Le totalitarisme que nous expérimentons aujourd’hui dans nos pays, dans l’UE tout spécialement, est difficile à reconnaître et c’est son grand point fort. Pour la plupart des gens, il est même impensable, exclus par le fait même que nous votons, tous à partir de la majorité, et encore même ça n’est pas une obligation (c’est dire à quel point nous sommes libres !). Comment une société pourrait-elle être totalitaire en ayant le suffrage universel ?!
Quel est le but d’un parti totalitaire ? Obtenir de la
population la conformité à certains modèles, certaines politiques, certaines
idées, qui deviennent alors des dogmes, même s’ils ne sont pas présentés ainsi,
et ceci par tous les moyens. La question de savoir si le moyen en question est
légal n’a pas de sens dans une société dominée par un tel parti car le parti
fabrique la légalité au fur et à mesure de ses besoins. Mais tous les moyens,
légaux ou pas, bien sûr n’ont pas la même efficacité. La violence d’Etat, "légalisée" par le fait même qu’elle vient de l’Etat, est très
efficace jusqu’à un certain point (il serait vraiment sot d’en douter tant les
exemples de sa "réussite" abondent dans le temps et dans l’espace).
Elle n’est vraiment efficace et durable que si la dissidence qui est la cible
de cette violence d’Etat est minoritaire dans le pays et de préférence très
minoritaire. Dans un pays où la population est majoritairement ou même pour
moitié opposée aux nouveaux dogmes en vigueur, la violence n’a ou plutôt ne
devrait avoir aucune chance de succès, même et surtout à court terme. Mais
encore faut-il que cette opposition soit active. Et c’est encore mieux si elle
est organisée. C’est à ça que servent les partis politiques dits
d’opposition : organiser l’opposition. Et c’est la raison pour laquelle
l’une des premières mesures prises par une société totalitaire est d’interdire
ou de circonvenir tous les partis d’opposition. Les médias n’ont qu’un rôle
organisateur secondaire mais leur rôle principal, celui de porte-voix, est
suffisant pour qu’ils soient mis au pas eux aussi, ou interdits pour ceux qui
s’opposent trop ouvertement.
Peut-être à ce moment pensez-vous que je parle de l’Ukraine,
puisque c’est un de mes sujets favoris ? Eh bien pas du tout. Je ne parle
pas ici de ce type de totalitarisme, je parle d’un tout nouveau totalitarisme.
Le totalitarisme ukrainien, c’est le totalitarisme à papa, et même à
grand-papa. Qui peut croire, qui peut prétendre que les Ukrainiens sont libres,
égaux et démocratiques, à part quelques politiciens médiocres, mais menteurs
patentés, qui d’ailleurs ne convainquent plus grand monde ? Le
totalitarisme là-bas est arrivé à son stade ultime où plus rien n’est dans
l’ombre, où tout se fait à la vue de tous, un peu comme dans l’autre camp de
concentration à ciel ouvert de Gaza. Mais il est vrai, indéniablement vrai, que
les Ukrainiens à une époque auraient pu arrêter la machine totalitaire
simplement en se levant, en disant non, car ils étaient assez nombreux pour ça.
Mais une grande partie de cette moitié est restée assise chez elle, sans mot
dire, pensant peut-être que ces idées allaient passer de mode, ou peut-être
qu’elles s’appliqueraient chez le voisin, pas chez soi. Et maintenant ils sont
en enfer, tous, même ceux qui pensaient être du "bon" côté.
L’Ukraine n’a rien d’européen à cet égard. Le totalitarisme
européen est d’un genre différent, beaucoup plus trompeur. Son but est le même
pourtant. Mais les moyens pour atteindre ce but sont différents. Dans l’esprit
de ses concepteurs, dans l’idéal disons, dans la théorie pure, dans sa beauté conceptuelle,
la violence ne devrait jamais être utilisée contre la dissidence. Premièrement
parce qu’elle n’est pas nécessaire. Et elle n’est pas nécessaire par ce que
d’autres méthodes ont été jugées plus efficaces : l’endoctrinement dès
l’enfance (appelée dans cette partie de l’UE l’Education Nationale),
l’omniprésence médiatique dispensatrice de la bonne parole, évidemment unique,
le contrôle dans l’ombre des réseaux sociaux, le contrôle dans l’ombre des
partis dits d’opposition, le contrôle dans l’ombre des postes clés. Tout cela
suffit pour limiter la dissidence à une minorité de la population, dix, vingt,
trente pour cent au grand maximum, qui plus est sans poids, sans organisation,
sans leviers de commandes. Et ce nouveau genre de totalitarisme peut s’arranger
d’une telle dissidence. « Ce n’est pas grave, laissons-les causer, cela
leur fait du bien et cela ne nous fait pas grand mal ». Eh bien jusqu’à un
certain point, elle pouvait s’en arranger, oui, mais ce point a été dépassé.
La seconde raison et la plus essentielle aux yeux de ses
concepteurs pour laquelle la violence d’Etat ne peut (ou ne devrait) être
employée est que ce serait comme d’abandonner le masque. Que le monde extérieur
sache que votre société est totalitaire n’est pas le plus grand problème, mais
que votre peuple le sache, voilà le problème ! Car la plus grande force de
ce type de totalitarisme est qu’il est en grande partie consenti et même
réclamé par les populations (mais oui ! songez au covid, ce laboratoire d’essai
tombé du ciel pour des aspirants dictateurs : quelle réussite
incontestable !) qu’il a pourtant desservies (dans leur grande majorité)
et qu’il continue à desservir. Pour expliquer à ces populations hallucinées que
leur niveau de vie baisse (et doit continuer de baisser) que leur droits
s’amenuisent comme peau de chagrin, que les services autrefois habituels de
l’Etat sont de plus en plus en chers et de moins moins performants, qu’elles
vont peut-être même devoir prendre les armes et sacrifier quelques pièces plus
ou moins dispensables de leur personne pour combattre l’ennemi de leur
merveilleuse démocratie, on leur montre du doigt cette Eurasia immense et
belliqueuse ou cette Eastasia lointaine et sournoise d’où proviennent tous les
maux. Le lien entre les deux n’est pas clair mais qu’importe : désigner un
bouc-émissaire est une stratégie vieille comme le monde, semble-t-il, et si
elle est toujours d’actualité, c’est bien parce qu’elle marche.
Dans ce type de totalitarisme, le contrôle des médias et des
partis d’opposition se fait par l’argent. Dans la théorie immaculée comme un
plan d’architecte, l’homme étant de la matière hautement corruptible, cela doit
suffire. Et dans les faits, cela suffit dans la grande majorité des cas. Les
médias existent toujours, nombreux, certains dit de gauche, d’autres dits de
droite ; les partis existent toujours, certains dits de gauche, d’autres
dits de droite. Mais de droite ou de gauche, ils sont tous dans le moule, dans
la Matrice, et leur opposition est aussi virtuelle que cette dernière. Leur
but, en plus de disséminer discrètement la bonne parole, est de servir
d’alibi : « vous voyez comme nous sommes libres et
démocratiques ! »
Il ne faut pas sous-estimer l’ennemi des peuples, cette
engeance parasitaire ultra-minoritaire qui a pris le pouvoir presque partout en
Europe et qui est l’instigateur de ce nouveau totalitarisme. Leur compétence en
matière d’économie, d’énergie, d’histoire, de sciences et même de géographie
est à peu près nulle. Mais leur compétence en électoralisme et en manipulation
des foules est considérable, née de siècles de pratique du paravent
démocratique. Leur efficacité pour faire adhérer leurs propres
populations à des politiques destructrices, qui n’ont qu’un seul but, maintenir
cette ultra-minorité au pouvoir au dépends du reste de la population, est
maximale.
Quels sont les signes que ce nouveau totalitarisme est
arrivé en bout de course ? Eh bien, j’ai déjà répondu en grande partie à
cette question : il commence à abandonner le masque de la vertu et à se
révéler pour ce qu’il est en réalité. Les incartades à sa prétendue vertu
démocratique sont de plus en plus nombreuses et de plus en plus visibles. Les
interdictions, intimidations, incarcérations même se multiplient, visant la
dissidence. Devant le flot sans cesse grandissant d’opposants non structurés,
cette horde indisciplinée qui n’a qu’un seul point commun, son mécontentement,
la panique au sein de la Matrice se fait sentir. L’ennemi commence à oublier
les principes même qui lui ont permis de prospérer. Il sape les fondements même
de sa légitimité, sa haute vertu démocratique, qui était en vérité sa seule
raison d’être. Il sape les derniers articles de foi que pouvaient garder sa
population-cœur, dont l’unité est le citoyen croyant laïque. Et en sapant cette
croyance, il lui ôte cette illusion si utile que lui, le peuple d’Europe
occidentale, est supérieur moralement sur tous les autres peuples de la Terre,
puisque cette supériorité était démontrée par sa démocratie sans pareille.
Est-ce à dire que le peuple va pouvoir enfin se débarrasser
de son parasite dans un avenir prévisible ? Hélas non. Le peuple d’Europe
est vieux, fatigué, sans repère, sans foi, bien trop nourri et a pris durant
ces décennies d’hallucination collective les mauvaises habitudes d’un (vieil)
enfant gâté. Rien ne dit qu’il ne fera pas le choix cynique de Judas, comme
dans cette scène parfaite de La Matrice (le film) où l’un des rebelles fait
sciemment le choix de trahir la révolution pour une entrecôte qu’il sait
pourtant être aussi virtuelle que son assiette et le décor luxueux mais confortable
qui l’entoure. « Moi, dit-il à l’agent Smith, voilà ce que j’aime. Votre
monde aussi faux soit-il, aussi monstrueux, me plait mieux que notre vrai vaisseau
puant la pisse et la sueur ; je me fiche de la réalité ; je me fiche
de l’avenir de l’Humanité. Resservez-moi donc un peu de ce délicieux Bourgogne
imaginaire ».