dimanche 15 décembre 2024

Ma peinture du dimanche : l’Alpha et l’Oméga

 


    Eh bien oui, on est dimanche. La vérité vraie est que je ne dessine ou ne peins pas uniquement le dimanche. Mais presque. Et je me considère comme un peintre du dimanche, modérément talentueux et très peu savant.
    Ce que vous voyez ci-dessus n’est peut-être pas ce que j’ai commis de plus esthétique ou de plus abouti mais c’est mon thème de prédilection par excellence et je peux affirmer sans crainte d’être contredit que cette peinture est le sujet dont j’ai réalisé le plus de variantes tout au long de ma ‘carrière’ de dessinateur/peintre/graphiste ou tout autre dénomination qui vous plaira. 
    Vous me direz : mais qu’est-ce que c’est que ce sujet ?! Peut-être n’y voyez-vous qu’un gribouillage de couleurs hurlantes qui sent le schizo de l’asile local, une abstraction colorée qui fait mal aux yeux. Toutefois, au moins à mes yeux, ce n’est rien de tout cela. Je suis au contraire un figuratif forcené (un péché majeur et à dire vrai impardonnable pour toute école d’art contemporaine, pire que les musulmanes à ce sujet, tout du moins à l’époque où j’y suis passé). Pour vous donner une idée plus juste du ‘concept’ (ah, ah, un grand mot qui sent son charlatan moderne à dix mètres !), j’aurais pu l’appeler — et qui sait, peut-être l’ai-je fait ! — « Création 37 », 37 n’étant là que l’ordre de production, une sorte de numéro d’opus. Bon, je n’en ai pas peint réellement trente-sept variantes différentes du même sujet, je n’en sais rien, j’ai perdu le compte, peu m’importe.
    Le titre, tout hypothétique qu’il soit, est astucieux. En effet, la peinture se veut à la fois une représentation symbolique de l’acte créateur et une représentation littérale de la création cosmique, l’œuvre de Dieu. J’en ai fait d’autres variantes plus parlantes à cet égard comme celles que vous pouvez trouver ici. Ce numéro d’opus est probablement un de mes essais les plus sauvages, les plus spontanés, les plus primaires. Très peu de réflexion, beaucoup de mouvement, d’action comme disent les critiques d’art modernes.
    Mais trêve de bla-bla et décrivons la chose plus précisément. Le cercle noir au centre représente un trou noir, pas un simple trou noir mais un super super trou noir, qui avale les galaxies et peut-être même des amas de galaxies. C’est pourquoi on trouve une densité de points blancs scintillants — aussi bien des étoiles que des galaxies — croissante en allant vers ce centre. Dans d’autres versions (voir ici par exemple), j’ai remplacé le trou noir par un grand trou blanc, une fontaine blanche comme disent les cosmologues, une branche très imaginative des astrophysiciens, ou même par une tête humaine fantomatique (voir les exemples cités plus haut) pour une plus grande lisibilité de la métaphore. La version primitive que j’en ai tirée ici me semble la plus correcte du point de vue scientifique vu que les fontaines blanches sont à peu aussi scientifiques que l’abominable homme des neiges et que le créateur à tête d’homme l’est encore moins. On pourra critiquer mes étoiles qui scintillent beaucoup trop pour des objets cosmiques, mais rien après tout n’oblige à imaginer que la vue est prise depuis le vide intersidéral ; de plus, comme je l’ai dit, ce ne sont pas tant des étoiles que des galaxies, qui semblent souvent un peu floues pour l’œil humain. Le trou noir central est né d’une explosion colossale qui cherche évidemment à rappeler le big bang originel. On en voit encore les traces dans ces lignes de forces qui partent du cercle noir (et qui y convergent puisque c’est un trou noir, le grand aspirateur céleste). Dans cette version, on peut donc aussi bien voir le commencement que la fin de l’acte créateur, de l’univers. L’alpha et l’oméga. Ah, voilà un autre bon titre que j’aurais pu utiliser (et que j'utiliserai peut-être, qui sait?): l’Alpha et l’Oméga !
    Entrons maintenant dans la cuisine du créateur (sans majuscule, soyons modeste). Un autre péché abominé sinon abominable selon les écoles d’Art et plus spécialement encore les écoles d’aquarellistes est d’utiliser le noir. Le cas est encore plus grave quand on l’utilise, comme moi, comme couleur de base d’une aquarelle. Dans ce cas, le péché est vraiment inexpugnable et vous conduit directement en enfer (où le noir est en effet toléré et même vivement conseillé). Naturellement avec ça, vous devinez que je n’ai pas fait un long séjour dans les écoles d’art de ce pays.
    Il s’agit en effet d’une aquarelle. Tout au moins pour l’essentiel. La couleur de base est donc le noir, un vrai noir, ni froid ni chaud, type noir d’ivoire, pas même cet ersatz de noir que j’utilise parfois, le gris de Payne, quand je veux passer pour un docte peintre académique (ah, ah, c’est une blague !). Les trois autres couleurs utilisées, sorties du tube, pour cette variante sauvage et primaire, et bien sont justement primaires : le rouge, le bleu, le jaune. En fait, comme je ne suis pas complètement primaire, j’ai utilisé de l’ocre doré pour le jaune, un genre de cyan pour le bleu et du rose tyrien pour le rouge. Et naturellement, si vous appliquez ces couleurs sur un papier chiffon demi humide (précision pour les spécialistes), les couleurs se mélangent sur leurs bords là où elles s’intersectent, et vous pouvez donc apercevoir ici où là des verts, des mauves, des bleu plus sombres ou de l’or rouge. Une fois le papier sec, ce qui n’est guère long, j’ai appliqué le noir à grand coups de brosse demi sèche en partant du centre (mais en laissant une zone de blanc) ou par des projections humides. Puis j’ai appliqué des empreintes humides sur le papier sec (pas les miennes, celles de frites fraîchement coupées) et j’ai répandu ici et là des pigments (très secs donc) pour créer des formes aléatoires, évoquant le grand chaudron cosmique. Après les pigments, mieux vaut pulvériser du fixatif sur le papier : le réarrangement des pigments qui s’en suivra, de par le souffle de la bombe, ajoutera encore une petite part de hasard. Je suis en effet de ces croyants qui pensent que Dieu, le seul vrai créateur, se sert du hasard, à la marge certes, mais de façon très significative.
    Cette technique n’est pas enseignée et a peu de chance de l’être à l’Académie. Pourtant, elle a ses mérites et même de grands mérites, au moins à mes yeux. Difficile d’obtenir plus grand contraste dans le cadre d’une aquarelle, d’obtenir des couleurs plus transparentes, plus vives, dont l’éclat semble acéré par le noir qui les entoure. J’ai toujours pensé d’ailleurs que c’était ma version personnelle du vitrail.
    Pour finir, j’ai ajouté le trou noir et les galaxies (ou les étoiles) à l’ordi car s’il y a bien des formes que je suis incapable de dessiner à la main, ce sont des géométries parfaites du type cercle ou étoile.