lundi 13 octobre 2025

Europe : le suicide économique comme une forme des Beaux-Arts

 

Rassurez les petits enfants, c'est une vision du passé... en Europe
(une des nombreuses usines d'Uralchem). 


En fait le suicide en cours n’est pas seulement cantonné à l’économie, loin de là, mais pour cet article je vais m’en tenir à ce domaine. Notez bien que le suicidaire ignore qu’il est en train de se suicider, sa tête étant farcie de fariboles sur à peu près tous les sujets d’importance ; non, le suicidaire croit agir pour la démocratie, pour les droits de l’homme, pour l’égalité, pour la liberté, pour la progrès, pour le climat, pour la planète et surtout pour sa vertu sans égale qui mérite bien tous les sacrifices du monde.

Et pour tuer efficacement une économie, on doit d’abord s’attaquer à sa source, son énergie. Commençons donc par l’éléphant dans la pièce. Quelqu’un a dit que l’économie n’était rien d’autre que de l’énergie transformée. Apparemment, cette maxime de bon sens n’a pas bien pénétré jusqu’aux augustes cerveaux des "leaders" européens (avec quelques exceptions mais ils comptent pour du beurre comme Orban ou Fitso). Le fait est que la précarité énergétique de l’Europe avait déjà été bien amorcée avec la politique verte du zéro carbone et du zéro nucléaire, poursuivie avec un zèle forcené, en particulier chez nos voisins d’outre-Rhin. Toutefois, ce n’est que peu de chose comparé à la coupure d’avec les gazoducs russes (en fait russo-allemands pour ce qui est des Nord-Stream I et II). On peut en effet sans crainte affirmer que Nord Stream I et II étaient l’actif le plus stratégique pour l’économie de l’Allemagne. Et quand l’économie de l’Allemagne ne gaze pas, c’est l’économie de l’Europe entière qui prend l’eau.

La séparation d’avec le gaz bon marché et fiable de Russie a eu lieu en plusieurs étapes. Je ne vais pas revenir sur l’explosion des Nord-Streams qui a autant à voir avec des pieds nickelés ukrainiens que la grippe espagnole a à voir avec l’Espagne. Il faut néanmoins comprendre une chose importante : si les "leaders" de l’UE font de grandes déclarations martiales contre le gaz (et le pétrole) Russe, ils sont beaucoup moins pressés dans les actes, conscients que cela pourrait être un cas de suicide flagrant, et que les populations ne sont peut-être pas prêtes encore à ce grand sacrifice pour le bonheur des petits oiseaux et de nos amis les loups ; c’est donc pour cette raison que l’ami américain, toujours prêt à rendre service à son prochain, a donné un coup de main et pressé la gâchette à la place du volontaire pour l’euthanasie. Actuellement, après l’arrêt, cette fois par les kiéviens, du gazoduc qui traverse l’Ukraine, il ne reste plus que le tuyau passant par la Turquie, un petit robinet comparé aux autres. On peut penser que même les bonnes relations d’Erdogan avec les US n’empêcheront pas ces derniers de concocter quelque explosion de ce côté, sans doute avec le concours de leurs âmes damnées de Kiev.

Le renchérissement abrupt du prix du gaz, et donc de l’électricité, a eu des répercussions presque immédiates sur l’Europe dans son ensemble et tout spécialement sur l’industrie germanique. Voyons les secteurs les plus touchés :

- Le secteur de la pétrochimie, un secteur peu glamour mais d’importance considérable pour une économie développée, fort logiquement a été le premier à mettre la clef sous la porte. L’image est à peine exagérée. Les plus grosses entreprises délocalisent, "restructurent" ou licencient à tour de bras, les plus petites disparaissent ou en fait ont déjà disparu. C’est probablement le secteur le plus gourmand en énergie. BASF, Solvay, Ineos, Sasol, Huntsman, Venator, Vivergo parmi d’autres ont déjà annoncé ou achevé la fermeture d’usines en Allemagne surtout et quelques-unes en France ou en Angleterre. Ce sont toutes des multinationales qui ont des usines dans le monde entier mais la tendance est très nette : elles ferment et licencient à tour de bras en Europe en espérant que celles situées aux USA et en Asie du Sud-Est les maintiennent à flot. Quant aux fameuses "restructurations", comme celle très publicisée de BASF (plus grosse entreprise pétrochimique mondiale, du moins à l’époque), c’est un mot code des industriels pour dire vente des actifs non rentables (si possible, sinon mise en liquidation) et licenciements à suivre. La raison de tout ça nous est donnée par la victime elle-même, ce qui est bien pratique : le Cefic (un club pour les industriels de la chimie européenne) remarque que le pris du gaz naturel en Europe est (en moyenne je suppose) plus de trois fois plus élevé qu’aux USA. Et ils n’ont pas utilisé les prix russes ou même chinois qui sont encore beaucoup plus bas.

- Le secteur de l’industrie lourde (aciéries en particulier) : ont le choix entre délocaliser et disparaître. Les plus faibles sont déjà liquidées, même pas rachetées, liquidées.

- Fortement lié à l’industrie lourde, le secteur de l’industrie navale civile : ainsi le plus ancien chantier naval d’Allemagne, Pella Sietas, situé à Hambourg, est arrivé cette année au stade du démantèlement final avec vente aux enchères des actifs restants, terrain compris. L’ironie gratinée de la chose est que ce chantier naval a été définitivement coulé par les sanctions prises par l’UE, et donc l’Allemagne, contre les banques russes, en particulier Sberbank, qui se trouvait être le créancier principal de l’entreprise vieille de quatre siècles, lui interdisant ainsi de pouvoir renflouer l’entreprise en faillite. Toujours la même histoire du serpent qui se mord la queue.

- Le secteur de l’automobile. La part du coût de l’énergie étant plus diluée que dans les deux précédents secteurs, l’halali a été un peu plus long à résonner au fond des chaînes d’assemblage. Depuis cette année, tous les groupes allemands sans exception annoncent fermetures d’usines (en Allemagne et en fait partout en Europe (voir Stellantis)) provisoires ou définitives, délocalisations, licenciements massifs. Ce n’est pas une surprise c’était prévu, ici par exemple. Mais tout ne s’est pas déroulé selon le plan (étasunien bien sûr, les Eurozonés n’ont pas de plan) ; en effet il semble que les délocalisés se tournent finalement plutôt vers la Chine que les US. Il est vrai qu’il faudrait une dose de masochisme considérable et tout à fait inhabituelle chez des industriels pour supporter les merveilleux deals successifs de l’illuminé de la Maison Blanche. On doit également signaler en passant la remarquable opération de Renault qui a vu, non seulement son second marché le plus important après la France disparaître en un coup de baquette magique de Von Der Leyen mais en plus a vu ses actifs russes vendus ou plutôt cédés pour un euro (ou rouble) symbolique à des entreprises russes automobiles (comme AVTOVAZ qui produit entre autres les Ladas).

- Le secteur du bois et de tous les produits transformés à base de bois. Très gourmand en énergie et… en bois, et devinez qui a les ressources les plus considérables et les moins onéreuses d’Europe pour la matière première bois : oui, ça commence par un R et ce n’est pas le Royaume-Uni. Ce n’est pas l’Allemagne la plus impactée cette fois mais la Finlande (et IKEA donc le consommateur européen). Comme j’ai déjà consacré tout un article à ce remarquable exemple de sabotage consenti de sa propre économie, je ne vais pas m’attarder.

- L’agriculture. Ce secteur est également bien impacté par les prix de l’énergie : le carburant pour les engins agricoles, les prix des intrants (engrais surtout) ont grimpé en flèches. Mais il y a un autre problème lié à ce secteur en particulier. L’Europe et la France sont presque exactement sur le même créneau que la Russie pour les exportations de produits agricoles. Hormis le vin (qui est produit dans les régions sud-ouest de la Russie mais très peu exporté), presque tous les autres produits sont en concurrence avec la Russie sur le marché mondial : grandes céréales hormis riz, colza, tournesol, soja (exportations russes en forte hausse), cochon, volailles, lait, œufs. Or, si vous bénéficiez de coûts d’exploitation nettement moindres grâce à des prix d’engrais et de carburant bien inférieurs, il n’y a pas besoin de sortir de Saint-Cyr, ou plutôt de l’INRAE, pour deviner que vous allez avoir de gros avantages concurrentiels. Et c’est ce qu’on constate : les anciens pays importateurs de produits agricoles estampillés UE, dont le fer de lance était la France, se tournent de plus en plus vers d’autres marchés et en premier lieu vers la Russie : voir l’Égypte, la Turquie, l’Algérie, tous grands importateurs de céréales en particulier, sans même parler évidemment de la Chine ou des pays du Sahel francophone. Notez encore que si des considérations politiques sont avancées par les leaders dans certains cas, ce n’est jamais la raison majeure mais toujours le prix : un politicien est toujours plus pragmatique quand il s’agit de nourrir sa population.

- Enfin, de manière plus anecdotique mais archétypique, on peut rajouter le secteur des batteries, qui est littéralement en train de disparaître d’Europe. BASF s’est déjà débarrassé de son secteur batteries et qui n’a pas entendu parler du destin aussi glorieux que fulgurant de Northvolt (Suède).

Il faut aussi noter que ces hausses de prix du gaz et de l’électricité sont durables et ne peuvent en fait qu’empirer (en moyenne) sur le long terme. Il n’y a en effet aucune solution de remplacement dans les quantités nécessaires. Le GNL sera toujours beaucoup plus cher que du gaz envoyé par tuyau : pourquoi pensez-vous que les Russes et les Chinois viennent de signer un accord pour la construction d’un immense gazoduc allant du nord de l’Oural au nord de la Chine ? Pour espérer diminuer quelque peu la note très salée du GNL, il faudrait que les pays de l’UE se décident à exploiter leurs gisements de gaz non conventionnels (de schiste ou autre) et en plus en aient les moyens. Y croyez-vous ? Pas moi. Ou alors aux calendes grecques.

Je viens de faire une liste non exhaustive de secteurs économiques européens qui ont été directement frappés par les sanctions antirusses concernant l’énergie mais d’autres effets plus indirects des sanctions se sont révélés au fil des mois et des années. Et bien que ces effets soient indirects, ils étaient parfaitement prévisibles pour un stratège du niveau certificat d’études.

- les compagnies aériennes : dans ce cas, ce n’est pas tant la hausse des coûts en carburant que le fait de ne plus pouvoir survoler la Russie qui les pénalise lourdement. Quand les Européens, après les US, ont décidé de ferme leur espace aérien à toutes les compagnies russes (et biélorusses), ils n’avaient évidemment pas songé que la Russie leur retournerait la politesse ; non, c’est très au-dessus de leur niveau. Et bien sûr, ils n’ont jamais regardé une mappemonde : c’est grand la Russie ! Ils ne pouvaient deviner que cela rajouterait des heures de vol pour un vol Paris-Tokyo ou pire un vol Helsinki-Pékin (ou comment transformer une ligne droite en demi-cercle) et renchériraient d’autant les coûts de leurs compagnies aériennes nationales. Toutes les compagnies européennes, hormis les low cost qui suppriment purement et simplement les destinations devenues non compétitives, sont en train de perdre de l’argent à la même vitesse que les compagnies chinoises ou extrême-orientales (minus les deux laquais du soleil levant) en gagnent, puisqu’elles continuent à survoler la Russie. Remarquons en passant que la mesure, poussée comme toujours par l’oncle Sam, est moins handicapante pour les USA, de par leur position géographique. Hé oui, c’est de la géopolitique à la portée d’un élève d’école primaire !

- L’aviation civile : l’effet cette fois est plus positif que négatif et se verra probablement sur le long, voire très long terme dans toute sa splendeur. Plus positif, oui, mais pour la Russie (et sans doute pour la Chine mais avec du retard). Comme vous le savez sans doute, l’UE après les USA a interdit toute importation d’avions civils et des innombrables pièces qui les composent vers la Russie. Cela paraissait une bonne idée sur le papier puisque les avions civils de marque russe (il y en a beaucoup) volaient (et volent encore aujourd’hui mais plus pour longtemps) avec des moteurs crées en joint-venture avec des entreprises françaises comme SAFRAN ou bien anglo-saxonnes. Le but était donc de clouer au sol tous les avions russes qu’ils soient des Boeing, Airbus, Tupoleff, Sukhoï, Yakovleff ou encore Iliouchine. Bon plan n’est-ce pas ? Eh bien pas tant que ça. À court et moyen termes, ce boycott a certainement handicapé l’aviation civile russe en faisant grimper les prix des pièces de rechange puisqu’il faut les acheter par l’intermédiaire de pays tiers qui prennent évidemment leur commission au passage. Mais à long terme, le calcul risque d’être terrible pour le duopole Airbus/Boeing. Le diable se niche dans les détails, dit-on. Et le petit détail que les génies de l’UE ou des US ont oublié, c’est que l’aéronautique est une spécialité incontestable des Russes. Si les Russes avaient abandonné ou disons mis au frigo leurs projets les plus ambitieux dans ce domaine durant les décennies 90 et 00, c’est juste qu’il était moins cher, plus simple et surtout moins risqué de se fournir chez Airbus ou Boeing. Concurrencer des marques aussi bien établies n’est pas une mince affaire. Aucune entreprise et pas même l’état russe n’avait jusqu’ici envie de relever le défi, du moins pas sérieusement. L’aviation civile suit des lois différentes de l’aviation militaire ; un chasseur ou un bombardier peut être moins fiable, plus coûteux à entretenir, plus gourmand en carburant et d’une manière général moins performant et pourtant se vendre… au moins dans son pays d’origine ; ce n’est pas possible pour des avions de ligne. Même vos propres compagnies aériennes n’en voudraient pas et avec raison car elles seraient coulées financièrement et réputationnellement (non, ce n’est pas dans le dico me dit Word mais on s’en fiche, hein). La puissance d’investissement nécessaire pour créer votre propre avion et le risque de perdre cet investissement sont considérables. Mais la Russie de 2022 et en fait de 2015 déjà a cet capacité d’investissement. Elle a aussi le savoir technologique, au moins égal en la matière avec nous autres. Ce qui lui manquait, c’était la motivation, la volonté de prendre ce risque. Eh bien avec cette sanction, on lui a fourni juste ce dont elle manquait. Dans les années à venir, pas dix ans hein, l’an prochain, deux ans au plus, les compagnies russes et biélorusses pour commencer vont acheter massivement les nouveaux avions mis au point depuis 2022 (en fait cela a commencé avant mais 2022 a été un gros coup d’accélérateur pour ce projet). Les tests sont pratiquement terminés et la construction en série de certains modèle a déjà débuté. Dans un premier temps, il s’agira de remplacer la flotte des Boeing et des Airbus vieillissants de leurs compagnies nationales mais on peut raisonnablement penser, sauf accident(s), qu’une fois que les avions auront fait leurs preuves, il y aura de nombreux clients du côté des pays d’Asie centrale, voire d’Asie orientale, possiblement de l’Afrique et de l’Amérique latine. Car je peux déjà vous annoncer un scoop : à performances égales ou légèrement supérieures, au moins sur le plan de leur consommation en carburant, ils seront nettement moins chers.

(Petite digression pour finir mais à peine : la Chine a aussi de grands projets dans ce secteur pour casser le duopole Airbus/Boeing. Elle a choisi une autre voie que la Russie. Au lieu de concevoir des avions entièrement domestiques comme cette dernière, elle importe de nombreuses pièces des USA et d’Europe. Ainsi le moteur et les principaux systèmes avioniques des COMAC 919 et 929 dont on cause pas mal dans les médias sont étasuniens et français. Cela paraissait raisonnable dans la situation de la Chine qui n’avait pas des rapports aussi conflictuels avec l’Occident que la Russie (même si la guerre économique contre le géant industriel asiatique a en fait commencé il y a déjà une décennie, sous Saint Obama). Mais la stratégie a ses risques et la Chine commence à s’en apercevoir. En effet, cette année, les USA ont décidé d’interdire toute importation vers la Chine de moteurs et autres systèmes habituellement fournis aux Chinois pour leurs COMACS. Et les moteurs des COMAC sont justement une joint-venture entre une entreprise française et une entreprise étasunienne (mais les étasuniens ne demanderont évidemment pas leur avis aux français et n’en ont pas besoin puisque les Français n’ont plus d’autre avis que celui de leur maître). Il est très peu probable que cette politique des USA change dans les prochaines années, au contraire, on voit qu’ils cherchent sans cesse l’escalade. Les Chinois se retrouvent donc avec une épée de Damoclès suspendue au-dessus de leurs avions civils tout neufs. Ils n’ont en fait que deux options : suivre l’exemple russe et créer un avion entièrement domestique (et donc indépendants des pressions étasuniennes) mais cela va repousser l’arrivée du COMAC sur le marché loin dans le futur ou bien convaincre les Russes de leur fournir les moteurs et autres pièces manquantes dès l’an prochain, ce qui n’est pas non plus gagné, vu que les Russes vont se servir d’abord eux-mêmes).

Avant de conclure ce bref exposé de la situation, je vais revenir plus en détail sur le secteur des engrais, qui n’est pas un secteur mineur de l’économie, puisqu’il détermine pour une bonne partie la récolte de l’agriculteur (oubliez un instant les contes bio pour petits enfants, très bien pour votre jardin, pas pour nourrir la population mondiale). Il faut d’abord remarquer que les engrais sont un des rares produits industriels synthétisés à partir de gaz naturel (contrairement au pétrole qui rentre dans la composition d’une foultitude de produits) Tous engrais compris, la Russie est le plus grand exportateur mondial. Pour vous donner une petite idée du marché, son premier client à lui seul, le Brésil, lui a rapporté plus de 4 milliards de dollars l’an passé (à noter que les USA se classaient toujours 4ème dans ce classement !). La production d’engrais de la Russie a exactement doublé entre 2008 et 2025 (selon les dernières estimations, la production russe et donc ses exportations prévisibles étant toujours en hausse). Le coût de la production d’engrais est lié pour une très grande part au gaz naturel puisqu’ils en découlent directement. En effet, pour prendre l’exemple des engrais nitratés, les plus importants en volume, ceux-ci sont fabriqués pour H par craquage du méthane tandis que le N s’obtient beaucoup plus facilement grâce à un produit en abondance de stock et en principe encore gratuit… l’air de cette planète. Donc le coût d’un engrais azoté est presque entièrement déterminé par le coût de craquage du méthane et donc par le prix du gaz naturel (80 % du coût des engrais nitratés). Il est donc très facile de comprendre pourquoi la Russie est idéalement placée sur ce marché, et pourquoi l’Europe, depuis quelques années, par un hasard étonnant, voit ses coûts de production flamber, rendant la production d’engrais maintenant impossible en pratique sauf massives subventions (mais en a-t-on encore les moyens ?... Les Allemands ont déjà répondu : c’est Nein). Le problème (pour l’habitant russe moyen) qui pourrait découler du fait que les engrais russes sont si demandés dans le monde est la hausse des prix induite. En effet, vous savez que plus un produit est demandé, plus son prix monte. Et comme les productions agriculturales continuent à augmenter de quelques pourcents par an au niveau mondial, la demande continue elle aussi de grimper. Alors comment font les Russes pour garder des prix modérés qui permettent à leur tour à leurs agriculteurs d’être très compétitifs sur le marché mondial ? Eh bien, c’est simple mais horrible à entendre pour un zélote de la main invisible du marché, l’état bloque les prix pour le marché domestique. En pratique comment cela fonctionne ? toujours très simplement : chaque producteur d’engrais russe est tenu d’abord de vendre un certain volume de sa production sur le marché intérieur selon un prix négocié avec l’état puis il est libre de vendre le restant sur le marché mondial au prix qu’il veut (selon les lois ordinaires de la libre concurrence). Or, en général, les exportations d’engrais russes représentent 70 % de la production : on voit donc que le producteur a largement de quoi se rattraper sur les Brésiliens, les Indiens, les Chinois, les Étasuniens, les Turcs, les Égyptiens, les Éthiopiens, les Algériens, les Indonésiens, Les Vietnamiens, les Laotiens, Les Guatémaltèques, les Burkinabés, les Malais, les Papous et me dit-on… une peuplade d’Eurasie extrême-occidentale en voie de tiermondisation, les Fran… Franciques… François… Français.

Ma conclusion serra celle-ci : ce qui marche indubitablement en Russie, maintenant, est un mélange bien dosé d’économie libérale (au sens anglo-saxon du terme, les Français ignorant dans la pratique ce que cela veut dire) et d’économie étatique (cela, les Français devraient le comprendre mieux que beaucoup d’autres). Tout le secteur de l’énergie est en Russie sous contrôle ou possession directe de l’état. Mais pas seulement. Le secteur de l’armée est un des monopoles naturels de l’état (cela vaut mieux si vous ne voulez pas arriver à des aberrations comme le système mic étasunien qui fabrique, blanchit et recycle maintenant plus d’argent que d’armes). Le secteur des transports, y compris spatiaux, et pas uniquement à des fins militaires, est aussi contrôlé en grande part par l’état. Mais aussi le secteur des télécommunications. Mais encore le secteur bancaire, du moins pour les plus grosses banques type Sberbank. Remarquez que rien de tout cela ne doit choquer un Français. Sans être particulièrement féru d’Histoire, vous devez savoir que tout cela se faisait dans notre pays il y a en fait encore peu, jusqu’à ce que Mitterrand puis Chirac commencent la « libéralisation » de ces secteurs, c’est-à-dire en bon français, la vente à bon marché aux copains. Savez-vous que BNP était une banque essentiellement contrôlée par l’état jusque dans les années 80 ? Savez-vous que SAFRAN vient de la SNECMA, entreprise d’état, qu’Alstom vient d’une autre entreprise d’état, la CGE (Compagnie générale d’Electricité), que France Telecom, Renault ou l’ancêtre de Framatome/Areva, le CEA, sont ou étaient des entreprises publiques ? Eh bien, d’après vous, c’était mieux avant ou après ?