lumières, la vibration même de l’air, qu’on s’y croirait. Quelqu’un me dit que le sourire de l’héroïne adulte est raté et la rend effrayante : c’est possible, je n’ai pas remarqué. Au final, je dirais que le second film de Takahata présente à peu près ses forces principales là où le premier montrait des faiblesses et réciproquement. Aucun mélo ici mais le récit manque un peu de force, d’intensité.




Pompoko : Son premier chef d’œuvre. L’histoire est originale et en grande partie de lui. L’animation et le graphisme sont encore améliorés par rapport à son film précédent pour atteindre des niveaux exceptionnels. Il est clair que lorsque Takahata fait confiance à un graphiste et à un animateur, il leur laisse une grande liberté, ce qui explique ce déferlement de trouvailles qu’on aurait bien de la peine à trouver chez les autres réalisateurs de Ghibli, sans parler évidemment de la standardisation d’une médiocrité accablante et toujours croissante de Disney. Et là où un Ocelot peut paraître parfois précieux, excessivement sophistiqué, Takahata vise toujours à l’efficacité narrative en plus de la splendeur visuelle. Le propos écologiste du récit est parfaitement contrebalancé par les réalités de la vie moderne. Les tanukis (des chiens viverrins en français) aux multiples niveaux de métamorphose sont les Indiens de Tokyo. Ils ont une seule alternative : s’adapter ou disparaître. Après un long combat, ils finiront par accepter l’inévitable, comme les renards magiques avant eux, non sans avoir essuyer de lourdes pertes en passant. Ce n’est pas sûrement pas un récit pour les idéalistes béats.




Nos voisins les Yamada : un virage à 180° (et non à 360° comme dirait Baerbock, une de nos crèmes d’idiotes) exécuté avec une maîtrise impressionnante. Ce film est adapté de ces bandes dessinées en trois (ou quatre ?) cases, très répandues à une époque dans les journaux de tous les pays ayant une culture de la bande dessinée et donc au Japon. C’est dire que le projet d’en faire un long métrage était une gageure. Takahata a opté pour la simplification graphique maximale, sauf pour quelques scènes imaginaires, et pour un style d’aquarelle très légère, proche du lavis (en fait recréé par PAO). J’imagine que ce style et sans doute les premières scènes à la narration fantastique (entremêlant événements du plus banal quotidien et délires phantasmatiques) a déconcerté le public japonais, habituellement meilleur juge des œuvres de Takahata. Le film a été un bide. C’est tout à fait dommage car il est excellent, en particulier quand il prend vraiment son rythme et son ton définitifs au bout du premier quart. Ce regard amusé, goguenard, souvent sarcastique, sur une famille japonaise somme toute assez typique, avec la grand-mère à la maison, en plus des deux enfants m’a davantage fait penser à Mafalda qu’à Snoopy, bien qu’il y ait un chien philosophe là aussi. On retrouve les mêmes qualités humaines et narratives que chez l’Argentin mais l’esprit est plus mordant et plus franchement comique. Cela vient sans doute du fait que la focale est bien plus mise sur le père de famille que sur la fillette, évidemment plus charmante, mais moins drôle que son géniteur. Celui-ci m’a fait penser à une caricature du père de l’héroïne dans ‘Souvenirs goutte à goutte’, aussi bien pour le physique que pour le moral, bien qu’il soit finalement plus humain et donc plus sympathique. Sa femme est également très drôle en bobonne un peu branque et la grand-mère n’est pas vraiment plus édifiante. Tous les personnages y compris le chien, très sobre, sont excellents. Personnellement, le film aurait pu durer une heure de plus sans que ça me dérange, bien au contraire. 



Le conte de la princesse Kaguya : il s’est passé dix ans entre le film précédent et celui-ci qui sera le dernier de Takahata. Comment expliquer un tel délai ? L’échec commercial du précédent ? Un découragement de l’auteur ? Je n’ai pas les réponses mais il y a sûrement quelque chose à creuser ici. En tout cas, une raison qui peut être écartée est le manque d’inspiration ou la perte de créativité de Takahata. Je le tiens pour le sommet de son œuvre, au moins période Ghibli (et j’ai beaucoup de peine à croire qu’il ait fait mieux avant). Le titre peut être trompeur en ce que le récit n’est ni vraiment merveilleux comme le terme conte pourrait le laisser croire et encore moins fantaisiste. Il s’agit plus d’une fable réaliste, où comme souvent avec l’auteur, le rêve enfantin doit finalement céder face aux dures leçons de la réalité. Est-ce que la leçon est triste ? Non. Mais c’est clairement la leçon inverse de celle de Peter Pan, ce curieux syndrome dont souffre, en plus de quelques autres encore plus épouvantables, une majorité de Nord-Américains et de pas mal d’Européens contaminés par l’américanisation de nos sociétés. Takahata démontre ici une épaisseur philosophique mariée avec une grâce artistique qui n’a pas d’égal, à ma connaissance, dans tout le cinéma d’animation.

Tous les films Ghibli de Takahata sont disponibles sur Netflix, par exemple. Voici le film promo pour la princesse Kaguya, qui ne donne qu'un très faible aperçu de la beauté narrative et visuelle du film: