jeudi 13 novembre 2025

L’essentiel de Gene Wolfe, partie I : phase ascendante 19.. ?- 1983


 


    La trajectoire littéraire de Gene Wolfe décrit une belle parabole, classique, bien équilibrée. Classique car hormis quelques évolutions atypiques qui ressemblent plutôt à des sinusoïdes, la parabole est la courbe normale représentant l’évolution des artistes et en fait, de la majorité des hommes qui vivent assez longtemps pour ça. Parfois le sommet de la parabole est plus proche du début de carrière et parfois de la fin de carrière, c’est-à-dire souvent de vie — le cas idéal selon moi mais très rare étant celui où le sommet tend à coïncider avec la mort de l’auteur. Pour Wolfe, le sommet est situé vers le milieu de carrière et pourrait-on dire de vie puisque Wolfe avait cinquante-deux ans en 1983, ce qui pour un Étasunien de la fin du vingtième siècle correspond à la maturité. Tout au plus pourrait-on remarquer que la partie descendante de la parabole, juste après le sommet, semble descendre plus rapidement que la partie ascendante ne montait, mais ce n’est probablement qu’un artefact dû au peu d’éléments que nous avons de la première partie de la trajectoire (car il est évident que la gestation d’un écrivain n’est pas bien enregistrée par ses écrits publiés, généralement le fruit d’essais précédents plus ou moins ratés et enfouis à tout jamais sous des strates géologiques). C’est aussi pourquoi je n’ai pas précisé la date du commencement de la phase ascendante vu que seul Wolfe aurait pu le dire s’il avait eu la bonne idée de garder un compte-rendu chronologique de ces premiers essais non publiés (ne jamais se fier à la mémoire). Par défaut, j’aurais presque pu mettre sa date de naissance puisque pour les grands écrivains de fiction, les premiers balbutiements de l’auteur commencent dès la petite enfance, sous une forme ou une autre.
J’ai choisi les dates charnières de 1983 et 1984 comme fin et début des phases successives parce que 1983 est l’année où Wolfe a créé plusieurs chefs d’œuvre qui succédaient eux-mêmes à l’achèvement de son livre le plus célèbre (à la fois pour de bonnes et de mauvaises raisons), le plus ambitieux et à coup sûr le plus représentatif de son génie particulier : Le Livre du Nouveau Soleil ; et parce que 1984 est l’année où Wolfe a inauguré son nouveau style « populaire », de la manière la plus flagrante, avec le roman Free Live Free qui n’a malheureusement pas eu l’honneur d’une traduction française, du moins à ma connaissance (je reviendrai donc en détail sur ce roman très intéressant à défaut d’être une franche réussite dans la seconde partie de cette revue).
Au cours de cette récapitulation, je me focaliserai uniquement sur les œuvres majeures et/ou les œuvres charnières (comme Free Live Free) puisque l’œuvre complète de Wolfe est assez gigantesque. Et comme Wolfe n’est jamais aussi bon que dans ses nouvelles, c’est avec deux recueils que je débuterai le commentaire critique.
Normalement, puisque je suis la ligne temporelle habituelle, qui est rarement celle des personnages de Wolfe, je devrai débuter cette revue par le recueil qui contient les premiers textes publiés de l’auteur, intitulé Young Wolfe. Mais, quoique en effet publiables et très lisibles, ces nouvelles anecdotiques sont sans intérêt pour cet article qui ne se veut pas une exégèse complète, si ce n’est pour signaler l’intérêt précoce de Wolfe pour les récits de “mystery” et d’horreur. D’ailleurs, si on y regarde de près, hormis deux textes dus à la plume, ou à la machine, de l’étudiant Wolfe, tous les autres semblent avoir été écrits après le texte remarquable dont je vais maintenant parler.


Storeys from the old hotel. J’ai donc choisi de commencer par ce recueil non traduit en français, bien à tort, parce qu’il contient la première histoire vraiment intéressante et publiée de Wolfe, Trip-trap de 67, mais écrite au plus tard en 65, une excellente histoire de SF. En fait, cette assez longue nouvelle, une des plus longues du recueil, comme plusieurs de la fin des années 60 démontrent que Wolfe à cette époque n’était pas du tout ce qu’on appelle un auteur débutant. Si Wolfe n’avait pas ou très peu publié avant, du moins côté fiction (il était éditeur et rédacteur de textes de vulgarisation scientifique avant cela) c’est juste qu’il n’avait pas trouvé d’éditeur plus tôt. Cette histoire est très probablement à l’origine de la dédicace à Damon Knight, l’éditeur de la revue Orbit et premier acheteur sérieux de l’auteur, l’homme qui peut réellement se vanter d’avoir “découvert” le talent de Wolfe. Cette dédicace qu’on peut lire en ouvrant La Cinquième tête de Cerbère dit à peu près ceci : « à Damon Knight qui un soir mémorable de 1966 m’a fait germer d’un haricot ». Trip-Trap est d’autant plus notable qu’il révèle toutes les caractéristiques principales de l’art de Wolfe : une imagination à la fois luxuriante et poétique, un style d’une élégance rare (en fait unique dans la science-fiction), une virtuosité narrative si grande qu’elle l’emmène parfois vers une sophistication excessive de ses intrigues, des protagonistes qui ont trop souvent le défaut d’être parfaitement antipathiques et qu’on aurait donc du mal à qualifier de héros (ce qui, dans le cadre d’une littérature populaire, est un grand défaut). D’une manière générale, ce recueil est le plus complet selon moi pour découvrir la palette, immense, de cet auteur. Et comme il s’arrête dans les années 80, on reste presque entièrement dans sa phase ascendante. Pratiquement tous les textes qu’il contient sont dignes d’intérêt, sauf un que je ne nommerai pas, mais comme cela ferait donc trente-quatre moins une égalent trente-trois nouvelles à commenter, je vais me limiter aux seuls joyaux, en plus de Trip-Trap.
The Packerhaus method (70) : encore un texte très ancien. Très bon aussi. L’intrigue est intrigante à souhait, mais plutôt retorse. En fait, cette nouvelle courte appartient au genre de l’horreur mais vous ne le découvrirez que si vous parvenez à percer l’énigme de sa fin.
Slaves of silver (71) et Rubber bend (74) : Ces deux histoires prennent pour héros Sherlock Holmes mais transporté dans le futur et où son ami Watson est un robot, encore moins perspicace que le bon docteur de Doyle. Dans la seconde nouvelle, Wolfe rajoute à sa sauce le détective Nero Wolfe et son secrétaire, tous deux également sous forme de robots, d’une taille si imposante pour le premier qu’il peut, tout comme l’original, à peine se mouvoir, sauf peut-être devant la perspective d’un repas gastronomique (et pantagruélique). Wolfe est un pasticheur extraordinaire. Que ce soit avec Doyle, Stout ou plus tard, Poe, Lovecraft, Lafferty et quelques autres, il arrive presque toujours à sublimer l’original. C’est sûrement le cas ici.
Westwind (73) : une histoire de quête émouvante dans des USA dystopiques (et donc pas si différents des USA actuels). L’émotion, disons-le clairement, n’est pas le point fort de la majorité des histoires concoctées par Wolfe ; celle-ci est donc d’autant plus précieuse. On peut noter aussi que le protagoniste de cette quête est une femme, chose inhabituelle chez Wolfe, et pas de la variété jeune et plantureuse (style pulp story).
The marvelous brass chessplaying automaton (77) : clairement inspiré de l’essai-fiction de Poe, le joueur d’échec de Maelzel. Ce n’est pas un pastiche toutefois. L’histoire se déroule dans des USA peu crédibles, dont la civilisation aurait nettement régressé d’un point de vue technologique et qui en vérité fait plus penser à un état d’Europe centrale du XVIIIe siècle. Wolfe a des origines allemandes et cela se sent ici. Sur le même thème, Poe est encore meilleur à mon avis dans sa sécheresse précise dépourvue de toute broderie mais la nouvelle de Wolfe n’en est pas moins excellente.
In looking-glass castle (80) : de nouveau située dans des USA dystopiques, cette fois où les femmes auraient remplacé les hommes à la barre du navire. En fait elles les ont si bien remplacés qu’ils ont pratiquement disparu et les survivants font l’objet de chasse non pas à l’homme mais au cochon puisque tel est leur nouveau sobriquet (« pigs »). Résumée ainsi, l’histoire semble tirée du cerveau perturbé de Tiptree, particulièrement caricaturale donc, comme souvent avec ces guerres des sexes. C’est d’ailleurs très probablement en partie un commentaire indirect de cet écrivain (et néanmoins remarquable). En fait, il s’agit d’une nouvelle subtile et plutôt émouvante. Forcément, le personnage principal est une femme, jeune, qu’on imagine terne ou sans attrait, le genre de femmes que les hommes ne voient pas pour paraphraser le titre d’une des plus célèbres nouvelles de Tiptree.

Cherry Jubilee (82) : peut-être la plus merveilleuse mystery story écrite par Wolfe. Elle reprend la sorte d’énigme dont le mystère de la chambre jaune est le prototype ((après le premier essai à demi raté/réussi (c’est selon) du Double assassinat de la rue Morgue de Poe)) mais ici le crime se déroule dans un cercueil lancé dans l’espace profond. À noter que c’est aussi un pastiche discret d’un des écrivains de SF préférés de Wolfe, Jack Vance, et de son héros détective aussi arrogant mais moins charmant que Sherlock Holmes, Magnus Ridolph.

A Solar Labyrinth (83) : un des plus grands chefs d’œuvre de Wolfe et cependant une miniature. Toute l’histoire de ce fabricant de labyrinthes est clairement une métaphore mais tellement riche qu’on pourrait écrire dessus de quoi remplir une bibliothèque. D’une certaine manière, c’est le livre du nouveau soleil condensé en trois pages, la perfection en plus. Son titre aurait pu d’ailleurs être : Shadows of the (new) sun.
Death of the island doctor (83) : la dernière des quatre variations de Wolfe autour de ces trois mots : mort, docteur, île (il manque donc deux combinaisons, petit tuyau pour un amateur futur de pastiches wolfiens). La plus tardive, la plus courte, la plus légère, la plus simple et la plus émouvante des quatre.
Pour finir, l’auteur note dans sa préface que le recueil contient certaines de ses œuvres les plus obscures. Il écrit bien « obscures » dans le sens d’inconnues. Il a eu en effet beaucoup de mal à les faire publier (sauf celles publiées dans Orbit, j’imagine) et quand elles l’ont enfin été, elles ont été pauvrement reçues par le public quand même elles l’ont été. Il faut donc porter à l’actif du petit monde littéraire de la SF étasunienne leur résurrection sous la forme de ce recueil et leur reconnaissance puisque le livre a obtenu le prix Nebula (prix donné par les professionnels).


L’île du docteur Mort et autres histoires (dans sa version française que je n’ai plus, avec la belle couverture argentée aux motifs mouvants, voir plus haut). Notons d’abord que le titre original est légèrement différent, à tiroirs dirons-nous, puisque c’est The island of doctor Death and other stories and other stories. Je vais donc garder pour la suite les titres originaux, d’autant que je ne me souviens plus des titres français. Ce premier recueil de Wolfe a l’avantage, au moins pour moi, de contenir une bonne part de novellas et la novella est ma distance préférée en tant que lecteur (et auteur).
- Le premier texte de ce premier recueil de Wolfe qui donne le titre au recueil est en effet The island of doctor Death and other stories, d’où le titre du recueil à rallonge. C’est une histoire très curieuse, écrite à la seconde personne, qui évoque le croisement particulièrement improbable entre Proust et les pulp stories de la SF de “l’âge d’or” des USA. C’est aussi la première de ces variations sur les trois mots dont je parlais un peu plus haut. Contrairement à son habitude, le protagoniste est sympathique mais bon, c’est un enfant (quoiqu’on verra plus loin que chez Wolfe, même les enfants peuvent être antipathiques). Comme le titre l'indique, la nouvelle contient plusieurs histoires, celle que lit l'enfant qui est une version pulp de The island of doctor Moreau, celle que vit l'enfant à laquelle il ne comprend à peu près rien et celle qui résulte de la fusion des deux mondes grâce à l'imagination du jeune rêveur. Le texte est de 1970 mais Wolfe n'a jamais mieux écrit.

- Alien stones (1972) : Wolfe a finalement écrit très peu de science-fiction avec vaisseaux et voyages très lointains. On peut le regretter car il a presque toujours été à son meilleur quand il l'a fait. C'est le cas avec cette novella. La description du vaisseau terrien, de son équipage, est admirable. Celle du vaisseau extra-terrestre vaut bien celle de Rendez-vous avec Rama de Clarke et en plus on a ici un écrivain qui sait écrire.
- La Befana (1973) : un des chefs d'œuvre du recueil et de Wolfe en général. Bien que la nouvelle soit courte, il faudra probablement plusieurs lectures pour en comprendre le sens (cela a été mon cas). Mais même sans comprendre l'intrigue, le décor dépaysant, les personnages, les dialogues sont si savoureux qu'on peut l'apprécier ainsi (cela a aussi été mon cas).
- The hero as werewolf (1975) : une nouvelle très cotée chez les aficionados de Wolfe pour des raisons qui m'échappent un peu. Assez prenante il faut reconnaître mais aussi assez horrible dans le propos si je l'ai bien compris et pas seulement dans l'action. Et le fait que le protagoniste soit un enfant ne l’empêche pas cette fois de suivre le penchant habituel des « héros » de Wolfe : être très vilain. Le titre est ce que je préfère dans la nouvelle.
- The death of doctor Island (1973), la seconde variation autour des mots death, island et doctor : L'imagination architecturale de Wolfe est dans cette novella à son sommet. L'histoire est pour une fois très accessible. L'idée centrale de l'intrigue, révélée à la fin comme il se doit, peut néanmoins sembler inhumaine, tirée d'une dystopie où la vie des uns (très nombreux) ne vaut clairement pas celle des autres (très peu nombreux). Eh bien, cela ressemble après tout à notre civilisation.
- Feather Tigers (1973) : un récit post-apocalyptique très original. Très courte nouvelle mais très bonne.
- Tracking song (1975) : une novella très divertissante, quoiqu'assez répugnante si on y regarde de près, comme souvent avec cet auteur (Wolfe est vraiment un loup pour l'Homme). Mais divertissante ne signifie pas aisée. Après plusieurs lectures, je n'ai toujours pas compris qui était le protagoniste, assez antipathique lui aussi, et ce qu'il fabriquait à la poursuite du Grand Traîneau. Peut-être serez-vous plus perspicace que moi (car il y a presque toujours une solution et une seule aux énigmes de Wolfe).
- The toy theater (1971) : très courte et excellente. Le récit sur le mode légèrement humoristique est particulièrement bien mené jusqu'à la fin, renversante. Bien que l'auteur n'explique rien, selon son habitude, le chute du récit ne devrait pas vous poser trop de problème de compréhension.
- The doctor of death island (1978) : novella qui n'a pas beaucoup plus d'intérêt que de justifier cette troisième permutation des mots "doctor", "death" et "island". Pas mauvaise non plus. En fait, le seul texte moyen du recueil (j’ai omis ceux, rares, que je trouve en dessous de la moyenne).
- Cues (1974) : Il ne faut évidemment pas prendre cette très brève histoire -- un dialogue en fait -- avec cet extraterrestre en forme de boule de bowling au sérieux. On a ici droit à la veine satirique, sarcastique, voire comique de Wolfe. Et il peut être excellent dans le domaine. Ici, il est seulement bon.
- The eyeflash miracles (1976) : une novella en forme de road trip aventureux dans une société américaine dystopique, à peine décrite, juste suggérée, dans la veine "dickensienne" de Wolfe. Une fois encore, le héros est un enfant, sympathique. Excellente. Sans doute la nouvelle la plus émouvante du recueil.
- Seven American nights (1978) : magnifique novella aussi énigmatique que glaciale, située dans des USA en pleine décadence et où la Perse est (re)devenue un des jardins de la civilisation (ah, ah, Joseph Borrel !). Je crois bien que les personnages sont tous antipathiques sans exception, Iraniens comme Étasuniens. L'écriture de même que la construction labyrinthique de l'intrigue sont en revanche admirables.
Pour conclure, je remarquerais que la très grande qualité de ce premier recueil de Wolfe est fortement liée à l'époque où les textes ont été écrits, tous de sa meilleure époque, mais aussi à leur homogénéité. Et cette homogénéité a certainement à voir avec le fait que la quasi-totalité des nouvelles sont de la SF contrairement à ses recueils suivants où il mélange beaucoup fantastique, fantasy, science-fiction et même parfois... rien de tout cela. Si j'étais un juge impartial, j'affirmerais sans crainte que c'est le meilleur recueil de Wolfe, le plus ambitieux, le plus achevé, le plus homogène. Et il restera probablement comme son plus fameux. Mais le fait est que ce n'est pas mon préféré.


La cinquième tête de Cerbère. En 1972, Wolfe fait paraître son second roman de SF. Je dois m’arrêter un peu plus longtemps sur ce texte. D’abord, Curieux titre que ce livre puisque Cerbère ne compte chez la plupart des auteurs que trois têtes. Curieux roman que ce livre puisqu’il semble composé de trois novellas disjointes. Néanmoins il s’agit bien d’un roman car l’histoire de chaque partie est incompréhensible sans les autres. Chacune donne des informations indispensables pour que le lecteur puisse espérer découvrir le sens caché du récit. Car avec Wolfe, il y a toujours (au moins dans ses meilleures histoires) un sens à trouver, un seul, une vérité enfouie. Cette vérité est néanmoins généralement très difficile à atteindre. Elle est accessible plutôt par le canal de la raison que par l’intuition, l’empathie, l’émotion. La résolution de l’énigme centrale passe par la recherche des indices semés très discrètement par l’auteur ici et là, puis en reliant les points pour faire apparaître le dess(e)in caché. Ici, Wolfe s’est surpassé dans la complexité de son énigme. Ce roman est certainement une des énigmes les mieux conçues, les plus labyrinthiques de son créateur. Personnellement, je le vois comme un puzzle de plusieurs milliers de pièces à reconstituer dont vous ne possédez pas l’image finale.
Tout cela pourrait décourager le lecteur en lui donnant l’idée d’un roman froid, calculé, excessivement dédié aux raisonneurs, un peu comme les roulages de mécanique cérébrales de Poirot ou de Holmes. Ce n’est pas le cas. En fait, il est plus probable que vous lirez ce roman comme moi, lors de ma première lecture, sans même être conscient qu’il y a une énigme, c’est-à-dire une histoire cachée dans l’histoire. Celle-ci est en effet écrite à l’encre sympathique. Vous serez entraîné par le style ample et harmonieux de l’auteur, par l’originalité de son imagination, par son sens poétique, par la virtuosité narrative, par l’intérêt des sociétés décrites, par le charme ou la justesse des personnages (certains sont vraiment peu charmants, en particulier les protagonistes, comme souvent avec Wolfe, mais ils sonnent juste) et cela vous suffira bien.
La première partie, parue comme novella en 1972, et qui donne le titre au roman, raconte l’itinéraire dramatique, à tous les sens du terme, d’un jeune narrateur dont on ignorera toujours le nom mais que son père qui n’est de toute évidence pas un grand sentimental, surnomme numéro cinq. Cinq comme dans La cinquième tête de Cerbère : ceci est probablement l’indice le plus fragrant de tout le roman. Outre son habitude de faire des expériences scientifiques très désagréables sur son fils, ce père est le propriétaire d’un bordel de luxe, très apprécié par la bonne société de la capitale. Et il habite la demeure Cave Canem (en latin) au 666, rue des Saltimbanques, Port-Mimizon, tout cela en français car cette planète, Sainte-Croix, a précédemment été colonisée par des Français. Cette adresse remarquable est un autre indice, très parlant. Il est clair que ce père et toute la famille avec lui est en quête d’une vérité lui aussi, d’une réponse aux fameuses questions : Qui suis-je ? D’où est-ce que je viens ? Où est-ce que je vais ? Cette quête se terminera très mal pour tout le monde et en particulier pour Cinq.
La seconde partie se situe sur la planète sœur, Sainte-Anne, juste avant l’arrivée des premiers vaisseaux, « au temps du rêve ». Le protagoniste principal (il y en a deux, des jumeaux, tous deux plutôt rébarbatifs, comme d’habitude) appartient à une tribu aborigène disons primitive et ses aventures m’ont fait penser aux romans de JH Rosny comme La guerre du feu mais il est clair que Wolfe a dans la tête un autre modèle, plus réaliste, plus américain. Le héros fait la rencontre des enfants de la nuit, des créatures très différentes de lui, aux pouvoirs psychiques surdéveloppés. Le rôle, la nature de ces enfants de la nuit est un mystère que le lecteur se doit de percer s’il veut comprendre l’histoire dans son ensemble mais il ne le pourra pas sans lire la troisième et dernière partie. Cette seconde partie se termine à nouveau très mal, vraiment très mal pour le héros.
La troisième partie est la plus diabolique de toutes dans sa structure à la fois totalement éclatée et incroyablement ingénieuse (Wolfe n’était pas ingénieur mécanicien pour rien). Tout nous est donné en morceaux éparpillés, sans ordre chronologique, sans continuité dans le propos, selon les caprices de l’officier chargé d’enquêter sur le protagoniste, suspecté d’espionnage et peut-être d’assassinat. On y trouve des bouts de journaux écrits par différents personnages, des questionnaires de terrain par un ethnologue, des récits dans le récit dans le récit. C’est la plus longue des trois parties, de loin. C’est aussi la plus prenante, curieusement, la plus émouvante. Son titre même est un petit mystère : « V.R.T. ». Une fois encore, cela ne se termine pas bien pour le protagoniste.
Le thème central du roman est la colonisation de deux planètes jumelles et le génocide de ses populations autochtones par les Français puis par leurs vainqueurs américains, c’est-à-dire étasuniens (étant donné le fait maintenant bien établi que les autres Américains ne comptent pas). Cela n’est donc pas gai. Il est évident que Wolfe en tant que Nord-Américain songe au génocide des Amérindiens du Nord même si à mon avis les aborigènes de la seconde partie sont davantage calqués sur ceux d’Australie. Et en effet, parmi les premiers colons d’Amérique du Nord, il y avait des Français. On trouve également dans la société de Sainte-Croix, la plus “civilisée” des deux planètes, un système esclavagiste qui évoque fortement le cas des USA et les colonies européennes en général. Cet arrière-plan historique, toujours d’actualité, donne beaucoup de poids au récit. Mais il s’agit d’un récit de science-fiction, pas une allégorie parfaite. La vérité du livre est bien différente de la vérité, si tant est qu’on puisse la déterminer, de l’histoire de la conquête de l’Amérique du Nord par les Européens. Les indigènes des planètes sœurs ne sont pas des Amérindiens ni des humains mais des extra-terrestres aux facultés diverses, qui vont de la télépathie à la métamorphose.
La question essentielle du roman peut se résumer ainsi : qui a réellement gagné au bout du compte entre colons terriens, aborigènes et enfants de la nuit ?
Je crois que si je ne devais emmener qu’un seul roman de SF sur une planète déserte, malgré ses protagonistes antipathiques et son histoire au sens difficilement déchiffrable, ce serait celui-là.

Forlesen (74). Novella collectée dans le recueil Gene Wolfe’s book of days (Le livre des fêtes en français). Quoiqu’assez réputé chez les commentateurs, je ne suis pas fan de ce recueil plutôt anecdotique, hormis quelques textes intéressants comme Fusion (74), La guerre sous l’arbre (79) et surtout le remarquable La Substitution (68). Deux autres textes hors du commun figurent dans le recueil mais sont en fait soit un conte extrait du roman Peace (Saint Brandon de 75) ou une reprise du recueil précédent (La Befana de 73 puisque l’histoire se passe à Noël mais La guerre sous l’arbre marchait tout aussi bien pour cette occasion).
Forlesen est en revanche tout sauf anecdotique. Le prétexte pour l’inclure dans Le livre des fêtes est le fait que l’action raconte une (très longue) journée de travail d’un certain Emmanuel Forlesen et donc peut servir de marqueur pour la fête du Travail. Néanmoins, dans la novella, le travail est tout sauf une fête pour le protagoniste. Nous voyons celui-ci se réveiller au petit matin comme s’il naissait, puis faire sa journée de travail sans intérêt comme s’il vivait sa vie entière puis revenir chez lui juste à temps pour se coucher dans son cercueil et mourir : c’est donc la version métro boulot dodo la plus dystopique qu’on ait jamais écrite, du moins a priori. A posteriori, la novella est surtout une satire, une satire drôle (drôle dans le sens kafkaïen du terme) mais radicale et très noire. Il ne fait aucun doute qu’elle est en partie née de l’impression du Wolfe ingénieur dans une grosse entreprise étasunienne aussi bureaucratique que l’administration qui instruit le procès de Joseph K. Kafka est en effet l’écrivain auquel on pense le plus (en fait c’est même le seul auquel j’ai pensé) en lisant le récit, par son onirisme, par sa poésie, par sa noirceur immense, née de l’absurde tragique, mais corrigée par un humour encore plus grand. J’ai lu quelques commentaires sur cette novella qui cherchent très astucieusement à dénicher une signification rationnelle à ce récit, qui va de la thèse de l’expérience extraterrestre sur humains (style Dark City) à un cas original de damnation ou au contraire de chemin vers le paradis propre à la mythologie chrétienne. Personnellement, je n’y crois pas. Pour une fois, je pense que Wolfe n’a pas écrit une histoire à clef, où le lecteur doit se changer en Sherlock Holmes pour deviner non seulement la fin mais toute l’intrigue. Cette histoire est en fait une fable onirique, qui par essence, échappe en très grande partie à l’analyse. Cela dit les commentateurs ont raison d’insister sur la visite de Forlesen à « l’Expliqueur », qui pourrait évoquer un prêtre confesseur catholique. Néanmoins cet Expliqueur est nettement plus œcuménique (et probablement nettement plus synthétique) car il propose des réponses aux questions de ses ouailles en tant que prêtre en effet, mais aussi docteur, théologien, sorcier, vieux sage, héros national, philosophe, acteur et romancier. La question de Forlesen, non loin de mourir, est celle-ci : « est-ce que mes souffrances en valaient la peine ? ». Et nous avons les réponses juste lors des dernières lignes de la novella, les neuf réponses donc, dans le désordre : oui, oui, non, non, oui, non, oui, non, peut-être. Néanmoins là où à mon avis les commentateurs se trompent, c’est dans l’importance qu’ils donnent aux réponses de l’Expliqueur. La seule chose importante est la question du protagoniste. La question fondamentale entre toutes, que Forlesen formule d’une manière plus étroitement personnelle (mais c’est bien naturel) est : la vie vaut-elle la peine d’être vécue ? C’est la question qui sous-tend toutes les grandes philosophies et toutes les grandes religions et la réponse peut varier diamétralement selon que vous êtes le Bouddha ou le fils bâtard d’un charpentier né à Nazareth.
À mon goût, l’un des sommets de la carrière littéraire de Wolfe.

Peace, roman de 1975. Quand j’ai lu pour la première fois ce roman, je l’ai lu comme un récit mainstream contenant quelques épisodes à coup sûr insolites mais ne pouvant rentrer globalement dans la case “fantasy” anglo-saxonne ou “fantastique” française. Je le voyais pour l’essentiel comme un livre de souvenirs et de réflexions d’un vieil homme malade, dangereusement proche du sapin (ou plutôt de l’orme du jardin de sa voisine), une sorte de Forlesen plus réaliste, à la mémoire confuse. Eh bien je me trompais. Comme souvent avec Wolfe, le projet est nettement plus retors, plus diabolique que ça.
Peace est en réalité un roman à 100% fantastique, dans le sens le plus restreint, le plus français, du terme. Faites-moi confiance là-dessus même si ça ne vous semblera probablement pas évident au premier abord. Bon, vous serez sans doute plus perspicace que moi mais sachez qu’il m’a fallu trois lectures avant de réaliser pleinement quel genre d’histoire j’avais sous les yeux et quel genre de personnage était ce Alden Dennis Weer, le narrateur. Je vous le dis : un des genres du fantastique le plus pur.
Comme souvent avec cet auteur et comme presque toujours avec ses meilleurs livres, la narration est aussi sophistiquée qu’ingénieuse. Beaucoup des histoires qu’il contient sont imbriquées dans d’autres histoires, elles-mêmes imbriquées dans d’autres à la manière des poupées russes, selon le procédé inventé par l’auteur anonyme des Mille et une nuits, et ceci avec une virtuosité confondante, sans égale à notre époque.
Néanmoins, je ne pense pas que ce soit la raison principale pour laquelle Wolfe avait une préférence marquée pour ce livre (avec There are doors que nous reverrons dans la seconde partie de cette revue) entre toutes ses créations. Je pense que c’est la même raison qui m’a fait aimer le livre à la première lecture, l’évocation de l’enfance, de la vie à la campagne, des premiers amours, de personnages charmants et tellement vivants comme la tante Olivia, tout cela plongé dans la lumière dorée, magique, des mondes à jamais disparus.

The devil in a forest de 1976. Ce roman rentre dans ma catégorie des livres intéressants mais pas tellement réussis de Wolfe.
C’est un des rares livres que j’ai achetés premièrement pour la couverture, celle de l'édition Tor, avec le garçon au bâton posté au bord d’une rivière, face à la sombre forêt qui s’ouvre devant lui. Outre qu’elle illustre le roman avec fidélité (si on peut dire étant données les époques respectives du peintre et de l'auteur), elle est superbement évocatrice. J’ignore qui est le peintre de ce tableau mais à en juger par le thème et la technique, ce doit être un Hollandais ou un Français du XVIIème siècle. En tout cas, un grand bravo pour cet excellent choix iconographique de l’éditeur.
Un autre sujet d’intérêt particulier, plus personnel encore, est qu’il se déroule dans la forêt et que l’un des personnages principaux est un forestier royal, un de mes confrères donc.
Toutefois, le livre n’est pas tout à fait à la hauteur de ces prémisses. Sans être jamais mauvais ou ennuyeux, loin de là – il est même plutôt bon – il manque d'épices ou de quelque chose. Comme je connais assez bien l’œuvre de l’auteur maintenant, j’ai tendance à croire que ce quelque chose a à voir avec son choix de limiter inhabituellement l’aspect fantastique du roman. Une des qualités principales de Wolfe, outre son exceptionnel don narratif, est la richesse de son imagination. Ici, il en est peu prodigue, volontairement de toute évidence. Le seul élément vraiment fantastique de l’histoire n’est d’ailleurs probablement qu’un rêve. La sorcière n’en est une qu’au sens spécial qu’on donnait à ce terme au Moyen-âge, à savoir une femme rusée, ayant une certaine pratique de l’herborisation et surtout de la psychologie humaine, lui permettant de manipuler ses congénères à son avantage et (généralement) à leur détriment. Le dragon, quant à lui, est un volcan. Wolfe est aussi beaucoup moins énigmatique et tortueux qu’à son habitude. On pourrait se dire que c’est un bien. En effet, chez la plupart des auteurs, ce serait à mettre à leur crédit, mais ce n’est pas le cas de Wolfe qui n’est jamais aussi bon que lorsqu’il est labyrinthique et cachottier en diable. Le seul vrai mystère à ma connaissance et la seule demi-surprise que réserve la fin est l’identité du forestier royal.
Ce roman n’est pas inintéressant néanmoins. Il a même des vertus rares dans l’œuvre de Wolfe. Il est plus simple, plus direct que ses livres habituels. Son jeune héros est nettement plus supportable et crédible que le héros typique de Wolfe, solitaire, asocial et amoral, mais obtenant néanmoins le prix attribué aux plus grands des héros. Mais cela reste un livre mineur, peut-être écrit dans l’intention de séduire un public jeune, bien qu’il soit à mon avis beaucoup trop réaliste et crû pour pouvoir jamais atteindre ce but.

The book of the new sun (80 à 82), en français Le livre du nouveau soleil. J’ai déjà consacré ici-même un article à ce livre important et admirable, à défaut d’être convainquant. Je vais être donc bref même si le roman mériterait d’évidence un commentaire plus approfondi. On y trouve en effet toutes les qualités extraordinaires de l’écrivain de fiction et toutes les faiblesses plus ordinaires du penseur Wolfe. Dans ce roman immense, un véritable océan où chaque île est une île au trésor, où la puissance et la fertilité de l'imagination ne le cèdent qu'aux Mille et Une Nuits, où certains épisodes - comme ceux de l'alzabo, du géant Typhon, de la résurrection de Dorcas - sont des merveilles de poésie, où quantité de personnages secondaires — le docteur Talos et son compère Baldanders (à moins que ce soit l’inverse), les trois hiérodules, le marin Hector, la jeune Valéria ou le vieux maître Oultan — sont aussi colorés que mémorables, Wolfe a réussi à associer à ce miracle d'écriture le héros le plus autistique qu'il ait jamais créé. Le problème, ce n'est pas tant qu'il soit bourreau de profession, "torturer" dans la version originale, c'est qu'il ne ressente pas ce qu'un homme "normal" devrait ressentir dans les situations qu'il vit, ce qui est la définition même d'un psychopathe, d'où l'incapacité du lecteur à s'identifier au personnage. Le second problème est qu'il porte des habits qui ne sont pas faits pour lui. En résumé, son protagoniste, Severian, arbore le costume, la posture, les attributs habituels du héros, courage, droiture, force et pouvoirs, mais ne pense ni n'agit comme tel. Et plus l'histoire avance, plus on ressent un malaise dans cette double anomalie. Malgré tout, si Wolfe en était resté là, aux quatre fabuleux tomes du Livre du Nouveau Soleil, rien n'aurait été perdu. Par malheur, Wolfe semble avoir une prédilection pour le chiffre cinq, comme cette Cinquième Tête de Cerbère qui à ma connaissance n'en comptait que trois. Et donc il a eu un jour l'idée terrassante d'adjoindre une sorte de suite à son livre (le plus vendu à ce jour, de loin, d'où peut-être l'idée d'un numéro cinq) intitulée The Urth of The New Sun (traduit en français par Le Second Soleil de Teur) où il fait jouer à son ancien bourreau et tortureur le rôle de... Jésus-Christ. Ni plus ni moins, même s'il lui donne par un ultime reste de décence un autre nom. C'est ce que j'appelle une bizarrerie morale et philosophique. Ou encore comment réussir un feu d'artifice à l'envers, une implosion gigantesque qui atteint à rebours tout le merveilleux roman qui avait précédé, en révélant les contradictions internes et rédhibitoires de ses fondements.
Ce roman nous révèle mieux qu’aucune autre de ses œuvres, les étendues incroyablement vastes du narrateur Wolfe, mais aussi sa faiblesse principale, considérable, que je qualifierais d’errance philosophique plus proche de l’égarement que du voyage.

 

Endangered species. Bien que ce recueil contienne des nouvelles postérieures à la période dorée de Wolfe, la très grande majorité (plus des trois-quarts) sont antérieures à 1984 et j’ai donc choisi d’en parler ici. Terminer par ce livre est d’ailleurs une bonne manière de faire le pont avec ma seconde partie. Notons que je l’ai lu uniquement dans sa version francophone, version très curieusement divisée en deux par l’éditeur, un tome consacré selon lui à la SF et l’autre au fantastique. Très curieusement car on y trouve dans le tome « fantastique » des nouvelles appartenant incontestablement à la SF (comme celle qui donne son titre à ce volume Toutes les couleurs de l’enfer, un vaisseau qui croise sur son chemin une planète fantôme, faire de matière noire, supposons-nous) et dans le tome « SF » des textes provenant indubitablement de la veine fantastique, ou fantasy, de Wolfe, comme Douce fille des forêts. Le recueil contient à nouveau trente-quatre nouvelles, très inégales en qualité selon moi, mais avec quelques chefs d’œuvre peu contestables. C’est donc essentiellement de ces derniers que je vais parler.
Parmi les textes très anciens de Wolfe qui figurent dans ce recueil, je ressortirai Eyebem (70) qui semble un commentaire critique au très scientiste I, robot d’Asimov. Ce récit, inhabituellement simple pour Wolfe, pourrait être du bon, et même du très bon Le Guin. Il faut noter que la supériorité évidente de l’humain sur l’androïde dans ce texte ne vient pas d’une position philosophique (ou scientifique de l’ingénieur mécanicien Wolfe) car l’auteur nous a donné de multiples fois des exemples d’IA (thème très à la mode ces derniers temps) plus extraordinaires les uns que les autres.
Mon livre (83) est une des nouvelles les plus courtes, les plus drôles, et les plus réussies de Wolfe. On pourra longtemps discuter de savoir s’il y a une histoire dedans. En fait, c’est probablement le seul grand récit de ma connaissance qui peut se vanter de ne posséder ni début ni fin et et peut-être même pas de milieu. Toujours dans le genre grotesque, L’homme sans tête (72) vaut lui aussi la peine d’être lu.
Dans le registre de l’Homme démiurge, du demi-dieu créateur, on trouve La femme qui aimait Pholus le centaure (79) et son pendant La femme qu’aimait la licorne (81). Ici, Wolfe reprend l’idée très en vogue à une époque qu’avec les découvertes génétiques, l’Homme allait pouvoir remanier le vivant à sa guise. Le centaure et la licorne des récits sont donc des OGM au sens fort du terme et non des créatures mythologiques. Malgré cet argument de SF, la tonalité des nouvelles se situe à mi-chemin entre le conte de fées et la detective story chère à Wolfe. Cependant, les deux textes restent très estimables.
Une autre detective story et sans doute un des petits chefs d’œuvre dont je parlais est le détective des rêves (80) qui est très explicitement un pastiche des enquêtes de Dupin d’Edgar Poe. Ici, Wolfe en profite pour laisser entendre le peu de bien qu’il pense de la psychanalyse. En effet, le plus grand problème d’une cliente éplorée de Dupin est qu’on trouve de tout sauf du sexe (de l’amour plus exactement) dans ses rêves.
D’autres nouvelles appartenant au genre fantastique se distinguent par leur construction et, je dirais, leur poli parfait, qui devrait leur valoir un jour de devenir des classiques : c’est le cas de Kevin Malone (82), d’un chalet sur la côte (81) ou de Suzanne Delage de 1980 (dans cette dernière, l’élément fantastique n’est pas facile à déceler et je l’ai peut-être seulement imaginé, à vous de voir).
Pour le côté science-fiction, je ressors particulièrement trois textes, dont deux ont été placés soit par erreur soit par un calcul éditorial qui m’échappe dans le volume consacré aux nouvelles fantastiques. La première est la précédemment citée, toutes les couleurs de l’enfer (87). La seconde est la plus belle femme du monde (88), qui se déroule sur une Mars apparemment terraformée (comme quoi même les idées de départ les plus absurdes peuvent donner de bonnes fictions) dans une ambiance clairement onirique. La troisième, qui donne son titre au volume de SF, de loin la plus ambitieuse aussi bien par sa taille (longueur d’une novella) que par la richesse de ses thématiques est aussi la moins parfaite des trois. Silhouette (75) aurait pu en effet être un pendant magnifique à la novella alien stones de son premier recueil si le personnage principal avait été plus convaincant dans son ascension finale au poste suprême, commandant du vaisseau.
On peut enfin remarquer la présence de quelques histoires d’horreur efficaces comme dans la maison de pain d’épice (87) et l’autre mort (88) ; bonnes donc, bien construites, mais mineures comme pour la plupart des histoires d’horreur de Wolfe.
Un fait qui apparaît aussi en parcourant cette courte liste des meilleurs textes de ce recueil charnière est qu’ils se situent presque tous dans les années 80 (bien qu’il contienne beaucoup de textes antérieurs). On peut également suspecter que les années 87 et 88 ont été encore particulièrement fructueuses pour Wolfe, alors que l’auteur avait déjà à l’époque commencé de descendre l’autre versant de la montagne. Et on verra dans la seconde partie de cette revue (qui sortira quand ma motivation sera suffisante et quand j’aurai fini de lire quelques volumes de sa dernière période) la confirmation éclatante que ce soupçon était parfaitement fondé.

Autre article de moi consacré à Wolfe : ici.



lundi 13 octobre 2025

Europe : le suicide économique comme une forme des Beaux-Arts

 

Rassurez les petits enfants, c'est une vision du passé... en Europe
(une des nombreuses usines d'Uralchem). 


En fait le suicide en cours n’est pas seulement cantonné à l’économie, loin de là, mais pour cet article je vais m’en tenir à ce domaine. Notez bien que le suicidaire ignore qu’il est en train de se suicider, sa tête étant farcie de fariboles sur à peu près tous les sujets d’importance ; non, le suicidaire croit agir pour la démocratie, pour les droits de l’homme, pour l’égalité, pour la liberté, pour la progrès, pour le climat, pour la planète et surtout pour sa vertu sans pareille qui mérite bien tous les sacrifices du monde.

Et pour tuer efficacement une économie, on doit d’abord s’attaquer à sa source, son énergie. Commençons donc par l’éléphant dans la pièce. Quelqu’un a dit que l’économie n’était rien d’autre que de l’énergie transformée. Apparemment, cette maxime de bon sens n’a pas bien pénétré jusqu’aux augustes cerveaux des "leaders" européens (avec quelques exceptions mais ils comptent pour du beurre comme Orban ou Fitso). Le fait est que la précarité énergétique de l’Europe avait déjà été bien amorcée avec la politique verte du zéro carbone et du zéro nucléaire, poursuivie avec un zèle forcené, en particulier chez nos voisins d’outre-Rhin. Toutefois, ce n’est que peu de chose comparé à la coupure d’avec les gazoducs russes (en fait russo-allemands pour ce qui est des Nord-Stream I et II). On peut en effet sans crainte affirmer que Nord Stream I et II étaient l’actif le plus stratégique pour l’économie de l’Allemagne. Et quand l’économie de l’Allemagne ne gaze pas, c’est l’économie de l’Europe entière qui prend l’eau.

La séparation d’avec le gaz bon marché et fiable de Russie a eu lieu en plusieurs étapes. Je ne vais pas revenir sur l’explosion des Nord-Streams qui a autant à voir avec des pieds nickelés ukrainiens que la grippe espagnole a à voir avec l’Espagne. Il faut néanmoins comprendre une chose importante : si les "leaders" de l’UE font de grandes déclarations martiales contre le gaz (et le pétrole) Russe, ils sont beaucoup moins pressés dans les actes, conscients que cela pourrait être un cas de suicide flagrant, et que les populations ne sont peut-être pas prêtes encore à ce grand sacrifice pour le bonheur des petits oiseaux et de nos amis les loups ; c’est donc pour cette raison que l’ami américain, toujours prêt à rendre service à son prochain, a donné un coup de main et pressé la gâchette à la place du volontaire pour l’euthanasie. Actuellement, après l’arrêt, cette fois par les kiéviens, du gazoduc qui traverse l’Ukraine, il ne reste plus que le tuyau passant par la Turquie, un petit robinet comparé aux autres. On peut penser que même les bonnes relations d’Erdogan avec les US n’empêcheront pas ces derniers de concocter quelque explosion de ce côté, sans doute avec le concours de leurs âmes damnées de Kiev.

Le renchérissement abrupt du prix du gaz, et donc de l’électricité, a eu des répercussions presque immédiates sur l’Europe dans son ensemble et tout spécialement sur l’industrie germanique. Voyons les secteurs les plus touchés :

- Le secteur de la pétrochimie, un secteur peu glamour mais d’importance considérable pour une économie développée, fort logiquement a été le premier à mettre la clef sous la porte. L’image est à peine exagérée. Les plus grosses entreprises délocalisent, "restructurent" ou licencient à tour de bras, les plus petites disparaissent ou en fait ont déjà disparu. C’est probablement le secteur le plus gourmand en énergie. BASF, Solvay, Ineos, Sasol, Huntsman, Venator, Vivergo parmi d’autres ont déjà annoncé ou achevé la fermeture d’usines en Allemagne surtout et quelques-unes en France ou en Angleterre. Ce sont toutes des multinationales qui ont des usines dans le monde entier mais la tendance est très nette : elles ferment et licencient à tour de bras en Europe en espérant que celles situées aux USA et en Asie du Sud-Est les maintiennent à flot. Quant aux fameuses "restructurations", comme celle très publicisée de BASF (plus grosse entreprise pétrochimique mondiale, du moins à l’époque), c’est un mot code des industriels pour dire vente des actifs non rentables (si possible, sinon mise en liquidation) et licenciements à suivre. La raison de tout ça nous est donnée par la victime elle-même, ce qui est bien pratique : le Cefic (un club pour les industriels de la chimie européenne) remarque que le pris du gaz naturel en Europe est (en moyenne je suppose) plus de trois fois plus élevé qu’aux USA. Et ils n’ont pas utilisé les prix russes ou même chinois qui sont encore beaucoup plus bas.

- Le secteur de l’industrie lourde (aciéries en particulier) : ont le choix entre délocaliser et disparaître. Les plus faibles sont déjà liquidées, même pas rachetées, liquidées.

- Fortement lié à l’industrie lourde, le secteur de l’industrie navale civile : ainsi le plus ancien chantier naval d’Allemagne, Pella Sietas, situé à Hambourg, est arrivé cette année au stade du démantèlement final avec vente aux enchères des actifs restants, terrain compris. L’ironie gratinée de la chose est que ce chantier naval a été définitivement coulé par les sanctions prises par l’UE, et donc l’Allemagne, contre les banques russes, en particulier Sberbank, qui se trouvait être le créancier principal de l’entreprise vieille de quatre siècles, lui interdisant ainsi de pouvoir renflouer l’entreprise en faillite. Toujours la même histoire du serpent qui se mord la queue.

- Le secteur de l’automobile. La part du coût de l’énergie étant plus diluée que dans les deux précédents secteurs, l’halali a été un peu plus long à résonner au fond des chaînes d’assemblage. Depuis cette année, tous les groupes allemands sans exception annoncent fermetures d’usines (en Allemagne et en fait partout en Europe (voir Stellantis)) provisoires ou définitives, délocalisations, licenciements massifs. Ce n’est pas une surprise c’était prévu, ici par exemple. Mais tout ne s’est pas déroulé selon le plan (étasunien bien sûr, les Eurozonés n’ont pas de plan) ; en effet il semble que les délocalisés se tournent finalement plutôt vers la Chine que les US. Il est vrai qu’il faudrait une dose de masochisme considérable et tout à fait inhabituelle chez des industriels pour supporter les merveilleux deals successifs de l’illuminé de la Maison Blanche. On doit également signaler en passant la remarquable opération de Renault qui a vu, non seulement son second marché le plus important après la France disparaître en un coup de baquette magique de Von Der Leyen mais en plus a vu ses actifs russes vendus ou plutôt cédés pour un euro (ou rouble) symbolique à des entreprises russes automobiles (comme AVTOVAZ qui produit entre autres les Ladas).

- Le secteur du bois et de tous les produits transformés à base de bois. Très gourmand en énergie et… en bois, et devinez qui a les ressources les plus considérables et les moins onéreuses d’Europe pour la matière première bois : oui, ça commence par un R et ce n’est pas le Royaume-Uni. Ce n’est pas l’Allemagne la plus impactée cette fois mais la Finlande (et IKEA donc le consommateur européen). Comme j’ai déjà consacré tout un article à ce remarquable exemple de sabotage consenti de sa propre économie, je ne vais pas m’attarder.

- L’agriculture. Ce secteur est également bien impacté par les prix de l’énergie : le carburant pour les engins agricoles, les prix des intrants (engrais surtout) ont grimpé en flèches. Mais il y a un autre problème lié à ce secteur en particulier. L’Europe et la France sont presque exactement sur le même créneau que la Russie pour les exportations de produits agricoles. Hormis le vin (qui est produit dans les régions sud-ouest de la Russie mais très peu exporté), presque tous les autres produits sont en concurrence avec la Russie sur le marché mondial : grandes céréales hormis riz, colza, tournesol, soja (exportations russes en forte hausse), cochon, volailles, lait, œufs. Or, si vous bénéficiez de coûts d’exploitation nettement moindres grâce à des prix d’engrais et de carburant bien inférieurs, il n’y a pas besoin de sortir de Saint-Cyr, ou plutôt de l’INRAE, pour deviner que vous allez avoir de gros avantages concurrentiels. Et c’est ce qu’on constate : les anciens pays importateurs de produits agricoles estampillés UE, dont le fer de lance était la France, se tournent de plus en plus vers d’autres marchés et en premier lieu vers la Russie : voir l’Égypte, la Turquie, l’Algérie, tous grands importateurs de céréales en particulier, sans même parler évidemment de la Chine ou des pays du Sahel francophone. Notez encore que si des considérations politiques sont avancées par les leaders dans certains cas, ce n’est jamais la raison majeure mais toujours le prix : un politicien est toujours plus pragmatique quand il s’agit de nourrir sa population.

- Enfin, de manière plus anecdotique mais archétypique, on peut rajouter le secteur des batteries, qui est littéralement en train de disparaître d’Europe. BASF s’est déjà débarrassé de son secteur batteries et qui n’a pas entendu parler du destin aussi glorieux que fulgurant de Northvolt (Suède).

Il faut aussi noter que ces hausses de prix du gaz et de l’électricité sont durables et ne peuvent en fait qu’empirer (en moyenne) sur le long terme. Il n’y a en effet aucune solution de remplacement dans les quantités nécessaires. Le GNL sera toujours beaucoup plus cher que du gaz envoyé par tuyau : pourquoi pensez-vous que les Russes et les Chinois viennent de signer un accord pour la construction d’un immense gazoduc allant du nord de l’Oural au nord de la Chine ? Pour espérer diminuer quelque peu la note très salée du GNL, il faudrait que les pays de l’UE se décident à exploiter leurs gisements de gaz non conventionnels (de schiste ou autre) et en plus en aient les moyens. Y croyez-vous ? Pas moi. Ou alors aux calendes grecques.

Je viens de faire une liste non exhaustive de secteurs économiques européens qui ont été directement frappés par les sanctions antirusses concernant l’énergie mais d’autres effets plus indirects des sanctions se sont révélés au fil des mois et des années. Et bien que ces effets soient indirects, ils étaient parfaitement prévisibles pour un stratège du niveau certificat d’études.

- les compagnies aériennes : dans ce cas, ce n’est pas tant la hausse des coûts en carburant que le fait de ne plus pouvoir survoler la Russie qui les pénalise lourdement. Quand les Européens, après les US, ont décidé de fermer leur espace aérien à toutes les compagnies russes (et biélorusses), ils n’avaient évidemment pas songé que la Russie leur retournerait la politesse ; non, c’est très au-dessus de leur niveau. Et bien sûr, ils n’ont jamais regardé une mappemonde : c’est grand la Russie ! Ils ne pouvaient deviner que cela rajouterait des heures de vol pour un vol Paris-Tokyo ou pire un vol Helsinki-Pékin (ou comment transformer une ligne droite en demi-cercle) et renchériraient d’autant les coûts de leurs compagnies aériennes nationales. Toutes les compagnies européennes, hormis les low cost qui suppriment purement et simplement les destinations devenues non compétitives, sont en train de perdre de l’argent à la même vitesse que les compagnies chinoises ou extrême-orientales (minus les deux laquais du soleil levant) en gagnent, puisqu’elles continuent à survoler la Russie. Remarquons en passant que la mesure, poussée comme toujours par l’oncle Sam, est moins handicapante pour les USA, de par leur position géographique. Hé oui, c’est de la géopolitique à la portée d’un élève d’école primaire !

- L’aviation civile : l’effet cette fois est plus positif que négatif et se verra probablement sur le long, voire très long terme dans toute sa splendeur. Plus positif, oui, mais pour la Russie (et sans doute pour la Chine mais avec du retard). Comme vous le savez sans doute, l’UE après les USA a interdit toute importation d’avions civils et des innombrables pièces qui les composent vers la Russie. Cela paraissait une bonne idée sur le papier puisque les avions civils de marque russe (il y en a beaucoup) volaient (et volent encore aujourd’hui mais plus pour longtemps) avec des moteurs crées en joint-venture avec des entreprises françaises comme SAFRAN ou bien anglo-saxonnes. Le but était donc de clouer au sol tous les avions russes qu’ils soient des Boeing, Airbus, Tupoleff, Sukhoï, Yakovleff ou encore Iliouchine. Bon plan n’est-ce pas ? Eh bien pas tant que ça. À court et moyen termes, ce boycott a certainement handicapé l’aviation civile russe en faisant grimper les prix des pièces de rechange puisqu’il faut les acheter par l’intermédiaire de pays tiers qui prennent évidemment leur commission au passage. Mais à long terme, le calcul risque d’être terrible pour le duopole Airbus/Boeing. Le diable se niche dans les détails, dit-on. Et le petit détail que les génies de l’UE ou des US ont oublié, c’est que l’aéronautique est une spécialité incontestable des Russes. Si les Russes avaient abandonné ou disons mis au frigo leurs projets les plus ambitieux dans ce domaine durant les décennies 90 et 00, c’est juste qu’il était moins cher, plus simple et surtout moins risqué de se fournir chez Airbus ou Boeing. Concurrencer des marques aussi bien établies n’est pas une mince affaire. Aucune entreprise et pas même l’état russe n’avait jusqu’ici envie de relever le défi, du moins pas sérieusement. L’aviation civile suit des lois différentes de l’aviation militaire ; un chasseur ou un bombardier peut être moins fiable, plus coûteux à entretenir, plus gourmand en carburant et d’une manière général moins performant et pourtant se vendre… au moins dans son pays d’origine ; ce n’est pas possible pour des avions de ligne. Même vos propres compagnies aériennes n’en voudraient pas et avec raison car elles seraient coulées financièrement et réputationnellement (non, ce n’est pas dans le dico me dit Word mais on s’en fiche, hein). La puissance d’investissement nécessaire pour créer votre propre avion et le risque de perdre cet investissement sont considérables. Mais la Russie de 2022 et en fait de 2015 déjà a cet capacité d’investissement. Elle a aussi le savoir technologique, au moins égal en la matière avec nous autres. Ce qui lui manquait, c’était la motivation, la volonté de prendre ce risque. Eh bien avec cette sanction, on lui a fourni juste ce dont elle manquait. Dans les années à venir, pas dix ans hein, l’an prochain, deux ans au plus, les compagnies russes et biélorusses pour commencer vont acheter massivement les nouveaux avions mis au point depuis 2022 (en fait cela a commencé avant mais 2022 a été un gros coup d’accélérateur pour ce projet). Les tests sont pratiquement terminés et la construction en série de certains modèles a déjà débuté. Dans un premier temps, il s’agira de remplacer la flotte des Boeing et des Airbus vieillissants de leurs compagnies nationales mais on peut raisonnablement penser, sauf accident(s), qu’une fois que les avions auront fait leurs preuves, il y aura de nombreux clients du côté des pays d’Asie centrale, voire d’Asie orientale, possiblement de l’Afrique et de l’Amérique latine. Car je peux déjà vous annoncer un scoop : à performances égales ou légèrement supérieures, au moins sur le plan de leur consommation en carburant, ils seront nettement moins chers.

(Petite digression dans la foulée mais à peine : la Chine a aussi de grands projets dans ce secteur pour casser le duopole Airbus/Boeing. Elle a choisi une autre voie que la Russie. Au lieu de concevoir des avions entièrement domestiques comme cette dernière, elle importe de nombreuses pièces des USA et d’Europe. Ainsi le moteur et les principaux systèmes avioniques des COMAC 919 et 929 dont on cause pas mal dans les médias sont étasuniens et français. Cela paraissait raisonnable dans la situation de la Chine qui n’avait pas des rapports aussi conflictuels avec l’Occident que la Russie (même si la guerre économique contre le géant industriel asiatique a en fait commencé il y a déjà une décennie, sous Saint Obama). Mais la stratégie a ses risques et la Chine commence à s’en apercevoir. En effet, cette année, les USA ont décidé d’interdire toute importation vers la Chine de moteurs et autres systèmes habituellement fournis aux Chinois pour leurs COMACS. Et les moteurs des COMAC sont justement une joint-venture entre une entreprise française et une entreprise étasunienne (mais les étasuniens ne demanderont évidemment pas leur avis aux Français et n’en ont pas besoin puisque les Français n’ont plus d’autre avis que celui de leur maître). Il est très peu probable que cette politique des USA change dans les prochaines années, au contraire, on voit qu’ils cherchent sans cesse l’escalade. Les Chinois se retrouvent donc avec une épée de Damoclès suspendue au-dessus de leurs avions civils tout neufs. Ils n’ont en fait que deux options : suivre l’exemple russe et créer un avion entièrement domestique (et donc indépendants des pressions étasuniennes) mais cela va repousser l’arrivée du COMAC sur le marché loin dans le futur ou bien convaincre les Russes de leur fournir les moteurs et autres pièces manquantes dès l’an prochain, ce qui n’est pas non plus gagné, vu que les Russes vont se servir d’abord eux-mêmes).

Avant de conclure ce bref exposé de la situation, je vais revenir plus en détail sur le secteur des engrais, qui n’est pas un secteur mineur de l’économie, puisqu’il détermine pour une bonne partie la récolte de l’agriculteur (oubliez un instant les contes bio pour petits enfants, très bien pour votre jardin, pas pour nourrir la population mondiale). Il faut d’abord remarquer que les engrais sont un des rares produits industriels synthétisés à partir de gaz naturel (contrairement au pétrole qui rentre dans la composition d’une foultitude de produits). Tous engrais compris, la Russie est le plus grand exportateur mondial. Pour vous donner une petite idée du marché, son premier client à lui seul, le Brésil, lui a rapporté plus de 4 milliards de dollars l’an passé (à noter que les USA se classaient toujours 4ème comme client des Russes!). La production d’engrais de la Russie a exactement doublé entre 2008 et 2025 (selon les dernières estimations, la production russe et donc ses exportations prévisibles étant toujours en hausse). Le coût de la production d’engrais est lié pour une très grande part au gaz naturel puisqu’ils en découlent directement. En effet, pour prendre l’exemple des engrais nitratés, les plus importants en volume, ceux-ci sont fabriqués pour H par craquage du méthane tandis que le N s’obtient beaucoup plus facilement grâce à un produit en abondance de stock et en principe encore gratuit… l’air de cette planète. Donc le coût d’un engrais azoté est presque entièrement déterminé par le coût de craquage du méthane et donc par le prix du gaz naturel (80 % du coût des engrais nitratés). Il est donc très facile de comprendre pourquoi la Russie est idéalement placée sur ce marché, et pourquoi l’Europe, depuis quelques années, par un hasard étonnant, voit ses coûts de production flamber, rendant la production d’engrais maintenant impossible en pratique sauf massives subventions (mais en a-t-on encore les moyens ?... Les Allemands ont déjà répondu : c’est Nein). Le problème (pour l’habitant russe moyen) qui pourrait découler du fait que les engrais russes sont si demandés dans le monde est la hausse des prix induite. En effet, vous savez que plus un produit est demandé, plus son prix monte. Et comme les productions agriculturales continuent à augmenter de quelques pourcents par an au niveau mondial, la demande continue elle aussi de grimper. Alors comment font les Russes pour garder des prix modérés qui permettent à leur tour à leurs agriculteurs d’être très compétitifs sur le marché mondial ? Eh bien, c’est simple mais horrible à entendre pour un zélote de la main invisible du marché, l’état bloque les prix pour le marché domestique. En pratique comment cela fonctionne ? toujours très simplement : chaque producteur d’engrais russe est tenu d’abord de vendre un certain volume de sa production sur le marché intérieur selon un prix négocié avec l’état puis il est libre de vendre le restant sur le marché mondial au prix qu’il veut (selon les lois ordinaires de la libre concurrence). Or, en général, les exportations d’engrais russes représentent 70 % de la production : on voit donc que le producteur a largement de quoi se rattraper sur les Brésiliens, les Indiens, les Chinois, les Étasuniens, les Turcs, les Égyptiens, les Éthiopiens, les Algériens, les Indonésiens, Les Vietnamiens, les Laotiens, Les Guatémaltèques, les Burkinabés, les Malais, les Papous et me dit-on… une peuplade d’Asie extrême-occidentale en voie de tiermondisation, les Fran… Francon... Franciques… François… ou quelque chose comme ça.

Ma conclusion sera celle-ci : ce qui marche indubitablement en Russie, maintenant, est un mélange bien dosé d’économie libérale (au sens anglo-saxon du terme, les Français ignorant dans la pratique ce que cela veut dire) et d’économie étatique (cela, les Français devraient le comprendre mieux que beaucoup d’autres). Tout le secteur de l’énergie est en Russie sous contrôle ou possession directe de l’état. Mais pas seulement. Le secteur de l’armée est un des monopoles naturels de l’état (cela vaut mieux si vous ne voulez pas arriver à des aberrations comme le système mic étasunien qui fabrique, blanchit et recycle maintenant plus d’argent que d’armes). Le secteur des transports, y compris spatiaux, et pas uniquement à des fins militaires, est aussi contrôlé en grande part par l’état. Mais aussi le secteur des télécommunications. Mais encore le secteur bancaire, du moins pour les plus grosses banques type Sberbank. Remarquez que rien de tout cela ne doit choquer un Français. Sans être particulièrement féru d’Histoire, vous devez savoir que tout cela se faisait dans notre pays il y a en fait encore peu, jusqu’à ce que Mitterrand puis Chirac commencent la « libéralisation » de ces secteurs, c’est-à-dire en bon français, la vente à bon marché aux copains. Savez-vous que BNP était une banque essentiellement contrôlée par l’état jusque dans les années 80 ? Savez-vous que SAFRAN vient de la SNECMA, entreprise d’état, qu’Alstom vient d’une autre entreprise d’état, la CGE (Compagnie générale d’Electricité), que France Telecom, Renault ou l’ancêtre de Framatome/Areva, le CEA, sont ou étaient des entreprises publiques ? Eh bien, d’après vous, c’était mieux avant ou après ?


samedi 13 septembre 2025

Le Dogme Hasard comme principe scientifique

 « On trouve 3 douzaines de briques empilées  dans la jungle (Ou les mégalithes de Stonehenge  si on veut montrer qu’on a voyagé.) et on passe  pour un imbécile  si on croit que c’est  le fruit du hasard. On trouve 3 milliards de cellules organisées pour opérer l’acte de vision  ou de digérer ou  de se questionner sur leur origine et on passe pour un imbécile si on ne croit pas que c’est le fruit du hasard »

Alfred Kastler

 

    La science moderne, académique et enseignée dans toutes les bonnes écoles occidentales depuis au moins un siècle, admet tacitement et parfois textuellement comme principe indiscutable ou/et comme fait avéré que la vie est le fruit du hasard. En réalité, depuis la nuit des temps, ou disons depuis que l’Homme est l’Homme, il y a deux hypothèses concurrentes pour expliquer l’origine de la vie : le hasard ou un créateur. Toutes les autres hypothèses sont en réalité des variantes de l’une des deux. Ainsi l’hypothèse des multivers n’est qu’un énième avatar très imaginatif de l’hypothèse du hasard.

Mais l’hypothèse adverse et traditionnelle, celle du créateur, a été de nos jours nullifiée sous prétexte qu’elle ne serait pas scientifique. L’idée derrière est que puisqu’on ne peut prouver que ce créateur — Dieu pour parler simplement — n’existe pas, l’hypothèse n’est donc pas réfutable et seules les hypothèses réfutables sont scientifiques. Bon, admettons, mais en quoi alors l’hypothèse du hasard serait plus scientifique ? Peut-on prouver que le hasard n’existe pas ? Non, pas davantage.

On pourrait aussi dire qu’il n’est aucun besoin de ces deux hypothèses pour faire de la science et ce serait vrai. Néanmoins dans la pratique, on ne cesse de faire cette hypothèse plus ou moins implicitement que le monde et la vie sont nés du seul hasard. Quand on étudie l’origine de la vie, on ne doute pas un seul instant que les atomes se sont rencontrés au petit bonheur la chance, puis que les molécules se sont formées par hasard et que ces rencontre et transformations fortuites ont fini par donner les premières formes de vie, même si on n’a pas l’ombre d’une idée du processus qui fait passer de molécules dites organiques à une cellule vivante. Ainsi d’un univers désordonné, on serait arrivé à ce phénomène hautement ordonné qu’est la vie et ceci par hasard. Ce n’est ni logique ni raisonnable d’en arriver à cette conclusion qui ne suit guère le principe de parcimonie d’Ockham, c’est le moins qu’on puisse dire. En fait vous l’avez compris, l’hypothèse du hasard à l’origine de toutes choses n’est pas une hypothèse dans nos sociétés occidentales mais un dogme absolu. Exactement comme il y a eu des dogmes théocratiques à des époques antérieures, nous sommes maintenant sous l’emprise toute puissante de dogmes athées qui n’ont pas plus de fondement scientifique que les précédents. On pourrait résumer l’évolution de notre pensée en disant que c’est le monde du Rien qui succède au monde du Tout.

Bien que la science puisse très bien se passer de ces hypothèses, il ne faudrait pas croire que ce dogme n’est pas un obstacle à son avancement. Les dogmes, quels qu’ils soient, sont toujours, non pas des remparts pour préserver la vérité mais des défenses d’y pénétrer. Cela signifie dans la pratique, dans le monde réel et non théorique, que si vos découvertes ou recherches laissent à croire que vous vous écartez du dogme, même implicitement, elles doivent être rejetées sans plus d’examen (de procès). Ou bien, s’il n’est pas possible de les éliminer complètement, il faut les tordre jusqu’à ce qu’elles rentrent dans le cadre permis.

L’un des problèmes majeurs auquel a dû faire face le croyant fidèle du nouveau paradigme dès le début est la quantité apparemment infinie d’événements et leur improbabilité non moins infinie pour chacun d’entre eux d’arriver qui aurait finalement conduit à la vie. Et plus la science avance, plus elle révèle de complexités, plus elle révèle d’intrications entre les corps, les particules, plus il devient difficile de le justifier par le simple jeu du hasard.

À une époque pas si lointaine, la réponse la plus typique et standard à cette objection était : « si le monde n’était pas tel qu’il est, nous ne serions pas là pour l’observer, donc nous ne pouvons observer un monde que s’il possède toutes les qualités qui nous émerveillent… à tort ». Cela s’appelle en langue savante le principe anthropique. Notez qu’il s’agit d’une pure tautologie (une façon d’enfoncer très fort une porte ouverte). Il est en effet indiscutable. Mais il est aussi faible, bien faible (c’est d’ailleurs son nom : le principe anthropique faible). Il n’explique rien et ne veut surtout rien expliquer. Par exemple, il ne répond absolument pas à la question de la cause de cette complexité apparemment inaccessible au seul hasard. Le fait, évident en soi, que les propriétés de notre univers sont obligatoires pour permettre notre existence et donc celle d’un observateur n’expliquent en rien comment ces propriétés si pratiques et si nécessaires, toutes nécessaires, ont pu être réunies dans notre univers.

Il a donc fallu chercher une réponse qui soit plus à la hauteur du défi posé et qui rentre dans le cadre du dogme général. Et c’est là qu’on a eu l’idée géniale de ce fameux multivers qui fait les gros titres des journaux et des youtubeurs « sérieux ». Voici le raisonnement : puisqu’il est effectivement très difficile de contrer l’argument de ces nouveaux hérétiques concernant l’improbabilité extrême de notre présence dans cet univers, eh bien avançons l’hypothèse que cet univers improbable est en fait hautement probable et même certain s’il existe une infinité d’univers. Comment cette infinité d’univers est apparue, simultanément ou successivement, peut être laissé à l’imagination de chacun, le but n’étant pas d’expliquer mais de justifier l’extraordinaire improbabilité mathématique que notre monde soit le produit du hasard. Cette idée reprend l’idée ancienne que si un singe ou n’importe quel âne tapait à la machine sans s’arrêter pendant un temps infini, il finirait forcément au moins une fois par écrire la bible, l’œuvre complète de Shakespeare et, j’imagine, celle de la comtesse de Ségur. Ainsi donc sur une infinité d’univers, il doit nécessairement apparaître un jour le nôtre, avec toutes ses lois si bien réglées. Et voilà le tour est joué, question suivante…

Bien entendu, il n’y a pas l’ombre d’une preuve, pas l’ombre d’un indice que ce multivers soit autre chose qu’un fantasme. Et il ne peut pas y en avoir. Ce n’est donc absolument pas une hypothèse scientifique. On peut en effet être certain que cette hypothèse ne fera pas avancer la science d’un iota même si l’humanité devait perdurer un milliard d’année ou même durant l’éternité. Répéter une action ou une parole pendant un temps infini ne la rend pas plus pertinente si elle est stupide. C’est de plus tout le contraire de ce que le principe de parcimonie appelle : toutes choses égales par ailleurs, l’hypothèse la plus probable pour expliquer un phénomène est la plus simple. Ensuite l’affirmation même que de l’infinité sort obligatoirement la bonne pioche est fausse. Bien des ensembles pourtant infinis ne contiennent pas le chiffre 1. Et un livre infini ne contiendrait pas nécessairement le texte que je suis en train de taper.

Enfin, même si on admettait sans autrement discuter l’existence de ce supposé multivers, aurait-on avancé d’un pouce ? Non. Ce n’est qu’une façon particulièrement compliquée et peu scientifique de reculer le problème. Ce problème fondamental : pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

Une autre tentative, plus ancienne et beaucoup mieux conçue, pour balayer l’hypothèse de Dieu est la célèbre théorie de Darwin. Son aura et son emprise sur nombre d’esprits vient d’un glissement subtil et pas toujours noté. Au commencement, la nouvelle théorie de Darwin, née de ses ruminations sur le pont du Beagle se voulait une réponse à certains constats comme les différentes formes de becs des pinsons des différentes îles Galapagos et elle explique en effet de façon convaincante ces différences. Il s’agissait donc à l’origine d’une théorie modeste, de portée très limitée. Mais cela ne suffisait visiblement pas à son auteur qui avait un tour d’esprit philosophique et vous savez que les philosophes ont un goût immodéré pour les généralisations grandioses et universelles. Darwin a donc eu l’idée typiquement philosophique d’étendre sa petite théorie de l’évolution des becs des pinsons des Galapagos à la vie entière, depuis son apparition sous forme de bactérie unicellulaire jusqu’à l’Homme (et pour les Darwiniens les plus convaincus jusqu’à l’Homme à grosse tête qui doit nous remplacer incessamment sous peu). Vous notez le glissement ? Si Darwin avait en effet des indices — certains les qualifient très généreusement de preuves — que des changements comme la forme d’un bec ou la couleur des ailes d’un papillon se passent effectivement selon le modèle proposé par l’Anglais, à savoir par incrémentation successives de mutations aléatoires avantageuses pour son porteur et sélectionnées par l’environnement (c’est-à-dire par la loi de la jungle), il n’en avait aucun(e) pour sa théorie non restreinte et pour tout dire « générale ». Et comme Darwin était tout de même scientifique (en plus d’être philosophe), il en était si bien conscient que pour pallier ce manque, il s’est lancé dans une série de prédictions que l’on découvrirait ceci et cela dans l’avenir proche qui justifieraient sa théorie générale. En fait, on a découvert beaucoup de choses depuis ce jour mais pas du tout ce que prévoyait Darwin. On n’a, par exemple, jamais trouvé les quantités innombrables de chaînons manquants nécessités par son modèle d’évolution par (tout) petits pas. En revanche, on a découvert l’ADN et l’ARN, les protéines, on a commencé à comprendre comment fonctionne les gènes et rien de tout cela ne s’accorde vraiment avec la vision de Darwin. Ce dernier avait l’idée simple et fausse que les gènes et les caractères physiques étaient liés par une bijection : à un gène donné, un caractère donné et un seul ; à un caractère donné, un gène et un seul. Darwin avait l’idée simple et fausse que seuls les gènes déterminent le phénotype (l’ensemble des caractères physiques d’un individu) et que ces caractères ne sont jamais induits par des pressions extérieures, environnementales, bref que ces caractères arrivent toujours par hasard. Aujourd’hui, nous savons qu’il se trompait sur tous ces points. Eh bien, il avait le droit de se tromper, n’est-ce pas, il avait le droit de ne pas tout savoir, comme tout un chacun. La question est : pourquoi nous, Terriens du vingt-et-unième siècle continuons à faire comme si de rien n’était et continuons à enseigner la théorie de Darwin, rebaptisée parfois néodarwinisme, comme si c’était vérité d’Évangile ?

Eh bien justement parce que c’est ça : le dogme hasard est devenu vérité d’Évangile.

Un article de ma part centré plus précisément sur la théorie de Darwin et ses limites : ici.

jeudi 14 août 2025

L'attaque du bébé géant* suivi de la reddition du bébé géant

 



Suivant toujours notre désir d’éduquer le peuple et de lutter contre « l’Empire du Mensonge », nous donnons ici (donner veut dire céder gratuitement) l’entière explication des derniers faits et gestes du bébé géant Trump. Grâce à nos canaux d’information ordinaires et extraordinaires, nous savons en effet non seulement ce qui s’est passé, ce qui se passe mais aussi ce qui va se passer (jusqu’à un horizon des événements généralement estimé de 3 ans dans le futur).

Le danger que représentent les manigances du bébé géant — entre 3 et 17 m de haut selon les témoins — n’est plus à prouver. Ses piétinements, son arrogance juvénile, ses explosions de colère ou de joie malsaine, son incapacité à mesurer sa force ainsi que son ignorance totale du monde extérieur et de ses usages ont déjà provoqué, directement ou indirectement, la destruction de nombreuses villes et même pays entiers. On signale des morts par millions sur son passage, et tout ceci en six mois seulement. Rien ne semble pouvoir l’arrêter, hormis sans doute une bombe atomique mais quel serait l’intérêt de remplacer un fléau par un autre encore plus grand ? Rien ne semble pouvoir l’arrêter excepté un certain M. Poutine.

Witkoff, le représentant officiel préféré du bébé géant, tel le hérault de Galactus, argenté lui aussi mais moins joli, est arrivé dernièrement dans son petit vaisseau à Moscou pour l’avertir de sa destruction imminente. Du mois, c’est ce que les attachés de presse du bébé géant (chacune de ses bottes en contient environ mille) ont raconté. Ces menteurs triés sur le volet ont aussi prétendu qu’un certain habitant de Moscou, professeur de judo dans la vie civile, M. Poutine, aurait aussitôt remis les clés de la ville au hérault et présenté ses offres de service à son maître Gal… Trump. De façon encore plus grotesque, ils ont assuré la main sur le cœur que c’est M. Poutine qui avait demandé un entretien avec le bébé géant. Enfin ils lui ont prêté divers projets plus fantaisistes les uns que les autres.

Nous devons donc ici rectifier quelque peu la « narrative » comme on dit outre-Atlantique.

Naturellement M. Poutine n’a rien demandé de tel. La seule raison pour laquelle Witkoff est venu à Moscou est justement de demander à M. Poutine de cesser de contrarier le bébé géant et de bien vouloir rencontrer son maître G… Trump. Pour ne pas contrarier davantage le bébé géant (et provoquer par là quelques millions de morts de plus) M. Poutine a donc finalement accepté.

Ici nous donnons verbatim l’essence de l’entretien de M. Poutine avec Witkoff (la seule partie substantielle), et nous en profitons pour annoncer que ce sera également la substance de la future réunion entre M. Poutine et le bébé géant qui aura lieu comme chacun sait maintenant chez les esquimos et les ours blancs.

« Écoutez, a dit (et dira) M. Poutine après les cérémonies et bla-bla d’usage, nous savons que vous ne souhaitez pas la paix en Ukraine mais un cessez le feu suivi d’un gel du conflit. Eh bien ça tombe bien car cela nous convient.

« Pour atteindre ce but commun donc, il existe deux scénarios. Dans le scénario A, qui est le plus rapide et le moins douloureux, vous cessez de fournir armes et argent au pouvoir bandériste de Zelensky, vous persuadez vos « amis » européens de faire de même, ce qui ne sera pas trop difficile après deux ou trois bons coups de pied au cul (ils adorent ça). L’armée bandériste se retire de Zaporojia, Hrerson et ce qui leur reste du Donbass. Cela peut se faire en quelques mois. Pour la suite, libre à nous de constituer une zone démilitarisée le long des nouvelles frontières de facto (que vous les reconnaissiez ou non n’a guère d’importance). Nous vous laissons l’initiative pour la suite. Si vous voulez déclarer Victoire, si vous voulez entonner des louanges à la gloire du bébé géant, pas de problème, cher ami, nous ne vous le contesterons pas. Et M. Trump aura son prix Nobel de la paix comme prévu à la fin de l’année.

« Scénario B. Vous ne voulez pas ou ne pouvez pas arrêter de fournir armes et argent pour quelque raison au sous-Reich de Kiev. Alors nous continuons. Nous allons prendre Zaporojia, Hrerson et ce qui reste du Donbass. Cela prendra bien sûr un peu plus de temps de cette façon mais nous ne sommes pas pressés, comme vous avez dû vous en apercevoir. D’autant que tout compte fait, nous continuerons jusqu’à Soumy, Hrarkoff et Dniepropetrovsk, histoire d’agrandir notre zone tampon. Cela vous coûtera d’ici là encore plus d’argent, de temps et rien ne dit que les électeurs du bébé géant trouveront cela à leur goût… Ah, et on me signale qu’il y a une élection par chez vous l’an prochain, comment dites-vous ?... les midterms… Notez bien, cher ami, que le résultat sera presque le même quel que soit le scénario. Bien sûr, vous pourrez toujours alors crier Victoire, créer avec notre concours une zone démilitarisée et envoyer la candidature du bébé géant pour le prix Nobel de la paix mais quelque chose me dit que vous aurez plus de mal à convaincre…

« Les deux scénarios A et B nous conviennent, faites votre choix. »

Voilà ce que M. Poutine a très exactement dit à Witkoff après le bla-bla-bla d’usage et qu’il répétera au bébé géant de vive voix.

Naturellement, ce que M. Poutine sait et ne dit pas (car dans le métier de M. Poutine, il est impossible de dire uniquement et toute la vérité : question de légitime défense nationale) c’est que la future zone démilitarisée ne sera qu’un autre nom pour sa « zone tampon », qui empiètera de facto un peu plus sur la colonie ukrainienne restante. Quant au fait, probable, que les Otasuniens voudront profiter du gel du conflit pour réarmer et réorganiser une armée ukrainienne, M. Poutine en sourit sous sa moustache (qu’il n’a pas) car il sait bien que dans deux, trois, cinq, dix ans, l’Otasunie aura cessé, de facto, d’exister et que le bébé géant sera redevenu minuscule. Ce que M. Poutine ne dit pas non plus, c’est que sur le papier réglant les conditions du cessez-le-feu et autres minutiae, papier que devront signer M. Zelensky (ou un autre gouverneur appointé du sous-Reich) et M. Trump, on aura juste omis de marquer en gros caractères rouges : ACTE DE REDDITION.

*The Attack of the Giant Baby : nouvelle de science-fiction de Kit Reed.

Autres articles de l'auteur traitant de l'Empire ou du bébé géant : ici ou .



samedi 19 juillet 2025

Alien, Jaws, The Thing and other living nightmares

 

The lesser you see, the better the fear effect...


    In all of these outstanding movies, the main theme and powerful engine of the plot is the nightmare monster. Yes, this sort of monster only the dreamer might encounter for real in the deep of his slumber. As a matter of fact, this is primarily a haunted creature for the children’s bad dreams but I don’t exclude that it might also appear in some grown-up’s nightmares. This monster is the scariest of all imaginable monsters because of its ubiquity, its invulnerability and its unadulterated thirst of destruction (in particular human destruction). This monster is always waiting in your back whatever clever schemes you can think of, whatever your physical feats for escaping it. In the end, the dreamer is always the loser. His only way of survive is to wake up.

In the real world, I mean, in the real world of dreams (when you are sleeping), there is no need of a rationale for the presence of this kind of surnatural monster ; the dreamer, especially when young, believes wholeheartidly in it. But that’s another story when you address grown-up and teenager audience, movie-goers for instance. You have to convince them of the reality of the beast. That’s why this genre can only succeed when all the appearances of reality surrounding the creature are proved. Well, in hindsight, the proof turns to be as faked as the monster but for a spectator’s mind and for the time being plunged in the dark room, it is enough. This is why the harsh and grim and rusted Nostromo as a setting is so efficient and why the rude or down-to-earth crew is perfect for this show (when I speak of Alien, it is always the first one by Ridley Scott I consider, the sequels being weaker by an order of magnitude and even by several orders for the very last avatar). When you think of it in retrospect, you can easily spot the phony science that you were given by the wily scenarists but it’s too late, the magic has made its trick ! For instance, still in Alien, there is no way that the face-hugger can pierce the visor of the too curious and too naive astronaut. This kind of visor, for obvious reasons, is almost indestructible and certainly not by some throws of acid. By the way, the sulphuric acid-like-blood is an absolute absurdity, biologically speaking. Is it important ? No. This is a science-fiction film and in science-fiction, the only important word is the latter. All of the features of the monster are uniquely conceived to persuade the viewers of its plausibility, that they are not watching a stupid fantasy story, a children nigtmare. But in reality, this is it, just a children nigthmare thinly disguised in a real serious story. Is it a weakness or a critic ? No, it’s just fine but it’s better if you know it.

In the real world of dreams, these inescapable monsters are, in my knowledge, generally almost indescribable. They are dark, changing, without a clear face. At least, they seem like that in the awakening. If someone asks the dreamer or if the dreamer asks himself what the nightmare monster lookliked, he can only answer with some lovecraftian adjectives of his liking like sinister, atrocious, dreadful, vile, nameless, unspeakable and often slimy. Therefore, a rule of this genre, if we want to succeed, is to hide the monster in the shades of the background the longer you can. That was brought to perfection in Alien since you never see the somewhat disappointing snake-humanoïd creature in its entirety before the last shots, when the film comes to an end (in fact there is another good reason to drown the monster in darkness : hide the puppet’s strings and other special effects). Another rule to add a "turn of the screw" is to set in the plot in the most cloistered scenery. A space ship in the outer space is the absolute cloistering thing, a base in Antarctica is slightly inferior in term of confinement but still very good (in an aside, submarines, bathyscaphes and undersea stations are almost as perfect as space ships in term of confinement but I can’t find a memorable film with a nightmare monster in this context ; well, I gave a cheap tip for future scenarists). Therefore for all these reasons, in my sense, Alien is the ultimate film of nightmare monsters.

In spite of the appearances, Jaws follows the same pattern in its broad lines (I only consider the Spielberg’s film here). The undersea serves as a cover of darkness for the monster, even while it’s hot and sunny everywhere else (of course, the scenery is a seaside resort during the summer season). The contrast between the casual sunny background, the happy vacationners and the unquenchable bloody monster is nevertheless a small feature of originality in this dark genre (now become usual but never as well crafted as in the original). The end departs of the rule of the genre because the monster should never be destructed once and for all : that’s its weakest point. I repeat, in these nightmare monster films, you should only escape of the creature when the dream stops, that is, when the lights come back in the dark room. In this regard, The Thing has the most powerful ending : everybody dies or will soon die. And that’s right : you can’t hope for survival against this sort of monster.

Why ? Why you can’t have a glimmer of hope in this genre ? Because the monster is both a symbol and a reminder. It is the symbol of death, under another disguise than the grim reaper with the black houppelande. And you can’t escape death : this is a fact. Now, I wish to propose my theory on the subject, for the sake of entertainment. As I said, the real root of this genre is the nigtmare monster which populates our dreams, especially when we are young. I believe that some dreams have a powerful function of warning on the dreamer. What’s the warning in this case ? Very simple. The children and the youth in general have the unshakable belief that they will live forever, that they are immortal. And they have this strong conviction because they still know without knowing that they know it that the spirit in them is immortal. The spirit, yes, but not their soul. So it is cautious and advisable for young people to have periodically this sort of brutal reminder.


A true nightmare, in French.

The masters of nightmare : Hodgson and Lovecraft (in French)

A different type of nightmare through madness by Gene Wolfe (in English).