Rassurez les petits enfants, c'est une vision du passé... en Europe (une des nombreuses usines d'Uralchem). |
En fait le suicide en cours
n’est pas seulement cantonné à l’économie, loin de là, mais pour cet article je
vais m’en tenir à ce domaine. Notez bien que le suicidaire ignore qu’il est en
train de se suicider, sa tête étant farcie de fariboles sur à peu près tous les
sujets d’importance ; non, le suicidaire croit agir pour la démocratie,
pour les droits de l’homme, pour l’égalité, pour la liberté, pour la progrès, pour
le climat, pour la planète et surtout pour sa vertu sans égale qui mérite bien
tous les sacrifices du monde.
Et pour tuer efficacement une
économie, on doit d’abord s’attaquer à sa source, son énergie. Commençons donc par
l’éléphant dans la pièce. Quelqu’un a dit que l’économie n’était rien d’autre
que de l’énergie transformée. Apparemment, cette maxime de bon sens n’a pas bien
pénétré jusqu’aux augustes cerveaux des "leaders" européens (avec
quelques exceptions mais ils comptent pour du beurre comme Orban ou Fitso). Le
fait est que la précarité énergétique de l’Europe avait déjà été bien amorcée
avec la politique verte du zéro carbone et du zéro nucléaire, poursuivie avec
un zèle forcené, en particulier chez nos voisins d’outre-Rhin. Toutefois, ce
n’est que peu de chose comparé à la coupure d’avec les gazoducs russes (en fait
russo-allemands pour ce qui est des Nord-Stream I et II). On peut en effet sans
crainte affirmer que Nord Stream I et II étaient l’actif le plus stratégique
pour l’économie de l’Allemagne. Et quand l’économie de l’Allemagne ne gaze pas,
c’est l’économie de l’Europe entière qui prend l’eau.
La séparation d’avec le gaz bon
marché et fiable de Russie a eu lieu en plusieurs étapes. Je ne vais pas
revenir sur l’explosion des Nord-Streams qui a autant à voir avec des pieds
nickelés ukrainiens que la grippe espagnole a à voir avec l’Espagne. Il faut
néanmoins comprendre une chose importante : si les "leaders" de l’UE font de grandes déclarations martiales contre le gaz (et le pétrole)
Russe, ils sont beaucoup moins pressés dans les actes, conscients que cela pourrait
être un cas de suicide flagrant, et que les populations ne sont peut-être pas
prêtes encore à ce grand sacrifice pour le bonheur des petits oiseaux et de nos
amis les loups ; c’est donc pour cette raison que l’ami américain,
toujours prêt à rendre service à son prochain, a donné un coup de main et
pressé la gâchette à la place du volontaire pour l’euthanasie. Actuellement,
après l’arrêt, cette fois par les kiéviens, du gazoduc qui traverse l’Ukraine,
il ne reste plus que le tuyau passant par la Turquie, un petit robinet comparé
aux autres. On peut penser que même les bonnes relations d’Erdogan avec les US
n’empêcheront pas ces derniers de concocter quelque explosion de ce côté, sans
doute avec le concours de leurs âmes damnées de Kiev.
Le renchérissement abrupt du
prix du gaz, et donc de l’électricité, a eu des répercussions presque
immédiates sur l’Europe dans son ensemble et tout spécialement sur l’industrie
germanique. Voyons les secteurs les plus touchés :
- Le secteur de la pétrochimie,
un secteur peu glamour mais d’importance considérable pour une économie
développée, fort logiquement a été le premier à mettre la clef sous la porte.
L’image est à peine exagérée. Les plus grosses entreprises délocalisent, "restructurent" ou licencient à tour de bras, les plus petites
disparaissent ou en fait ont déjà disparu. C’est probablement le secteur le
plus gourmand en énergie. BASF, Solvay, Ineos, Sasol, Huntsman, Venator,
Vivergo parmi d’autres ont déjà annoncé ou achevé la fermeture d’usines en
Allemagne surtout et quelques-unes en France ou en Angleterre. Ce sont toutes
des multinationales qui ont des usines dans le monde entier mais la tendance
est très nette : elles ferment et licencient à tour de bras en Europe en
espérant que celles situées aux USA et en Asie du Sud-Est les maintiennent à
flot. Quant aux fameuses "restructurations", comme celle très
publicisée de BASF (plus grosse entreprise pétrochimique mondiale, du moins à l’époque),
c’est un mot code des industriels pour dire vente des actifs non rentables (si
possible, sinon mise en liquidation) et licenciements à suivre. La raison de
tout ça nous est donnée par la victime elle-même, ce qui est bien pratique :
le Cefic (un club pour les industriels de la chimie européenne) remarque que le
pris du gaz naturel en Europe est (en moyenne je suppose) plus de trois fois
plus élevé qu’aux USA. Et ils n’ont pas utilisé les prix russes ou même chinois
qui sont encore beaucoup plus bas.
- Le secteur de l’industrie
lourde (aciéries en particulier) : ont le choix entre délocaliser et
disparaître. Les plus faibles sont déjà liquidées, même pas rachetées,
liquidées.
- Fortement lié à l’industrie
lourde, le secteur de l’industrie navale civile : ainsi le plus ancien
chantier naval d’Allemagne, Pella Sietas, situé à Hambourg, est arrivé cette
année au stade du démantèlement final avec vente aux enchères des actifs
restants, terrain compris. L’ironie gratinée de la chose est que ce chantier
naval a été définitivement coulé par les sanctions prises par l’UE, et donc
l’Allemagne, contre les banques russes, en particulier Sberbank, qui se
trouvait être le créancier principal de l’entreprise vieille de quatre siècles,
lui interdisant ainsi de pouvoir renflouer l’entreprise en faillite. Toujours
la même histoire du serpent qui se mord la queue.
- Le secteur de l’automobile. La
part du coût de l’énergie étant plus diluée que dans les deux précédents
secteurs, l’halali a été un peu plus long à résonner au fond des chaînes
d’assemblage. Depuis cette année, tous les groupes allemands sans exception
annoncent fermetures d’usines (en Allemagne et en fait partout en Europe (voir
Stellantis)) provisoires ou définitives, délocalisations, licenciements
massifs. Ce n’est pas une surprise c’était prévu, ici par exemple. Mais
tout ne s’est pas déroulé selon le plan (étasunien bien sûr, les Eurozonés
n’ont pas de plan) ; en effet il semble que les délocalisés se tournent finalement
plutôt vers la Chine que les US. Il est vrai qu’il faudrait une dose de
masochisme considérable et tout à fait inhabituelle chez des industriels pour
supporter les merveilleux deals successifs de l’illuminé de la Maison Blanche.
On doit également signaler en passant la remarquable opération de Renault qui a
vu, non seulement son second marché le plus important après la France
disparaître en un coup de baquette magique de Von Der Leyen mais en plus a vu
ses actifs russes vendus ou plutôt cédés pour un euro (ou rouble) symbolique à
des entreprises russes automobiles (comme AVTOVAZ qui produit entre autres les
Ladas).
- Le secteur du bois et de tous
les produits transformés à base de bois. Très gourmand en énergie et… en bois,
et devinez qui a les ressources les plus considérables et les moins onéreuses
d’Europe pour la matière première bois : oui, ça commence par un R et ce
n’est pas le Royaume-Uni. Ce n’est pas l’Allemagne la plus impactée cette fois mais
la Finlande (et IKEA donc le consommateur européen). Comme j’ai déjà consacré
tout un article à ce remarquable exemple de sabotage consenti de sa
propre économie, je ne vais pas m’attarder.
- L’agriculture. Ce secteur est
également bien impacté par les prix de l’énergie : le carburant pour les
engins agricoles, les prix des intrants (engrais surtout) ont grimpé en
flèches. Mais il y a un autre problème lié à ce secteur en particulier. L’Europe
et la France sont presque exactement sur le même créneau que la Russie pour les
exportations de produits agricoles. Hormis le vin (qui est produit dans les
régions sud-ouest de la Russie mais très peu exporté), presque tous les autres
produits sont en concurrence avec la Russie sur le marché mondial :
grandes céréales hormis riz, colza, tournesol, soja (exportations russes en
forte hausse), cochon, volailles, lait, œufs. Or, si vous bénéficiez de coûts
d’exploitation nettement moindres grâce à des prix d’engrais et de carburant
bien inférieurs, il n’y a pas besoin de sortir de Saint-Cyr, ou plutôt de
l’INRAE, pour deviner que vous allez avoir de gros avantages concurrentiels. Et
c’est ce qu’on constate : les anciens pays importateurs de produits
agricoles estampillés UE, dont le fer de lance était la France, se tournent de
plus en plus vers d’autres marchés et en premier lieu vers la Russie :
voir l’Égypte, la Turquie, l’Algérie, tous grands importateurs de céréales en
particulier, sans même parler évidemment de la Chine ou des pays du Sahel
francophone. Notez encore que si des considérations politiques sont avancées
par les leaders dans certains cas, ce n’est jamais la raison majeure mais
toujours le prix : un politicien est toujours plus pragmatique quand il
s’agit de nourrir sa population.
- Enfin, de manière plus
anecdotique mais archétypique, on peut rajouter le secteur des batteries, qui
est littéralement en train de disparaître d’Europe. BASF s’est déjà débarrassé
de son secteur batteries et qui n’a pas entendu parler du destin aussi glorieux
que fulgurant de Northvolt (Suède).
Il faut aussi noter que ces
hausses de prix du gaz et de l’électricité sont durables et ne peuvent en fait
qu’empirer (en moyenne) sur le long terme. Il n’y a en effet aucune solution de
remplacement dans les quantités nécessaires. Le GNL sera toujours beaucoup plus
cher que du gaz envoyé par tuyau : pourquoi pensez-vous que les Russes et
les Chinois viennent de signer un accord pour la construction d’un immense
gazoduc allant du nord de l’Oural au nord de la Chine ? Pour espérer
diminuer quelque peu la note très salée du GNL, il faudrait que les pays de
l’UE se décident à exploiter leurs gisements de gaz non conventionnels (de
schiste ou autre) et en plus en aient les moyens. Y croyez-vous ? Pas moi.
Ou alors aux calendes grecques.
Je viens de faire une liste non
exhaustive de secteurs économiques européens qui ont été directement frappés
par les sanctions antirusses concernant l’énergie mais d’autres effets plus
indirects des sanctions se sont révélés au fil des mois et des années. Et bien
que ces effets soient indirects, ils étaient parfaitement prévisibles pour un
stratège du niveau certificat d’études.
- les compagnies
aériennes : dans ce cas, ce n’est pas tant la hausse des coûts en
carburant que le fait de ne plus pouvoir survoler la Russie qui les pénalise
lourdement. Quand les Européens, après les US, ont décidé de ferme leur espace
aérien à toutes les compagnies russes (et biélorusses), ils n’avaient
évidemment pas songé que la Russie leur retournerait la politesse ; non,
c’est très au-dessus de leur niveau. Et bien sûr, ils n’ont jamais regardé une
mappemonde : c’est grand la Russie ! Ils ne pouvaient deviner que
cela rajouterait des heures de vol pour un vol Paris-Tokyo ou pire un vol
Helsinki-Pékin (ou comment transformer une ligne droite en demi-cercle) et
renchériraient d’autant les coûts de leurs compagnies aériennes nationales.
Toutes les compagnies européennes, hormis les low cost qui suppriment purement
et simplement les destinations devenues non compétitives, sont en train de
perdre de l’argent à la même vitesse que les compagnies chinoises ou
extrême-orientales (minus les deux laquais du soleil levant) en gagnent, puisqu’elles
continuent à survoler la Russie. Remarquons en passant que la mesure, poussée
comme toujours par l’oncle Sam, est moins handicapante pour les USA, de par
leur position géographique. Hé oui, c’est de la géopolitique à la portée d’un
élève d’école primaire !
- L’aviation civile :
l’effet cette fois est plus positif que négatif et se verra probablement sur le
long, voire très long terme dans toute sa splendeur. Plus positif, oui, mais
pour la Russie (et sans doute pour la Chine mais avec du retard). Comme vous le
savez sans doute, l’UE après les USA a interdit toute importation d’avions
civils et des innombrables pièces qui les composent vers la Russie. Cela
paraissait une bonne idée sur le papier puisque les avions civils de marque
russe (il y en a beaucoup) volaient (et volent encore aujourd’hui mais plus
pour longtemps) avec des moteurs crées en joint-venture avec des entreprises
françaises comme SAFRAN ou bien anglo-saxonnes. Le but était donc de clouer au
sol tous les avions russes qu’ils soient des Boeing, Airbus, Tupoleff, Sukhoï,
Yakovleff ou encore Iliouchine. Bon plan n’est-ce pas ? Eh bien pas tant
que ça. À court et moyen termes, ce boycott a certainement handicapé l’aviation
civile russe en faisant grimper les prix des pièces de rechange puisqu’il faut
les acheter par l’intermédiaire de pays tiers qui prennent évidemment leur
commission au passage. Mais à long terme, le calcul risque d’être terrible pour
le duopole Airbus/Boeing. Le diable se niche dans les détails, dit-on. Et le
petit détail que les génies de l’UE ou des US ont oublié, c’est que
l’aéronautique est une spécialité incontestable des Russes. Si les Russes
avaient abandonné ou disons mis au frigo leurs projets les plus ambitieux dans
ce domaine durant les décennies 90 et 00, c’est juste qu’il était moins cher,
plus simple et surtout moins risqué de se fournir chez Airbus ou Boeing. Concurrencer
des marques aussi bien établies n’est pas une mince affaire. Aucune entreprise
et pas même l’état russe n’avait jusqu’ici envie de relever le défi, du moins
pas sérieusement. L’aviation civile suit des lois différentes de l’aviation
militaire ; un chasseur ou un bombardier peut être moins fiable, plus
coûteux à entretenir, plus gourmand en carburant et d’une manière général moins
performant et pourtant se vendre… au moins dans son pays d’origine ; ce
n’est pas possible pour des avions de ligne. Même vos propres compagnies
aériennes n’en voudraient pas et avec raison car elles seraient coulées
financièrement et réputationnellement (non, ce n’est pas dans le dico me dit
Word mais on s’en fiche, hein). La puissance d’investissement nécessaire pour
créer votre propre avion et le risque de perdre cet investissement sont
considérables. Mais la Russie de 2022 et en fait de 2015 déjà a cet capacité
d’investissement. Elle a aussi le savoir technologique, au moins égal en la
matière avec nous autres. Ce qui lui manquait, c’était la motivation, la
volonté de prendre ce risque. Eh bien avec cette sanction, on lui a fourni
juste ce dont elle manquait. Dans les années à venir, pas dix ans hein, l’an
prochain, deux ans au plus, les compagnies russes et biélorusses pour commencer
vont acheter massivement les nouveaux avions mis au point depuis 2022 (en fait
cela a commencé avant mais 2022 a été un gros coup d’accélérateur pour ce
projet). Les tests sont pratiquement terminés et la construction en série de
certains modèle a déjà débuté. Dans un premier temps, il s’agira de remplacer
la flotte des Boeing et des Airbus vieillissants de leurs compagnies nationales
mais on peut raisonnablement penser, sauf accident(s), qu’une fois que les
avions auront fait leurs preuves, il y aura de nombreux clients du côté des
pays d’Asie centrale, voire d’Asie orientale, possiblement de l’Afrique et de
l’Amérique latine. Car je peux déjà vous annoncer un scoop : à performances
égales ou légèrement supérieures, au moins sur le plan de leur consommation en
carburant, ils seront nettement moins chers.
(Petite digression pour finir mais
à peine : la Chine a aussi de grands projets dans ce secteur pour casser
le duopole Airbus/Boeing. Elle a choisi une autre voie que la Russie. Au lieu
de concevoir des avions entièrement domestiques comme cette dernière, elle
importe de nombreuses pièces des USA et d’Europe. Ainsi le moteur et les
principaux systèmes avioniques des COMAC 919 et 929 dont on cause pas mal dans
les médias sont étasuniens et français. Cela paraissait raisonnable dans la
situation de la Chine qui n’avait pas des rapports aussi conflictuels avec
l’Occident que la Russie (même si la guerre économique contre le géant
industriel asiatique a en fait commencé il y a déjà une décennie, sous Saint
Obama). Mais la stratégie a ses risques et la Chine commence à s’en apercevoir.
En effet, cette année, les USA ont décidé d’interdire toute importation vers la
Chine de moteurs et autres systèmes habituellement fournis aux Chinois pour
leurs COMACS. Et les moteurs des COMAC sont justement une joint-venture entre
une entreprise française et une entreprise étasunienne (mais les étasuniens ne
demanderont évidemment pas leur avis aux français et n’en ont pas besoin
puisque les Français n’ont plus d’autre avis que celui de leur maître). Il est
très peu probable que cette politique des USA change dans les prochaines
années, au contraire, on voit qu’ils cherchent sans cesse l’escalade. Les
Chinois se retrouvent donc avec une épée de Damoclès suspendue au-dessus de
leurs avions civils tout neufs. Ils n’ont en fait que deux options :
suivre l’exemple russe et créer un avion entièrement domestique (et donc
indépendants des pressions étasuniennes) mais cela va repousser l’arrivée du
COMAC sur le marché loin dans le futur ou bien convaincre les Russes de leur
fournir les moteurs et autres pièces manquantes dès l’an prochain, ce qui n’est
pas non plus gagné, vu que les Russes vont se servir d’abord eux-mêmes).
Avant de conclure ce bref exposé
de la situation, je vais revenir plus en détail sur le secteur des engrais, qui
n’est pas un secteur mineur de l’économie, puisqu’il détermine pour une bonne
partie la récolte de l’agriculteur (oubliez un instant les contes bio pour
petits enfants, très bien pour votre jardin, pas pour nourrir la population
mondiale). Il faut d’abord remarquer que les engrais sont un des rares produits
industriels synthétisés à partir de gaz naturel (contrairement au pétrole qui rentre
dans la composition d’une foultitude de produits) Tous engrais compris, la
Russie est le plus grand exportateur mondial. Pour vous donner une petite idée
du marché, son premier client à lui seul, le Brésil, lui a rapporté plus de 4
milliards de dollars l’an passé (à noter que les USA se classaient toujours 4ème
dans ce classement !). La production d’engrais de la Russie a exactement
doublé entre 2008 et 2025 (selon les dernières estimations, la production russe
et donc ses exportations prévisibles étant toujours en hausse). Le coût de la
production d’engrais est lié pour une très grande part au gaz naturel
puisqu’ils en découlent directement. En effet, pour prendre l’exemple des
engrais nitratés, les plus importants en volume, ceux-ci sont fabriqués pour H
par craquage du méthane tandis que le N s’obtient beaucoup plus facilement
grâce à un produit en abondance de stock et en principe encore gratuit… l’air
de cette planète. Donc le coût d’un engrais azoté est presque entièrement
déterminé par le coût de craquage du méthane et donc par le prix du gaz naturel
(80 % du coût des engrais nitratés). Il est donc très facile de comprendre
pourquoi la Russie est idéalement placée sur ce marché, et pourquoi l’Europe,
depuis quelques années, par un hasard étonnant, voit ses coûts de production
flamber, rendant la production d’engrais maintenant impossible en pratique sauf
massives subventions (mais en a-t-on encore les moyens ?... Les Allemands
ont déjà répondu : c’est Nein). Le problème (pour l’habitant russe moyen) qui
pourrait découler du fait que les engrais russes sont si demandés dans le monde
est la hausse des prix induite. En effet, vous savez que plus un produit est
demandé, plus son prix monte. Et comme les productions agriculturales
continuent à augmenter de quelques pourcents par an au niveau mondial, la
demande continue elle aussi de grimper. Alors comment font les Russes pour
garder des prix modérés qui permettent à leur tour à leurs agriculteurs d’être
très compétitifs sur le marché mondial ? Eh bien, c’est simple mais
horrible à entendre pour un zélote de la main invisible du marché, l’état
bloque les prix pour le marché domestique. En pratique comment cela
fonctionne ? toujours très simplement : chaque producteur d’engrais russe
est tenu d’abord de vendre un certain volume de sa production sur le marché
intérieur selon un prix négocié avec l’état puis il est libre de vendre le
restant sur le marché mondial au prix qu’il veut (selon les lois ordinaires de
la libre concurrence). Or, en général, les exportations d’engrais russes
représentent 70 % de la production : on voit donc que le producteur a
largement de quoi se rattraper sur les Brésiliens, les Indiens, les Chinois,
les Étasuniens, les Turcs, les Égyptiens, les Éthiopiens, les Algériens, les
Indonésiens, Les Vietnamiens, les Laotiens, Les Guatémaltèques, les Burkinabés,
les Malais, les Papous et me dit-on… une peuplade d’Eurasie extrême-occidentale
en voie de tiermondisation, les Fran… Franciques… François… Français.
Ma conclusion serra
celle-ci : ce qui marche indubitablement en Russie, maintenant, est un
mélange bien dosé d’économie libérale (au sens anglo-saxon du terme, les
Français ignorant dans la pratique ce que cela veut dire) et d’économie
étatique (cela, les Français devraient le comprendre mieux que beaucoup
d’autres). Tout le secteur de l’énergie est en Russie sous contrôle ou
possession directe de l’état. Mais pas seulement. Le secteur de l’armée est un
des monopoles naturels de l’état (cela vaut mieux si vous ne voulez pas arriver
à des aberrations comme le système mic étasunien qui fabrique, blanchit et
recycle maintenant plus d’argent que d’armes). Le secteur des transports, y
compris spatiaux, et pas uniquement à des fins militaires, est aussi contrôlé
en grande part par l’état. Mais aussi le secteur des télécommunications. Mais encore
le secteur bancaire, du moins pour les plus grosses banques type Sberbank.
Remarquez que rien de tout cela ne doit choquer un Français. Sans être
particulièrement féru d’Histoire, vous devez savoir que tout cela se faisait
dans notre pays il y a en fait encore peu, jusqu’à ce que Mitterrand puis
Chirac commencent la « libéralisation » de ces secteurs, c’est-à-dire
en bon français, la vente à bon marché aux copains. Savez-vous que BNP était
une banque essentiellement contrôlée par l’état jusque dans les années
80 ? Savez-vous que SAFRAN vient de la SNECMA, entreprise d’état, qu’Alstom
vient d’une autre entreprise d’état, la CGE (Compagnie générale d’Electricité),
que France Telecom, Renault ou l’ancêtre de Framatome/Areva, le CEA, sont ou
étaient des entreprises publiques ? Eh bien, d’après vous, c’était mieux
avant ou après ?