Nuit d’Ivresse
Le
soir, quand l’ombre envahit le jardin aux cents terrasses,
Se
fondent murmures et bribes de conversations.
La
belle timide pourchassée implore la grâce
De la
bête : un souffle porte l’écho de leur passion
Plus
haut, jusque vers les blanches coupoles du palais.
Le parc
est public ; des amoureux rient sous la rotonde
Et des
promeneuses ailées arpentent les allées
D’un
bois, entre deux haies de charme où grouille tout un monde.
De
virils baigneurs s’éclaboussent aux jets des fontaines,
Le bout
d’un cigare ressemble à la lueur d’un lampyre :
C’est
Mister Jake-Owl qui parle à la nuit et aux phalènes :
— Je
crois que je viens de voir passer le premier vampire,
Dit-il,
très grave. Une ombre lui répond : — C’est un moustique…
—
Jamais… je n’ai entendu… de pareilles idioties,
Souffle
alors plus loin la bête, d’une voix d’asthmatique.
Si
c’est la peur qui vous fait inventer ces inepties,
Taisez-vous…
Je vais vous dire la vérité, d’accord ?...
La
vérité est que l’affreuse odeur de bigarade
A sur
moi de fort vilains effets… Vous avez eu tort
De
suivre les us… Vous dites que je vous rends malade ?
Et bien
moi, vous me rendez complètement fou, madame !...
Mais
voici les flâneuses dont le vent lève les traînes :
— Ce
type a une façon de dévisager les femmes…
Heu…
méditerranéenne — Méditerranéenne !?
Rugit
Chloé fâchée, c’est la honte de la famille !...
—
Vampire, ça n’est pas à la portée du premier venu,
Cher
Jake-Owl, reprend l’inconnu dans l’ombre des charmilles,
Une
silhouette géante qu’on dirait cornue.
Il faut
du sang bleu, être snob, habiter un château
Sur les
bords du Danube. Et surtout il faut être mort…
— Comme
il considère notre sexe ! Un petit gâteau !
—
Pauvre Mina, dit Lucie, ne l’as-tu pas vu encore
Loucher
sur le col de Chloé en lui servant du vin ?
Il lui
a dit aussi un mot ou deux, mais si bas
Que nul
n’a compris : sans doute lui vantait-il son vin…
Un cru
soit dit en passant digne d’un riche nabab…
Les
amoureux soupirent : (lui) — Aimes-tu que je dise :
Tu es à
moi ? — Oh, je suis à toi, mon agneau. Et j’aime
Que tu
le dises, oui. Les mots sont comme des friandises,
Nos
paroles sont les montures des baisers qu’on sème…
— Vous
voulez dire non-mort ? — Excellent, mon cher Jake-Owl…
—
N’empêche, cette petite a deux pétales de rose.
Je l’ai
bien regardée : elle n’avait ni fards ni khôl
Et
crois-moi, chérie, ces ingénues aux lèvres de rose
Ne sont
chose aussi courante qu’on l’écrit dans les livres…
—
Parle-moi encore. Ne dormons pas. Les nuits d’été
Sont
faites pour les mots et les caresses qui enivrent…
—
Chut ! Le voilà — Qui ça ? — L’homme qui nous a invités.
Tout se
tait et s’arrête. Même le bestial amant
Retient
son haleine, guettant le maître de la fête :
Des
cornes de cerfs ornent son front — Mais c’est un géant !
S’écrie-t-on de partout
— C’est donc lui, le roi, le poète !
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