Les
super-héros ont été un vrai trou noir pour la BD américaine
d'imagination depuis des temps presque immémoriaux. En fait depuis
la création de Superman et du Spirit de Will Eisner, ce qui fait
tout de même un sacré bout de temps. Néanmoins, le monde des
comics estimables avait résisté jusqu'à l'avènement au début des
années 70 des impitoyables crétins nommés Spiderman, Wonderman,
Ironman, etc. Ce qui est terrible, c'est qu'on ignore presque tout
des comics, vu d'Europe au moins, en dehors de ces pauvres types
habillés pour mardi gras. Et maintenant, c'est au tour du cinéma de
disparaître dans ce puits sans fond. Tout est aspiré vers le
néant : intelligence, subtilité, sensibilité, imagination,
créativité, poésie et pour finir talent. Ainsi, on pourrait citer
la liste des plus grands auteurs ou dessinateurs de bandes
imaginatives et s'apercevoir qu'ils ont presque tous dû passer avec
armes et bagages chez DC ou Marvel pour fabriquer à la chaîne les
histoires de leurs stupides personnages en costume moulant s'ils
voulaient vivre de leur métier. Oh bien sûr on me citera quelques
talents dans la bande : Will Eisner à une époque ou, par
exemple, Jack Kirby et son graphisme surpuissant. Soit. On pourra
même citer quelques grands résistants au projet d'abrutissement
généralisé, tel Moore et Gibbons pour leur Watchmen, une des plus
violentes critiques de ce type d'histoires. Soit encore, bien qu'on
puisse dire que DC joue sur les deux tableaux dans cette affaire, étant
l'éditeur dans le même temps de Batman et Cie. Et j'admets encore
que le Superman Returns de Singer est mieux que la moyenne ou que les
deux premiers Batman de Nolan ont du style. Mais ça ne change rien au
constat d'ensemble qui est que ces idiots costumés ont pratiquement
tout détruit sur leur passage, exactement comme ils le font des
villes ou des planètes qu'ils traversent.
Dans
ce monde de brute, je vais donc me faire, et vous faire j'espère, un
petit plaisir en invoquant les mannes de ces grands disparus qui
seront bien difficile à ressusciter dans cet âge de plomb (qui fait
suite à l'âge de bronze, qui fait lui-même suite à l'âge
d'argent, etc.)
Le
premier de tous, dans tous les sens, est forcément Windsor Mc Cay
pour son Little Nemo in Slumberland. L'imagination dans toute sa
splendeur. Des qualités de graphisme remarquables pour l'époque, pour n'importe quelle époque. Il
est toujours lisible aujourd'hui, avec plaisir, à condition de faire
un petit effort de départ pour entrer dans son monde (et à
condition d'éviter la dernière réédition mégalo de ses
aventures, presque impossible à manier, visiblement destinée pour
des géants de trois mètres).
Je
ne classe pas Flash Gordon parmi les super-héros, bien qu'il frôle
de près le genre. Mais il y a là-dedans une telle débauche de
qualités graphiques, de poésie naïve et d'imagination débridée
que je le vois plutôt dans le domaine de l'imaginaire au sens le
plus large. La preuve ci-dessous, par la grâce d'Al Williamson :
Frazetta
est certainement un des meilleurs dessinateurs à avoir œuvré dans
les comics. Il a vite préféré l'illustration et la peinture, ce
qu'on peut comprendre, les choses étant ce qu'elles étaient, et ce
qu'elles sont toujours, encore plus maintenant puisqu'il s'agissait
alors de l'âge d'or de la BD américaine.
Bernie
Wrightson est un monstre de talent, qui a lui aussi œuvré dans le
genre noir. Dans la planche ci-dessous, il n'a pas grand-chose à
envier à Breccia, question magie du noir et blanc, ce qui venant de moi, n'est pas peu dire.
Et
tiens, pour finir, je ne résiste pas à ce merveilleux dessin tiré
de son Frankenstein :