lundi 6 juin 2022

Vladimir Poutine : une claire vision du monde (Interview intégrale donnée le 03 juin 2022)


Le texte qui suit est la traduction de la transcription intégrale (voir sur le Saker Blog par exemple) de l'entretien donné par Vladimir Poutine à la chaîne Rossiya TV le 03 juin dernier : photo ci-dessus. J'aurais pu traduire bien d'autres discours ou entretiens donnés par Poutine car leur qualité est assez égale mais il est peu probable que vous trouverez cet entretien en français dans les grands médias, et encore moins en intégralité (la tactique habituelle du journaliste MSM étant soit d'ignorer soit de sélectionner un court passage pour faire dire tout autre chose à l'ennemi numéro un actuel)).

Même ou plutôt surtout si vous n'aimez pas Poutine, sa personne, sa vie, son œuvre, je vous engage à lire cet entretien assez bref, histoire de savoir mieux de quoi vous causez et parce qu'il n'est jamais bon de méconnaître son adversaire. S'il vous reste un soupçon de bon sens, vous en tirerez au moins les conclusions suivantes:

1 Poutine n'est pas mort (pas encore)

2 Poutine n'est pas gravement malade, atteint de cancers divers et variés

3 Poutine n'est pas fou

4 Poutine est bien meilleur que les ectoplasmes qui nous servent par ici de leaders, quelle que soit la valeur que vous accordez à ses idées. Essayez dans le cadre d'un entretien, beaucoup plus délicat qu'un exercice écrit, même s'il est contrôlé selon nos normes (questions connues à l'avance, réponses prérédigées au moins dans les grandes lignes), d'arriver à cette simplicité, cette clarté, cette exactitude toujours documentée. Bien sûr, dans le cadre d'un exercice oral, il y a toujours quelques petites redites, possiblement quelques imprécisions dans certains détails (je crois en avoir repéré une ou deux pour la partie que je connais le mieux) mais dans l'ensemble, cela reste plus qu'acceptable pour un Président qui n'est certes pas censé être expert dans les domaines techniques. Pour les discours et les entretiens que j'ai pu voir et écouter, il est certain que Poutine ne lit pas de prompteur ou de texte imprimé, et se passe de notes.  Et surtout, ce qui frappe, c'est la qualité de son argumentation, son déroulement impeccable, et selon moi, c'est la meilleure et peut-être la seule façon de juger de la valeur d'un discoureur sur des événements dont on ignore en grande partie les tenants et aboutissants.

Dans la suite PZ est pour Pavel Zarubin, le journaliste et VP pour qui vous savez. Mes précisions, entre parenthèses, sont en vert.


PZ : M. le Président, nous venons de rapporter votre réunion avec le leader du Sénégal qui est aussi l’actuel Président de l’Union Africaine. Il a exprimé, et en fait depuis plusieurs semaines de nombreux pays avec lui, ses inquiétudes non pas tant à propos de la crise alimentaire que des famines à grande échelle prévisibles de par la hausse du cours des denrées alimentaires et de celles du gaz et du pétrole. Toutes ces questions sont liées.

Naturellement, l’Occident blâme la Russie pour ceci aussi. Quelle est la situation réelle à ce stade ? Comment elle se développe ? Et que croyez-vous qu’il se passera sur les marchés de l’énergie et de la nourriture ?


VP : En effet, nous assistons actuellement à une tentative de jeter le blâme sur la Russie pour les développements sur le marché mondial alimentaire et les problèmes croissant qu’on y observe. Je dois dire que c’est un nouvel essai de déplacer la faute sur quelqu’un d’autre. Mais pourquoi cela ?

D’abord, la situation n’est pas devenue pire hier ou même depuis le lancement de l’Opération Militaire Spéciale dans le Donbass, en Ukraine.

La situation a pris mauvaise tournure en février 2020 suite aux efforts pour contrer la pandémie Covid qui ont mis le moteur de l’économie mondiale au point mort et ensuite, quand on a dû le rallumer.

Les autorités financières et économiques des USA, entre autres choses, n’ont rien trouvé de mieux que d’allouer de vastes sommes pour aider les populations et certains secteurs économiques.

Nous avons fait presque la même chose mais je peux vous assurer que nous avons ciblé de façon beaucoup plus précise nos politiques d’aide ; nous l’avons fait de façon sélective et avons obtenu les résultats espérés sans affecter les indicateurs macro-économiques, ce qui inclut une croissance excessive de l’inflation.

La situation a été très différente aux USA. La distribution d’argent a augmenté de 5,9 billions de dollars en moins de deux ans, de février 2020 à la fin de 2021, due à une productivité sans précédent de la machine à imprimer des billets verts. L’approvisionnement de cash a augmenté de 38,6 %.

Apparemment, les autorités financières américaines pensaient que le dollar étant une devise mondiale, son excès se répandrait et se dissoudrait dans le monde entier comme à l’habitude, comme cela avait été le cas les années précédentes, et que les USA ne le sentirait même pas. Mais cela ne s’est pas passé ainsi cette fois. En fait, une personne honnête — il en existe aux USA — la ministre des finances US (NdT : pour Treasure Secretary) a récemment reconnu qu’ils avaient commis une erreur. Ainsi, c’est une erreur des autorités financières américaines et cela n’a rien à voir avec l’opération de la Russie en Ukraine, cela n’est pas du tout lié.

Et cela a été la première étape — pas la moindre — qui a conduit à la situation défavorable du marché alimentaire actuel parce que les prix se sont aussitôt mis à flamber. C’est la première raison.

La seconde raison est la politique à courte-vue de l’Europe, et particulièrement celle de la Commission Européenne concernant l’énergie. Nous voyons ce qu’il se passe là-bas. Personnellement, je crois que les politiques européens ont tiré avantage des craintes naturelles de leurs populations vis-à-vis du changement climatique pour pousser un agenda vert, y compris dans le secteur de l’énergie.

Tout cela semble bel et beau, sauf pour les recommandations infondées concernant les mesures à prendre dans le secteur de l’énergie. Les sources alternatives d’énergie sont surestimées : le solaire, le vent, l’hydrogène et autres — tout cela est peut-être prometteur dans l’avenir mais aujourd’hui elles ne peuvent être produites dans les quantités nécessaire, avec la qualité nécessaire, à un prix acceptable. En même temps, elles ont commencé à minimiser la nécessité de maintenir des sources d’énergie conventionnelles, en particulier et surtout les hydrocarbures.

Quel a été le résultat ? Les banques ont commencé à refuser des prêts pour ces opérations (l’extraction d’hydrocarbures : NdT). Les assurances ont refusé de sécuriser les accords commerciaux. Les autorités locales ont arrêté d’accorder de nouveaux terrains pour augmenter la production et pour des transports spéciaux, y compris les pipelines.

Tout ceci a conduit à une pénurie de l’investissement dans le secteur de l’énergie et à une hausse des prix. Le vent n’a pas été aussi fort que prévu l’année passée, l’hiver a fait de la résistance, et aussitôt les prix ont encore grimpé.

En plus de ça, les Européens n’ont pas écouté nos demandes répétées de maintenir les contrats à long-terme pour la livraison de gaz aux pays européens. Ils ont commencé à les réduire. Beaucoup sont encore valides mais ils ont commencé à en réduire le nombre. Cela a eu un effet négatif sur le marché européen de l’énergie. Les prix ont monté. La Russie n’a absolument rien à voir avec ça.

Mais aussitôt que les prix du gaz ont grimpé, le prix des fertilisants a suivi, puisque le gaz est utilisé pour la fabrication de plusieurs de ces fertilisants. Aussitôt que le coût des fertilisants a monté, de nombreuses entreprises — particulièrement dans l’Union Européenne — ont cessé d'être profitables et ont commencé à fermer. La quantité disponible de fertilisants sur le marché mondial a chuté et leurs prix sont montés en flèche, à la grande surprise de nombreux politiciens européens.

Ceci bien que nous les ayons avertis des conséquences. Et rien de ceci n’est lié en aucune façon à l'Opération Militaire Spéciale de la Russie dans le Donbass.

Mais quand nous avons lancé notre opération, nos soi-disant partenaires américains et européens ont pris des mesures qui ont aggravé la situation sur le marché alimentaire mondial et celui des fertilisants.

Soit dit en passant, la part de la Russie dans le marché mondial des fertilisants est de 25%. Pour ce qui est des fertilisants à base de potasse, Alexander Loukachenko (NdT : Président de la Biélorussie) m’a dit — c’est à vérifier bien sûr mais je pense qu’il dit vrai — que la Russie et la Biélorussie réunies sont à créditer pour 45% des exportations mondiales. C’est une quantité considérable.

Le rendement des récoltes dépend de la quantité de fertilisants mis dans le sol. Aussitôt qu’il est devenu clair que nos fertilisants ne seraient plus disponibles sur le marché mondial, non seulement le prix des fertilisants a grimpé en flèche mais aussi ceux des aliments de base, parce que s’il n’y a pas de fertilisants, il n’est pas possible de produire les quantités requises de produits agriculturaux.

Vous voyez, une chose mène à une autre et la Russie n’a rien à voir là-dedans. Nos partenaires ont fait quantité d’erreurs et cherchent maintenant quelqu’un sur qui porter le blâme. Bien sûr la Russie est la candidate idéale dans cette optique.


PZ : Accessoirement, on vient de rapporter que l’épouse du patron de la plus grande entreprise mondiale de fertilisants a été incluse dans le nouveau paquet de sanctions européennes. Que pensez-vous qu’il en sortira ?


VP : Cela empirera une situation déjà mauvaise. 

Les Britanniques puis les Américains — les Anglo-saxons — ont commencé par sanctionner nos fertilisants. Puis quand ils ont réalisé les conséquences sur leur économie, les Américains les ont levées mais les Européens ont continué, eux. Ils me disent durant nos contacts : oui, nous devons y penser ; nous devons faire quelque chose à ce sujet ; mais pour le moment ils ont seulement aggravé la situation.

Cela continuera de faire grimper le prix des fertilisants sur le marché mondial et donc les perspectives de récoltes seront beaucoup plus modestes et donc les prix (NdT : des céréales) vont continuer de grimper : voilà tout. C’est une politique complètement myope, erronée et je dirais stupide qui conduit à une impasse.

PZ : Des représentants européens accusent la Russie de bloquer les céréaliers dans les ports d’Ukraine.


VP : Ils bluffent et je vais expliquer pourquoi.

D’abord, je vais rappeler quelques faits objectifs. Le monde produit environ 800 millions de tonnes de blé par an. Maintenant, on nous dit que l’Ukraine est prête à exporter 20 millions de tonnes de blé. Donc, 20 millions de tonnes sur 800 millions comptent pour 2,5 %. Ensuite continuons avec le fait que le blé n’entre que dans 20% de tous les biens d’alimentation mondiaux — ce ne sont pas nos chiffres mais ceux de l’ONU — cela signifie que ces 20 millions de tonnes de blé ukrainien ne comptent que pour 0,5 % (NdT : de l’alimentation mondiale), c’est-à-dire presque rien. C’est le premier point.

Le second point. Ces 20 millions de tonnes sont des exportations potentielles. En réalité, les experts américains disent qu’aujourd’hui l’Ukraine pourrait réellement exporter 6 millions de tonnes. Selon notre ministère de l’Agriculture, ce serait plutôt 5, mais OK, admettons ce chiffre de 6. En plus, selon notre ministère de l’Agriculture, l’Ukraine pourrait exporter 7 millions de tonnes de maïs. On réalise que ce n’est pas tant que ça.

Durant l’année agriculturale 2021-2022, nous (NdT : la Russie) exporterons 37 millions de tonnes et je crois que nous porterons les exportations pour l’année 2022-2023 à 50 millions de tonnes, ce qui, je le note en passant, tombe bien.

Quant à ce qui est des navires céréaliers ukrainiens, nous ne les retenons pas. Il y a plusieurs moyens pour convoyer des céréales.

Premier moyen. Vous pouvez les convoyer par les ports contrôlés par l’Ukraine : Odessa et ses voisins. Nous n’avons pas miné l’entrée de ces ports ; l’Ukraine l’a fait.

J’ai déjà dit à tous nos collègues : laissons-les déminer le passage, laissons-les charger les vaisseaux en céréales et s’en aller. Nous garantissons un passage sûr vers les eaux internationales. Il n’y a aucun problème. Allez-y.

On doit enlever les mines et renflouer les navires qu’ils ont coulé à dessein dans la mer Noire pour rendre l’entrée difficile des ports du sud de l’Ukraine. Nous sommes prêts à nous en charger. Nous n’utiliserons pas l’opération de déminage pour initier une offensive de la mer ; je l’ai déjà dit. C’est le premier point.

Second. Il existe une autre opportunité : les ports de la mer d’Azov — Berdiansk, Maryupol — sont sous notre contrôle et nous sommes prêts à assurer la sortie sans problème de navires par ces ports, y compris pour des céréales ukrainiennes destinées à l’exportation. Je vous en prie : allez-y.

Nous sommes déjà en train de travailler à l’opération de déminage. À une époque, les troupes ukrainiennes ont disposé trois couches de mines ; le processus de déminage touche à sa fin. Nous créerons la logistique nécessaire. Ce n’est pas un problème, nous ferons tout ceci. C’est le second point.

Troisième point. Il est possible de convoyer des céréales (NdT : par rail) depuis l’Ukraine via la Roumanie.

Quatrième point. Cela est aussi possible en passant par la Hongrie.

Et cinquième point, il est possible aussi de passer par la Pologne. Je sais, il y a un problème de jauges différentes des rails (NdT : entre l’Ukraine et les pays à sa frontière occidentale) mais il suffit de changer les bogies : c’est l’affaire de quelques heures. 

Enfin, la route la plus facile pour transporter des céréales depuis l’Ukraine est via la Biélorussie. C’est la plus facile et la moins onéreuse parce que de là, les céréales peuvent être rapidement convoyées vers les ports de la Baltique puis vers n’importe quelle partie du monde.

Pour cela ils devront lever les sanctions contre la Biélorussie. Mais ce n’est pas notre problème. En tout cas, le Président de Biélorussie, Alexander Loukachenko l’a dit : "si quelqu’un veut résoudre le problème du convoyage des céréales ukrainiennes, si tant est qu’il y en ait un, je vous en prie, prenez la voie la plus simple, passez par la Biélorussie. Personne ne vous arrêtera."

Donc, vous voyez, il n’y a pas de problème de convoyage des céréales ukrainiennes.


PZ : Comment fonctionnerait la logistique pour convoyer les céréales depuis les ports que nous contrôlons ? Quelles seraient les conditions ?


VP : Aucune condition.

Les navires sont les bienvenus. Nous garantirons l’approche de ces ports en toute sécurité. Nous garantirons aussi l’accès et la traversée des mers Noire et d’Azov en toute sécurité et dans toutes les directions pour ces navires étrangers.

En passant, il y a plusieurs navires coincés dans les ports ukrainiens à ce stade. Ce sont des bateaux étrangers, plusieurs douzaines. Ils sont simplement bloqués et leurs équipages sont toujours tenus en otage (NdT : par l’armée ou les milices ukrainienne).


2 commentaires:

  1. Les peuples européens ne sont pas tous...aussi stupides que pourraient le faire croire la réélection de KivousaV et ses propos incohérents et mensongers...et, par contraste avec leurs "dirigeants"...affligeants de lâcheté et de compromission, apprécient énormément le calme et la pertinence des propos argumentés du Président Poutine...qui, lui au moins, aime son pays ! ! !

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  2. Par curiosité, qui est KivousaV ?... Macron?

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