vendredi 7 mars 2014

Eros Paysagiste (1)

Nuit d’Ivresse









Le soir, quand l’ombre envahit le jardin aux cents terrasses,
Se fondent murmures et bribes de conversations.
La belle timide pourchassée implore la grâce
De la bête : un souffle porte l’écho de leur passion 
Plus haut, jusque vers les blanches coupoles du palais.
Le parc est public ; des amoureux rient sous la rotonde
Et des promeneuses ailées arpentent les allées
D’un bois, entre deux haies de charme où grouille tout un monde.
De virils baigneurs s’éclaboussent aux jets des fontaines,
Le bout d’un cigare ressemble à la lueur d’un lampyre :
C’est Mister Jake-Owl qui parle à la nuit et aux phalènes :
— Je crois que je viens de voir passer le premier vampire,
Dit-il, très grave. Une ombre lui répond : — C’est un moustique…
— Jamais… je n’ai entendu… de pareilles idioties,
Souffle alors plus loin la bête, d’une voix d’asthmatique.
Si c’est la peur qui vous fait inventer ces inepties,
Taisez-vous… Je vais vous dire la vérité, d’accord ?...
La vérité est que l’affreuse odeur de bigarade
A sur moi de fort vilains effets… Vous avez eu tort
De suivre les us… Vous dites que je vous rends malade ?
Et bien moi, vous me rendez complètement fou, madame !...
Mais voici les flâneuses dont le vent lève les traînes :
— Ce type a une façon de dévisager les femmes…
Heu… méditerranéenne — Méditerranéenne !?
Rugit Chloé fâchée, c’est la honte de la famille !...
— Vampire, ça n’est pas à la portée du premier venu,
Cher Jake-Owl, reprend l’inconnu dans l’ombre des charmilles,
Une silhouette géante qu’on dirait cornue.
Il faut du sang bleu, être snob, habiter un château
Sur les bords du Danube. Et surtout il faut être mort…
— Comme il considère notre sexe ! Un petit gâteau !
— Pauvre Mina, dit Lucie, ne l’as-tu pas vu encore
Loucher sur le col de Chloé en lui servant du vin ?
Il lui a dit aussi un mot ou deux, mais si bas
Que nul n’a compris : sans doute lui vantait-il son vin…
Un cru soit dit en passant digne d’un riche nabab…
Les amoureux soupirent : (lui) — Aimes-tu que je dise :
Tu es à moi ? — Oh, je suis à toi, mon agneau. Et j’aime
Que tu le dises, oui. Les mots sont comme des friandises,
Nos paroles sont les montures des baisers qu’on sème…
— Vous voulez dire non-mort ? — Excellent, mon cher Jake-Owl…
— N’empêche, cette petite a deux pétales de rose.
Je l’ai bien regardée : elle n’avait ni fards ni khôl
Et crois-moi, chérie, ces ingénues aux lèvres de rose
Ne sont chose aussi courante qu’on l’écrit dans les livres…
— Parle-moi encore. Ne dormons pas. Les nuits d’été
Sont faites pour les mots et les caresses qui enivrent…
— Chut ! Le voilà — Qui ça ? — L’homme qui nous a invités.
Tout se tait et s’arrête. Même le bestial amant
Retient son haleine, guettant le maître de la fête :
Des cornes de cerfs ornent son front — Mais c’est un géant !
S’écrie-t-on de partout — C’est donc lui, le roi, le poète !

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