mercredi 6 novembre 2024

Un agent russe insoupçonnable prend sa retraite

 




    Aujourd'hui, 6 novembre 2024, un grand événement a eu lieu, passé inaperçu, et c'est bien normal, de la totalité de nos grands médias: Yosif, nom de code "Sleepy Joe", plus connu en Occident sous le nom de Joseph Robinette Biden, vient de recevoir son avis de retraite (qui commencera officiellement en janvier prochain). On le voit ici dans son nouvel appartement avec vue, donnant sur le parc aux couleurs automnales, qui sera sa dernière demeure. On sent parfaitement que l'homme a déjà pris ses marques, si heureux de se retrouver  chez les siens dans la grande banlieue moscovite après toutes ces décennies passées loin de la mère patrie. Que de nostalgie! Pour fêter l'événement, il a sorti le bocal de cornichons malossol et la bouteille de vodka russe populaire, pas comme ces imitations juste buvables qu'on nous vend en Occident au prix de l'or, et on remarque qu'il n'a pas oublié la pince à cornichons, qu'il sait manier, il est vrai, avec une dextérité hors du commun.
    Nos canaux d'information privés nous permettent en effet d'affirmer que celui qui a présidé les USA pendant ces quatre dernières années et vice-présidé de 2012 à 2016 n'était autre que le plus grand espion de l'ère moderne. On n'a jamais vu de couverture plus parfaite. Durant toutes ces années passées en terre hostile, il n'a eu de cesse de peaufiner son image de parfait russophobe. Cette tactique a certainement grandement contribué à son irrésistible ascension vers le pouvoir . C'est alors qu'il est arrivé au sommet ou presque -- en 2012, en tant que Vice-Président -- qu'il a pu donner sa pleine mesure et que d'agent dormant ("sleepy joe") il est devenu l'agent opérationel "Action Joe". L'opération "Ukraine en feu"* lui ayant été confiée par le grand Obama, qui avait d'autres chats à fouetter, c'est-à-dire d'autres Etats à démocratiser et libérer, comme la Lybie ou la Syrie, il a pu organisé avec le concours de quelques sous-fifres comme John Mac Cain ou Victoria Nuland le coup d'état de 2014 qui a démarré la chaîne d'événements fatidique devant signer au bout du compte la démission de l'Empire. La stratégie de Yosif aura en effet été toujours de feindre de s'attaquer à la Russie quand en réalité il lui offrait des opportunités économiques, politiques et finalement militaires. Tout en parlant de détruire la Russie, en annonçant sans cesse échec au roi Poutine, il facilitait l'isolement et l'aliénation de l'Empire par l'élimination de ses pièces les plus dispensables, du fou ukrainien évidemment, de la tour (industrielle) germanique, de la reine britannique (qui en fait est devenue un roi), sans parler des autres menus pions européens, trop insignifiants et nombreux pour être cités. Dans le même temps, loin de porter les coups fatals à la Russie qu'il prétendait lui assener, on s'aperçoit que celle-ci n'a cessé de se renforcer militairement, industriellement, économiquement, socialement, diplomatiquement pendant ses mandats: cela ne peut être une coïncidence. Alors même que cette année, un peu plus tôt, il nous annonçait encore (pour la dixième, douzième, dix-huitième fois) la fin imminente de la guerre en Ukraine grâce à la défaite totale de la Russie, de par son effondrement économique et social tout au moins, la Banque Mondiale d'abord puis le FMI, organismes peu susceptibles de russophilie, nous annonçaient que la Russie venait de passer devant l'Allemagne et le Japon en terme de PIB par parité de pouvoir d'achat. Eh bien, le fait que notre ami Yosif ait beaucoup œuvré pour finir de transformer ces (ex) puissances industrielles en vassaux de l'Empire taillables et corvéables n'y est probablement pas pour rien.
    Avoir maintenu sa couverture tout ce temps est bien sûr en soi seul un exploit digne des plus grandes légendes**. Avoir si rapidement sapé la position et le crédit (dans tous les sens) de l'Empire tout en renforçant ceux de la mère patrie sur l'échiquier mondial en est un autre. Enfin, nous tenons à souligner tout particulièrement son dernier coup de génie, qui aura été de feindre une sénilité précoce proche de la démence (on voit bien sur la photo que l'homme s'est débarrassé de sa prétendue infirmité aussitôt sa mission terminée et la terre natale retrouvée) afin de mettre sur le compte de sa faiblesse pardonnable une série de décisions de plus en plus étranges, contreproductives, confinant au pur et simple sabotage domestique (et c'était bien leur but). Le seul regret de Yosif, nous a-t-il confié lors de notre entrevue entre deux petits verres de son excellente vodka à moins de 350 roubles soit 4 dollars la bouteille trouvée au plus proche supermarché Achann de Prospekt Proletarsky**, aura été de ne pas avoir réussi à éliminer Trump, malgré toutes ses tentatives, dont une au moins aura bien failli réussir (voir cet article). 
    Ce sera un grand connaisseur, lui aussi espion fameux, Vladimir Vladimirovitch Poutine, qui lui remettra en personne la médaille de Héros de la Patrie, ce qui n'est que justice. Nous profitons de cet événement pour nous associer à sa famille et à ses amis pour souhaiter une longue retraite bien méritée au général nouvellement promu: Yosif Ivanovitch Popov.


*Voir le film du même nom ("Ukraine on fire") d'Oliver Stone, pas encore censuré sur Youtube apparemment.

** En matière de légendes, je ne saurais trop conseiller le plus grand film d'espionnage qu'on ait jamais fait : "17 moments du printemps".

*** En français : le supermarché Auchan de l'avenue du Prolétaire (existe réellement, toujours maintenant, dans la banlieue de Moscou).


vendredi 1 novembre 2024

"Russie : un mystère drapé dans une énigme"*

 

Que diable fabriquent-ils?


Si vous vous intéressez aux événements géopolitiques majeurs qui ont cours en ce moment-même (quelle chance !), ce grand basculement des plaques tectoniques, vous vous êtes forcément demandé, une fois au moins, par quel miracle la Russie pouvait tenir tête et en réalité laminer lentement mais sûrement toutes les forces de l’OTAN réunies (les mercenaires ukrainiens ne servant que de proxy sacrifiable et relativement bon marché dans ce conflit Russie/Otasunie). On vous a dit et répété que le budget militaire de la Russie était dix fois moindre que celui des USA. Peut-être même avez-vous découvert que ce budget était environ 30 fois inférieur à celui de tout l’OTAN réuni (sans compter donc les acolytes du Pacifique). Comment est-ce donc possible ?

Dans cet article aux visions puissantes mais parfois trop simplistes, j’avais tenté une première explication pour éclaircir ce mystère. En bref, je supposais que la différence de pouvoir d’achat en Russie et aux USA pour une même quantité de dollars donnée compensait grosso modo l’écart de budget. En clair donc, je supposais qu’avec la même quantité de dollars, un Russe pouvait acheter dix avions, dix tanks, dix missiles, etc. quand l’Etasunien ne pouvait en avoir qu’un seul. Mais ayant fait mes devoirs et possédant maintenant une connaissance plus informée du sujet, je dois admettre que cette explication — malgré ses mérites incontestables — ne suffit pas. L’écart de prix entre un avion de chasse russe et un avion de chasse US, de même capacité et de même génération n’est pas d’un à dix mais en moyenne d’un à deux. Cet écart semble constant depuis des décennies et si on prend les chasseurs de dernière génération en activité à titre d’exemples, le Sukhoï 57 coûte respectivement 1,7 fois et 2,5 fois moins que ses deux vis-à-vis possibles, le F35 et le F22 (et 2 fois moins que le Rafale, dernière génération). Pour les munitions, l’écart est un peu plus grand mais on est toujours très loin d’un ratio d’un à dix. De plus, comme le conflit concerne l’OTAN tout entier, l’écart théorique à combler n’est pas d’un à dix mais donc, comme précisé plus haut, d’un à trente.

Comment résoudre l’équation, quelle inconnue doit-on ajouter pour au minimum équilibrer les deux côtés de la balance a été et est toujours un casse-tête chinois pour les plus grands experts militaires et économiques de l’Otasunie. Plus bizarrement encore, bien que je lise et écoute beaucoup de spécialistes russes, ou au minimum russophones, je ne peux pas dire que ces derniers m’aient semblé beaucoup plus versés dans les arcanes de ce mystère. Avec les Russes, vous devez de toute façon vous attendre à une réponse du style : « eh bien c’est comme ça parce que c’est comme ça : un point c’est tout ».

Pourtant, pas plus que moi, ils ne pensent que leurs systèmes d’armements serait dix fois (ou trente fois !) supérieurs à ceux de l’OTAN.

Une partie du mystère peut être cherchée dans le fait que le rythme de production et donc la quantité de ces divers équipements militaires sont plus élevés en Russie que dans les pays de l’OTAN. Comme le disait Staline, la quantité a une qualité en soi qu'on aurait bien tort de dédaigner. Généralement les experts s’accordent pour dire que le rythme de production des différents armements est environ deux fois plus élevé en Russie que dans tous les pays de l’OTAN réunis. Toutefois, vous noterez qu’en plus d’être partielle, c’est une fausse explication. En effet, elle ne fait que déplacer l’énigme. Comment alors est-il possible qu’un pays qui a un PIB nominal cinquante ou cent fois moindre que celui du bloc adverse, les USA avec les Eurozonés plus les laquais du soleil levant ou des antipodes ait un rythme de production deux fois supérieur à celui de toutes ces fines fleurs de la civilisation, qui contient pourtant quelques puissances industrielles reconnues ? Bien sûr le PIB, comme indicateur de la puissance industrielle ou même économique d’un pays est pour l’essentiel une fable, un conte pour enfant, comme je l’ai indiqué dans un précédent article. Mais il reste tout de même un océan à combler.

Une autre petite partie de l’explication peut et même doit impliquer l’économie de type assez particulier qu’on trouve en Russie. Bien que celle-ci soit très largement privatisée, elle reste pilotée dans ses grandes directions par le Kremlin. Comme toujours, celui-ci agite aussi bien la carotte que le bâton, même si maintenant il se sert beaucoup plus de la première. Dans la Russie actuelle, les incitations sont massives pour que les industriels aillent dans la direction souhaitée ou plutôt les directions car il y a tout un éventail de domaines où l’État Fédéral investit lourdement et ces domaines n’ont souvent qu’un lointain rapport avec l’armée, et parfois aucun. Ce type de politique économique mixte, en partie dirigée, voire planifiée, est en sainte horreur chez nos zélotes du marché libre et concurrentiel, mais le fait est qu’elle marche pas si mal, en tout cas en Russie. Notons d’ailleurs que ce n’est pas fondamentalement différent des subventions très généreuses accordées par nos pays de l’Otasunie à certains secteurs privilégiés (mais avec une efficacité considérablement moindre comme chacun a pu se rendre compte à moins d’être greffé dans la Matrice depuis la couveuse). Enfin il y a en Russie ces entreprises qu’on peut qualifier d’étatiques — même si c’est un peu plus subtil que ça — comme ROSATOM, ROSTEC, ROSCOSMOS, GAZPROM. Leur particularité est qu’elles ne sont pas toujours tenues d’augmenter leur bénéfice ou parfois même d’en faire du tout mais qu’elles sont tenues prioritairement de réaliser les objectifs fixés par l’État, quitte à déplaire à leurs "actionnaires". Et quand le Kremlin leur dit d’augmenter la production dans tel ou tel secteur, eh bien elles l’augmentent. Dans une situation de guerre, c’est évidemment un gros avantage. Ajoutons que cette décision d’augmenter la production industrielle dans le secteur de l’armement et de tout ce qui s’y rapporte a été prise des années avant le début de l’Opération Militaire Spéciale.

En somme, on a en Russie une économie qui dans une mesure importante est au service de l’État et du pays quand nous avons par ici une économie entièrement au service de ses actionnaires, et surtout de ces quelques oligarques sans pays ni frontières qu’on retrouve dans tous les Conseils d’Administration des grandes entreprises et qui sont les seuls vrais bénéficiaires du système (avec bien sûr les politiques qu’ils arrosent dûment en retour de leurs bons services). À chaque fois que l’UE ou les USA ont tenté ces dernières années d’augmenter la production d’armements, cela s’est soldé par un échec à court et moyen termes, soit parce que les usines disponibles ne sont pas assez nombreuses ou manquent de la capacité d’accroissement (de par leur politique de flux tendu, elle-même découlant de leur politique de rendement financier maximal, elles sont presque toujours au taquet), soit parce que les prix se sont mis aussitôt à flamber. On en a eu un exemple spectaculaire cette année avec l’UE : après son appel d’offres pour acheter des obus de 155 mm (les principales munitions utilisées par les canons modernes sur le champ de bataille du côté otasunien) dont l’armée ukrainienne était (et est toujours) en manque, le prix de celles-ci a été quasi multiplié par dix sur le champ. Le résultat net a été que l’UE a pu acheter moins de munitions pour un prix plus élevé. Bien sûr, on peut toujours rêver et se dire que sur le long terme, la production d’armements de l’Occident finira par rejoindre celle de la Russie actuelle. Mais cela présuppose beaucoup d’événements improbables : 1) que la politique des entreprises d’armements occidentales fassent passer l’intérêt du bloc avant leur intérêt financier ; 2) que la Russie n’augmente pas elle aussi sa production durant ce laps de temps à la même vitesse voire à une vitesse supérieure ; 3) que la guerre en Ukraine ne soit pas terminée avant (par la victoire de la Russie).

 

Je n’ai parlé jusqu’ici que des facteurs palpables, matériels, qui peuvent en partie expliquer la contradiction entre ce que nous disent les chiffres bruts et les faits observables sur le terrain. J’ai tour à tour invoqué la différence de pouvoir d’achat, les capacités de production bien plus extensibles de la Russie et enfin la politique économique différente des deux blocs. Tout cela nous rapproche de la vérité, sans la moindre doute, mais on sent bien que le tableau n’est toujours pas complet. Même avec les faiblesses citées, le bloc occidental devrait au minimum pouvoir obtenir pat dans ce conflit, étant donné les énormes différences en son avantage de population ou de richesse. Or, il est de plus en plus clair que nous nous dirigeons vers un mat des Russes sur le roi ukrainien (qui en réalité est bien sûr un fou).

Et c’est là qu’on est obligé de faire appel à des facteurs humains, sociaux et psychologiques pourrait-on dire. Il est évident que nos pays ne sont pas du tout préparés à ce type de guerre totale comme celle qui a cours en Ukraine. Imaginez un instant que l’illégitime Macron ou la saucisse Scholz déclare dans un élan de zèle atlantiste la mobilisation générale ou même partielle : en moins de trois mois, le pays se viderait de ses éléments mâles en âge d’être conscrits pour des cieux moins sombres. C’est ce qui s’est passé en Ukraine. Mais le mouvement sera encore plus fort dans nos pays tout simplement parce que les gens ont plus d’argent, plus d’économies, et peuvent donc plus facilement passer à l’étranger ou envoyer leurs fils vers une destination sans risque pour le temps qu’il faut. Disons-le clairement, le fait que l’Ukraine soit le pays le plus pauvre d’Europe (à égalité peut-être avec la Moldavie, qui semble justement s’apprêter à suivre le chemin pavé de gloire de son voisin du nord), depuis des décennies, est un facteur majeur dans le "succès' de l’opération washingtonienne démarrée en 2014. Jamais sans cela, la CIA n’aurait pu transformer ce pays en moins de dix ans en poing armé contre les Russes et jamais l’armée ukrainienne n’aurait pu perdurer jusqu’aujourd’hui. De plus, dans nos pays, les populations sont tellement fragmentées entre les races, les religions, les opinions politiques, les classes, les multiples sexes et les âges qu’une mobilisation est la recette la plus sûre pour connaître de grands troubles civils. En fait nos gouvernements le savent si bien qu’ils n’essaient même pas (et ce n’est pourtant pas l’envie qui leur manque).

Mais la mobilisation se heurterait à un problème supplémentaire (contrairement à la Russie qui a gardé un service militaire obligatoire) qui est que nos armées sont à 100% professionnelles depuis des décennies, ce qui signifie qu’il faudrait partir de zéro pour faire du pékin pris dans la rue un soldat même minimalement compétent.

Enfin et surtout le problème majeur réside évidemment dans la motivation. Pensez-vous que les Français, les Allemands, les Anglais vont aller faire la guerre de tranchées pour des Macron, des Scholz, des Starmer, des Biden ou des Harris ou des Trump ? Autant croire au père Noël ! On peut déjà prévoir que les exemptions signées par le médecin de famille vont se vendre comme des petits pains.

D’une manière générale, ce qui manque chez nous est la culture de la guerre. Pour nous, Européens, et encore plus chez les Étasuniens qui n’ont pas connu de conflit sur leur terre depuis des lustres, la guerre est devenue une chose abstraite, virtuelle, lointaine, qu’on ne connaît que par des films ou des jeux vidéo. Là où la Russie a maintenue une culture de la guerre importante, en partie due au fait qu’ils ont perdu vingt-six millions de personnes lors de la dernière guerre mondiale, ce qui veut dire que toutes les familles russes ont encore aujourd’hui des parents qui sont morts à la guerre. La Russie est le seul pays d’Europe qui ait bâti une cathédrale, la plus belle cathédrale moderne, la cathédrale de fer, en hommage à leurs soldats disparus (voir cet article-ci). Que cette cathédrale soit dédiée à l’Armée Rouge n’a qu’une importance secondaire, que nous trouvions l’idée ridicule ou monstrueuse en a encore moins. Cette cathédrale magnifique est là et révèle une ferveur que nous sommes incapables de comprendre, encore moins d’imiter. En raison de cette culture, de ce marquage au fer rouge, l’État russe n’a eu aucune peine à ranimer la flamme de la grande guerre patriotique lorsque le moment est venu. Chaque mois, trente mille volontaires en moyenne affluent vers les centres de recrutement de l’armée de la Fédération. Ils viennent de partout, comme toujours davantage de la campagne que des villes et davantage des régions pauvres que des régions riches mais ils viennent et ils sont motivés, contrairement à ces pauvres ukrainiens (en attendant peut-être ces pauvres Polonais, ces pauvres Moldaves, ces pauvres Baltes, ces pauvres Roumains …). Une illustration flagrante a été dernièrement fournie par une initiative du gouvernement polonais qui a décidé de lancer un appel pour former une sorte de légion étrangère destinée à renforcer l’armée de Kiev. Comme la Pologne a reçu depuis quelques décennies un contingent énorme d’immigrés ukrainiens, plusieurs millions, elle pensait trouver facilement de quoi monter au minimum une brigade. Résultat, seule une quinzaine de volontaires ukrainiens se sont présentés, pas même de quoi faire une section (l’unité commandée chez nous par un adjudant ou éventuellement un officier subalterne type sous-lieutenant). Il est vrai que la paie et les primes éventuelles du soldat russe sont relativement importantes, surtout pour un paysan ou un ouvrier de Sibérie, de l’Oural, du Caucase, mais ce n’est qu’une incitation de plus. Les queues devant les bureaux de recrutement n’ont jamais été aussi longues depuis le massacre du Krokus et surtout depuis que le grand Volodomyr Z. a lancé son opération de Koursk, son plan génial pour vaincre la Russie (voir cet article-ci). L’argent est le nerf de la guerre et le Kremlin n’oublie pas cet adage. Mais à l’épreuve du feu, l’argent seul n’a jamais été une motivation suffisante. Un bon exemple de ce fait est la diminution en chute libre du nombre de mercenaires étrangers que parvient à embaucher l’armée ukrainienne : ceux-ci ont une tendance invincible à prendre la poudre d’escampette une fois qu’ils ont compris qu’ils n’étaient pas là pour participer à une sorte de safari, comme en Irak, en Afghanistan ou en Lybie, qu’ils avaient toutes les chances de ne pas revenir (les mercenaires n’étant pas protégés par les conventions de Genève, l’armée russe par une coïncidence étrange ne fait pas de prisonniers parmi les mercenaires étrangers, que ce soient des Polonais, Colombiens, Anglais, Tchèques, Norvégiens, Français, Baltes, Japonais, Tchétchènes ou même Biélorusses, peu importe ; je n’ai en effet pas pu voir un seul prisonnier étranger en Russie, non-ukrainien, malgré les innombrables vidéos postées sur le sujet depuis le début de la guerre ; les seuls encore en vie au moment de leur capture semblent avoir brutalement décédé quelques minutes ou quelques heures après pour des raisons peu mystérieuses).

En guise de conclusion morale, on peut dire que l’argent n’a bonne odeur que tant qu’on n’a pas senti celle de la mort, tout près de soi, ou mieux encore, sur soi.

 

*Propos attribué à Bismark.


samedi 12 octobre 2024

Sanctions, sanctions, sanctions et autre inepties Eurozonées

 

Usine géante de traitement du bois dans le merveilleux pays du Père Noël (on me dit qu'ils y croient) 

    Parmi les milliers de sanctions prises contre la Russie, il en est une qui a attiré particulièrement ma sympathie, sans doute parce que la sylviculture est ma principale (et à peu près seule) compétence, quoiqu’à dire vrai très loin derrière l’écriture, et aussi parce qu’on peut y trouver toutes les marques inimitables du ‘travail’ toujours inspiré de la Commission Européenne (CE). Depuis l’été 2022, les heureux pays de l’Euro zone, parfois appelés les Zonards, ont en effet le devoir de n’importer aucun produit bois de Russie. Très peu notée en France, puisque le secteur bois y est plutôt un boulet et qu’il est très difficile de faire la part de l’effet des sanctions de l’inefficience ordinaire régnant ici, elle a été très fortement ressentie dans un autre grand pays de ce club chanceux qu’on appelle l’UE, un pays très forestier, c’est-à-dire où le poids du secteur forestier est considérable dans l’économie nationale, surtout si on la considère depuis l’amont jusqu’à l’aval (de la fabrication de la tronçonneuse jusqu’à la grume brute, ou plutôt l’inverse) un pays boisé pour plus de 70% de sa surface, un pays qui commence par un F et finit par un e… et non ce n’est donc pas la France.

Bien, grâce à ma phrase serpentine, vous avez eu le temps de réfléchir et de deviner que ce pays en question est la Finlande. La Finlande dispose, comme je l’ai dit, de ressources forestières considérables par rapport à sa taille, très modeste. Néanmoins ce qui est encore plus considérable, c’est sa capacité de production qui excède de loin sa ressource domestique disponible. Ah, mais comment est-ce possible ?! En effet, une des lois les moins mystérieuses de la sylviculture est de ne pas couper plus de bois que ce que les forêts produisent si vous ne voulez pas rapidement vous retrouver à sec. Et quand une forêt nordique est à sec, c’est pour très très longtemps (les arbres mettent en effet beaucoup, beaucoup plus de temps à pousser que, disons, en Guyane).

D’abord, précisons quelques points utiles pour la compréhension de cet article. Comme les Français sont bien placés pour le comprendre, le volume de bois disponible n’est pas du tout égal au volume de bois existant dans un pays. Une partie plus ou moins grande est de fait indisponible, c’est-à-dire en fait non rentable, soit en raison de reliefs trop escarpés, soit en raison de terrains trop marécageux, soit tout simplement parce que les essences disponibles dans ces forêts n’ont pas vraiment d’intérêt économique (en dehors d’un petit usage local en bois de feu et autres menus produits de sorcellerie en vogue) et vous avez alors tout à fait raison de me donner l’exemple de nos forêts méditerranéennes. La Finlande n’est pas dans le cas de la France. Bénéficiant d’une platitude à peu près parfaite, ses forêts de type taïga (ce qui n’est jamais qu’un mot d’une langue barbare pour dire… forêt) sont intégralement peuplées par trois essences principales toutes d’un grand intérêt économique (là-bas, pas forcément chez nous) : l’épicéa, le pin, le bouleau. En dehors des marécages, le pays ne présente pas de difficultés d’exploitation. Ainsi donc ce pays a la très rare chance d’avoir la double particularité de posséder un ratio surface boisée/surface totale et un ratio surface boisée exploitable/surface boisée totale tous deux tournant autour de 2/3, ce qui est énorme, surtout pour un pays soi-disant riche. En fait, même si je n’ai pas vérifié ce point, je ne serais pas étonné que la Finlande soit le pays au monde qui possède le ratio de surface de bois exploitable/surface totale le plus élevé au monde. Et ne me parlez pas des forêts équatoriales, type Guyanes, dont le même ratio est ridiculement faible. En chiffres absolus, on estime que la surface boisée totale de la Finlande est de 26 millions d’hectares pour une surface disponible de17 millions, dernier chiffre qui est exactement la surface boisée totale de la France. Et comme les forestiers finnois sont des roublards (mais rassurez-vous, nous faisons la même chose ici), ils se sont assurés que la majeure part de leurs forêts protégées (donc sans aucune coupe) se situe précisément dans la partie marécageuse ou en lisière de toundra, de toute façon inexploitable.

Eh bien malgré tous ces avantages, la Finlande a néanmoins besoin d’importer de grandes quantités de bois, soit sous forme de grumes entières, soit sous forme de sciages, soit sous forme de bois de feu (pour faire divers combustibles que vous utilisez peut-être sans le savoir), pour faire tourner leurs scieries et usines de traitements du produit bois. Et c’est de la bonne économie. Un des meilleurs moyens connus de s’enrichir rapidement est de faire venir des matières peu ou pas transformées pour obtenir une forte valeur ajoutée avant de revendre les produits finis. La France rêve depuis longtemps de le faire sans jamais y être parvenue (dans le secteur bois, c’est principalement la lointaine Chine qui nous rend ce ‘service’ inestimable). Il suffit d’en avoir la capacité industrielle et il se trouve que la Finlande l’a.

Donc, il n’y a pas si longtemps, la Finlande importait des volumes industriels de bois russe (puisque la Russie possède tout de même 800000000 ha de surface forestière, oui, vous avez bien lu : huit cents millions d’hectares boisés selon la définition internationale d’une surface boisée, soit une quinzaine de France ou une grosse vingtaine de Finlande mises bout à bout), en faisait des produits à plus haute valeur ajoutée et les revendait. Un très bon deal pour le pays scandinave, comme on voit. À la suite de la décision de la CE, les industriels finlandais pourtant habitués à la créativité sans égale de nos législateurs Eurozonés se sont retrouvés avec le choix simple suivant : soit trouver des fournisseurs de rechange, soit réduire fortement leurs capacités de production. Faire venir du bois de pays tiers non-sujets à cette sanction comme la Turquie ou la Chine qui continuent évidemment d’importer du bois russe était trop cher puisque chaque intermédiaire prend sa commission au passage, d’autant plus élevée quand on sait que l’acheteur est coincé, aux abois ; quant aux voisins scandinaves qui ont eux aussi un peu de taïga, ils ne voulaient ni ne pouvaient de toute manière fournir dans les quantités demandées. La première solution s’étant donc avérée impossible, je vous laisse deviner le temps d’un autre paragraphe instructif quelle a été leur décision.

Je rappelle dans ce paragraphe à toute fin utile que le but de la sanction vue depuis l’Euro zone est en principe d’affaiblir davantage l’économie russe que celles des heureux pays membres du club des 27. Les résultats de l’opération antirusse se sont soldés fin 2023 (et ce n’est que le début) par le bilan suivant : en l’espace d’un an, on a assisté à la diminution d’un tiers, au minimum, des importations de la Finlande, ce qui naturellement induit une diminution correspondante dans sa production de planches, charpentes, pâtes et autre produits dérivés dont la plus grande partie était destinée à l’exportation ; cette diminution sur le marché induit à son tour une explosion des prix du produit bois, en particulier les produits vendus par la Finlande, comme on a pu s’apercevoir très récemment en France (mais naturellement, aucun officiel n’a fait le lien entre cette brusque hausse et l’opération antirusse). Exactement dans le même laps de temps, un an au plus, la Russie a non seulement retrouvé son niveau d’exportation d’avant 2022 mais l’a augmenté et pas de l’épaisseur d’une brindille, hein, de 30% : il lui a suffit pour cela de rediriger ses exportations vers d’autres pays demandeurs (et ceux-ci ne manquent jamais pour des produits basiques) : Turquie, Egypte, Kazakhstan, Kirghizstan, EAU, Corée du Sud (celle-là, bon toutou pourtant, n’a pas dû recevoir le mémo de Washington) et bien sûr Chine. Actuellement, les revenus de la Russie liés au bois sont en hausse d’un tiers par rapport à 2021, dernière année avant sanction, pour une balance commerciale nette positive de 8,4 milliards de dollars en 2023 et la tendance est à la hausse rapide pour 2024, chiffre à comparer, par exemple et au hasard, avec le déficit chronique de la filière bois française qui a atteint 9,5 milliards d’euros en 2022 (je n’ai pas les chiffres de 2023, inévitablement horribles).

Ce retour de boomerang peut être retrouvé dans pratiquement n’importe quel autre secteur où la CE a sévi avec ses innombrables sanctions antirusses. Le résultat est toujours le même. Et bien que le résultat soit toujours le même, le processus est sans cesse renouvelé, dans l’espoir sans cesse différé mais jamais éteint que la même cause ait enfin un effet différent. J’aurais pu si j’avais le temps et je ne l’ai pas, je ne l’ai plus, prendre le merveilleux exemple de la sanction visant les compagnies aériennes russes où la seule lecture d’une carte, la simple connaissance la plus basique de la géographie de l’hémisphère Nord aurait dû faire comprendre aux inégalables cerveaux en charge de nous guider sur la voie du bien, de la justice et de la vertu que la sanction ne pouvait que se retourner contre leurs propres compagnies aériennes et favoriser indûment toutes celles qui peuvent continuer à traverser l’espace aérien russe (hé oui, c’est grand la Russie, 9 ou 10 fuseaux horaires, cela en fait du chemin en plus pour la contourner !) : c’est de la géopolitique à la portée d’un enfant de six ans jouant dans une cour de récréation.

C’est aussi un secret de polichinelle pour quiconque veut bien se débrancher un moment de la Matrice, que les décisions de la CE sont inspirées, voire fortement soufflées par Washington, tout spécialement concernant les sanctions antirusses. Ces sanctions ne sont en effet pas trop impactantes pour notre grand ami de l’Ouest, d’autant moins qu’il est le premier à ne pas les appliquer quand ça l’arrange (l’an passé, les USA ont encore importé pour 1,5 milliard de dollars de bois russe pour ne parler que de ce sujet). Le problème pour l’Europe est qu’elle n’a ni la situation géographique ni les ressources de son grand ami pour pouvoir se livrer à ce type de chantage sur la Russie. C’est elle qui dépend vitalement de la Russie et pas l’inverse (elle est la seule à ne pas le savoir). En plus de sa pauvreté en ressources, elle est en cours de désindustrialisation rapide (ayons une pensée émue pour la grande baisée d’outre Rhin) et maintenant commence à boire la tasse du côté de l’agriculture (et pas seulement à cause d’une météo défavorable, voir mon article précédent). Et cela continue. En effet, on m’annonce que ces sanctions qui ont eu de si puissants effets (quoique dans le sens inverse du mouvement appliqué) vont être implémentés contre cette fois… la Chine, sous forme de barrières douanières. Ah ! un vrai coup de maître cette fois. Ainsi l’UE au comble de sa puissance devenue incommensurable va s’attaquer à la première puissance industrielle mondiale (et de très loin) sur le terrain… industriel. C’est exactement ce qu’elle a fait avec la Russie sur le terrain des matières premières où celle-ci est sans rivale. Je le répète : même un enfant en primaire sorti de la cour de récré sait que cela ne peut que très mal se terminer quand un nain attaque un géant : c’est une simple question de connaître l’équilibre des forces et ce n’est vraiment pas difficile de le savoir dans ce cas. Tous ces effets des sanctions, qui vont du minable au catastrophique avec une moyenne tirant plutôt nettement vers le dernier que le premier, et l’obstination à persister dans le schéma perdant, indique un découplage à peu près total du réel de la CE et des autres politiciens en charge de cette (minuscule) partie du monde. On a affaire à des gens plongés dans la Matrice et qui ne veulent surtout pas être débranchés. Mieux, tout leur travail, comme celui de l’agent Smith de la Matrice, est de s’assurer que tout le reste du bon peuple (bon peuple : novlangue pour ramassis à base d’abruti et d’idiot congénital) reste sagement branché, absorbant avec délectation le monde fantastique mais rassurant que leur présente leur petit, moyen ou grand écran. Il faut bien réaliser ceci : dans notre Océania, les politiciens comme les gens des médias au service de l’oligarchie au pouvoir sont tous des agents Smith, pas Winston hein, juste Smith, rien de plus et rien de moins.

Au sommet de sa gloire, qui n’est éloignée que de quelques années, le secteur bois de la Finlande employait 15% des travailleurs industriels du pays, contribuait pour 18% de sa production industrielle et pour 20% de ses exportations en euros. Il est inutile de dire que cette époque est dans un passé révolu et ce ne sont pas les derniers événements en cours qui peuvent inciter à l’optimisme pour les prochaines décennies ou le prochain siècle… s’il y en a un. En avril de cette année, Merikarvia, une des plus grosses scieries du pays mettait la clef sous la porte, l’usine de pâte à papier Joutseno licenciait à tour de bras, le tout nouveau port à sec de Kouvola, qui avait coûté des dizaines de millions d’euros, se retrouvait… à sec, après avoir fonctionné seulement six mois.

Et ce n’est que le commencement.

À bientôt… peut-être. 


Autres articles sur le grand basculement en cours : ici et .


dimanche 22 septembre 2024

Le parti de l’Extrême-Cintre—Marx, un soixante-huitard très précoce—Les quatre cavaliers de l’Eurocalypse

    

    Comme on peut le deviner au titre hétéroclite, cet "article" est en fait un florilège de nos réflexions géniales, certes, mais pour une fois très modestes et sans grand lien entre elles. Ceci n’est donc pas un article, pour paraphraser Magritte.

    Le parti de l’Extrême-Cintre
    Le parti Centriste, en politique, peut se définir par le fait qu’il vise toujours le cadre (le but comme on dit chez les footballeurs). Ce sont des gens de bon sens puisqu’il est incontestable que si on veut marquer des buts, il faut viser à l’intérieur du cadre. Ou pour le dire autrement, on ne peut espérer marquer si on tire à côté ou trop haut. Néanmoins, l’excès de bons sens chez des gens qu’on pourrait appeler les Extrêmes-Centristes fait qu’ils visent toujours le centre du but, ni à gauche ni à droite ni en haut ni en bas, c’est-à-dire qu’ils visent là où se trouve généralement positionné le gardien. Notez qu’ils ne visent pas l’espace situé entre ses jambes, ce qui fait souvent mouche, mais bien à mi-hauteur, en pleine poitrine. Si on ajoute ce fait à l’absence totale de surprise qui les caractérise, il ne faut pas s’étonner que les Centristes marquent rarement de but. Toutefois, leur bon sens a raison sur un point : si le gardien se troue (chose rare à se niveau) ou s’il est parti momentanément à la buvette et que le but est vide, alors ils vont marquer.
    Macron, Von Der Layen et leurs semblables ainsi que que tous leurs prédécesseurs — et on peut remonter au moins jusqu’à Chirac et ses dream teams consécutives — sont réputés appartenir au camp du Centre. On se demande bien pourquoi. En effet leurs politiques se distinguent précisément par le fait qu’elles sont à peu hermétiques à tout bon sens. Ce sont des gens qui non seulement visent en dehors du cadre, trop haut ou à côté, mais réussissent bien souvent à tirer dans leur propre but. Il faut admettre que leurs actions sont parfois, souvent en fait, absolument spectaculaires, des lobs parfaitement dosés sur leur propre gardien, des retournées depuis le milieu du terrain, des coups de billards si savants que même les calculs des supercalculateurs échouent à les reproduire, des trajectoires de boomerang qu’on croirait physiquement impossibles avant de les avoir vues. Comme tout spectateur de foot le sait, les buts les plus beaux, les plus incroyables, les plus prodigieux sont des buts contre son camp. Néanmoins, comme ces buts prodigieux sont comptés pour l’adversaire, cela leur enlève beaucoup d’intérêt, surtout si on est supporter de l’équipe qui marque régulièrement ces buts contre son camp. On pourrait même qualifier ces rois de l’inversion d’insensés et ce sans aucune exagération. C’est pourquoi nous proposons d’appeler dorénavant le parti unique de Macron, Von Der Layen, Scholz, Starmer et Cie le parti des Extrêmes-Cintrés.

    Marx, un soixante-huitard très précoce
    Le soixante-huitard type se caractérise par son état d’éternel étudiant, son absence de goût et de compétence pour le travail, je veux dire le vrai travail qui produit quelque chose de concret au bout du compte, et son absolue conviction qu’il peut et doit néanmoins apprendre la vie à ceux qui travaillent pour de vrai. C’est un donneur de leçon né. Enseigner la classe laborieuse, grâce à leur longue expérience de l’étude du travail, tel est le but général de ces grands allergiques au travail. Marx répond parfaitement à cette description qu’on résume souvent sous le terme évidemment laudateur de bourgeois bohème, bobo pour les intimes. Il avait seulement un gros siècle d’avance sur tout le monde. Marx n’a jamais franchi le seuil d’une usine, même en tant que visiteur, et encore moins — faut-il le préciser — en tant que travailleur. Il n’a jamais fréquenté ni de près ni de loin un spécimen d’humanité pouvant rentrer dans la case prolétaire ; sa seule connaissance avérée du sujet lui a été fournie par ses lectures de Proudhon. Cela ne l’a nullement empêché de passer l’essentiel de sa vie à prêcher pour la classe laborieuse, à enseigner quelle politique, quelle économie sont bonnes pour elle. Marx est l’archétype du philosophe du pont dunette qui parle de (et non pas à) l’homme du fond de la cale. Il est aussi une sorte de reflet inversé de Rousseau, qui tout aussi bizarrement, et plus masochistement, s’était mis dans la tête d’enseigner la vie à la grande bourgeoisie et à la noblesse, lui qui était pourtant indéniablement fils de travailleur et qui est resté prolétaire jusqu’au bout (car lorsque vous prenez le même prix à la page pour vos essais philosophiques que pour vos copies de partition musicales, le vrai métier de Rousseau, on peut dire que vous êtes un écrivain prolétaire). Le trait commun de ces deux philosophes politiciens est qu’ils enseignent tout particulièrement les sujets pour lesquels ils n’ont justement aucune pratique reconnue, le travail pour l’un, l’éducation des enfants pour l’autre, et en plus à des gens qu’ils connaissent très mal ou pas du tout. Notre conseil de prudence : ne prenez les bonnes paroles des gens concernant des sujets où ils n’ont pas de ‘skin in the game’ qu’avec les plus longues pincettes.
    Bien, voilà qui est dit, mais nous n’en avons pas encore tout à fait terminé avec Marx. Pour les raisons que nous venons d’énoncer trop lapidairement, Marx est un génial usurpateur en politique, en économie, et peut-être même en Histoire. Il n’est pas le seul qui a connu ce succès bien mérité. Toujours chez les Allemands, Nietzsche est lui le génial usurpateur de la philosophie mondiale. Et Freud, grand analyste littéraire nous dit-on, est le génial usurpateur dans le domaine de la médecine. Avec Darwin, autre usurpateur grandiose de la science, nous obtenons les quatre cavaliers de l’Eurocalypse actuelle. Cela leur a pris un peu de temps pour répandre leur vague en ondes concentriques de plus en plus en plus grandes dans les quatre dimensions et transformer la culture et la société européenne en champ de ruine mais ils sont maintenant sur le point d’accomplir leur glorieuse mission. Bravo à eux. Nous tenions à les féliciter, nous qui sommes pour une forte réduction des populations, surtout de celles qui travaillent, et donc des gaz sataniques afférents.

    PIB, l’indic aux tuyaux pourris.
    Dernièrement, nous écoutions une émission où un jeune agent de la Matrice, branché et cloué a vie sur son fauteuil probablement troué (du moins on espère pour lui) interviewait Alasdair Macleod. Macleod est Britannique, ce qui en général est un mauvais point, pire encore s’il est Ecossais, mais qui lorsqu’on cause de finances au niveau international (et non de vos économies sous votre matelas dont nous nous contrefoutons) est un gros avantage vu que personne ne peut mieux connaître les rouages de la finance mondialisée que ceux qui en sont à l’origine. C’est toujours la même histoire : si vous voulez un vrai bon flic, embauchez un ancien gangster ; si vous voulez un vrai bon ami des bêtes, embauchez un ancien braconnier ; si vous voulez un vrai connaisseur en capitalisme sans foi ni loi, embauchez un ancien banquier anglo-saxon. Macleod ne paie pas de mine, surtout comparé à son jeune interviewer qui semble sorti d’un salon de beauté : il est vieux, il n’a plus guère de cheveux, il a un gros nez rouge qui sent l’alcoolique non repenti et il est à peu près aussi beau que Mister Magoo. Mais c’est quelqu’un qui a appris à réfléchir il y a sans doute des décennies de cela et qui a gardé le bon réflexe. De plus, comme je le sous-entendais, c’est un ancien banquier, un ancien trader aussi, c’est dire qu’il réunit toutes les compétences du gangster financier international. Eh bien dans cette émission, il expliquait en termes simples comment et pourquoi le PIB est devenu une mesure pour le moins inadéquate, une simple fiction, mais une fiction très utile pour le monde occidental. Le PIB nominal est l’indicateur préféré de ces économistes agents de la Matrice que vous pouvez régulièrement apercevoir dans votre écran TV (le PIB par parité de pouvoir d’achat est un peu mieux mais on continue d’ajouter des vides avec des pleins comme si les vides étaient des pleins). Cela se comprend car il permet à ces doctes escrocs de vous assurer qu’un vide est un plein, qu’une soustraction est une addition, qu’un signe moins est un signe plus. En gros, Macleod estime qu’on peut égaler la taille du PIB d’un pays occidental à la quantité de dettes ou de crédits qu’il détient. Et comme ces crédits ne sont nullement alloués à des investissements productifs mais servent à augmenter encore plus de dépenses improductives et enfler toujours davantage les cours de la Bourse pour le (gigantesque) bénéfice de quelques-uns, son rapport avec la puissance économique réelle d’un pays est dangereusement proche de zéro. Par puissance économique réelle, il faut entendre tout ce qui sert à produire un bien matériel ou intellectuel utile à la société. Basiquement, il s’agit de l’agriculture (sans quoi il n’est même pas utile de discuter du reste), de l’extraction de matières premières (le fait de posséder des matières premières n’a aucun intérêt si elles ne sont pas extraites et tous les pays ne sont pas capables d’extraire leurs matières premières — suivez notre regard), de la production d’énergie, de la production industrielle et enfin de la capacité militaire. Certains à l’esprit plus fin que nous avanceraient même que le dernier indicateur suffit puisqu’il implique les quatre autres. De même, il n’est pas utile de rajouter dans ce calcul les poids des infrastructures, de l’Administration, de l’Éducation (en réalité, Instruction serait plus correct) ou de la Santé puisque ces domaines sont nécessairement impliqués par les cinq premiers (les guerres sont souvent à l’origine des plus grands progrès en médecine). L’idée que l’on peut atteindre un grand savoir-faire technologique sans médecine ou instruction de niveau comparable est une fantaisie scénaristique digne de ‘La Guerre des Mondes’, où des extraterrestres capables de voyager à travers la galaxie et possédant des armes surpuissantes ignorent qu’il existe des vilaines bêtes microscopiques porteuses de maladies, en particulier pour les organismes étrangers. D’une certaine manière, on peut dire que la guerre est l’étalon ultime pour mesurer les vraies forces d’une nation (ou d’une planète dans le cas du roman de Wells), de son économie, de ses liens sociaux, de ses politiques, de sa population, de sa culture. Il est évidemment dommage qu’il faille en arriver là pour remettre les pendules à l’heure mais il semble que ce soit le seul moyen efficace en ce bas monde.

    Le ‘peak oil’ que personne n’a vu venir.
    Nous disions ci-dessus que le premier pilier d’une économie était l’agriculture. En effet, il n’est pas utile, je pense, de démontrer cette affirmation que si vous avez le ventre vide, toutes les autres questions deviennent quelque peu futiles et pour tout dire inintéressantes. On nous prédit depuis au moins un demi-siècle le peak oil pour nos sociétés très gourmandes en énergie, de préférence bon marché, et il n’y a pas d’énergie en ce monde plus idéale que le pétrole. Son surnom d’or noir est absolument mérité. Nous aimons dire d’ailleurs que le pétrole est la huitième merveille de l’univers, juste un peu après l’eau. Eh bien ce peak oil sans cesse annoncé n’a pas eu lieu. En revanche un ‘peak oil’ qui n’a pas été annoncé et qui est bel et bien arrivé, dans l’indifférence quasi générale, tout du moins des médias de la Matrice, est celui de l’agriculture. Notre agriculture, à nous les ‘riches’, pas celle du Sud Global qui semble loin de l’avoir atteint. Peut-être avez-vous entendu parler des ‘petits’ problèmes qu’ont rencontrés les agriculteurs français cette année, ce qui les rend très tristes, nous voulons dire un peu plus que d’habitude. Peut-être, sûrement, vous a-t-on dit que c’était de la faute de la météo exécrable, ou plutôt en novlangue, la faute du dérèglement climatique. Et certes la météo pluvieuse de cette année (depuis la mi-octobre 2023 en fait) a été très préjudiciable pour les céréaliers en particulier mais ce n’est que le catalyseur d’un phénomène en cours beaucoup plus vaste et beaucoup plus durable. Tous les pays occidentaux, y compris les USA, sont en train de voir leur production totale ou leurs exportations en volume de dollars ou même les deux, diminuer régulièrement depuis quelques années. Et ce n’est que le début. Nous parions que tous les secteurs de l’agriculture vont être impactés dans les années qui viennent : céréales, oléagineuses, maraîchage, vergers, élevages, lait, viande, œufs. La météo ou le climat n’aura rien à voir avec le phénomène, si ce n’est d’atténuer ou d’accélérer la tendance selon les années (qui se suivent et ne se ressemblent pas). Et naturellement, les fermes vont fermer. Dans dix ans, nous, habitants de la France, pays d’agriculture s’il en est, devrons acheter massivement à l’étranger les produits de base pour nourrir la totalité de la population. Ou bien nous revendrons nos terres arables à des étrangers, ce qui revient peu ou prou au même. Cela s’est passé et cela continue à se passer en Ukraine aujourd’hui. Vous croyiez que c’est une spécificité de ces slaves demeurés ? alors repensez-y.

    Un grand pas pour la planète
    Comme notre sous-titre l’insinue, nous allons conclure ce pot-pourri de nos commentaires actuels et inactuels par un peu de prospective science-fictionnesque mais à peine. Nous devons avouer que nous avons été bien aidé par la dernière idée géniale de nos grands amis des services secrets israéliens pour réduire les populations à la taille congrue, à savoir diviser ces dites populations par dix, puisque, rappelons-le pour ceux qui n’auraient toujours pas appris par cœur notre manifeste, tel est le but premier de l’Homocidaire engagé et éco-responsable. L’idée de piéger des milliers de téléphone portable est évidemment géniale dans cette optique. Bien sûr il ne faut pas se contenter d’appliquer cette mesure contre les méchants Palestiniens ou les méchants Libanais ou les méchants Syriens, bref les méchants arabes ; il faut évidemment étendre cette mesure de Justice aux méchants Perses, aux méchants Chinois, aux méchants Russes, aux méchants Cubains, aux méchants Vénézuéliens, aux méchants Brésiliens, aux méchants Nigériens, aux méchants Maliens, aux méchants Turcs, aux méchants Indonésiens, aux méchants Guatémaltèques et pour faire bonne mesure aux Indiens (ceux d’Inde), même s’ils ne sont pas aussi méchants que les autres, de sorte que nous devons arriver à non loin de 90% de la population mondiale, ce qui est le but final. Pour mieux atteindre ce noble objectif (et plus rapidement) nous conseillons d’étendre ce dispositif à d’autres appareils munis de batteries comme les postes TV, les PC ou Mac (nous ne sommes pas sectaires), les tronçonneuses électriques, les machines à laver, les postes de radio, les brosses à dent électriques, les machines à calculer et bien sûr les voitures, bus et camions, électriques ou pas. Notons que les téléphones et les ordinateurs sont particulièrement intéressant parce qu'il est certainement possible de les programmer pour déclencher l'étincelle fatale lorsque des paroles non sanctifiées par la Matrice sont prononcées ou écrites par leur intermédiaire, ce qui permettrait en plus un tri souhaitable entre le bon grain et l'ivraie (toujours beaucoup plus nombreuse) Nous ne voyons qu’un petit défaut dans le procédé mais tout à fait véniel. En effet, il serait possible que des méchants pas encore morts aient l’idée très méchante de copier cette merveilleuse innovation (comme ils ne font que copier nos belles 
idées) et nous retournent le cadeau.
    La moralité de cette histoire est évidente, à savoir que nous avons bien raison de ne toujours pas posséder à ce jour de téléphone portable personnel.

Un autre pot pourri, sans ironie : ici.


vendredi 6 septembre 2024

Les grands maîtres du fantastique : Poe, Le Fanu, Maupassant, Borges

'L'île des morts' de Böklin, version III

    En guise d’introduction à ce court essai, je vais d’abord paradoxalement dire un mot des auteurs célèbres ou pas que j’ai exclus, après plus ou moins d’atermoiements, de cette liste des grands maîtres du fantastique. La première raison de cette exclusion et la plus évidente est que je n’ai évidemment pas lu tous les bons auteurs fantastiques qui existent de par le monde, même si je pense avoir fait à peu près le tour de ce que notre littérature occidentale a proposé de mieux dans le genre. Le processus de sélection a été à peine moins rapide concernant Tolkien, ce qui peut surprendre, puisque je n’ai jamais réussi à lire plus du quart d’un de ses romans. Quoique d’un style plus agréable pour mes goûts, je n’ai guère été plus loin avec CS Lewis et son Narnia. Il est plus que probable que ce sont des auteurs extraordinaires pour des enfants ou pour des ados éventuellement mais il se trouve que je parle ici des maîtres de la littérature adulte.
    Par « grand maître », j’entends un auteur ayant principalement œuvré dans le domaine qui non seulement est particulièrement intéressant mais qui aussi écrit particulièrement bien, dont les meilleurs textes atteignent une force qui ne le cède en rien aux meilleurs auteurs de littérature générale. Ce sont des écrivains qui ont un sens inné du mot et de la phrase, du rythme et de la sonorité justes, qui les font chanter ou qui leur donnent la froideur acérée d’un couteau. Disons-le donc simplement : le principal critère qui m’a servi à dégager ces quatre-là et seulement eux du gros de la troupe est que ce sont tous des littérateurs fantastiques, au sens premier du terme, on pourrait aussi dire merveilleux. Ce critère m’a fait éliminer presque d’emblée Hodgson et Lovecraft, malgré leur qualité unique et le fait que je les apprécie d’un point de vue plus personnel, à cause de leurs aptitudes littéraires de second ou même troisième ordre. Machen est lui un littérateur admirable en revanche mais je ne trouve pas l’intensité, ou le niveau d’intérêt dans sa production, qui pourrait en faire un auteur de premier plan. J’ai également écarté Hoffmann, mais de peu, pour un mélange des deux raisons ; disons qu’il est brouillon quand il est le plus intéressant et qu’il est moins intéressant quand il écrit le mieux (par exemple son conte ‘Le marchand de sable’). Cependant, les quatre premières parties des "Élixirs du diable" méritent absolument d’être lues pour leur originalité, leur ton parfois dostoïevskien avant l’heure, tout à fait étrange dans le cadre de cette espèce d’opéra sabbatique. James écrit admirablement bien lui aussi mais ses meilleurs textes dit fantastiques ne le sont pas vraiment selon moi, y compris "Le tour d’écrou". Personnellement, je classe ce livre, de même que le remarquable ‘La bête dans la jungle’ dans le genre études des psychoses ordinaires et extraordinaires ; c’est également le cas du ‘Double’ de Dostoïevski. Avec Kafka et Gogol, j’ai presque toujours l’impression de lire quelque sorte d’allégorie ou de fable satirique plutôt qu’un récit fantastique au sens français du terme (« l’irruption de l’inadmissible dans le cours inaltérable de la légalité quotidienne » dixit Caillois). C’est encore plus flagrant dans les cas de ces monstres littéraires que sont Dante, Cervantès et Melville. Wells tire quant à lui trop sur la science-fiction. Pour Stevenson, dont j’apprécie pourtant beaucoup Olalla Des Montagnes, sauf la confession finale qui sonne encore plus faux qu’un dialogue de Flaubert, je n’ai pas d’autre raison que mon arbitraire. Enfin, j’ai écarté Gene Wolfe à regret mais il faut laisser le temps à la postérité de faire son œuvre avant de l’intégrer dans un palmarès de grands maîtres : dans un demi-siècle, si ce monde existe encore, on en reparlera…

    Pour changer, je vais remonter le temps et donc commencer par le dernier né, Borges. Certains pourraient arguer que l’Argentin est tout aussi allégorique que Kafka dans une bonne part de ses textes et je me suis fait d’ailleurs cette réflexion (comme c’est bizarre !) avant de la balayer devant l’évidence : quand je lis les meilleurs récits de cet auteur, contenus dans ses deux premiers recueils, ‘Fictions’ et ‘L’aleph’, leur qualité et leur ambiance fantastique ne me laissent aucun doute. En fait, la personnalité incroyablement glacée et hautaine, disons-le surnaturelle, de son narrateur-auteur suffit selon moi à ranger tous ses premiers textes dans le rayon fantastique. J’irai même jusqu’à affirmer que le seul personnage de fiction réussi de toute la carrière littéraire de Borges est ce personnage de l’auteur invisible, en partie fictionnel, qui donne ce halo surnaturel aux deux recueils cités. Le sentiment le plus fort dans la majorité de ces textes est la haine, en particulier dans le premier recueil, sentiment peu présentable dans la bonne société, que Borges masque donc habilement sous les dehors de l’érudition la plus savante et du dilettantisme dandy. Je recommande la lecture intégrale de ce recueil malgré les nombreux fruits empoisonnés de belladone qu’il contient : c’est une expérience sans pareille. Un antidote pour les lecteurs les plus atteints, les nauséeux et les migraineux, se trouvera facilement dans les romans les plus mélodramatiques de Dickens, ou éventuellement, ceux de Miss Austen. En revanche, une forte contre-indication thérapeutique est la lecture de Lolita ou de tout autre livre de Nabokov après ou en même temps que ces deux recueils de nouvelles : ce serait ajouter le mal au mal et il n’y a rien d’homéopathique dans ces doses-là.
Outre le recueil Fictions, je recommande chaudement du même auteur la première et la dernière nouvelle du recueil suivant, L’Aleph. Toutes les fictions postérieures sont dispensables, mais bégnines et sans grand danger pour la santé. Parmi les autres réussites de l’auteur, mais on n’est plus dans le fantastique, je citerai « Le Livre des Préfaces » ainsi que « Une Histoire de l’Infamie ».

    J’ai consacré un article à Maupassant ici. Je ne reviendrai pas trop donc sur le Horla, son chef d’œuvre, qui d’ailleurs tire plus selon moi sur la science-fiction que le fantastique. Je sais qu’il est traditionnel de minorer l’aspect fantastique d’une part importante de l’œuvre de cet auteur, importante au moins sur le plan de la qualité, et d’exagérer son aspect relevant de la psychiatrie. Il y a un courant d’interprétations qui font en effet de ses meilleurs récits fantastiques un simple symptôme de l’aliénation mentale du narrateur. Dans ce cadre d’idées, tout ce qui est surnaturel dans ces récits serait en en fait des délires de fou. Et il est très probable que Maupassant a joué là-dessus pour créer un malaise chez le lecteur dû à l’ambiguïté. Néanmoins, outre que ça n’a pas grand intérêt, on trouve presque à chaque fois un caractère objectif aux visions ou mésaventures du protagoniste de ces récits, même lorsqu’il en est le narrateur, qui en font à mon avis de vrais textes fantastiques. On peut, à mon avis, expliquer rationnellement tous les événements mystérieux du Tour d’Écrou de James par la maladie mentale de la protagoniste mais c’est beaucoup plus difficile pour les textes fantastiques de Maupassant. Et je répète ce que j’ai dit ailleurs : le fait incontestable que l’auteur a terminé sa vie irrémédiablement fou n’est pas la preuve que ses protagonistes le soient. Il y a un abîme entre la folie clinique et l’état mental troublé certes mais assez banal de ses personnages.
    La qualité qui saute le plus aux yeux de ces textes, souvent parmi les meilleurs de l’auteur, est, paradoxalement, le naturel. En fait le terme de naturaliste colle bien mieux à Maupassant qu’à Zola ou à Flaubert. Ce n’est pas seulement le type de récits et de personnages qui donnent cette ambiance mais le style même, tellement plus naturel (et disons-le talentueux) que celui de ses deux confrères. Quant à ses qualités de conteur, elles sont très supérieures également aux deux cités. Sa capacité à évoquer tout un monde en quelques lignes est d’ailleurs sans égal chez les romanciers et nouvellistes francophones. Naturellement, quand vous avez un tel don, pourquoi écrire de gros romans ? Pourquoi écrire des romans tout court ? Maupassant a dû se poser la question bien des fois. Mais évidemment, il y a toujours une bonne ou mauvaise raison pour ça : pour l’argent, la reconnaissance, la gloire, etc. C’est un point commun qu’il partage avec l’auteur précédent, ce goût et cette capacité à la concision, de même que sa virtuosité stylistique. C’est à peu près les seuls d’ailleurs, le monde de Maupassant étant diamétralement opposé à celui de l’Argentin, qui, comme on sait, détestait tout ce qui ressemblait à de la psychologie, à du réalisme, sans parler de naturalisme.
    Les meilleurs récits fantastiques de Maupassant sont faciles à trouver, réunis presque sans faute dans diverses compilations : ‘Le Horla’, ‘Qui Sait ?’, ‘La Nuit’, ‘La Chevelure’, ‘Lui ?’, ‘Apparition’, ‘L’auberge’.

    Le seul lien tangible que je peux trouver entre l’écrivain français et l’auteur suivant, Le Fanu, est la nouvelle plus mineure de Maupassant, intitulée La Main (faisant elle-même suite à un premier essai sans doute moyennement concluant aux yeux de l’auteur, intitulé La Main d’Écorché) dont l’argument est clairement repris d’un conte fantastique inclus dans le roman de Le Fanu ‘La Maison Près Du Cimetière’ (ce conte, excellent et terrible, a aussi inspiré la nouvelle fameuse de William Harvey ‘La Bête À Cinq Doigts’). On pourrait aussi noter chez ces deux auteurs un certain goût commun pour les choses de la nature, dans leurs notations précises révélant une réelle connaissance du terrain, mais chez l’Irlandais, l’ambiance est nettement plus brumeuse et romantique sinon victorienne.
    Le Fanu n’est pas l’écrivain anglophone de fantaisies typique. Contrairement à l’immense majorité de ses pairs, il est bien plus focalisé sur les personnages que sur l’intrigue. Et cette caractéristique lui vaut aussi bien des chefs d’œuvre aussi peu contestables que ‘L’Oncle Silas’ que des demi-ratages comme ‘The Evil Guest’, pas traduit en français à ma connaissance, ou de longs textes plutôt dépourvus d’événements comme ‘Le Baronnet Hanté’. Mais dénué d’événements ou à demi-raté ne veut pas dire inintéressant. En fait ces deux textes sont très intéressants et personnellement, je mettrai certainement le dernier parmi les plus marquants de l’auteur. Ceci dit, Le Fanu est aussi l’auteur de romans ou de novellas fourmillant d’intrigues et de coups de théâtre. Le roman déjà cité ‘La Maison Près du Cimetière’, hors norme et rétif à toute classification, en contient à profusion et une année de la vie de la malheureuse héroïne de ‘L’Oncle Silas’ comprend plus de mésaventures que toute une vie du quidam moyen. C’est aussi vrai du protagoniste malchanceux de ‘La Chambre Du Dragon Volant’, dont le récit se déroule en quelques jours. Tous les textes que je viens de citer sont excellents. Néanmoins ce n’est pas ici que l’inspiration de cet auteur est la plus centrale, si je puis dire. Les récits les plus personnels de Le Fanu, souvent les plus émouvants, pour une raison assez mystérieuse, sont des récits de fantômes ou de revenants. Ce thème apparemment cher aux Irlandais semble assez mince à première vue mais chez cet auteur, il prend une diversité de formes et atteint parfois une intensité digne des plus grands écrivains. Un vampire est à coup sûr une sorte de revenant et donc le célèbre Carmilla fait partie de ces réussites.
    Le Fanu est encore plus atypique pour un écrivain anglophone dans sa prédilection pour les personnages féminins et l’exactitude de leur rendu. On peut à cet égard le comparer sans exagération à James. Le fait qu’il n’ait eu que des filles en tant que père n’y est probablement pas pour rien mais ne suffit pas à expliquer la qualité et le charme de personnages plus mûrs comme la gouvernante française d’Oncle Silas, Madame Crowl, ainsi que nombre de personnages contenus dans Le Baronet Hanté.
    Contrairement aux deux écrivains précédents, Le Fanu n’est pas moins à l’aise sur les longues distances que sur les courtes et il est l’auteur d’excellents romans, comme les deux que j’ai déjà cités. Leur seul défaut, si on peut dire, est que ce ne sont pas des livres fantastiques mais des « mystery novels », un genre anglo-saxon très victorien qui n’a pas d’équivalent exact en langue française (même les romans de Gaston Leroux et ses disciples sont différents dans la forme comme dans le fond). Ses grandes qualités stylistiques se remarquent autant dans sa narration que dans ses dialogues, particulièrement brillants dans "La maison près du cimetière", qui ont de toute évidence inspiré son compatriote Joyce pour son fameux monologue d’Ulysse (tout le livre, ou du moins la grande partie que j’ai lue, est un monologue géant).
    Néanmoins, si je ne devais garder qu’un seul livre de cet auteur, ce serait ‘Les Créatures Du Miroir’, traduction libre de ‘In A Glass Darkly’, un recueil de novellas publié un an avant sa mort. Tous les textes contenus dedans sont remarquables. Ils présentent de plus une palette très large des talents littéraires de l’auteur, que ce soit le récit un peu sec, presque naturaliste de ‘Thé Vert’ ou du ‘Familier’, les aventures échevelées de ‘La Chambre Du Dragon Volant’, l’univers poétique boschien, très haut en couleurs donc, du ‘Juge Harbottle’ ou le gothique flamboyant teinté d’érotisme de ‘Carmilla’.
    Les autres récits non encore cités de Le Fanu que je ferais rentrer dans un best of sont ‘Shalken Le Peintre’, ‘Le Mystérieux Locataire’ (bien que ce soit clairement un récit de jeunesse) à ne surtout pas confondre avec ‘The Evil Guest’, ‘Le Fantôme De Madame Crowl’, ‘Le Marché De Sir Dominick’ et ‘Le Sacristain Mort’. En revanche, malgré ma prédilection, je n’inclurais pas ‘Le Baronet Hanté’, qui semble très peu fait pour le goût moderne.

    Des quatre, Edgar Poe est le plus complet des auteurs fantastiques. Il aura pratiqué tous les tons, tous les sous-genres du fantastique. Il aura aussi largement dépassé les frontières du genre. En fait, ce qu’on range maintenant dans ses prétendus contes fantastiques peut être divisé en quatre genres au minimum : l’enquête plus ou moins policière, le conte ou l’aventure épouvantable, l’allégorie, le grotesque (pour reprendre la dénomination de Baudelaire).
    Des histoires d’enquête, celles où le héros doit résoudre une énigme, je vais dire tout de suite laquelle est ma préférée et en fait la seule que je rangerais parmi les chefs d’œuvre de l’auteur, bien qu’elle soit rangée ordinairement dans les articles de non-fiction : c’est "Maelzel's Chess Player". Selon moi, il s'agit d'un des meilleurs contes de Poe et à coup sûr la meilleure enquête policière, la plus convaincante, la plus impressionnante que j'ai lue sous sa plume. Je ne dois pas être le seul car Gene Wolfe a repris l'idée pour en faire une nouvelle de fantasy ou de SF (j'hésite encore) intitulée "The marvellous Brass Chessplaying Automaton", très bien écrite et distrayante mais quelque peu inférieure à la sèche démonstration de l’originale. J’ai toujours aussi du plaisir à relire ‘The Gold-bug’. En revanche, je ne suis pas fan des enquêtes de Dupin. On pourra me dire certainement avec raison qu’il est le précurseur de tous les célèbres héros détectives qui viendront après lui, cela ne les rend pas plus crédibles. Même ‘The Purloined Letter’, la meilleure de ses histoires avec Dupin et la mieux écrite, me laisse dubitatif. Poe ignore visiblement ou veut ignorer comment fonctionne véritablement la police. Cette absence complet de réalisme n’était sans doute pas un problème pour le lecteur du début du dix-neuvième siècle, c’en est devenu un pour le lecteur moderne. Ce genre qui a peut-être plus contribué que tout autre à sa célébrité, au moins dans les manuels d’histoire littéraire, est d’ailleurs le moins représenté dans son œuvre, pas plus d’une demi-douzaine de nouvelles sur un total de soixante-treize, ce qui signifie peut-être qu’il n’était pas essentiel dans l’esprit de Poe.
    Les contes allégoriques et/ou métaphysiques sont des contes où l’essentiel est plus ou moins caché et où le lecteur doit faire un effort s’il veut en tirer toute la substantifique moelle. Ce ne sont évidemment pas les plus populaires de l’auteur. On peut dire que Poe est aussi un précurseur pour ce genre de contes qui verra plus tard œuvrer à l’intérieur des gens de grande qualité comme Dunsany, Borges ou plus récemment Gene Wolfe. On peut citer ‘The Masque Of The Red Death’, ‘The Fall Of The House Of Usher’ ou ‘William Wilson’. Ce genre exige la concision et le format court si on ne veut pas abandonner le lecteur en route et il se trouve que Poe n’est jamais aussi bon que lorsqu’il est concis et bref. Ma préférée dans le genre, de loin, est ‘Ligeia’ : c’est ce que Gérard De Nerval aurait voulu écrire, je crois bien, mais sans jamais y réussir, faute de concision sans doute mais surtout d’efficacité narrative.
    Le genre dans lequel Poe a le plus œuvré au final est le grotesque, dans lequel je range ses nouvelles humoristiques ou satiriques. Curieusement, c’est le genre pour lequel il est le moins connu. C’est bien dommage car Poe est un des conteurs les plus drôles qui soient ; à peu près toutes les gammes de l’humour sont à son répertoire, du canular à la satire féroce en passant par la farce simple et le loufoque le plus débridé. Difficile de citer toutes ses réussites dans le genre tant elles sont nombreuses mais je ressortirais plus spécialement ‘Never Bet The Devil Your Head’, ‘Why The Little Frenchman Wears His Hand In A Sling’, ‘How to Write A Blackwood Article’ ou ‘The System Of Doctor Tarr And Professor Fether’.
    Néanmoins, là où Poe donne son meilleur, ce qui se traduit par une agréable simplification de son style (qui parfois tend vers la préciosité) est le conte ou l’aventure horrifiante. Son texte le plus long, qu’on le qualifie de longue novella ou de court roman, ‘Narrative Of A Gordon Pym’, est un mélange d’aventures horrifiantes (très horrifiantes même, tant Poe se plait à empiler toutes les horreurs imaginables dans le cadre d’un voyage clandestin en bateau). Le narrateur parvient même à être enterré vivant, ce qui sur un bateau, tient de la malchance la plus insigne. Les derniers chapitres, les plus révérés à juste titre, ceux où le héros entre dans le pays du géant blanc, appartient plus à ce que j’ai nommé le conte métaphysique ou allégorique. Toutefois, le texte souffre à mon avis premièrement de sa longueur excessive, secondement d’un parti pris bizarre de Poe, qui nous délivre tous les dialogues sous forme indirecte. Sur la longueur d’une nouvelle assez courte, cela peut passer mais pas sur la longueur d’un roman. De plus, comme je l’ai laissé entendre, il y a un empilement d’anecdotes toutes plus horribles les unes que les autres qui lasse un peu. Pour les histoires de vaisseaux fantômes, par exemple, William Hope Hodgson est nettement plus convaincant.
    C’est donc sous la forme de ses histoires d'horreur courtes, qui sont aussi ses plus effrayantes, que Poe a donné ses plus grands chef d’œuvre de fiction puisque la grandeur en art n’est pas proportionnelle au nombre de pages (je le rappelle à toutes fins utiles) : ‘The tell-tale Heart’, ‘The Black Cat’, ‘The Pit And The Pendulum’.

Autre article sur Le Fanu: ici.

dimanche 18 août 2024

Kursk : l'Opération Euh... de Volodomyr Z, son coup de génie testamentaire

Colorée en bleu: "positions" ukrainienne,vers le 10/08; en rouge: position armée russe; cercle blanc: centrale nucléaire de Koursk


    Encore un coup de génie de ce genre et il n’y aura plus d’armée ukrainienne.
    Cet article est pour ainsi dire la continuation logique de mon précédent sur le même sujet (voir ici) où je me demandais ce que les Otasuniens allaient nous concocter dans leur guerre par proxy contre la Russie : des négociations imminentes ou la guerre éternelle. Eh bien, l’option A vient d’être repoussée aux calendes grecques. 
    Néanmoins, l’option B n’est pas envisageable. Si le but avait été d’accélérer l’éradication des dernières forces vives de l’armée kiévienne, je ne vois pas ce que les Otasuniens auraient pu décider de mieux, mis à part peut-être attaquer de nouveau la Crimée avec fanfares, fantassins et matériels lourds. Pour un bénéfice très faible et de courte durée, et pour la joie extatique (mais également de courte durée) des commentateurs encartés à Télé Propaganda, l’Etat-Major russe tout ébaubi de sa chance incroyable est en train d’assister (dans tous les sens du terme) à la destruction minutieuse et méthodique des plus beaux fleurons de l’armée ennemie : soldats d’élite, Himars, tanks Challenger ou Leopard (c’était donc pour ça qu’ils les réservaient !), systèmes Patriot, Iris-T, des milliards qui partent en fumée chaque jour. J’ai lu quelque part (oui, je lis aussi) que c’était un vrai bonheur pour l’Occident de voir cette opération si bien menée, de main de maître, si bien combinée avec tous ces commandos surentraînés, tous ces blindés dernier cri, tous ces canons, tous ces missiles, tous ces drones, tous ces satellites pareils à l’œil du Mordor filant dans l’espace inaccessible. Et c’est vrai qu’ils ont envoyé tout le gratin de l’armée, tout l’équipement high-teck : Hourah ! Quel spectacle ! Quelle réussite ! Bravo !Les Russes qui se donnaient tant de mal ces derniers mois pour aller chercher les soldats ukrainiens au fond de leurs trous, pour repérer les armements de prix de l’Otasunie le long de ce front immense, ont vu soudain tout cela débouler dans leur cour, sous leurs yeux ébahis, pour leur servir de cible à peu près aussi facile que dans un ball-trap.
    Ah oui, ils ont été surpris, les Russes : quelle créativité tout de même chez ces Otasuniens ! La population du sud de la région de Koursk n’a pas autant apprécié l’insouciance des autorités, quelque peu répréhensible de leur point de vue et on les comprends bien. Mais mettez-vous aussi à la place d’un général, d’un maréchal, des gens qui sont rarement réputés pour être de grands sentimentaux : quelle aubaine incroyable ! quel cas de figure idéal ! On vous rassemble ici dans un petit périmètre, essentiellement composés de forêts, de marécages et de minuscules villages, donc relativement désert, toute la crème de l’armée mercenaire pour être détruite ou au mieux emmenée pour exhibition à Moscou. Mettez vous à leur place aussi. Ils cachent leur joie en public, certes, par décence, mais ils sabrent le champagne dès qu’ils ont fermé la porte de leur casemate.
    On me dit qu’il y avait bien un but stratégique à cette Opération Euh*. Ou peut-être deux. Ou même trois (ça dépend des jours). Examinons ça. Le premier aurait été de divertir (dans tous les sens, je crois) les forces russes occupées alors comme aujourd’hui à décimer au sens moderne du terme les mercenaires otasuniens du côté du Donbass. Est-ce possible ? Il y a un point sur lequel au moins l’OTAN a incontestablement une supériorité et c’est le renseignement aérien, satellitaire. Ils savent que l’armée russe a des centaines de milliers d’hommes en réserve, prêt au combat, dans la région de l’Ukraine ou pas très loin et ils auraient eu l’idée fantastique que l’envoi de quelques milliers de soldats en excursion vers Koursk allait forcer l’Etat-Major adverse à dépeupler le front du Donbass ? Pour défendre dix village et une bourgade de cinq mille habitants qui avaient de toute façon pour la plupart déserté le coin bien avant ? Non, pour croire ça, il faudrait admettre que les chefs militaires otasuniens vivent eux aussi dans la Matrice, dans un univers virtuel, et je ne le crois pas. La guerre a tendance à vous remettre les idées en place si vous ne les avez plus, à vous mettre dans le concret pour ne pas dire un vilain mot, au ras des pâquerettes, quand il reste des pâquerettes. Le second objectif invoqué serait de s’emparer de la centrale nucléaire de Koursk (en fait située à l’ouest de Koursk, effectivement dans la direction prise par les forces otasuniennes au tout début de l’Opération, voir la carte ci-dessus) afin de procurer à l’état mercenaire de Kiev un meilleur rapport de force dans l’optique de négociations futures. J’aurais tendance à le croire davantage en effet, faute de meilleures explications. Mais alors imaginons que la bande de mercenaires payés et armés par nos pays ait capturé la centrale : c’était quoi la suite du scénario ? Un chantage à base de nucléaire ? Dangereux, non ? Peut-être même cinglé, digne du cerveau du docteur Folamour !?
    Bon, je n’ai pas parlé de l’objectif numéro 3 parce qu’il tient plus de la fantaisie hollywoodienne, matrixienne en fait, totalement découplée de la réalité : renverser (encore !) Poutine en montrant à son bon peuple quel incapable il est en plus d’être un voleur d’enfants (hé oui, c’est le chef d’inculpation officiel qu'on lui a trouvé).
Reste enfin l’objectif le plus probable et de loin, qui lui n’a rien de stratégique, jamais avoué mais toujours présent : faire la une des journaux, des radios, des télés, durant quelques jours, quelques semaines, alimenter encore et toujours de ces données vérolées la machine énorme, dévoreuse d’âmes, la Matrice.
    Cet épisode estival me conforte dans l’idée que nos gouvernants, ou les oligarques qui les possèdent, ne sont en-dessous de rien. Eux aussi sont clairement dans la Matrice. Et dans la Matrice, on ne craint rien bien sûr puisqu’on sait que tout peut être arrangé par un agent Smith. Le problème c’est que la guerre nucléaire, elle, sera bien réelle.
    Décidément, les étés sont terribles pour Zelensky, sa bande grassement payée de mercenaires et l’armée de zombies qu’ils envoient manu militari — c’est le cas de le dire — au casse-pipe. Après la contre-offensive de l’an passé, on a droit à l’offensive de Koursk, qui, je le prédis sans grand risque, ne finira pas mieux et probablement pire.

    Je vais maintenant devoir faire un effort considérable -- délice masochiste dont on doit se garder d'abuser -- pour me mettre dans le cerveau de l’Etat-major de Kiev, en supposant que l’Ukraine soit un état souverain et que cet Etat-major ait gardé de la compétence, ce qui est beaucoup supposer, puisque la corruption, le seul fait d’être payé par une puissance étrangère vous ôte la possibilité même de la compétence. Mais essayons quand même. Réfléchissons sérieusement une minute, ou deux peut-être, à ce que notre Etat-Major devrait avoir pour objectif vu la situation sur le terrain et les forces en présence. 
    Les forces russes ont annoncé qu’elles pratiquaient une guerre d’attrition, qui consiste à privilégier la destruction de l’armée ennemie (hommes et équipements, usines militaires, infrastructures pouvant servir à la logistique, etc.) sur le gain de territoires. Et c’est bien ce que nous observons : elle fait ce qu’elle dit. Les petits gains territoriaux réguliers que les forces ennemies, les orcs, obtiennent dans le Donbass sont pour ainsi dire des effets secondaire de leur médication : forcément quand il n’y a plus d’adversaire en face de vous, il faut bien avancer pour continuer les opérations d’attrition. Et pourquoi les Russes ont-ils choisi l’attrition (après une brève mais fructueuse guerre de manœuvre au tout début de l’Opération Militaire Spéciale) ? Parce qu’ils sont sûrs de la gagner et que cela économise en même temps leurs propres forces. Vous ne pouvez gagner une guerre d’attrition contre un adversaire possédant une population beaucoup plus grande, une puissance logistique supérieure qui découle d’une industrie militaire et d’une industrie tout court plus élevée d’un ordre de magnitude. C’est impossible. Même avec toute l’aide de l’OTAN, même si l’OTAN nous envoyait tout le nec plus ultra de ses armements merveilleux, cela resterait impossible. Stratégiquement, nous avons déjà perdu la guerre. Nous, l’Etat-major ukrainien le savons, même si nous sommes corrompus, même si nous sommes incompétents. L’Etat-major de l’Otan le sait lui aussi même s’il est corrompu, même s’il est incompétent. Les idiots de l’UE ou de Washington l’ignorent peut-être, ils vivent dans la Matrice, mais nous, militaires, nous le savons. Nous devrions donc adopter une stratégie adaptée, visant à ne jamais mettre notre armée en position où la guerre d’attrition que mène l’adversaire — qui est du genre méthodique et minutieux — est facilitée. En gros, nous devrions nous abstenir de toute opération offensive d’importance. Si vous attaquez, vous sortez de votre zone de sécurité, de vos fortifications, vous vous exposez, vous faites le jeu de votre adversaire qui n’attend que ça. (Je ne suis pas en train de sous-entendre que L’offensive de Koursk est un piège tendu par les Russes — c’est impossible en la circonstance, pour des raisons politiques (et non militaires) — mais que l’Etat-major russe a bien vu et saisi une opportunité encore plus belle que les précédentes). Nous savons aussi, pour les mêmes raisons indiquées plus haut, que nous ne reprendrons ni la Crimée ni les quatre oblasts réclamés par Moscou. C’est impossible, militairement et politiquement. La bonne stratégie pour nous est donc de nous efforcer de conserver le maximum de ce qui peut l’être encore, à savoir, pourquoi pas toute l’Ukraine hormis les cinq régions citées. C’est le mieux que nous pouvons espérer. 
    Je suis d’accord (sans surprise) avec tout ce qui vient d’être dit par nos grands chefs ukrainiens. On peut penser en effet que la Russie s’arrêtera si ses objectifs territoriaux annoncés sont remplis. Je doute beaucoup que les Russes aient envie de continuer la guerre ‘éternelle’ promise par certains occidentaux tranquillement assis dans leur canapé. La bonne stratégie, pour l’Ukraine, est donc d’économiser au maximum ses forces, ses meilleures unités, ses meilleures armes en se retranchant et en reculant petit à petit, car ce recul progressif est inévitable dans cette guerre d’attrition déséquilibrée, de façon à garder au maximum un pouvoir de dissuasion, c’est-à-dire la capacité de faire passer l’envie à l’ennemi de continuer le combat. Je suis convaincu que si l’Ukraine faisait cela, et elle le fait par séquences, mais sans esprit de suite, la Russie serait beaucoup plus encline à négocier et à se contenter si on ose dire des quatre régions déjà citées en matière de gains territoriaux.
    Mais voilà dans l’ensemble, l’armée ukrainienne fait tout le contraire. Sans doute qu’il est très difficile de se résigner à une stratégie perdante. Mais il est clair qu’on a ici d’autres raisons bien plus sinistres, à chercher du côté de l’argent. Quand votre fortune dépend de continuer une action, même désastreuse sur un plan collectif, et que avez perdu tout sens moral, on veille à la faire perdurer. Par ses actions inconsidérées, insensées du point de vue militaire, visiblement des opérations comm’, elle ne fait que hâter l’attrition, elle ne fait que hâter sa propre fin : la vraie, cette fois, où il ne reste plus qu’un champ de ruines autour de soi et une signature à apposer au bas d’un document qui porte en haut le très gros mot de reddition.
    L’Ukraine gaspille ses chances les unes après les autres de se conserver un futur, plus modeste dans ses limites certes, mais enfin un futur. Et plus elle s’enferre dans des buts inaccessibles, plus elle perd. Elle le sait. Il est impossible que L’Etat-major à Kiev (ou ailleurs, dans quelque bunker profondément enterré) ne le sache pas. Mais elle est tellement corrompue, tellement pourrie que ce savoir n’a plus aucune importance. Ses maîtres tout aussi corrompus n’ont aucun intérêt pour elle, juste le mépris habituel d’un pourri envers un autre pourri : ils la pousseront toujours plus loin, toujours en avant, mais ils ne la sauveront pas quand la fin arrivera. Oh non, ils n’enverront pas des troupes par centaines de milliers pour la sauver : ils ont trop bien vu ce qui est arrivé aux soldats ukrainiens : les champs de tombe dans le pays, à perte de vue, ça n’est pas une bonne comm’, hein ? Et c’est difficile à cacher, même pour tous les agents Smith de ce monde.


*L'opération Euh et autres aventures de Chourik est un des films russes comiques les plus populaires, facile à trouver, même avec sous-titres français, ici, par exemple. 

 

dimanche 4 août 2024

La septième merveille de Russie : la cathédrale de fer

    J’ai placé cette vidéo avant le corps de mon article car j’aimerais que vous la visionniez en totalité — dix petites minutes — avant de revenir ici. Mieux vaut en effet en savoir le moins possible sur le sujet pour en apprécier la beauté. Moins il y a de préjugés, plus l’impression est grande. La vidéo ne pouvant s'imbriquer dans Blogger (choix du propriétaire), je vous invite donc à la regarder sur Youtube, à l'adresse indiquée ci-dessous:

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https://www.youtube.com/watch?v=3sHavfEbzcc

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Bien, vous avez fait la visite grâce à nos deux guides d’occasion et vous savez maintenant à peu près de quoi il est question, même si vous n’êtes pas très fort en langues étrangères. Vérifions.
    La cathédrale de la Résurrection du Christ de Kubinka, village dans la région de Moscou, a été inaugurée en 2020, il y a donc seulement quatre ans. Ce qui me frappe plus que tout autre chose, y compris sa splendeur externe et interne, est précisément le fait de sa contemporanéité. L’esprit qui l’habite et qui a présidé à sa construction me rappelle de façon saisissante l’esprit qui se dégageait (et qui se dégage encore, parfois, si on arrive à faire abstraction de tout le reste) des grandes réalisations architecturales d’inspiration chrétienne du Moyen-âge, tout particulièrement en France. Les différences entre l’architecture orthodoxe et l’architecture gothique sont nombreuses dans la forme mais l’esprit général est très proche (c’est vrai en fait de la plupart des architectures sacrées) : une communion des savoirs et de l’excellence, une émulation des talents, où tous, architectes, ingénieurs, tailleurs de pierre, charpentiers, maîtres verriers, sculpteurs, peintres, fondeurs de cloches et dans ce cas, dans le rôle des principaux solistes, les métallurgistes, sont déterminés à donner le meilleur de ce qu’ils savent faire dans le cadre d’une réalisation unique et monumentale, destinée à demeurer longtemps dans la mémoire des hommes. Bien sûr, ce genre d’édifices grandioses et ‘inutiles’ coûte très cher mais ce n’est pas une raison pour s’en priver. D’une certaine manière, cela agit sur l’esprit humain comme les fusées qui vont sur la Lune ou sur Mars : ça n’a pas d’utilité pour la science et pourtant cela en vaut la peine. L’Homme ne vit pas que de pain, a dit quelqu’un. Et croire que la construction d’un tel monument ou le lancement de la mission Apollo a été un fardeau financier pour les Russes comme pour les Étasuniens serait une forme d’œillère où l’on ne voit que la colonne dépense. Souvent, on entend dire que ces monuments grandioses sont des vanités de rois, de pharaons, de tsars, égoïstement destinés à entretenir leur légende dorée et que tout cela finira dans le sable comme Ozymandias. Peut-être. Quelquefois sûrement. Peut-être qu’ils croyaient se bâtir une statue, les Ramsès, Périclès, Artaxerxés. Mais alors ils se trompaient. La véritable fonction de ces œuvres démesurées, quand elles sont réussies, est de montrer de la façon la plus concrète et la plus saisissante qu’il existe en ce monde quelque chose de bien plus grand que l’Homme, que l’Homme n’est pas la mesure de toutes choses, qu’il soit roi ou simple ouvrier.
    Sur le plan simplement architectural, je note que cette basilique sort des sentiers battus par les architectes ‘orthodoxes’. Les Russes, comme les orientaux en général, ont tendance à privilégier les formes arrondies sur les angles contondants, les arabesques sur les droites et les pointes. Ils ont aussi un goût presque excessif (à mes yeux du moins) pour les dorures, les émaux, les couleurs vives et claires. Je vous épargne ici une longue thèse de doctorat sur le lien entre l’hiver russe, long et gris, ou blanc, et cette prodigalité de couleurs, de brillance et de lumière. Mais comme on peut le constater dans le cas de cette nouvelle cathédrale, les matériaux ont été choisis dans des teintes particulièrement sombres, qui évoquent (et parfois sont) le basalte, le schiste vert, le marbre noir, le bronze et l’acier passé à la flamme. Dans ce paysage enneigé, le contraste est particulièrement saisissant et, je trouve, émouvant (d’une manière générale, l’architecture russe est encore plus émouvante par ces météos hivernales).
    Les métaux, de façon également très inhabituelle, ont été employés en placages sur les murs extérieurs ou pour d’autres ornementations architecturales, y compris le bas-relief central, d’or pur dirait-on, représentant le Christ : il s’agit là d’une vraie originalité puisque le travail du métal, l’art de la ferronnerie sont rarement utilisés à cette fin, si ce n’est pour produire quelque figure sommitale anecdotique, qui dans un certain pays non imaginaire peut prendre l’apparence d’un coq.
    Le métal est d’ailleurs le lien principal entre l’extérieur et l’intérieur radicalement opposés de la construction, que ce soit le fer, le bronze ou le cuivre aux reflets verts. Le vert est d’ailleurs la teinte dominante de l’édifice, plus encore que le noir. Autant l’apparence extérieure est sombre, froide, sévère, funèbre même, presque hostile et barbelée, autant l’intérieur est clair, coloré, doré, joyeux, inondé de lumières naturelles et artificielles. On pourrait ajouter en caricaturant un peu que ce contraste entre extérieur froid et dur et intérieur plus chaleureux décrit bien aussi l’homme russe (c’est moins vrai pour les femmes, qui ici comme ailleurs, ont une tendance à la sociabilité plus développée, ce qui implique généralement de sourire). Seul le pavement de métal sombre, très beau d’ailleurs, et pas seulement pour le contraste, rappelle l’extérieur. Comme le précisent nos guides, ce curieux carrelage a été réalisé en fondant une partie des innombrables trophées de guerre issus des années 1941-45, divers armements de la Wehrmacht, en particulier les blindés avec ses tonnes de ferraille. Voilà une utilisation joliment ingénieuse, esthétique et opportune des présents involontaires laissés par l’ennemi.
    Admettons-le si ce n’est pas déjà fait, je suis particulièrement sensible à l’architecture de cette cathédrale, par son contraste puissant entre l’apparence extérieure très sombre et très dure avec l’intérieur tellement plus clair, plus doux et chaleureux. Cette balance, que l’on retrouve d’une autre manière dans l’architecture gothique française, par son mélange d’ombre et de lumière (avec toutefois un net avantage pour cette première) me séduit par sa beauté mais aussi par sa vérité métaphorique de la vie et de la psyché humaine. En Russie, ce mélange d’ombre et de lumière, du jour et de la nuit est rare. Les architectes russes privilégient très nettement la lumière sur l’ombre, le connu sur l’inconnu, le connaissable sur l’inconnaissable, le réel sur l’irréel, à l’image de Tolstoï, l’écrivain le plus typique de ce pays avec son ambition forcenée d’éliminer le moindre coin d’ombre de la création ; eh bien ce n’est pas le cas ici.
    Bien sûr, il faudrait être particulièrement bouché pour ne pas percevoir le symbolisme de cette architecture, sans même parler des peintures et mosaïques. Il s’agit de la cathédrale consacrée aux forces armées, en premier lieu donc à l’armée soviétique, l’armée rouge, celle qui a payé si chèrement sa victoire contre le troisième Reich. Cette idée peut choquer dans un cadre religieux, plus spécialement chrétien. Il faut alors comprendre que le sens profond de cette construction est littéralement inscrit sur la façade de son portique d'entrée (qui sert de clocher) : « Nul n’est oublié, rien n’est oublié ». La cathédrale de la Résurrection est donc littéralement un monument aux morts géant, à mon avis d’une splendeur extraordinaire, comme il n’en existe nulle part ailleurs. C’est un hommage à tous les soldats inconnus mais aussi à tous les autres, hommes, femmes, enfants qui n’ont pas de fleur ni de plaque ni de nom sur leur tombe de cendre et de terre. Et il y en beaucoup : rappelons que les morts lors de la seconde guerre mondiale pour l’Union Soviétique seule sont estimés actuellement à vingt-sept millions. Imaginez : un sixième de la population disparue en cinq ans, auquel il faut ajouter les innombrables blessés, infirmes pour la vie. C’est bien plus qu’une décimation.
    Le fait est là : la guerre a été et est toujours une source d’inspiration majeure pour les Russes, écrivains, peintres, musiciens, architectes. Mais ce n’est pas un choix de leur part. Je crois pouvoir assurer sans me tromper qu’ils auraient préféré mille fois ne pas être la cible principale des grands massacreurs en chef, Napoléon, Hitler et ces Otasuniens de malheur. Mais il y a un bon côté dans toute chose. Citez-moi un seul monument de ce calibre, un seul édifice architectural mémorable que la France, que l’Occident dans son ensemble, aurait créé depuis 1945. Vous pouvez essayer mais vous risquez de me faire rire.
    En France, on peut dire que l’art, le grand art (j’excepte les arts « mineurs » comme la chanson, le ciné ou la BD) est mort en I945, à quelques très rares exceptions près (Messiaen, Dutilleux ont encore produit quelques chefs d’œuvre de musique ‘savante’ après). À une époque, le plus grand génie de la France ou plus justement de l’esprit français s’est incarné dans son architecture, que l’on pourrait qualifier de paysagère, non pas seulement dans ses édifices les plus imposants mais aussi et surtout dans ses réalisations les plus modestes, qu’elles aient été en pierre, en brique, en bois ou en torchis. Cette époque est terminée ; au mieux on refait maintenant ce qu’on a déjà fait, et en moins bien. En Russie, non seulement l’inspiration architecturale ne s’est pas tarie mais elle est repartie de plus belle.

Pour finir en beauté, quelques photos du site qui ne figurent pas dans cette courte vidéo.

Vue d'ensemble du site, en fin de construction, qui révèle les grandes verrières sur les toits



Autre vue aérienne montrant le plan en cercles imbriqués



Parvis: scultpture monumentale représentant une femme le visage dans les mains




Vue de face, plus impressionnant