Rares
sont les livres illustrés comme je les aimerais. D’abord parce que
les livres de fictions illustrés sont en effet très rares. Je parle bien
entendu des vrais livres, pas des livres pour enfant ou des BD. De
mon point de vue, c’est difficilement compréhensible, tant cela
peut ajouter à l’attrait du texte. Je me souviens ainsi d’avoir
lu Le Double de Dostoïevski, illustré par un dessinateur dont j’ai
oublié le nom (mais il aurait mérité que je le retienne) et qui
m’avait fait littéralement redécouvrir cet excellent roman
fantastique qui m’avait précédemment paru brouillon et manquant de respiration. C’était pourtant le même texte.
Le
salaire de l'illustrateur est une raison à cette rareté (dans mon cas, c'est gratuit, ce qui est un gros avantage). La difficulté de rendre décemment à l'impression un dessin ou une peinture et donc le coût associé n’est plus à notre époque numérique un grand problème surtout si on se contente, comme c’est
généralement le cas, d’illustrations en noir et blanc. En fait, avec les livres dématérialisés, cette objection n'a presque plus lieu d'être. Je pense
qu'une raison bien plus ancrée dans le monde de l'édition "adulte" tient à ce que les illustrations sont connotées « gamin »,
bibliothèque rose ou livres de remise de prix. En réalité rien
n’empêche d’illustrer les livres sérieux, aussi bien Moby Dick
que la Recherche du Temps Perdu. En fait les quelques livres
illustrés que j’ai eus dans les mains m’ont déçu pour la
plupart. D’abord parce que les illustrateurs employés sont
généralement médiocres et, j’imagine, pas chers du kilomètre
dessiné pour l’éditeur. Ensuite parce que leurs illustrations
sont bien trop serviles. Si l’écrivain écrit que son héros
conduit une cadillac verte et porte un chapeau mexicain en fumant des
havanes, l’illustrateur le représentera sortant de sa cadillac
verte fumant un havane sous son chapeau mexicain. Je caricature mais
quel intérêt a cette représentation littérale ?
Pourquoi répéter obséquieusement ce qui est clairement écrit ?
Le comble de cette manière est atteint quand le passage décrit est
cité en légende de l’illustration : cela fait un double
pléonasme. Bien sûr un dessinateur doué et inspiré peut réaliser
un bon dessin en traduisant un élément du texte qui l'a particulièrement frappé. Mais
pourquoi se limiter à ce qui est dit ? Dans une histoire, il y
a des blancs, des non-dits, des obscurités, des zones de flou :
c'est ici que l'illustration prend tout son sel. L’illustrateur
peut, et j’ajouterais pour ma part, devrait de préférence nous
montrer ce qui est hors texte, ce qui est du domaine de l’imagination
du lecteur, en l’occurrence de la sienne. Cela enrichit le texte,
donne un nouveau point de vue, élargit le spectre des possibles,
peut servir de révélateur.
Dans
mon cas, on ne sera donc pas étonné d’apprendre que la majorité
des illustrations que je réalise, je dirais deux gros tiers à vue
de nez, sont du hors texte, parfois pour le compléter, parfois
carrément en parallèle, comme si les deux se situaient dans des
univers très légèrement décalés.
L’illustration
qui suit ne diffère du texte que par de petites différences :
la mer prise dans les glaces est devenue un simple lac gelé,
semble-t-il, et le ciel nocturne est illuminé d’une aurore
boréale, à moins que ce ne soit un effet du vaisseau plongeant vers
la surface, toutes choses non mentionnées dans l’histoire.
Illustration pour ma novella L'Ange Tombé Du Ciel |
Dans
cette autre, la scène décrite ne figure pas dans l’histoire,
l’exploration de la planète aux métaux rares Aldoran, mais il est
dit en passant dans le texte que le protagoniste de la nouvelle
devait s’y rendre (sauf qu’il en est reparti aussitôt arrivé;
c’est tout l’objet de l’histoire). Il s’agit donc d’une
ligne divergente du texte même si l’on sait que l’explorateur y
est allé dans le passé.
Dessin réalisé pour la maquette de la couverture de la novella L'Ange Tombé Du Ciel |
Je
pourrais ainsi multiplier les exemples, comme cette dernière image où il
est certain que la petite fille n’a pas vu de si près le tigre,
sans quoi il est probable que le roman se serait achevé beaucoup
plus vite que prévu. Je la vois comme la représentation subjective
de la stupeur et de la terreur ressentie par la fillette surprise durant sa baignade.
Image réalisée pour mon roman de space opera, à paraître un jour, "Fille des étoiles" |
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