samedi 8 février 2025

La seconde personne la plus puissante au monde


    Comment j’ai appris à me servir de mon grand pouvoir est une longue histoire, bien trop longue pour vous la raconter de A à Z, de peur que vous mourriez avant d’en connaître la fin. Je suis très sérieux. Ce pouvoir est si grand, si inconcevable pour un être ordinaire comme moi, que je n’avais pas même le soupçon de son existence avant ce jour mémorable de juillet. De son existence en moi ! Et depuis le commencement ! Depuis que j’ai conscience du monde, ou peut-être même avant pour ce que j’en sais. Il était là, au fond de moi, et je n’en ai rien su. Croyez-moi, cette révélation m’a stupéfié au-delà de tout ce que vous pouvez imaginer (car en vérité vous ne pouvez imaginer ce que c’est d’être doué d’un tel pouvoir).
    Il a fallu que cet étranger — cette créature plutôt — arrive dans la région pour que je commence à entrapercevoir la nature de ce pouvoir. Quelle terrassante responsabilité est devenue la mienne ! Qui aurait cru que le détenteur d’un tel pouvoir prendrait la forme d’un être aussi minuscule, aussi insignifiant que moi ! Et pourquoi ici, dans ce semi-désert ?
    J’habite dans une de ces parties du monde qu’on qualifie de pays chaud, avec toutes les images de cartes postales qu’on y associe, plages, lagons de rêve, mer bleue et transparente, cocotiers et bananiers. Mais la vérité est qu’il n’y a rien de tout ça ici, en tous cas pas aussi loin que je suis allé. Je n’ai jamais vu la mer par exemple, sauf justement sur des photos ou à la télé. Pas de plages blanches ou dorées, pas de cocotiers, pas même de ces forêts luxuriantes qu’on appelle jungles. Il fait juste chaud et le soleil est brûlant toute l’année, à peine moins l’hiver que l’été (si on peut qualifier les saisons locales d’hiver et d’été). La végétation autour de la case — appelez-la maison si vous voulez mais c’est plutôt une case, avec un toit de tôle et des fenêtres à volets avec persiennes mais sans vitre (pour quoi faire les vitres ?) — est sauvage en apparence, je veux dire hostile, mais sans le côté pittoresque qu’on voit dans les films ou les livres pour enfant. Personne n’a envie de s’y promener et de toute façon ce n’est pas possible : essayez donc de traverser cette lande plus ou moins rase, pleine de buissons épineux si touffus qu’en moins de dix mètres vos habits seraient changés en charpie ! Même mon grand pouvoir ne peut rien contre ça.
    Les arbres, des arbustes plutôt à vrai dire, ont eux aussi des épines mais il n’y en a pas beaucoup ici. Peut-être à cause du vent, un vent sec, qui ne rafraîchit rien, bien au contraire, ou peut-être à cause du sol qui n’est pas très bon (c’est pourquoi il y a très peu de cultures dans le coin et je suppose que c’est la raison pourquoi il y a aussi peu d’habitants). Malgré cette topographie végétale presque rase, il y a beaucoup de lianes, de toutes les sortes, rampantes, grimpantes, et toutes sans exception je crois bien ont elles aussi des épines. La raison de toutes ces épines chez ces plantes est, si j’en crois ce que j’ai lu, de se protéger de la dent des herbivores. Mais je n’ai jamais vu beaucoup d’animaux là-dedans, même pas des biquettes. Alors peut-être que ces animaux ne sortent pour manger que la nuit. Qui sait ? Moi, je dors la nuit.
     Certaines de ces lianes ont des fleurs qu’on remarque, de très jolies fleurs, aux couleurs vives, rouges, bleues, blanches, violette, orange, et ces fleurs donnent des fruits excellents au goût mais pas très juteux. Pensez à des fruits de la passion mais beaucoup plus petits et d’ailleurs c’est probablement ce qu’ils sont, des fruits de la passion sauvages.
     Si donc vous voulez vous représenter l’endroit où je vis, il faut imaginer une sorte de steppe vaguement accidentée, dorée ou grise selon la saison, c’est-à-dire selon le degré de sécheresse, avec quelques points vert vif très localisés qui apparaissent après les rares pluies et des plaques noires là où la roche est à nu ou bien là où le dernier feu de brousse est passé (en effet la roche ici est aussi noire que du charbon).
     La case que j’habite se situe au milieu de cette brousse. Les autres maisons sont abandonnées pour la plupart mais pas toutes. Certaines ont même été déjà colonisées par les lianes dont j’ai parlé plus tôt. Cela forme des vagues végétales indistingables du reste pour un voyageur de passage (mais il n’y en a jamais, sauf cet étranger dont je dois vous parler avant de l’oublier). Parfois un arbre plein d’épines réussit à passer par un trou du toit, une fois que la tôle est bien rouillée, ou bien emportée par une tempête. L’un de ces arbres sorti d’une ruine juste en face de chez moi présente tous les trois ou quatre ans des gros fruits épineux, bleu gris, qui me font penser à ces boules qui garnissaient les fléaux d’arme des chevaliers du Moyen-âge (je l’ai vu dans un livre). Le truc le plus bizarre est que je n’ai jamais vu ces fruits nulle part ailleurs dans la région. Peut-être que cet arbre vient d’un fruit exotique que l’ancien propriétaire avait dans sa coupe de fruit et qu’il a laissé en partant, qui sait ? En tout cas, c’est la seule explication logique que j’ai pu trouver.
    En y réfléchissant (je ne peux pas m’empêcher de réfléchir à cet arbre aux drôles de fruits vu qu’il se trouve en face de ma véranda et que la véranda est l’endroit de la maison où je passe le plus de temps) je crois plutôt que c’est un cadeau involontaire de l’étranger. Je me souviens en effet l’avoir vu manger un de ces fruits la première fois qu’il est venu. Il a dû jeter un pépin, ou un noyau ?... en passant devant la vieille barraque et cet arbre est apparu un beau matin. Oui, je ne l’ai pas dit mais cela fait un certain temps que l’étranger est venu pour la première fois.
     La case que j’habite est aussi occupée par une femme et, parfois, sa fille. Mais je vois de moins en moins souvent la jeune qui a probablement une autre adresse. J’ignore si elle m’appartient — la case, pas la femme — et cela m’est en fait bien égal car je ne suis pas attaché à cette maison ni d’ailleurs à aucune autre. Mon idée est que je n’en suis que le locataire à quelque titre mais le fait est que j’ai aucun souvenir de mon arrivée ici. Et non, cet oubli ne me surprend pas. C’est dans l’ordre des chose, vous comprendrez bientôt pourquoi.
    Si je devais me décrire comme j’ai décrit l’endroit où je vis mais en plus résumé, je dirais que j’ai moi aussi pas mal d’épines. Je dirais surtout que je suis une personne solitaire. Je ne le dis pas pour me faire plaindre mais parce que c’est un fait et que c’est d’ailleurs l’état qui me convient le mieux. Et — pour être honnête — c’est l’état qui convient le mieux à tout le monde. Quand vous possédez un pouvoir aussi grand que le mien, sans possibilité réelle de le contrôler, il est dangereux de se trouver trop près.
    Vous me direz qu’il y a cette femme et sa fille qui cohabitent, pourrait-on dire, avec moi. En fait nous nous croisons rarement. La case est plutôt grande maintenant (c’est pourquoi j’ai dit que vous pouviez l’appeler maison, ou château comme dit ma colocataire, même si elle ressemble plus à une case selon moi) et je crois que nous avons pris des dispositions à une époque que j’ai oubliée pour ne pas nous gêner les uns les autres. Quelles pièces nous pouvons utiliser, à quel moment, quand nous pouvons utiliser la voiture (car il n’y en qu’une pour trois), pour combien de temps, etc.
    Personnellement, je n’ai pas de problème avec ma propriétaire (je pense à la réflexion que cette femme est la vraie propriétaire de la case car sinon pourquoi serait-elle là ?!). Pour le savoir, il faudrait que je lui parle et je ne lui parle pas. Sa fille m’ennuie davantage. Elle n’est pas réglée, fait des irruptions intempestives, ne comprend pas que nous ne sommes pas de la même génération et qu’en somme j’ai besoin de mon espace vital, comme on dit. J’ai l’impression que nous ne parlons pas le même langage, quoique nous utilisons généralement la même langue, quoique je connaisse le sens de chaque mot qu’elle emploie. Et quand, ou plutôt si je lui parle — ce qui est rare — je vois bien à son expression qu’elle ne comprend rien non plus. Elle a les yeux écarquillés, les sourcils froncés et les oreilles dressées comme si elle devait décrypter une langue étrangère particulièrement difficile. Peut-être pense-t-elle que je suis étranger, moi aussi, Russe ou dieu sait quoi !
     En dehors de ces deux personnes, et de deux ou trois gamins qui vont et viennent sans que je sache d’où ils sortent, je ne vois pour ainsi dire personne et comme je l’ai dit, cela convient à tout le monde. J’ai en effet un métier qui me dispense d’avoir des relations avec autrui, en plus d’habiter dans cet endroit désert. Et les rares visiteurs sont pour la femme ou sa fille (je me demande parfois si ce n’est pas sa sœur cadette car elles se ressemblaient tout de même beaucoup ces deux-là). C’est pourquoi quand l’étranger est venu pour la première fois et qu’il m’a fait demander, j’ai su aussitôt que cela devait avoir trait à mon pouvoir. Car bien que je ne connaissais pas l’existence de mon pouvoir à ce moment-là, j’en connaissais les effets ! Comprenez-vous ? De même qu’on peut constater les effets d’une maladie sans connaître rien de cette maladie ni même savoir qu’il s’agit d’une maladie, on peut constater les effets d’un pouvoir comme le mien sans comprendre d’où cela vient. C’est même impossible à manquer.
    Une autre raison (ou peut-être est-ce la même, allez savoir ?) qui faisait que j’ignorais mon pouvoir est que celui-ci ne se manifestait alors que la nuit, ou du moins quand je dormais, à mon insu donc. Ainsi il m’arrivait de me réveiller le matin et de trouver que l’une de mes colocataires avait rajeuni de dix ans ou le contraire. Cela m’ennuyait beaucoup car je ne savais plus qui était qui, je veux dire entre les deux femmes qui habitaient ici, sans parler des enfants qui changeaient eux aussi beaucoup. Ce n’est que maintenant, après que l’étranger m’ait rendu visite, que j’ai réalisé qu’il n’y avait en réalité qu’une seule femme dans cette case. Je ne sais pas ce que je me figurais à l’époque pour m’expliquer ces changements mais jamais avant la venue de l’étranger, je n’ai eu l’idée que j’en étais le responsable.
    Mon pouvoir ne s’arrête pas aux limites de la maison ou du jardin (si on peut appeler des friches un jardin). Ai-je déjà dit que les passants étaient rares dans le coin ? Oui, je vois que je l’ai dit (j’ai dû me relire car je ne m’en souvenais pas). En effet, en plus d’être sauvage, le site avait la réputation d’être un endroit à éviter. On l’appelle d’ailleurs par ici la Zone. Des imprudents ou des ignorants, des étrangers, je veux dire des hommes normaux mais pas de la région, ou des chasseurs (il y a des sortes de cailles et de poules sauvages dans cette lande ainsi que d’autres gros volatiles qui ne volent pas du tout) ou des livreurs d'Amazon ont disparu pendant des années alors qu’ils passaient ici avant de réapparaître subitement, sans explication crédible. Certains avaient cru mourir de vieillesse avant de pouvoir sortir de la Zone. D’autres avaient vu leurs mouvements se ralentir progressivement, comme saisis d’une paralysie croissante et il leur avait fallu des jours et des nuits avant de franchir la distance, pourtant ridicule à vue d’œil, les séparant de ma case, et ils en avaient franchi le seuil presque mort de soif et de faim.
     Un autre effet de mon pouvoir, ou disons un effet secondaire, est ma mauvaise mémoire. En effet, quand il s’écoule des mois ou des années en l’espace d’une nuit (et parfois bien moins qu’une nuit), vous oubliez forcément beaucoup de choses.

    Quand l’étranger arriva enfin — je dis enfin parce que cela faisait des années, plus probablement des siècles qu’il me cherchait — la nuit était tombée depuis plusieurs heures. Je n’avais pas l’habitude de recevoir quelqu’un à une heure aussi tardive, ou d’ailleurs à n’importe quelle heure. En fait, je devais être déjà au lit si je ne dormais pas encore.
    C’est ma colocataire qui reçut l’étranger. Elle n’est pas facile à désarçonner aussi ne s’alarma-t-elle pas outre mesure que le visiteur fût entré sans attendre l’ouverture de la porte. Naturellement, celle-ci était fermée et verrouillée à cette heure. C’est du moins ce qu’elle me dît ensuite et je l’ai cru car elle ferme toujours la porte à la nuit tombée : c’est une chose qu’elle n’oublie jamais. Comment était-il entré ? Elle n’en avait aucune idée. Plus tard bien sûr tout s’éclaira mais elle ne pouvait pas le savoir à ce moment-là.
     C’est le bruit de la canne de l’étranger qui l’avertit de sa présence. L’homme, si on peut dire, était très bien habillé, comme pour une visite officielle avait-elle pensé, ce qui voulait dire, selon elle, que l’on avait pensé à moi en très haut lieu (ne me demandez pas ce que signifie cette phrase dans sa bouche, je n’en sais rien). Il portait des gants blancs en cuir d’agneau, qu’on ne voit guère dans nos régions, si tant est qu’on en voit d’une autre sorte, et un chapeau qui semblait plus destiné à voiler ses traits qu’à le protéger du soleil (mais c’était la nuit comme j’ai dit). Sa canne brillante comme de l’argent ajoutait à son apparence intimidante. Cet article n’était cependant pas uniquement pour l’apparat car l’étranger démontra aussitôt des difficultés considérables à se déplacer sans celle-ci et en fait, même avec elle. Ce n’était pas vraiment la démarche d’un boiteux mais celle d’un qui n’aurait jamais appris à marcher sur deux jambes, faisant songer à un bambin qui aurait commencé à abandonner la position à quatre pattes. Comment dans ce cas avait-il pu parvenir jusqu’ici, dans cet endroit reculé, sans véhicule, où tant de gens mieux bâtis avaient perdu leur chemin — ou leur temps ! — presque mortellement est une question qu’elle ne se posa pas. Au lieu de quoi, elle accueillit le visiteur comme si sa venue était des plus naturelles et comme si son infirmité était une excentricité pardonnable. Le visiteur titubait plus qu’il ne marchait et durant cette nuit, il tomba à plusieurs reprises quand, dans l’excitation de la conversation, il oubliait sa canne ainsi que son infirmité.
    Mais le trait le plus saillant de sa personne n’était pas sa canne mais ses lunettes. À cause de sa canne, de sa couleur, on aurait pu croire qu’il était aveugle, qu’il n’avait pas d’yeux. Au contraire, il en avait trop ! L’appareil optique qu’il portait sur la face et que la femme appelait des lunettes était en effet constitué d’une bande métallique qui lui faisait le tour de la tête avec de petites guichets disposés irrégulièrement tout le long. En plus, la bande métallique n’était pas centrée un peu en dessous de la racine du nez, là où se trouvent les trous des yeux en principe mais un peu au-dessus. Que la femme n’ait rien remarqué est vraiment extraordinaire ! Mais après tout, elle n’avait rien remarqué non plus quand elle se réveillait avec dix ans de plus (ou de moins, je ne sais plus).
     Tout cela, ai-je compris plus tard, était un effort de l’étranger, dicté par son aimable caractère, pour nous ressembler le plus possible, mais avec un succès que l’on pourrait qualifier de mitigé.
     En dehors de ces « excentricités » comme dit ma colocataire, le visiteur avait un air respectable, un sourire qui donne confiance (tout du moins pour la partie visible du visage), des manières simples et l’élocution aisée.
— De quoi voulez-vous me parler à cette heure ? ai-je demandé au visiteur, car j’étais tout à fait réveillé à ce moment.
— À cette heure comme à une autre, a-t-il répondu avec son drôle de sourire.
— Bon, qu’avez-vous à me dire de si urgent ? ai-je reformulé.
— Mais le temps bien sûr. Nous allons parler du temps qu’il fait. De quoi d’autre parlerions-nous ? a-t-il rétorqué en se tournant vers ma colocataire avec un air béat comme si c’était elle qui avait posé la question.
Puis il s’est mis à rire doucement avant de poursuivre :
— Voyez-vous, chère madame, l’homme avec qui vous avez la chance de partager ce toit, est une des deux personnes les plus puissantes que recèle l’univers entier. Et l’univers que je connais est beaucoup plus vaste que ce qu’en connait l’humanité.
La femme à qui il s’adressait est restée un instant sans répondre, observant fixement le visiteur, avant de partir d’un grand rire bruyant.
— En voilà un bonimenteur ! chuchota-t-elle en se cachant la bouche et en la tordant de mon côté. Il veut nous vendre quelque chose, je crois bien.
— Oh bien sûr, continua l’autre sans se laisser perturber, il le cache bien. C’est pourquoi j’ai mis tant de temps avant de le localiser. Il veille bien à ne se servir de son pouvoir qu’en cas d’extrême nécessité. Car le paradoxe est que lorsqu’un pouvoir devient si grand, une personne responsable ne peut s’en servir que selon des circonstances très particulières et très rares qui, dans la pratique, ne se trouvent presque jamais réunies. Mais la source d’un tel pouvoir ne peut rester longtemps inconnue, malgré toutes les précautions qu’on peut prendre. Rien ne peut échapper à mon regard perçant, chère madame. Encore faut-il penser à regarder au bon endroit.
— Et quelle est la seconde personne la plus puissante de l’univers ? a demandé ma colocataire en gloussant et en clignant de l’œil grossièrement de mon côté comme si tout cela était une plaisanterie qu’elle était bien décidée à savourer jusqu’au bout.
     En guise de réponse, l’étranger se contenta de pointer son index en direction de la porte et celle-ci s’ouvrit. Mais elle ne s’ouvrit pas comme une porte est censée s’ouvrir, elle ne pivota pas sur ses gonds, on aurait dit que l’interstice entre le battant et le chambranle s’était soudain dilaté jusqu’à pouvoir laisser le passage à un homme.
    La femme ouvrit des yeux ronds à la vue de ce prodige mais se reprit presque aussitôt et regarda le visiteur avec un sourire ironique comme si c’était une sorte de vulgaire prestidigitateur qui faisait apparaître des lapins dans son chapeau.
— Ceci est un petit échantillon de mon pouvoir, poursuivit l’étranger. Disons que c’est ma carte de visite. Je suis en effet la seconde personne la plus puissante de l’univers, comme vous l’avez deviné. Et quand je dis la seconde, je pourrais aussi bien dire la première ! ah, ah ! voyez-vous cette étoile par l’ouverture que je viens de créer dans votre maison ? Eh bien je pourrais nous y emmener en un clin d’œil, tous les trois avec cette maison en guise de vaisseau interstellaire.
— Comment faites-vous ça ? ai-je demandé avec une sincère curiosité.
— Un scientifique vous répondrait sans doute que cela à voir avec la gravité, répondit-il. Il existerait selon eux des particules invisibles, qu’ils appellent des gravitons bien qu’en vérité ils n’en aient jamais trouvé un seul, et ces particules infimes seraient la source de la force cosmique, celle qui attire les planètes et les étoiles. Et ils supposent qu’il existerait aussi leur symétriques, des anti gravitons qui repoussent les corps célestes. Eh bien disons que je commande aux deux. Je peux contracter l’espace ou au contraire le distendre, je peux créer des dimensions là où il semblait ne pas y en avoir ou réduire l’espace en un seul point. Je pourrais ainsi faire disparaître cette maison de la vue du monde entier. Oh, ne craignez rien, elle ne disparaitrait que pour un spectateur extérieur, vos voisins par exemple ; pour vous, il n’y aurait rien de changé.
— Sauf si nous voulons en sortir, ai-je remarqué. Nous serions alors plus petits que des Lilliputiens.
— Exact.
— Et si au lieu de ça, vous faisiez grossir cette maison jusqu’à ce qu’elle soit aussi grande qu’un centre commercial de quatre étages, est-ce que nous deviendrions des géants ? demanda ma colocataire d’un air soudain très intéressé.
— Absolument. Relativement au monde extérieur, vous le seriez.
— Hum, faites donc ça et je vais rendre visite à une de mes voisines ce soir-même. Je vais lui flanquer la peur de sa vie à cette harpie !
— Eh bien, c’était une illustration. La vérité est que je ne pourrais pas changer la taille de cette maison sans changer un bon bout de cette planète avec et ce ne serait pas une bonne idée, croyez-moi. Demandez plutôt à votre locataire. Il peut faire ça mieux que moi.
La femme se tourna vers moi, m’observant avec un œil sceptique.
— Il peut me transformer en géante, vraiment ?
— Non, mais il peut réduire la maison de votre voisine en un vulgaire tas de pierre ou même en poussière. Ce serait un jeu d’enfant pour lui. Et vous seriez débarrassé de votre voisine encombrante.
— Non, je ne peux pas faire ça, ai-je répondu.
— Bien sûr que non. Vous êtes un homme sage, responsable, équitable, patient, magnanime, comme moi-même. Mais le point important est que vous le pourriez si vous le vouliez.
— Non, ai-je répété.
    Et j’ai dû avouer à la seconde personne la plus puissante du monde que je ne contrôlais pas mon pouvoir comme lui, en fait que je ne le contrôlais pas du tout, à tel point que j’ignorais encore avant qu'il ne me le dise que je possédais ce pouvoir.
— Ce n’est que la nuit, quand je dors, que ça marche, ai-je ajouté, soudain saisi d’une illumination.
— Voilà qui est fort ennuyeux. Et même fort dangereux, a dit l’étranger, songeur. Le monde pourrait fort bien ne pas se réveiller un de ces jours pendant que vous dormez.
— Et moi aussi ? demanda ma colocataire.
— Hélas, c’est fort probable.
— Si je comprends bien, vous êtes en quelque sorte le Maître de l’air et lui (elle me désigne de son pouce) est le Maître du temps ? c’est bien ce que vous dites.
— Avec des mots moins jolis que les vôtres, chère madame, mais c’est tout à fait ça.
Ma colocataire parut avoir un moment d’intense réflexion.
— Pourrait-il me faire revenir au temps où j’étais jeune, vingt, vingt-cinq, vingt huit pas plus ?
— Eh bien, c’est un peu plus compliqué que ça. Le temps, contrairement à l’espace, ne marche que dans un seul sens pour nous autres mortels. Il avance toujours et ne recule jamais.
— Il ne pourrait même pas me rajeunir s’il voulait et vous appelez ça un grand pouvoir ?! Vous vous fichez de moi !?
— Oh mais il ne cesse de le faire : quel âge pensez-vous avoir ?
— Eh bien l’âge qui est marqué sur mes papiers d’identité.
— C’est là où vous faites erreur, chère madame, si je puis me permettre. Vos papiers indiquent votre date de naissance qui en effet ne peut être changée. Mais ils n’indiquent pas votre âge. Nullement. Rappelez-vous mon illustration à propos de votre maison si je m’amusais à la grossir jusqu’à la taille d’un centre commercial selon vos souhaits. Vous, à l’intérieur, ne vous rendriez compte de rien, à moins de regarder par la fenêtre. Mais pour les gens de l’extérieur, votre maison aurait réellement poussé comme un champignon durant la nuit. Comprenez alors que le pouvoir de votre locataire fonctionne de façon assez similaire, sauf que c’est le temps qui se dilate ou se contracte au lieu de l’espace. Pour l’avoir si longtemps recherchée, je peux vous certifier que le temps dans cette maison ne s’écoule pas du tout à la même vitesse que dans le monde extérieur. D’après mes calculs, cela fait environ cinq siècles que cette maison n’a pas pris une seule année complète. Ce n’est peut-être pas un rajeunissement au sens où vous l’entendez mais c’est à ma connaissance ce qui se rapproche le plus de l’éternité pour nous autres, créatures de chair.
— Ah, il me semblait aussi que les saisons étaient bien longues ici… Mais comment alors se fait-il que mes voisins ne soient pas tous des vieillards ? Et pourquoi lorsque je descends en ville, je trouve que les gens n’ont pas tant changé que ça ?
— Cela ne prouve qu’une chose : que le rayon d’action du pouvoir de votre locataire excède le rayon de vos déplacements. Vous n’avez jamais quitté la Zone, chère madame, et croyez-moi : grand bien vous en a pris.
— Ah, cela explique pourquoi à chaque que je vais rendre visite à ma fille, j’ai l’impression qu’elle a pris un sérieux coup de vieux. Elle habite de l’autre côté de la montagne.
— Vous pourriez demander à votre locataire qu’il étende la Zone jusqu’à l’endroit où vit votre fille.
— Je ne peux pas, ai-je répété. Je ne sais pas comment faire ça.
— Alors dites-lui de venir s’installer chez vous.
— Mais elle a un mari et des enfants. Hum, du moins c’étaient des enfants la dernière fois que je les ai vus.
Ma colocataire réfléchit encore une minute.
— Cela m’embêterait que ma fille vieillisse et meure avant moi. Qu’est-ce que je ferais sans elle ? Il faut certainement qu’elle revienne vivre avec nous. Alors je crois vraiment pour ça que cette case va devoir s’agrandir. Faisons un marché, d’accord ? Vous dilatez notre maison pour en faire, disons, un château. Un grand et beau château. Sûr que vous pouvez faire ça avec votre grand pouvoir. Et en contrepartie, je vous offre le loyer gratis. Pensez à l’avantage : vous bénéficierez ici de la vie éternelle ou presque. Nous allons, moi et mon locataire (je ne veux surtout pas qu’il s’éloigne de moi d’un seul mètre maintenant), aller chercher ma fille pendant que vous faites vos petits arrangements architecturaux… Ah, et si vous pouviez aussi rapprocher la mer, ce serait encore mieux, j’ai toujours voulu avoir une maison en bord de mer…


    
    Ce texte que vous venez de lire n'est pas une histoire. C'est un rêve, de ceux qu'on fait en dormant (quel plus grand pouvoir a-t-on que dans nos rêves!). Comme souvent lorsque je fais un rêve mémorable, je prends des notes le jour même, au réveil (l'idéal serait de pouvoir prendre des notes pendant qu'on rêve, en dormant, mais je n'ai pas encore réussi cet exploit somnambulique) et j'ai donc écrit ce texte plusieurs mois après à l'aide de ces notes (trente pages tout de même!). Je ne pourrais pas le publier en tant que nouvelle, conte, fable, histoire, car il n'a pas de fin, pas de sens donc, et les lecteurs généralement détestent les histoires qui n'ont pas de fin, encore moins celles qui n'ont pas de sens. Il n'a probablement pas non plus de véritable début. Je n'ai pas essayé d'inventer une fin (ou un début) bien que j'aurais sans doute pu parce qu'il aurait en quelque sorte gâché la matière brute et je tenais à garder dans la mesure du possible l'aspect non poli de ce rêve. Tout au plus me suis-je un peu écarté de mes notes pour le dialogue final.
    Le sujet de ce rêve est pour l'essentiel, la rencontre entre les deux personnes les plus puissantes de l'univers, le Maître de l'Air et le Maître du Temps pour parler comme la femme du rêve ou dans les mangas. Et il se trouve que je suis l'une des deux, en tant que rêveur. On retrouve nombre de traits typiques des rêves dans le déroulement des événements. D'abord le rêveur est l'acteur principal puis, de fil en fil, il passe au second rang pour finir comme simple spectateur. Dans les rêves, l'inverse aussi arrive souvent et parfois même, j'en ai des exemples en tête, le rêveur arrive à concilier les deux rôles simultanément, car les dédoublements sont choses courantes dans les rêves. On observe également les métamorphoses typiques des rêves. Si vous y regardez de près, vous constaterez que le décor change insensiblement au cours de la narration, que les rapports entre les personnages changent, que des personnages apparaissent et disparaissent sans explication. Tout est mouvant dans les rêves. La logique qui régit les événements n'est certes pas la logique rationnelle, ni même celle qui régit les aventures d'Alice, beaucoup trop rigide dans son corset idéologique "absurde". On sent qu'il y a une logique dedans, une cohérence, mais du diable si on arrive à la définir : elle est trop souple, trop fluide, trop insaisissable.
    Les analyses de Freud et consort sont des jeux d'enfant. On peut certainement y trouver du sexe là-dedans, on peut y trouver tout ce qu'on veut y trouver en réalité. Le mystère essentiel n'est pas là. Une piste plus prometteuse peut être trouvée ici.


dimanche 15 décembre 2024

Ma peinture du dimanche : l’Alpha et l’Oméga

 


    Eh bien oui, on est dimanche. La vérité vraie est que je ne dessine ou ne peins pas uniquement le dimanche. Mais presque. Et je me considère comme un peintre du dimanche, modérément talentueux et très peu savant.
    Ce que vous voyez ci-dessus n’est peut-être pas ce que j’ai commis de plus esthétique ou de plus abouti mais c’est mon thème de prédilection par excellence et je peux affirmer sans crainte d’être contredit que cette peinture est le sujet dont j’ai réalisé le plus de variantes tout au long de ma ‘carrière’ de dessinateur/peintre/graphiste ou tout autre dénomination qui vous plaira. 
    Vous me direz : mais qu’est-ce que c’est que ce sujet ?! Peut-être n’y voyez-vous qu’un gribouillage de couleurs hurlantes qui sent le schizo de l’asile local, une abstraction colorée qui fait mal aux yeux. Toutefois, au moins à mes yeux, ce n’est rien de tout cela. Je suis au contraire un figuratif forcené (un péché majeur et à dire vrai impardonnable pour toute école d’art contemporaine, pire que les musulmanes à ce sujet, tout du moins à l’époque où j’y suis passé). Pour vous donner une idée plus juste du ‘concept’ (ah, ah, un grand mot qui sent son charlatan moderne à dix mètres !), j’aurais pu l’appeler — et qui sait, peut-être l’ai-je fait ! — « Création 37 », 37 n’étant là que l’ordre de production, une sorte de numéro d’opus. Bon, je n’en ai pas peint réellement trente-sept variantes différentes du même sujet, je n’en sais rien, j’ai perdu le compte, peu m’importe.
    Le titre, tout hypothétique qu’il soit, est astucieux. En effet, la peinture se veut à la fois une représentation symbolique de l’acte créateur et une représentation littérale de la création cosmique, l’œuvre de Dieu. J’en ai fait d’autres variantes plus parlantes à cet égard comme celles que vous pouvez trouver ici. Ce numéro d’opus est probablement un de mes essais les plus sauvages, les plus spontanés, les plus primaires. Très peu de réflexion, beaucoup de mouvement, d’action comme disent les critiques d’art modernes.
    Mais trêve de bla-bla et décrivons la chose plus précisément. Le cercle noir au centre représente un trou noir, pas un simple trou noir mais un super super trou noir, qui avale les galaxies et peut-être même des amas de galaxies. C’est pourquoi on trouve une densité de points blancs scintillants — aussi bien des étoiles que des galaxies — croissante en allant vers ce centre. Dans d’autres versions (voir ici par exemple), j’ai remplacé le trou noir par un grand trou blanc, une fontaine blanche comme disent les cosmologues, une branche très imaginative des astrophysiciens, ou même par une tête humaine fantomatique (voir les exemples cités plus haut) pour une plus grande lisibilité de la métaphore. La version primitive que j’en ai tirée ici me semble la plus correcte du point de vue scientifique vu que les fontaines blanches sont à peu aussi scientifiques que l’abominable homme des neiges et que le créateur à tête d’homme l’est encore moins. On pourra critiquer mes étoiles qui scintillent beaucoup trop pour des objets cosmiques, mais rien après tout n’oblige à imaginer que la vue est prise depuis le vide intersidéral ; de plus, comme je l’ai dit, ce ne sont pas tant des étoiles que des galaxies, qui semblent souvent un peu floues pour l’œil humain. Le trou noir central est né d’une explosion colossale qui cherche évidemment à rappeler le big bang originel. On en voit encore les traces dans ces lignes de forces qui partent du cercle noir (et qui y convergent puisque c’est un trou noir, le grand aspirateur céleste). Dans cette version, on peut donc aussi bien voir le commencement que la fin de l’acte créateur, de l’univers. L’alpha et l’oméga. Ah, voilà un autre bon titre que j’aurais pu utiliser (et que j'utiliserai peut-être, qui sait?): l’Alpha et l’Oméga !
    Entrons maintenant dans la cuisine du créateur (sans majuscule, soyons modeste). Un autre péché abominé sinon abominable selon les écoles d’Art et plus spécialement encore les écoles d’aquarellistes est d’utiliser le noir. Le cas est encore plus grave quand on l’utilise, comme moi, comme couleur de base d’une aquarelle. Dans ce cas, le péché est vraiment inexpugnable et vous conduit directement en enfer (où le noir est en effet toléré et même vivement conseillé). Naturellement avec ça, vous devinez que je n’ai pas fait un long séjour dans les écoles d’art de ce pays.
    Il s’agit en effet d’une aquarelle. Tout au moins pour l’essentiel. La couleur de base est donc le noir, un vrai noir, ni froid ni chaud, type noir d’ivoire, pas même cet ersatz de noir que j’utilise parfois, le gris de Payne, quand je veux passer pour un docte peintre académique (ah, ah, c’est une blague !). Les trois autres couleurs utilisées, sorties du tube, pour cette variante sauvage et primaire, et bien sont justement primaires : le rouge, le bleu, le jaune. En fait, comme je ne suis pas complètement primaire, j’ai utilisé de l’ocre doré pour le jaune, un genre de cyan pour le bleu et du rose tyrien pour le rouge. Et naturellement, si vous appliquez ces couleurs sur un papier chiffon demi humide (précision pour les spécialistes), les couleurs se mélangent sur leurs bords là où elles s’intersectent, et vous pouvez donc apercevoir ici où là des verts, des mauves, des bleu plus sombres ou de l’or rouge. Une fois le papier sec, ce qui n’est guère long, j’ai appliqué le noir à grand coups de brosse demi sèche en partant du centre (mais en laissant une zone de blanc) ou par des projections humides. Puis j’ai appliqué des empreintes humides sur le papier sec (pas les miennes, celles de frites fraîchement coupées) et j’ai répandu ici et là des pigments (très secs donc) pour créer des formes aléatoires, évoquant le grand chaudron cosmique. Après les pigments, mieux vaut pulvériser du fixatif sur le papier : le réarrangement des pigments qui s’en suivra, de par le souffle de la bombe, ajoutera encore une petite part de hasard. Je suis en effet de ces croyants qui pensent que Dieu, le seul vrai créateur, se sert du hasard, à la marge certes, mais de façon très significative.
    Cette technique n’est pas enseignée et a peu de chance de l’être à l’Académie. Pourtant, elle a ses mérites et même de grands mérites, au moins à mes yeux. Difficile d’obtenir plus grand contraste dans le cadre d’une aquarelle, d’obtenir des couleurs plus transparentes, plus vives, dont l’éclat semble acéré par le noir qui les entoure. J’ai toujours pensé d’ailleurs que c’était ma version personnelle du vitrail.
    Pour finir, j’ai ajouté le trou noir et les galaxies (ou les étoiles) à l’ordi car s’il y a bien des formes que je suis incapable de dessiner à la main, ce sont des géométries parfaites du type cercle ou étoile.


vendredi 29 novembre 2024

Old Rottenhat : le second et ultime chef d’œuvre de Robert Wyatt

 




    En 1982 est paru l’album compilation Nothing can stop us aux titres disparates allant du génial au péniblement audible, qui contenait ce titre passé complètement inaperçu Born again cretin. Ce morceau au titre peu attirant, reconnaissons-le, est pourtant la formule magique qui englobe à peu près la totalité de ce chef d’œuvre de la musique minimaliste contemporaine qu’est sans aucun doute Old Rottenhat.
    A sa sortie en 1985, Old Rottenhat n’a pas reçu plus d’attention que le morceau précurseur de 1982 (en fait au plus tard 1981 pour l’enregistrement) : bref il est tombé dans un puits très profond d’où il n’est d’ailleurs jamais vraiment ressorti. Deux aspects peuvent et doivent expliquer au moins en partie cela. Les deux aspects sont d’ailleurs fortement liés. Le premier est la dédicace de l’album mal pensée pour la popularité à Michael Bettany (sic), agent du MI5 arrêté et condamné, non sans quelques raisons, pour espionnage pour le compte de l’URSS. Le second est l’engagement politique déclaré de Wyatt dans presque la totalité des titres de l’album, engagement très à gauche (si mes renseignements sont exacts, Wyatt était encore encarté au Parti Communiste anglais en 1985) ce qui dans la terre de Thatcher* a peu de chance d’être gage de succès. En fait, bien que je n’ai trouvé aucune explication au titre de l’album, je suis à peu près certain qu’Old Rottenhat (‘vieux chapeau pourri’ pour le nuls en langues étrangères) désigne non seulement l’Angleterre mais le genre de civilisation dont l’Angleterre est un des plus beaux représentants (ah, ah !).
    Enfin, pour expliquer ce flop total, on doit remarquer que la musique de Wyatt n’a jamais été de toute façon en vogue, quoique régulièrement saluée par un petit, tout petit public, du genre Art & Essay (d’ailleurs l’album est classé dans la catégorie ‘Art Rock’, bien qu’il n’ait rien d’expérimental avec toute la cacophonie qu’on associe à ce libellé).
    En fait le pic du militantisme dur, branche historique, de Wyatt était déjà passé si on compare l’album au précédent qui contenait quand même quelques titres colorés très ‘rouge’ comme Stalin wasn’t stallin, Red Flag ou Stalingrad, tous trois faisant référence au combat de l’armée soviétique contre les nazis, épisode devenu sans importance car pour ainsi dire disparu, comme bien d’autres, dans la Matrice. Néanmoins, l’album pointe à peu près toutes les hautes vertus de notre civilisation occidentale, comme la gratitude envers ceux qui font avancer le navire au fond de la cale (Alliance, le morceau que je vous conseille d 'écouter en lisant cet article -- voir plus haut), l’amour de son prochain et des Amérindiens en particulier (The United States of Amnesia), un exemple parmi beaucoup d'autres de la bonté de l’Empire envers les défavorisés en matière de liberté et démocratie (East Timor), l’individualisme enfin libre et sans entrave (The age of self), les beautés d’un bord de mer bétonné pour le plus grand bien-être de touristes sympathiques (Vandalousia, Wyatt est hispanophone si vous ne comprenez pas le titre), une critique de la Grande-Bretagne à laquelle je n’ai rien compris (ça m’arrive aussi : The British Road), une éloge de nos grands médias si épanouissants (Mass Medium), une autre éloge de notre goût pour les langues nouvelles si pleines de sens (Gharbzadegi). On pourrait même inclure PLA, le titre final très bref et très émouvant, dans ces morceaux politiques. Bien qu’il soit une ode à sa femme (la « Poor Little Alfie » en question), qui a eu en effet bien du mérite à supporter (dans tous les sens) Wyatt toutes ces années, et pas seulement à cause de la perte de ses membres inférieurs dont celui qu’on ne peut nommer, PLA veut généralement dire en anglais Armée de Libération du Peuple, qui est le petit nom de l’armée de Mao et encore aujourd’hui de l’armée chinoise, ce qu’un ‘rouge’ comme Wyatt ne pouvait ignorer. Le seul morceau incontestablement apolitique est le bien nommé Speechless.
    Le contraste extrême entre ces textes militants, on ne peut plus terre à terre donc, et cette musique des sphères, stratosphérique, une élévation vers les cieux les plus purs qui peut rappeler par son esprit et son minimalisme L’ascension de Messiaen a dû certainement déconcerter beaucoup d’auditeurs. Comme je l’ai résumé en quelques mots dans mon article précédent sur l’artiste (qui date tout de même de dix ans) Old Rottenhat est la quintessence du Wyatt lumineusement éthéré quand Rock Bottom est la quintessence de sa descente aux abysses. C’est son yin et son yang. Son alpha et son omega. Son zénith et son nadir. Après Old Rottenhat, Wyatt deviendra plus bénin tout en restant toujours intéressant et parfois encore très bon. C’est aussi le dernier album où il dispose intégralement de son instrument de musique le plus précieux : sa voix, ou plutôt ses voix.
    La voix est en effet l’instrument principal de l’album. Pour s’accompagner, Wyatt utilise un genre de synthé (ou peut-être des synthés ?), une basse, des percussions rudimentaires (par force, il manque de pieds) et du piano sur un titre. C’est très peu. Minimaliste comme je l’ai dit. Ce minimalisme cependant est probablement dû en partie à la nécessité, au fait qu’il  était alors dans le creux de sa ‘popularité’ qui de toute façon n’avait jamais été bien grande. En faisant tout soi-même, on limite beaucoup les frais. Si on ajoute que la pochette est peinte par sa femme, Alfreda Benge, l’Alfie du dernier titre, voilà encore une économie de réalisée. Néanmoins, ce n’est pas la seule raison. Wyatt est un véritable homme-orchestre et il aurait très bien pu ajouter aux instrument crédités de la guitare, de l’orgue, du trombone, de la trompette, du cornet à piston. Et il faut comprendre qu’il ne se contente pas de savoir se servir de ces instruments, il est toujours étonnamment créatif, personnel et remarquable dans sa façon de les utiliser. Il y a donc bien un choix de sa part pour cet album de réduire l’orchestration. Ce minimalisme, cette économie de moyens donne à la musique une homogénéité saisissante, presque hypnotisante. Du coup, chaque petite saillie, la moindre note de piano, le moindre coup de cymbale, le moindre sifflet prend un relief particulier. La formule magique de cette musique, qui a été mise au point avec Born Again Cretin, qui semble annoncer une résurrection ou en tout cas son désir, et qui est encore plus concentrée dans le morceau instrumental Speechless, n’est peut-être pas entièrement de Wyatt. Je suis en effet frappé par sa familiarité avec la musique de la très belle ballade de Captain Beefheart intitulée Harry Irene de l’album Shiny Beast (en voilà un que je ne pouvais manquer). Je vous ai mis à la fin de l’article un extrait du morceau de Beefheart pour que vous puissiez comparer. L’album du Captain est à peu près contemporain des titres de Nothing Can Stop Us, il est donc difficile de dire qui a inspiré qui. En fait, il est très possible que ni l’un ni l’autre n’ait eu connaissance de la trouvaille de l’autre. Les grandes et belles idées, musicales ou non, se mettent soudain à flotter dans l’air de ci de là, et on a déjà connu le cas où deux génies avaient la même idée en même temps ou presque, quoique dans des régions du monde très éloignées. Car les génies n’inventent pas les idées ni même ne les découvrent, ils voient et entendent simplement ce que tous les autres ne voient ni n'entendent encore.
    Malgré toute la beauté, la grâce séraphique d’Old Rottenhat, je reste un peu plus proche du côté sombre, celui de Rock Bottom. Et j’en sais la raison (outre le côté sombre). Avec peu de musiciens, Rock Bottom donne une impression de foisonnement, de luxuriance, de brillance qui me manque un peu dans Old Rottenhat. En musique, je suis un adepte presque exclusif des ensembles de chambres, mais là, on est tout de même dans un tout petit cabinet. J’aime par-dessus tout les ensembles dont le nombre de musiciens n’excède pas les doigts des deux mains mais dépasse toutefois le chiffre un. Alors, on peut entendre chaque instrument dans ses caractéristiques, son véritable éclat. Cela est vrai pour tout genre de musique : rock (si ce terme veut encore dire quelque chose), folk, jazz, classique, surtout classique ou les grosses pâtes orchestrales sont, pour mon oreille, une des plus grandes tares de la musique occidentale. Je crois d’ailleurs que c’est une des raisons du succès de la musique pop, jazz, rock qu’il n’existe très généralement pas plus d’une dizaine de musiciens et donc d’instruments jouant simultanément, au moins sur scène.
    Clairement, même si c’est une force de l’album, même si c’est d’une efficacité extraordinaire, son minimalisme est un peu austère pour moi. Oui, c’est très curieux mais une des plus grandes forces d’Old Rottenhat vient de ce qui aurait dû être sa faiblesse, un manque, un vide, un vide certainement involontaire (car Wyatt a prouvé toute sa carrière durant qu’il n’adore rien tant que de jouer en groupe) : l’absence d’autres musiciens. Une autre de ses plus grandes forces est une caractéristique finalement — on peut dire finalement maintenant que Wyatt a pris sa retraite — très inhabituelle dans sa discographie : le fait qu’il ait intégralement écrit l’album, paroles et musiques, sans aucune contribution extérieure. Il n’a fait cela que deux fois dans sa vie et cela a donné Rock Bottom et Old Rottenhat.
    En conclusion, je ne peux qu’encourager tout amateur de musique curieux et raisonnablement intrépide à essayer l’écoute du titre mis en illustration sonore ci-dessus si ce n’est pas fait. La musique d’Old Rottenhat est très simple, le genre de simplicité à laquelle seuls les plus grands artistes peuvent atteindre. Et s’il aime, cet auditeur curieux, peut-être voudra-t-il s’embarquer pour des contrées certes plus sauvages et désolées mais non moins belles, celles de Rock Bottom ou, pourquoi pas, de l’extraordinaire joyau (très) noir The Hapless Child de Michael Mantler, où Wyatt fait toutes les voix (on dirait ici qu’il en a sept) à côté de quatre grands musiciens.

*Une curiosité à propos de Thatcher : très paradoxalement pour ce gauchiste assumé, Wyatt lui a consacré un de ses plus beaux titres et curieusement un de ses plus émouvants, quand il est vrai elle n’était plus que l’ombre d’elle-même, s’étant perdue comme beaucoup dans le monde ténébreux d’Alzheimer : cela s’appelle ‘Cuckoo Madame’ de l’album Cuckooland. Bon, soyons honnête, c’est Alfreda Benge qui a écrit le texte, mais enfin l’intention y est.






mercredi 6 novembre 2024

Un agent russe insoupçonnable prend sa retraite

 




    Aujourd'hui, 6 novembre 2024, un grand événement a eu lieu, passé inaperçu, et c'est bien normal, de la totalité de nos grands médias: Yosif, nom de code "Sleepy Joe", plus connu en Occident sous le nom de Joseph Robinette Biden, vient de recevoir son avis de retraite (qui commencera officiellement en janvier prochain). On le voit ici dans son nouvel appartement avec vue, donnant sur le parc aux couleurs automnales, qui sera sa dernière demeure. On sent parfaitement que l'homme a déjà pris ses marques, si heureux de se retrouver  chez les siens dans la grande banlieue moscovite après toutes ces décennies passées loin de la mère patrie. Que de nostalgie! Pour fêter l'événement, il a sorti le bocal de cornichons malossol et la bouteille de vodka russe populaire, pas comme ces imitations juste buvables qu'on nous vend en Occident au prix de l'or, et on remarque qu'il n'a pas oublié la pince à cornichons, qu'il sait manier, il est vrai, avec une dextérité hors du commun.
    Nos canaux d'information privés nous permettent en effet d'affirmer que celui qui a présidé les USA pendant ces quatre dernières années et vice-présidé de 2012 à 2016 n'était autre que le plus grand espion de l'ère moderne. On n'a jamais vu de couverture plus parfaite. Durant toutes ces années passées en terre hostile, il n'a eu de cesse de peaufiner son image de parfait russophobe. Cette tactique a certainement grandement contribué à son irrésistible ascension vers le pouvoir . C'est alors qu'il est arrivé au sommet ou presque -- en 2012, en tant que Vice-Président -- qu'il a pu donner sa pleine mesure et que d'agent dormant ("sleepy joe") il est devenu l'agent opérationel "Action Joe". L'opération "Ukraine en feu"* lui ayant été confiée par le grand Obama, qui avait d'autres chats à fouetter, c'est-à-dire d'autres Etats à démocratiser et libérer, comme la Lybie ou la Syrie, il a pu organisé avec le concours de quelques sous-fifres comme John Mac Cain ou Victoria Nuland le coup d'état de 2014 qui a démarré la chaîne d'événements fatidique devant signer au bout du compte la démission de l'Empire. La stratégie de Yosif aura en effet été toujours de feindre de s'attaquer à la Russie quand en réalité il lui offrait des opportunités économiques, politiques et finalement militaires. Tout en parlant de détruire la Russie, en annonçant sans cesse échec au roi Poutine, il facilitait l'isolement et l'aliénation de l'Empire par l'élimination de ses pièces les plus dispensables, du fou ukrainien évidemment, de la tour (industrielle) germanique, de la reine britannique (qui en fait est devenue un roi), sans parler des autres menus pions européens, trop insignifiants et nombreux pour être cités. Dans le même temps, loin de porter les coups fatals à la Russie qu'il prétendait lui assener, on s'aperçoit que celle-ci n'a cessé de se renforcer militairement, industriellement, économiquement, socialement, diplomatiquement pendant ses mandats: cela ne peut être une coïncidence. Alors même que cette année, un peu plus tôt, il nous annonçait encore (pour la dixième, douzième, dix-huitième fois) la fin imminente de la guerre en Ukraine grâce à la défaite totale de la Russie, de par son effondrement économique et social tout au moins, la Banque Mondiale d'abord puis le FMI, organismes peu susceptibles de russophilie, nous annonçaient que la Russie venait de passer devant l'Allemagne et le Japon en terme de PIB par parité de pouvoir d'achat. Eh bien, le fait que notre ami Yosif ait beaucoup œuvré pour finir de transformer ces (ex) puissances industrielles en vassaux de l'Empire taillables et corvéables n'y est probablement pas pour rien.
    Avoir maintenu sa couverture tout ce temps est bien sûr en soi seul un exploit digne des plus grandes légendes**. Avoir si rapidement sapé la position et le crédit (dans tous les sens) de l'Empire tout en renforçant ceux de la mère patrie sur l'échiquier mondial en est un autre. Enfin, nous tenons à souligner tout particulièrement son dernier coup de génie, qui aura été de feindre une sénilité précoce proche de la démence (on voit bien sur la photo que l'homme s'est débarrassé de sa prétendue infirmité aussitôt sa mission terminée et la terre natale retrouvée) afin de mettre sur le compte de sa faiblesse pardonnable une série de décisions de plus en plus étranges, contreproductives, confinant au pur et simple sabotage domestique (et c'était bien leur but). Le seul regret de Yosif, nous a-t-il confié lors de notre entrevue entre deux petits verres de son excellente vodka à moins de 350 roubles soit 4 dollars la bouteille trouvée au plus proche supermarché Achann de Prospekt Proletarsky**, aura été de ne pas avoir réussi à éliminer Trump, malgré toutes ses tentatives, dont une au moins aura bien failli réussir (voir cet article). 
    Ce sera un grand connaisseur, lui aussi espion fameux, Vladimir Vladimirovitch Poutine, qui lui remettra en personne la médaille de Héros de la Patrie, ce qui n'est que justice. Nous profitons de cet événement pour nous associer à sa famille et à ses amis pour souhaiter une longue retraite bien méritée au général nouvellement promu: Yosif Ivanovitch Popov.

    Sinon, rien d'important à signaler en ce sixième jour de novembre 2024.
    A bientôt... peut-être.


*Voir le film du même nom ("Ukraine on fire") d'Oliver Stone, pas encore censuré sur Youtube apparemment.

** En matière de légendes, je ne saurais trop conseiller le plus grand film d'espionnage qu'on ait jamais fait : "17 moments du printemps".

*** En français : le supermarché Auchan de l'avenue du Prolétaire (existe réellement, toujours maintenant, dans la banlieue de Moscou).


vendredi 1 novembre 2024

"Russie : un mystère drapé dans une énigme"*

 

Que diable fabriquent-ils?


Si vous vous intéressez aux événements géopolitiques majeurs qui ont cours en ce moment-même (quelle chance !), ce grand basculement des plaques tectoniques, vous vous êtes forcément demandé, une fois au moins, par quel miracle la Russie pouvait tenir tête et en réalité laminer lentement mais sûrement toutes les forces de l’OTAN réunies (les mercenaires ukrainiens ne servant que de proxy sacrifiable et relativement bon marché dans ce conflit Russie/Otasunie). On vous a dit et répété que le budget militaire de la Russie était dix fois moindre que celui des USA. Peut-être même avez-vous découvert que ce budget était environ 30 fois inférieur à celui de tout l’OTAN réuni (sans compter donc les acolytes du Pacifique). Comment est-ce donc possible ?

Dans cet article aux visions puissantes mais parfois trop simplistes, j’avais tenté une première explication pour éclaircir ce mystère. En bref, je supposais que la différence de pouvoir d’achat en Russie et aux USA pour une même quantité de dollars donnée compensait grosso modo l’écart de budget. En clair donc, je supposais qu’avec la même quantité de dollars, un Russe pouvait acheter dix avions, dix tanks, dix missiles, etc. quand l’Etasunien ne pouvait en avoir qu’un seul. Mais ayant fait mes devoirs et possédant maintenant une connaissance plus informée du sujet, je dois admettre que cette explication — malgré ses mérites incontestables — ne suffit pas. L’écart de prix entre un avion de chasse russe et un avion de chasse US, de même capacité et de même génération n’est pas d’un à dix mais en moyenne d’un à deux. Cet écart semble constant depuis des décennies et si on prend les chasseurs de dernière génération en activité à titre d’exemples, le Sukhoï 57 coûte respectivement 1,7 fois et 2,5 fois moins que ses deux vis-à-vis possibles, le F35 et le F22 (et 2 fois moins que le Rafale, dernière génération). Pour les munitions, l’écart est un peu plus grand mais on est toujours très loin d’un ratio d’un à dix. De plus, comme le conflit concerne l’OTAN tout entier, l’écart théorique à combler n’est pas d’un à dix mais donc, comme précisé plus haut, d’un à trente.

Comment résoudre l’équation, quelle inconnue doit-on ajouter pour au minimum équilibrer les deux côtés de la balance a été et est toujours un casse-tête chinois pour les plus grands experts militaires et économiques de l’Otasunie. Plus bizarrement encore, bien que je lise et écoute beaucoup de spécialistes russes, ou au minimum russophones, je ne peux pas dire que ces derniers m’aient semblé beaucoup plus versés dans les arcanes de ce mystère. Avec les Russes, vous devez de toute façon vous attendre à une réponse du style : « eh bien c’est comme ça parce que c’est comme ça : un point c’est tout ».

Pourtant, pas plus que moi, ils ne pensent que leurs systèmes d’armements serait dix fois (ou trente fois !) supérieurs à ceux de l’OTAN.

Une partie du mystère peut être cherchée dans le fait que le rythme de production et donc la quantité de ces divers équipements militaires sont plus élevés en Russie que dans les pays de l’OTAN. Comme le disait Staline, la quantité a une qualité en soi qu'on aurait bien tort de dédaigner. Généralement les experts s’accordent pour dire que le rythme de production des différents armements est environ deux fois plus élevé en Russie que dans tous les pays de l’OTAN réunis. Toutefois, vous noterez qu’en plus d’être partielle, c’est une fausse explication. En effet, elle ne fait que déplacer l’énigme. Comment alors est-il possible qu’un pays qui a un PIB nominal cinquante ou cent fois moindre que celui du bloc adverse, les USA avec les Eurozonés plus les laquais du soleil levant ou des antipodes ait un rythme de production deux fois supérieur à celui de toutes ces fines fleurs de la civilisation, qui contient pourtant quelques puissances industrielles reconnues ? Bien sûr le PIB, comme indicateur de la puissance industrielle ou même économique d’un pays est pour l’essentiel une fable, un conte pour enfant, comme je l’ai indiqué dans un précédent article. Mais il reste tout de même un océan à combler.

Une autre petite partie de l’explication peut et même doit impliquer l’économie de type assez particulier qu’on trouve en Russie. Bien que celle-ci soit très largement privatisée, elle reste pilotée dans ses grandes directions par le Kremlin. Comme toujours, celui-ci agite aussi bien la carotte que le bâton, même si maintenant il se sert beaucoup plus de la première. Dans la Russie actuelle, les incitations sont massives pour que les industriels aillent dans la direction souhaitée ou plutôt les directions car il y a tout un éventail de domaines où l’État Fédéral investit lourdement et ces domaines n’ont souvent qu’un lointain rapport avec l’armée, et parfois aucun. Ce type de politique économique mixte, en partie dirigée, voire planifiée, est en sainte horreur chez nos zélotes du marché libre et concurrentiel, mais le fait est qu’elle marche pas si mal, en tout cas en Russie. Notons d’ailleurs que ce n’est pas fondamentalement différent des subventions très généreuses accordées par nos pays de l’Otasunie à certains secteurs privilégiés (mais avec une efficacité considérablement moindre comme chacun a pu se rendre compte à moins d’être greffé dans la Matrice depuis la couveuse). Enfin il y a en Russie ces entreprises qu’on peut qualifier d’étatiques — même si c’est un peu plus subtil que ça — comme ROSATOM, ROSTEC, ROSCOSMOS, GAZPROM. Leur particularité est qu’elles ne sont pas toujours tenues d’augmenter leur bénéfice ou parfois même d’en faire du tout mais qu’elles sont tenues prioritairement de réaliser les objectifs fixés par l’État, quitte à déplaire à leurs "actionnaires". Et quand le Kremlin leur dit d’augmenter la production dans tel ou tel secteur, eh bien elles l’augmentent. Dans une situation de guerre, c’est évidemment un gros avantage. Ajoutons que cette décision d’augmenter la production industrielle dans le secteur de l’armement et de tout ce qui s’y rapporte a été prise des années avant le début de l’Opération Militaire Spéciale.

En somme, on a en Russie une économie qui dans une mesure importante est au service de l’État et du pays quand nous avons par ici une économie entièrement au service de ses actionnaires, et surtout de ces quelques oligarques sans pays ni frontières qu’on retrouve dans tous les Conseils d’Administration des grandes entreprises et qui sont les seuls vrais bénéficiaires du système (avec bien sûr les politiques qu’ils arrosent dûment en retour de leurs bons services). À chaque fois que l’UE ou les USA ont tenté ces dernières années d’augmenter la production d’armements, cela s’est soldé par un échec à court et moyen termes, soit parce que les usines disponibles ne sont pas assez nombreuses ou manquent de la capacité d’accroissement (de par leur politique de flux tendu, elle-même découlant de leur politique de rendement financier maximal, elles sont presque toujours au taquet), soit parce que les prix se sont mis aussitôt à flamber. On en a eu un exemple spectaculaire cette année avec l’UE : après son appel d’offres pour acheter des obus de 155 mm (les principales munitions utilisées par les canons modernes sur le champ de bataille du côté otasunien) dont l’armée ukrainienne était (et est toujours) en manque, le prix de celles-ci a été quasi multiplié par dix sur le champ. Le résultat net a été que l’UE a pu acheter moins de munitions pour un prix plus élevé. Bien sûr, on peut toujours rêver et se dire que sur le long terme, la production d’armements de l’Occident finira par rejoindre celle de la Russie actuelle. Mais cela présuppose beaucoup d’événements improbables : 1) que la politique des entreprises d’armements occidentales fassent passer l’intérêt du bloc avant leur intérêt financier ; 2) que la Russie n’augmente pas elle aussi sa production durant ce laps de temps à la même vitesse voire à une vitesse supérieure ; 3) que la guerre en Ukraine ne soit pas terminée avant (par la victoire de la Russie).

 

Je n’ai parlé jusqu’ici que des facteurs palpables, matériels, qui peuvent en partie expliquer la contradiction entre ce que nous disent les chiffres bruts et les faits observables sur le terrain. J’ai tour à tour invoqué la différence de pouvoir d’achat, les capacités de production bien plus extensibles de la Russie et enfin la politique économique différente des deux blocs. Tout cela nous rapproche de la vérité, sans la moindre doute, mais on sent bien que le tableau n’est toujours pas complet. Même avec les faiblesses citées, le bloc occidental devrait au minimum pouvoir obtenir pat dans ce conflit, étant donné les énormes différences en son avantage de population ou de richesse. Or, il est de plus en plus clair que nous nous dirigeons vers un mat des Russes sur le roi ukrainien (qui en réalité est bien sûr un fou).

Et c’est là qu’on est obligé de faire appel à des facteurs humains, sociaux et psychologiques pourrait-on dire. Il est évident que nos pays ne sont pas du tout préparés à ce type de guerre totale comme celle qui a cours en Ukraine. Imaginez un instant que l’illégitime Macron ou la saucisse Scholz déclare dans un élan de zèle atlantiste la mobilisation générale ou même partielle : en moins de trois mois, le pays se viderait de ses éléments mâles en âge d’être conscrits pour des cieux moins sombres. C’est ce qui s’est passé en Ukraine. Mais le mouvement sera encore plus fort dans nos pays tout simplement parce que les gens ont plus d’argent, plus d’économies, et peuvent donc plus facilement passer à l’étranger ou envoyer leurs fils vers une destination sans risque pour le temps qu’il faut. Disons-le clairement, le fait que l’Ukraine soit le pays le plus pauvre d’Europe (à égalité peut-être avec la Moldavie, qui semble justement s’apprêter à suivre le chemin pavé de gloire de son voisin du nord), depuis des décennies, est un facteur majeur dans le "succès' de l’opération washingtonienne démarrée en 2014. Jamais sans cela, la CIA n’aurait pu transformer ce pays en moins de dix ans en poing armé contre les Russes et jamais l’armée ukrainienne n’aurait pu perdurer jusqu’aujourd’hui. De plus, dans nos pays, les populations sont tellement fragmentées entre les races, les religions, les opinions politiques, les classes, les multiples sexes et les âges qu’une mobilisation est la recette la plus sûre pour connaître de grands troubles civils. En fait nos gouvernements le savent si bien qu’ils n’essaient même pas (et ce n’est pourtant pas l’envie qui leur manque).

Mais la mobilisation se heurterait à un problème supplémentaire (contrairement à la Russie qui a gardé un service militaire obligatoire) qui est que nos armées sont à 100% professionnelles depuis des décennies, ce qui signifie qu’il faudrait partir de zéro pour faire du pékin pris dans la rue un soldat même minimalement compétent.

Enfin et surtout le problème majeur réside évidemment dans la motivation. Pensez-vous que les Français, les Allemands, les Anglais vont aller faire la guerre de tranchées pour des Macron, des Scholz, des Starmer, des Biden ou des Harris ou des Trump ? Autant croire au père Noël ! On peut déjà prévoir que les exemptions signées par le médecin de famille vont se vendre comme des petits pains.

D’une manière générale, ce qui manque chez nous est la culture de la guerre. Pour nous, Européens, et encore plus chez les Étasuniens qui n’ont pas connu de conflit sur leur terre depuis des lustres, la guerre est devenue une chose abstraite, virtuelle, lointaine, qu’on ne connaît que par des films ou des jeux vidéo. Là où la Russie a maintenue une culture de la guerre importante, en partie due au fait qu’ils ont perdu vingt-six millions de personnes lors de la dernière guerre mondiale, ce qui veut dire que toutes les familles russes ont encore aujourd’hui des parents qui sont morts à la guerre. La Russie est le seul pays d’Europe qui ait bâti une cathédrale, la plus belle cathédrale moderne, la cathédrale de fer, en hommage à leurs soldats disparus (voir cet article-ci). Que cette cathédrale soit dédiée à l’Armée Rouge n’a qu’une importance secondaire, que nous trouvions l’idée ridicule ou monstrueuse en a encore moins. Cette cathédrale magnifique est là et révèle une ferveur que nous sommes incapables de comprendre, encore moins d’imiter. En raison de cette culture, de ce marquage au fer rouge, l’État russe n’a eu aucune peine à ranimer la flamme de la grande guerre patriotique lorsque le moment est venu. Chaque mois, trente mille volontaires en moyenne affluent vers les centres de recrutement de l’armée de la Fédération. Ils viennent de partout, comme toujours davantage de la campagne que des villes et davantage des régions pauvres que des régions riches mais ils viennent et ils sont motivés, contrairement à ces pauvres ukrainiens (en attendant peut-être ces pauvres Polonais, ces pauvres Moldaves, ces pauvres Baltes, ces pauvres Roumains …). Une illustration flagrante a été dernièrement fournie par une initiative du gouvernement polonais qui a décidé de lancer un appel pour former une sorte de légion étrangère destinée à renforcer l’armée de Kiev. Comme la Pologne a reçu depuis quelques décennies un contingent énorme d’immigrés ukrainiens, plusieurs millions, elle pensait trouver facilement de quoi monter au minimum une brigade. Résultat, seule une quinzaine de volontaires ukrainiens se sont présentés, pas même de quoi faire une section (l’unité commandée chez nous par un adjudant ou éventuellement un officier subalterne type sous-lieutenant). Il est vrai que la paie et les primes éventuelles du soldat russe sont relativement importantes, surtout pour un paysan ou un ouvrier de Sibérie, de l’Oural, du Caucase, mais ce n’est qu’une incitation de plus. Les queues devant les bureaux de recrutement n’ont jamais été aussi longues depuis le massacre du Krokus et surtout depuis que le grand Volodomyr Z. a lancé son opération de Koursk, son plan génial pour vaincre la Russie (voir cet article-ci). L’argent est le nerf de la guerre et le Kremlin n’oublie pas cet adage. Mais à l’épreuve du feu, l’argent seul n’a jamais été une motivation suffisante. Un bon exemple de ce fait est la diminution en chute libre du nombre de mercenaires étrangers que parvient à embaucher l’armée ukrainienne : ceux-ci ont une tendance invincible à prendre la poudre d’escampette une fois qu’ils ont compris qu’ils n’étaient pas là pour participer à une sorte de safari, comme en Irak, en Afghanistan ou en Lybie, qu’ils avaient toutes les chances de ne pas revenir (les mercenaires n’étant pas protégés par les conventions de Genève, l’armée russe par une coïncidence étrange ne fait pas de prisonniers parmi les mercenaires étrangers, que ce soient des Polonais, Colombiens, Anglais, Tchèques, Norvégiens, Français, Baltes, Japonais, Tchétchènes ou même Biélorusses, peu importe ; je n’ai en effet pas pu voir un seul prisonnier étranger en Russie, non-ukrainien, malgré les innombrables vidéos postées sur le sujet depuis le début de la guerre ; les seuls encore en vie au moment de leur capture semblent avoir brutalement décédé quelques minutes ou quelques heures après pour des raisons peu mystérieuses).

En guise de conclusion morale, on peut dire que l’argent n’a bonne odeur que tant qu’on n’a pas senti celle de la mort, tout près de soi, ou mieux encore, sur soi.

 

*Propos attribué à Bismark.


samedi 12 octobre 2024

Sanctions, sanctions, sanctions et autre inepties Eurozonées

 

Usine géante de traitement du bois dans le merveilleux pays du Père Noël (on me dit qu'ils y croient) 

    Parmi les milliers de sanctions prises contre la Russie, il en est une qui a attiré particulièrement ma sympathie, sans doute parce que la sylviculture est ma principale (et à peu près seule) compétence, quoiqu’à dire vrai très loin derrière l’écriture, et aussi parce qu’on peut y trouver toutes les marques inimitables du ‘travail’ toujours inspiré de la Commission Européenne (CE). Depuis l’été 2022, les heureux pays de l’Euro zone, parfois appelés les Zonards, ont en effet le devoir de n’importer aucun produit bois de Russie. Très peu notée en France, puisque le secteur bois y est plutôt un boulet et qu’il est très difficile de faire la part de l’effet des sanctions de l’inefficience ordinaire régnant ici, elle a été très fortement ressentie dans un autre grand pays de ce club chanceux qu’on appelle l’UE, un pays très forestier, c’est-à-dire où le poids du secteur forestier est considérable dans l’économie nationale, surtout si on la considère depuis l’amont jusqu’à l’aval (de la fabrication de la tronçonneuse jusqu’à la grume brute, ou plutôt l’inverse) un pays boisé pour plus de 70% de sa surface, un pays qui commence par un F et finit par un e… et non ce n’est donc pas la France.

Bien, grâce à ma phrase serpentine, vous avez eu le temps de réfléchir et de deviner que ce pays en question est la Finlande. La Finlande dispose, comme je l’ai dit, de ressources forestières considérables par rapport à sa taille, très modeste. Néanmoins ce qui est encore plus considérable, c’est sa capacité de production qui excède de loin sa ressource domestique disponible. Ah, mais comment est-ce possible ?! En effet, une des lois les moins mystérieuses de la sylviculture est de ne pas couper plus de bois que ce que les forêts produisent si vous ne voulez pas rapidement vous retrouver à sec. Et quand une forêt nordique est à sec, c’est pour très très longtemps (les arbres mettent en effet beaucoup, beaucoup plus de temps à pousser que, disons, en Guyane).

D’abord, précisons quelques points utiles pour la compréhension de cet article. Comme les Français sont bien placés pour le comprendre, le volume de bois disponible n’est pas du tout égal au volume de bois existant dans un pays. Une partie plus ou moins grande est de fait indisponible, c’est-à-dire en fait non rentable, soit en raison de reliefs trop escarpés, soit en raison de terrains trop marécageux, soit tout simplement parce que les essences disponibles dans ces forêts n’ont pas vraiment d’intérêt économique (en dehors d’un petit usage local en bois de feu et autres menus produits de sorcellerie en vogue) et vous avez alors tout à fait raison de me donner l’exemple de nos forêts méditerranéennes. La Finlande n’est pas dans le cas de la France. Bénéficiant d’une platitude à peu près parfaite, ses forêts de type taïga (ce qui n’est jamais qu’un mot d’une langue barbare pour dire… forêt) sont intégralement peuplées par trois essences principales toutes d’un grand intérêt économique (là-bas, pas forcément chez nous) : l’épicéa, le pin, le bouleau. En dehors des marécages, le pays ne présente pas de difficultés d’exploitation. Ainsi donc ce pays a la très rare chance d’avoir la double particularité de posséder un ratio surface boisée/surface totale et un ratio surface boisée exploitable/surface boisée totale tous deux tournant autour de 2/3, ce qui est énorme, surtout pour un pays soi-disant riche. En fait, même si je n’ai pas vérifié ce point, je ne serais pas étonné que la Finlande soit le pays au monde qui possède le ratio de surface de bois exploitable/surface totale le plus élevé au monde. Et ne me parlez pas des forêts équatoriales, type Guyanes, dont le même ratio est ridiculement faible. En chiffres absolus, on estime que la surface boisée totale de la Finlande est de 26 millions d’hectares pour une surface disponible de17 millions, dernier chiffre qui est exactement la surface boisée totale de la France. Et comme les forestiers finnois sont des roublards (mais rassurez-vous, nous faisons la même chose ici), ils se sont assurés que la majeure part de leurs forêts protégées (donc sans aucune coupe) se situe précisément dans la partie marécageuse ou en lisière de toundra, de toute façon inexploitable.

Eh bien malgré tous ces avantages, la Finlande a néanmoins besoin d’importer de grandes quantités de bois, soit sous forme de grumes entières, soit sous forme de sciages, soit sous forme de bois de feu (pour faire divers combustibles que vous utilisez peut-être sans le savoir), pour faire tourner leurs scieries et usines de traitements du produit bois. Et c’est de la bonne économie. Un des meilleurs moyens connus de s’enrichir rapidement est de faire venir des matières peu ou pas transformées pour obtenir une forte valeur ajoutée avant de revendre les produits finis. La France rêve depuis longtemps de le faire sans jamais y être parvenue (dans le secteur bois, c’est principalement la lointaine Chine qui nous rend ce ‘service’ inestimable). Il suffit d’en avoir la capacité industrielle et il se trouve que la Finlande l’a.

Donc, il n’y a pas si longtemps, la Finlande importait des volumes industriels de bois russe (puisque la Russie possède tout de même 800000000 ha de surface forestière, oui, vous avez bien lu : huit cents millions d’hectares boisés selon la définition internationale d’une surface boisée, soit une quinzaine de France ou une grosse vingtaine de Finlande mises bout à bout), en faisait des produits à plus haute valeur ajoutée et les revendait. Un très bon deal pour le pays scandinave, comme on voit. À la suite de la décision de la CE, les industriels finlandais pourtant habitués à la créativité sans égale de nos législateurs Eurozonés se sont retrouvés avec le choix simple suivant : soit trouver des fournisseurs de rechange, soit réduire fortement leurs capacités de production. Faire venir du bois de pays tiers non-sujets à cette sanction comme la Turquie ou la Chine qui continuent évidemment d’importer du bois russe était trop cher puisque chaque intermédiaire prend sa commission au passage, d’autant plus élevée quand on sait que l’acheteur est coincé, aux abois ; quant aux voisins scandinaves qui ont eux aussi un peu de taïga, ils ne voulaient ni ne pouvaient de toute manière fournir dans les quantités demandées. La première solution s’étant donc avérée impossible, je vous laisse deviner le temps d’un autre paragraphe instructif quelle a été leur décision.

Je rappelle dans ce paragraphe à toute fin utile que le but de la sanction vue depuis l’Euro zone est en principe d’affaiblir davantage l’économie russe que celles des heureux pays membres du club des 27. Les résultats de l’opération antirusse se sont soldés fin 2023 (et ce n’est que le début) par le bilan suivant : en l’espace d’un an, on a assisté à la diminution d’un tiers, au minimum, des importations de la Finlande, ce qui naturellement induit une diminution correspondante dans sa production de planches, charpentes, pâtes et autre produits dérivés dont la plus grande partie était destinée à l’exportation ; cette diminution sur le marché induit à son tour une explosion des prix du produit bois, en particulier les produits vendus par la Finlande, comme on a pu s’apercevoir très récemment en France (mais naturellement, aucun officiel n’a fait le lien entre cette brusque hausse et l’opération antirusse). Exactement dans le même laps de temps, un an au plus, la Russie a non seulement retrouvé son niveau d’exportation d’avant 2022 mais l’a augmenté et pas de l’épaisseur d’une brindille, hein, de 30% : il lui a suffit pour cela de rediriger ses exportations vers d’autres pays demandeurs (et ceux-ci ne manquent jamais pour des produits basiques) : Turquie, Egypte, Kazakhstan, Kirghizstan, EAU, Corée du Sud (celle-là, bon toutou pourtant, n’a pas dû recevoir le mémo de Washington) et bien sûr Chine. Actuellement, les revenus de la Russie liés au bois sont en hausse d’un tiers par rapport à 2021, dernière année avant sanction, pour une balance commerciale nette positive de 8,4 milliards de dollars en 2023 et la tendance est à la hausse rapide pour 2024, chiffre à comparer, par exemple et au hasard, avec le déficit chronique de la filière bois française qui a atteint 9,5 milliards d’euros en 2022 (je n’ai pas les chiffres de 2023, inévitablement horribles).

Ce retour de boomerang peut être retrouvé dans pratiquement n’importe quel autre secteur où la CE a sévi avec ses innombrables sanctions antirusses. Le résultat est toujours le même. Et bien que le résultat soit toujours le même, le processus est sans cesse renouvelé, dans l’espoir sans cesse différé mais jamais éteint que la même cause ait enfin un effet différent. J’aurais pu si j’avais le temps et je ne l’ai pas, je ne l’ai plus, prendre le merveilleux exemple de la sanction visant les compagnies aériennes russes où la seule lecture d’une carte, la simple connaissance la plus basique de la géographie de l’hémisphère Nord aurait dû faire comprendre aux inégalables cerveaux en charge de nous guider sur la voie du bien, de la justice et de la vertu que la sanction ne pouvait que se retourner contre leurs propres compagnies aériennes et favoriser indûment toutes celles qui peuvent continuer à traverser l’espace aérien russe (hé oui, c’est grand la Russie, 9 ou 10 fuseaux horaires, cela en fait du chemin en plus pour la contourner !) : c’est de la géopolitique à la portée d’un enfant de six ans jouant dans une cour de récréation.

C’est aussi un secret de polichinelle pour quiconque veut bien se débrancher un moment de la Matrice, que les décisions de la CE sont inspirées, voire fortement soufflées par Washington, tout spécialement concernant les sanctions antirusses. Ces sanctions ne sont en effet pas trop impactantes pour notre grand ami de l’Ouest, d’autant moins qu’il est le premier à ne pas les appliquer quand ça l’arrange (l’an passé, les USA ont encore importé pour 1,5 milliard de dollars de bois russe pour ne parler que de ce sujet). Le problème pour l’Europe est qu’elle n’a ni la situation géographique ni les ressources de son grand ami pour pouvoir se livrer à ce type de chantage sur la Russie. C’est elle qui dépend vitalement de la Russie et pas l’inverse (elle est la seule à ne pas le savoir). En plus de sa pauvreté en ressources, elle est en cours de désindustrialisation rapide (ayons une pensée émue pour la grande baisée d’outre Rhin) et maintenant commence à boire la tasse du côté de l’agriculture (et pas seulement à cause d’une météo défavorable, voir mon article précédent). Et cela continue. En effet, on m’annonce que ces sanctions qui ont eu de si puissants effets (quoique dans le sens inverse du mouvement appliqué) vont être implémentés contre cette fois… la Chine, sous forme de barrières douanières. Ah ! un vrai coup de maître cette fois. Ainsi l’UE au comble de sa puissance devenue incommensurable va s’attaquer à la première puissance industrielle mondiale (et de très loin) sur le terrain… industriel. C’est exactement ce qu’elle a fait avec la Russie sur le terrain des matières premières où celle-ci est sans rivale. Je le répète : même un enfant en primaire sorti de la cour de récré sait que cela ne peut que très mal se terminer quand un nain attaque un géant : c’est une simple question de connaître l’équilibre des forces et ce n’est vraiment pas difficile de le savoir dans ce cas. Tous ces effets des sanctions, qui vont du minable au catastrophique avec une moyenne tirant plutôt nettement vers le dernier que le premier, et l’obstination à persister dans le schéma perdant, indique un découplage à peu près total du réel de la CE et des autres politiciens en charge de cette (minuscule) partie du monde. On a affaire à des gens plongés dans la Matrice et qui ne veulent surtout pas être débranchés. Mieux, tout leur travail, comme celui de l’agent Smith de la Matrice, est de s’assurer que tout le reste du bon peuple (bon peuple : novlangue pour ramassis à base d’abruti et d’idiot congénital) reste sagement branché, absorbant avec délectation le monde fantastique mais rassurant que leur présente leur petit, moyen ou grand écran. Il faut bien réaliser ceci : dans notre Océania, les politiciens comme les gens des médias au service de l’oligarchie au pouvoir sont tous des agents Smith, pas Winston hein, juste Smith, rien de plus et rien de moins.

Au sommet de sa gloire, qui n’est éloignée que de quelques années, le secteur bois de la Finlande employait 15% des travailleurs industriels du pays, contribuait pour 18% de sa production industrielle et pour 20% de ses exportations en euros. Il est inutile de dire que cette époque est dans un passé révolu et ce ne sont pas les derniers événements en cours qui peuvent inciter à l’optimisme pour les prochaines décennies ou le prochain siècle… s’il y en a un. En avril de cette année, Merikarvia, une des plus grosses scieries du pays mettait la clef sous la porte, l’usine de pâte à papier Joutseno licenciait à tour de bras, le tout nouveau port à sec de Kouvola, qui avait coûté des dizaines de millions d’euros, se retrouvait… à sec, après avoir fonctionné seulement six mois.

Et ce n’est que le commencement.

À bientôt… peut-être. 


Autres articles sur le grand basculement en cours : ici et .


dimanche 22 septembre 2024

Le parti de l’Extrême-Cintre—Marx, un soixante-huitard très précoce—Les quatre cavaliers de l’Eurocalypse

    

    Comme on peut le deviner au titre hétéroclite, cet "article" est en fait un florilège de nos réflexions géniales, certes, mais pour une fois très modestes et sans grand lien entre elles. Ceci n’est donc pas un article, pour paraphraser Magritte.

    Le parti de l’Extrême-Cintre
    Le parti Centriste, en politique, peut se définir par le fait qu’il vise toujours le cadre (le but comme on dit chez les footballeurs). Ce sont des gens de bon sens puisqu’il est incontestable que si on veut marquer des buts, il faut viser à l’intérieur du cadre. Ou pour le dire autrement, on ne peut espérer marquer si on tire à côté ou trop haut. Néanmoins, l’excès de bons sens chez des gens qu’on pourrait appeler les Extrêmes-Centristes fait qu’ils visent toujours le centre du but, ni à gauche ni à droite ni en haut ni en bas, c’est-à-dire qu’ils visent là où se trouve généralement positionné le gardien. Notez qu’ils ne visent pas l’espace situé entre ses jambes, ce qui fait souvent mouche, mais bien à mi-hauteur, en pleine poitrine. Si on ajoute ce fait à l’absence totale de surprise qui les caractérise, il ne faut pas s’étonner que les Centristes marquent rarement de but. Toutefois, leur bon sens a raison sur un point : si le gardien se troue (chose rare à se niveau) ou s’il est parti momentanément à la buvette et que le but est vide, alors ils vont marquer.
    Macron, Von Der Layen et leurs semblables ainsi que que tous leurs prédécesseurs — et on peut remonter au moins jusqu’à Chirac et ses dream teams consécutives — sont réputés appartenir au camp du Centre. On se demande bien pourquoi. En effet leurs politiques se distinguent précisément par le fait qu’elles sont à peu hermétiques à tout bon sens. Ce sont des gens qui non seulement visent en dehors du cadre, trop haut ou à côté, mais réussissent bien souvent à tirer dans leur propre but. Il faut admettre que leurs actions sont parfois, souvent en fait, absolument spectaculaires, des lobs parfaitement dosés sur leur propre gardien, des retournées depuis le milieu du terrain, des coups de billards si savants que même les calculs des supercalculateurs échouent à les reproduire, des trajectoires de boomerang qu’on croirait physiquement impossibles avant de les avoir vues. Comme tout spectateur de foot le sait, les buts les plus beaux, les plus incroyables, les plus prodigieux sont des buts contre son camp. Néanmoins, comme ces buts prodigieux sont comptés pour l’adversaire, cela leur enlève beaucoup d’intérêt, surtout si on est supporter de l’équipe qui marque régulièrement ces buts contre son camp. On pourrait même qualifier ces rois de l’inversion d’insensés et ce sans aucune exagération. C’est pourquoi nous proposons d’appeler dorénavant le parti unique de Macron, Von Der Layen, Scholz, Starmer et Cie le parti des Extrêmes-Cintrés.

    Marx, un soixante-huitard très précoce
    Le soixante-huitard type se caractérise par son état d’éternel étudiant, son absence de goût et de compétence pour le travail, je veux dire le vrai travail qui produit quelque chose de concret au bout du compte, et son absolue conviction qu’il peut et doit néanmoins apprendre la vie à ceux qui travaillent pour de vrai. C’est un donneur de leçon né. Enseigner la classe laborieuse, grâce à leur longue expérience de l’étude du travail, tel est le but général de ces grands allergiques au travail. Marx répond parfaitement à cette description qu’on résume souvent sous le terme évidemment laudateur de bourgeois bohème, bobo pour les intimes. Il avait seulement un gros siècle d’avance sur tout le monde. Marx n’a jamais franchi le seuil d’une usine, même en tant que visiteur, et encore moins — faut-il le préciser — en tant que travailleur. Il n’a jamais fréquenté ni de près ni de loin un spécimen d’humanité pouvant rentrer dans la case prolétaire ; sa seule connaissance avérée du sujet lui a été fournie par ses lectures de Proudhon. Cela ne l’a nullement empêché de passer l’essentiel de sa vie à prêcher pour la classe laborieuse, à enseigner quelle politique, quelle économie sont bonnes pour elle. Marx est l’archétype du philosophe du pont dunette qui parle de (et non pas à) l’homme du fond de la cale. Il est aussi une sorte de reflet inversé de Rousseau, qui tout aussi bizarrement, et plus masochistement, s’était mis dans la tête d’enseigner la vie à la grande bourgeoisie et à la noblesse, lui qui était pourtant indéniablement fils de travailleur et qui est resté prolétaire jusqu’au bout (car lorsque vous prenez le même prix à la page pour vos essais philosophiques que pour vos copies de partition musicales, le vrai métier de Rousseau, on peut dire que vous êtes un écrivain prolétaire). Le trait commun de ces deux philosophes politiciens est qu’ils enseignent tout particulièrement les sujets pour lesquels ils n’ont justement aucune pratique reconnue, le travail pour l’un, l’éducation des enfants pour l’autre, et en plus à des gens qu’ils connaissent très mal ou pas du tout. Notre conseil de prudence : ne prenez les bonnes paroles des gens concernant des sujets où ils n’ont pas de ‘skin in the game’ qu’avec les plus longues pincettes.
    Bien, voilà qui est dit, mais nous n’en avons pas encore tout à fait terminé avec Marx. Pour les raisons que nous venons d’énoncer trop lapidairement, Marx est un génial usurpateur en politique, en économie, et peut-être même en Histoire. Il n’est pas le seul qui a connu ce succès bien mérité. Toujours chez les Allemands, Nietzsche est lui le génial usurpateur de la philosophie mondiale. Et Freud, grand analyste littéraire nous dit-on, est le génial usurpateur dans le domaine de la médecine. Avec Darwin, autre usurpateur grandiose de la science, nous obtenons les quatre cavaliers de l’Eurocalypse actuelle. Cela leur a pris un peu de temps pour répandre leur vague en ondes concentriques de plus en plus en plus grandes dans les quatre dimensions et transformer la culture et la société européenne en champ de ruine mais ils sont maintenant sur le point d’accomplir leur glorieuse mission. Bravo à eux. Nous tenions à les féliciter, nous qui sommes pour une forte réduction des populations, surtout de celles qui travaillent, et donc des gaz sataniques afférents.

    PIB, l’indic aux tuyaux pourris.
    Dernièrement, nous écoutions une émission où un jeune agent de la Matrice, branché et cloué a vie sur son fauteuil probablement troué (du moins on espère pour lui) interviewait Alasdair Macleod. Macleod est Britannique, ce qui en général est un mauvais point, pire encore s’il est Ecossais, mais qui lorsqu’on cause de finances au niveau international (et non de vos économies sous votre matelas dont nous nous contrefoutons) est un gros avantage vu que personne ne peut mieux connaître les rouages de la finance mondialisée que ceux qui en sont à l’origine. C’est toujours la même histoire : si vous voulez un vrai bon flic, embauchez un ancien gangster ; si vous voulez un vrai bon ami des bêtes, embauchez un ancien braconnier ; si vous voulez un vrai connaisseur en capitalisme sans foi ni loi, embauchez un ancien banquier anglo-saxon. Macleod ne paie pas de mine, surtout comparé à son jeune interviewer qui semble sorti d’un salon de beauté : il est vieux, il n’a plus guère de cheveux, il a un gros nez rouge qui sent l’alcoolique non repenti et il est à peu près aussi beau que Mister Magoo. Mais c’est quelqu’un qui a appris à réfléchir il y a sans doute des décennies de cela et qui a gardé le bon réflexe. De plus, comme je le sous-entendais, c’est un ancien banquier, un ancien trader aussi, c’est dire qu’il réunit toutes les compétences du gangster financier international. Eh bien dans cette émission, il expliquait en termes simples comment et pourquoi le PIB est devenu une mesure pour le moins inadéquate, une simple fiction, mais une fiction très utile pour le monde occidental. Le PIB nominal est l’indicateur préféré de ces économistes agents de la Matrice que vous pouvez régulièrement apercevoir dans votre écran TV (le PIB par parité de pouvoir d’achat est un peu mieux mais on continue d’ajouter des vides avec des pleins comme si les vides étaient des pleins). Cela se comprend car il permet à ces doctes escrocs de vous assurer qu’un vide est un plein, qu’une soustraction est une addition, qu’un signe moins est un signe plus. En gros, Macleod estime qu’on peut égaler la taille du PIB d’un pays occidental à la quantité de dettes ou de crédits qu’il détient. Et comme ces crédits ne sont nullement alloués à des investissements productifs mais servent à augmenter encore plus de dépenses improductives et enfler toujours davantage les cours de la Bourse pour le (gigantesque) bénéfice de quelques-uns, son rapport avec la puissance économique réelle d’un pays est dangereusement proche de zéro. Par puissance économique réelle, il faut entendre tout ce qui sert à produire un bien matériel ou intellectuel utile à la société. Basiquement, il s’agit de l’agriculture (sans quoi il n’est même pas utile de discuter du reste), de l’extraction de matières premières (le fait de posséder des matières premières n’a aucun intérêt si elles ne sont pas extraites et tous les pays ne sont pas capables d’extraire leurs matières premières — suivez notre regard), de la production d’énergie, de la production industrielle et enfin de la capacité militaire. Certains à l’esprit plus fin que nous avanceraient même que le dernier indicateur suffit puisqu’il implique les quatre autres. De même, il n’est pas utile de rajouter dans ce calcul les poids des infrastructures, de l’Administration, de l’Éducation (en réalité, Instruction serait plus correct) ou de la Santé puisque ces domaines sont nécessairement impliqués par les cinq premiers (les guerres sont souvent à l’origine des plus grands progrès en médecine). L’idée que l’on peut atteindre un grand savoir-faire technologique sans médecine ou instruction de niveau comparable est une fantaisie scénaristique digne de ‘La Guerre des Mondes’, où des extraterrestres capables de voyager à travers la galaxie et possédant des armes surpuissantes ignorent qu’il existe des vilaines bêtes microscopiques porteuses de maladies, en particulier pour les organismes étrangers. D’une certaine manière, on peut dire que la guerre est l’étalon ultime pour mesurer les vraies forces d’une nation (ou d’une planète dans le cas du roman de Wells), de son économie, de ses liens sociaux, de ses politiques, de sa population, de sa culture. Il est évidemment dommage qu’il faille en arriver là pour remettre les pendules à l’heure mais il semble que ce soit le seul moyen efficace en ce bas monde.

    Le ‘peak oil’ que personne n’a vu venir.
    Nous disions ci-dessus que le premier pilier d’une économie était l’agriculture. En effet, il n’est pas utile, je pense, de démontrer cette affirmation que si vous avez le ventre vide, toutes les autres questions deviennent quelque peu futiles et pour tout dire inintéressantes. On nous prédit depuis au moins un demi-siècle le peak oil pour nos sociétés très gourmandes en énergie, de préférence bon marché, et il n’y a pas d’énergie en ce monde plus idéale que le pétrole. Son surnom d’or noir est absolument mérité. Nous aimons dire d’ailleurs que le pétrole est la huitième merveille de l’univers, juste un peu après l’eau. Eh bien ce peak oil sans cesse annoncé n’a pas eu lieu. En revanche un ‘peak oil’ qui n’a pas été annoncé et qui est bel et bien arrivé, dans l’indifférence quasi générale, tout du moins des médias de la Matrice, est celui de l’agriculture. Notre agriculture, à nous les ‘riches’, pas celle du Sud Global qui semble loin de l’avoir atteint. Peut-être avez-vous entendu parler des ‘petits’ problèmes qu’ont rencontrés les agriculteurs français cette année, ce qui les rend très tristes, nous voulons dire un peu plus que d’habitude. Peut-être, sûrement, vous a-t-on dit que c’était de la faute de la météo exécrable, ou plutôt en novlangue, la faute du dérèglement climatique. Et certes la météo pluvieuse de cette année (depuis la mi-octobre 2023 en fait) a été très préjudiciable pour les céréaliers en particulier mais ce n’est que le catalyseur d’un phénomène en cours beaucoup plus vaste et beaucoup plus durable. Tous les pays occidentaux, y compris les USA, sont en train de voir leur production totale ou leurs exportations en volume de dollars ou même les deux, diminuer régulièrement depuis quelques années. Et ce n’est que le début. Nous parions que tous les secteurs de l’agriculture vont être impactés dans les années qui viennent : céréales, oléagineuses, maraîchage, vergers, élevages, lait, viande, œufs. La météo ou le climat n’aura rien à voir avec le phénomène, si ce n’est d’atténuer ou d’accélérer la tendance selon les années (qui se suivent et ne se ressemblent pas). Et naturellement, les fermes vont fermer. Dans dix ans, nous, habitants de la France, pays d’agriculture s’il en est, devrons acheter massivement à l’étranger les produits de base pour nourrir la totalité de la population. Ou bien nous revendrons nos terres arables à des étrangers, ce qui revient peu ou prou au même. Cela s’est passé et cela continue à se passer en Ukraine aujourd’hui. Vous croyiez que c’est une spécificité de ces slaves demeurés ? alors repensez-y.

    Un grand pas pour la planète
    Comme notre sous-titre l’insinue, nous allons conclure ce pot-pourri de nos commentaires actuels et inactuels par un peu de prospective science-fictionnesque mais à peine. Nous devons avouer que nous avons été bien aidé par la dernière idée géniale de nos grands amis des services secrets israéliens pour réduire les populations à la taille congrue, à savoir diviser ces dites populations par dix, puisque, rappelons-le pour ceux qui n’auraient toujours pas appris par cœur notre manifeste, tel est le but premier de l’Homocidaire engagé et éco-responsable. L’idée de piéger des milliers de téléphone portable est évidemment géniale dans cette optique. Bien sûr il ne faut pas se contenter d’appliquer cette mesure contre les méchants Palestiniens ou les méchants Libanais ou les méchants Syriens, bref les méchants arabes ; il faut évidemment étendre cette mesure de Justice aux méchants Perses, aux méchants Chinois, aux méchants Russes, aux méchants Cubains, aux méchants Vénézuéliens, aux méchants Brésiliens, aux méchants Nigériens, aux méchants Maliens, aux méchants Turcs, aux méchants Indonésiens, aux méchants Guatémaltèques et pour faire bonne mesure aux Indiens (ceux d’Inde), même s’ils ne sont pas aussi méchants que les autres, de sorte que nous devons arriver à non loin de 90% de la population mondiale, ce qui est le but final. Pour mieux atteindre ce noble objectif (et plus rapidement) nous conseillons d’étendre ce dispositif à d’autres appareils munis de batteries comme les postes TV, les PC ou Mac (nous ne sommes pas sectaires), les tronçonneuses électriques, les machines à laver, les postes de radio, les brosses à dent électriques, les machines à calculer et bien sûr les voitures, bus et camions, électriques ou pas. Notons que les téléphones et les ordinateurs sont particulièrement intéressant parce qu'il est certainement possible de les programmer pour déclencher l'étincelle fatale lorsque des paroles non sanctifiées par la Matrice sont prononcées ou écrites par leur intermédiaire, ce qui permettrait en plus un tri souhaitable entre le bon grain et l'ivraie (toujours beaucoup plus nombreuse) Nous ne voyons qu’un petit défaut dans le procédé mais tout à fait véniel. En effet, il serait possible que des méchants pas encore morts aient l’idée très méchante de copier cette merveilleuse innovation (comme ils ne font que copier nos belles 
idées) et nous retournent le cadeau.
    La moralité de cette histoire est évidente, à savoir que nous avons bien raison de ne toujours pas posséder à ce jour de téléphone portable personnel.

Un autre pot pourri, sans ironie : ici.