dimanche 18 août 2024

Kursk : l'Opération Euh... de Volodomyr Z, son coup de génie testamentaire

Colorée en bleu: "positions" ukrainienne,vers le 10/08; en rouge: position armée russe; cercle blanc: centrale nucléaire de Koursk


    Encore un coup de génie de ce genre et il n’y aura plus d’armée ukrainienne.
    Cet article est pour ainsi dire la continuation logique de mon précédent sur le même sujet (voir ici) où je me demandais ce que les Otasuniens allaient nous concocter dans leur guerre par proxy contre la Russie : des négociations imminentes ou la guerre éternelle. Eh bien, l’option A vient d’être repoussée aux calendes grecques. 
    Néanmoins, l’option B n’est pas envisageable. Si le but avait été d’accélérer l’éradication des dernières forces vives de l’armée kiévienne, je ne vois pas ce que les Otasuniens auraient pu décider de mieux, mis à part peut-être attaquer de nouveau la Crimée avec fanfares, fantassins et matériels lourds. Pour un bénéfice très faible et de courte durée, et pour la joie extatique (mais également de courte durée) des commentateurs encartés à Télé Propaganda, l’Etat-Major russe tout ébaubi de sa chance incroyable est en train d’assister (dans tous les sens du terme) à la destruction minutieuse et méthodique de plus beaux fleurons de l’armée ennemie : soldats d’élite, Himars, tanks Challenger (c’était donc pour ça qu’ils les réservaient !), système Patriot, Iris-T, des milliards qui partent en fumée chaque jour. J’ai lu quelque part (oui, je lis aussi) que c’était un vrai bonheur pour l’Occident de voir cette opération si bien menée, de main de maître, si bien combinée avec tous ces commandos surentraînés, tous ces blindés dernier cri, tous ces canons, tous ces missiles, tous ces drones, tous ces satellites pareils à l’œil du Mordor filant dans l’espace inaccessible. Et c’est vrai qu’ils ont envoyé tout le gratin de l’armée, tout l’équipement high-teck : Hourah ! Quel spectacle ! Quelle réussite ! Bravo !Les Russes qui se donnaient tant de mal ces derniers mois pour aller chercher les soldats ukrainiens au fond de leurs trous, pour repérer les armements de prix de l’Otasunie le long de ce front immense, ont vu soudain tout cela débouler dans leur cour, sous leurs yeux ébahis, pour leur servir de cible à peu près aussi facile que dans un ball-trap.
    Ah oui, ils ont été surpris, les Russes : quelle créativité tout de même chez ces Otasuniens ! La population du sud de la région de Koursk n’a pas autant apprécié l’insouciance des autorités, quelque peu répréhensible de leur point de vue et on les comprends bien. Mais mettez-vous aussi à la place d’un général, d’un maréchal, des gens qui sont rarement réputés pour être de grands sentimentaux : quelle aubaine incroyable ! quel cas de figure idéal ! On vous rassemble ici dans un petit périmètre, essentiellement composés de forêts, de marécages et de minuscules villages, donc relativement désert, toute la crème de l’armée mercenaire pour être détruite ou au mieux emmené pour exhibition à Moscou. Mettez vous à leur place aussi. Ils cachent leur joie en public, certes, par décence, mais ils sabrent le champagne dès qu’ils ont fermé la porte de leur casemate.
    On me dit qu’il y avait bien un but stratégique à cette Opération Euh*. Ou peut-être deux. Ou même trois (ça dépend des jours). Examinons ça. Le premier aurait été de divertir (dans tous les sens, je crois) les forces russes occupées alors comme aujourd’hui à décimer au sens moderne du terme les mercenaires otasuniens du côté du Donbass. Est-ce possible ? Il y a un point sur lequel au moins l’OTAN a incontestablement une supériorité et c’est le renseignement aérien, satellitaire. Ils savent que l’armée russe a des centaines de milliers d’hommes en réserve, prêt au combat, dans la région de l’Ukraine ou pas très loin et ils auraient eu l’idée fantastique que l’envoi de quelques milliers de soldats en excursion vers Koursk allait forcer l’Etat-Major adverse à dépeupler le front du Donbass ? Ils auraient enlevé encore quelques brigades du Donbass où, disons-le clairement, leurs affaires vont de mal en pis, pour cette opération ? Pour défendre dix village et une bourgade de cinq mille habitants qui avaient de toute façon pour la plupart déserté le coin bien avant. Ils prennent les généraux russes pour des enfants de chœur ou quoi ? Non, pour croire ça, il faudrait admettre que les chefs militaires otasuniens vivent eux aussi dans la Matrice, dans un univers virtuel, et je ne le crois pas. La guerre a tendance à vous remettre les idées en place si vous ne les avez plus, à vous mettre dans le concret pour ne pas dire un vilain mot, au ras des pâquerettes, quand il reste de pâquerettes. Le second objectif invoqué serait de s’emparer de la centrale nucléaire de Koursk (en fait située à l’ouest de Koursk, effectivement dans la direction prises par les forces otasuniennes au tout début de l’Opération, voir la carte ci-dessus) afin de procurer à l’état mercenaire de Kiev un meilleur rapport de force dans l’optique de négociations futures. J’aurais tendance à le croire davantage en effet, faute de meilleures explications. Mais alors imaginons que la bande de mercenaires payés et armés par nos pays ait capturé la centrale : c’était quoi la suite du scénario ? Un chantage à base de nucléaire ? Dangereux, non ? Peut-être même cinglé, digne du cerveau du docteur Folamour !?
    Bon, je n’ai pas parlé de l’objectif numéro 3 parce qu’il tient plus de la fantaisie hollywoodienne, matrixienne en fait, totalement découplée de la réalité : renverser (encore !) Poutine en montrant à son bon peuple (novlangue pour ramassis à base d’abruti et d’idiot congénital) quel incapable il est en plus d’être un voleur d’enfants (hé oui, c’est le chef d’inculpation officiel qui lui a été trouvé).
Reste enfin l’objectif le plus probable et de loin, qui lui n’a rien de stratégique, jamais avoué mais toujours présent : faire la une des journaux durant quelques jours, quelques semaines, alimenter encore et toujours la machine énorme, dévoreuse d’âmes, la Matrice.
    Cet épisode estival me conforte dans l’idée que nos gouvernants, ou les oligarques qui les possèdent, ne sont en-dessous de rien. Eux aussi sont clairement dans la Matrice. Et dans la Matrice, on ne craint rien bien sûr puisqu’on sait que tout peut être arrangé par un agent Smith. Le problème c’est que la guerre nucléaire, elle, sera bien réelle.
    Décidément, les étés sont terribles pour Zelensky, sa bande de mercenaires et l’armée de zombies qu’ils envoient manu militari — c’est le cas de le dire — au casse-pipe. Après la contre-offensive de l’an passé, on a droit à l’offensive de Koursk, qui, je le prédis sans grand risque, ne finira pas mieux et probablement pire.
    Je vais maintenant devoir faire un effort considérable pour me mettre dans le cerveau de l’Etat-major de Kiev, en supposant que l’Ukraine soit un état souverain et que cet Etat-major ait gardé de la compétence, ce qui est beaucoup supposer, puisque la corruption, le seul fait d’être payé par une puissance étrangère vous ôte la possibilité même de la compétence. Mais essayons quand même. Réfléchissons sérieusement une minute, ou deux peut-être, à ce qu’un tel Etat-Major devrait avoir pour objectif vu la situation sur le terrain et les forces en présence. 
    Les forces russes ont annoncé qu’elles pratiquaient une guerre d’attrition, qui consiste à privilégier la destruction de l’armée ennemie (hommes et équipements, usines militaires, infrastructures pouvant servir à la logistique, etc.) sur le gain de territoires. Et c’est bien ce que nous observons : elle fait ce qu’elle dit. Les petits gains territoriaux réguliers que les forces ennemies obtiennent dans le Donbass sont pour ainsi dire des effets secondaire de leur médication : forcément quand il n’y a plus d’adversaire en face de vous, il faut bien avancer pour continuer les opérations d’attrition. Et pourquoi les Russes ont-ils choisi l’attrition (après une brève mais fructueuse guerre de manœuvre au tout début de l’Opération Militaire Spéciale) ? Parce qu’ils sont sûrs de la gagner et que cela économise en même temps leurs propres forces. Vous ne pouvez gagner une guerre d’attrition contre un adversaire possédant une population beaucoup plus grande, une puissance logistique supérieure qui découle d’une industrie militaire et d’une industrie tout court plus élevée d’un ordre de magnitude. C’est impossible. Même avec toute l’aide de l’OTAN, même si l’OTAN nous envoyait tout le nec plus ultra de ses armements merveilleux, cela resterait impossible. Stratégiquement, nous avons déjà perdu la guerre. Nous, l’Etat-major ukrainien le savons, même si nous sommes corrompus, même si nous sommes incompétents. L’Etat-major de l’Otan le sait lui aussi même s’il est corrompu, même s’il est incompétent. Les idiots de l’UE ou de Washington l’ignorent peut-être, ils vivent dans la Matrice, mais nous, militaires, nous le savons. Nous devrions donc adopter une stratégie adaptée, visant à ne jamais mettre notre armée en position où la guerre d’attrition que mène l’adversaire — qui est du genre méthodique et minutieux — est facilitée. En gros, nous devrions nous abstenir de toute opération offensive d’importance. Si vous attaquez, vous sortez de votre zone de sécurité, de vos fortifications, vous vous exposez, vous faites le jeu de votre adversaire qui n’attend que ça. (Je ne suis pas en train de sous-entendre que L’offensive de Koursk est un piège tendu par les Russes — c’est impossible en la circonstance, pour des raisons politiques (et non militaires) — mais que l’Etat-major russe a bien vu et saisi une opportunité encore plus belle que les précédentes). Nous savons aussi, pour les mêmes raisons indiquées plus haut, que nous ne reprendrons ni la Crimée ni les quatre oblasts réclamés par Moscou. C’est impossible, militairement et politiquement. La bonne stratégie pour nous est donc de nous efforcer de conserver le maximum de ce qui peut l’être encore, à savoir, pourquoi pas toute l’Ukraine hormis les cinq régions citées. C’est le mieux que nous pouvons espérer. 
    Je suis d’accord (évidement) avec tout ce qui vient d’être dit par nos grands chefs ukrainiens. On peut penser en effet que la Russie s’arrêtera si ses objectifs territoriaux annoncés sont remplis. Je doute beaucoup que les Russes aient envie de continuer la guerre ‘éternelle’ promise par certains occidentaux tranquillement assis dans leur canapé. La bonne stratégie, pour l’Ukraine, est donc d’économiser au maximum ses forces, ses meilleures unités, ses meilleures armes en se retranchant et en reculant petit à petit, car ce recul progressif est inévitable dans cette guerre d’attrition déséquilibrée, de façon à garder au maximum un pouvoir de dissuasion, c’est-à-dire la capacité de faire passer l’envie à l’ennemi de continuer le combat. Je suis convaincu que si l’Ukraine faisait cela, et elle le fait par séquences, mais sans esprit de suite, la Russie serait beaucoup plus encline à négocier et à se contenter si on ose dire des quatre régions déjà citées en matière de gains territoriaux.
    Mais voilà dans l’ensemble, l’armée ukrainienne fait tout le contraire. Sans doute qu’il est très difficile de se résigner à une stratégie perdante mais il est clair qu’on a ici d’autres raisons bien plus saumâtres, à chercher du côté de l’argent. Par ses actions inconsidérées, insensées du point de vue militaire, visiblement des opérations comm’, elle ne fait que hâter l’attrition, elle ne fait que hâter sa propre fin : la vraie, cette fois, où il ne reste plus qu’un champ de ruines autour de soi et une signature à apposer au bas d’un document qui porte en haut le très gros mot de reddition.
    L’Ukraine gaspille ses chances les unes après les autres de se conserver un futur, plus modeste dans ses limites certes, mais enfin un futur. Et plus elle s’enferre dans des buts inaccessibles, plus elle perd. Elle le sait. Il est impossible que L’Etat-major à Kiev (ou ailleurs, dans quelque bunker profondément enterré) ne le sache pas. Mais elle est tellement corrompue, tellement pourrie que ce savoir n’a plus aucune importance. Ses maîtres tout aussi corrompus n’ont aucun intérêt pour elle, juste le mépris habituel d’un pourri envers un autre pourri : ils la pousseront toujours plus loin, toujours en avant, mais ils ne la sauveront pas quand la fin arrivera. Oh non, ils n’enverront pas des troupes par centaines de milliers pour la sauver : ils ont trop bien vu ce qui est arrivé aux soldats ukrainiens : les champs de tombe dans le pays, à perte de vue, ça n’est pas une bonne comm’, hein ? Et c’est difficile à cacher, même pour tous les agents Smith de ce monde.


*L'opération Euh et autres aventures de Chourik est un des films russes comiques les plus populaires, facile à trouver, même avec sous-titres français, ici, par exemple. 

 

dimanche 4 août 2024

La septième merveille de Russie : la cathédrale de fer

    J’ai placé cette vidéo avant le corps de mon article car j’aimerais que vous la visionniez en totalité — dix petites minutes — avant de revenir ici. Mieux vaut en effet en savoir le moins possible sur le sujet pour en apprécier la beauté. Moins il y a de préjugés, plus l’impression est grande. La vidéo ne pouvant s'imbriquer dans Blogger (choix du propriétaire), je vous invite donc à la regarder sur Youtube, à l'adresse indiquée ci-dessous:

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https://www.youtube.com/watch?v=3sHavfEbzcc

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Bien, vous avez fait la visite grâce à nos deux guides d’occasion et vous savez maintenant à peu près de quoi il est question, même si vous n’êtes pas très fort en langues étrangères. Vérifions.
    La cathédrale de la Résurrection du Christ de Kubinka, village dans la région de Moscou, a été inaugurée en 2020, il y a donc seulement quatre ans. Ce qui me frappe plus que tout autre chose, y compris sa splendeur externe et interne, est précisément le fait de sa contemporanéité. L’esprit qui l’habite et qui a présidé à sa construction me rappelle de façon saisissante l’esprit qui se dégageait (et qui se dégage encore, parfois, si on arrive à faire abstraction de tout le reste) des grandes réalisations architecturales d’inspiration chrétienne du Moyen-âge, tout particulièrement en France. Les différences entre l’architecture orthodoxe et l’architecture gothique sont nombreuses dans la forme mais l’esprit général est très proche (c’est vrai en fait de la plupart des architectures sacrées) : une communion des savoirs et de l’excellence, une émulation des talents, où tous, architectes, ingénieurs, tailleurs de pierre, charpentiers, maîtres verriers, sculpteurs, peintres, fondeurs de cloches et dans ce cas, dans le rôle des principaux solistes, les métallurgistes, sont déterminés à donner le meilleur de ce qu’ils savent faire dans le cadre d’une réalisation unique et monumentale, destinée à demeurer longtemps dans la mémoire des hommes. Bien sûr, ce genre d’édifices grandioses et ‘inutiles’ coûte très cher mais ce n’est pas une raison pour s’en priver. D’une certaine manière, cela agit sur l’esprit humain comme les fusées qui vont sur la Lune ou sur Mars : ça n’a pas d’utilité pour la science et pourtant cela en vaut la peine. L’Homme ne vit pas que de pain, a dit quelqu’un. Et croire que la construction d’un tel monument ou le lancement de la mission Apollo a été un fardeau financier pour les Russes comme pour les Étasuniens serait une forme d’œillère où l’on ne voit que la colonne dépense. Souvent, on entend dire que ces monuments grandioses sont des vanités de rois, de pharaons, de tsars, égoïstement destinés à entretenir leur légende dorée et que tout cela finira dans le sable comme Ozymandias. Peut-être. Quelquefois sûrement. Peut-être qu’ils croyaient se bâtir une statue, les Ramsès, Périclès, Artaxerxés. Mais alors ils se trompaient. La véritable fonction de ces œuvres démesurées, quand elles sont réussies, est de montrer de la façon la plus concrète et la plus saisissante qu’il existe en ce monde quelque chose de bien plus grand que l’Homme, que l’Homme n’est pas la mesure de toutes choses, qu’il soit roi ou simple ouvrier.
    Sur le plan simplement architectural, je note que cette basilique sort des sentiers battus par les architectes ‘orthodoxes’. Les Russes, comme les orientaux en général, ont tendance à privilégier les formes arrondies sur les angles contondants, les arabesques sur les droites et les pointes. Ils ont aussi un goût presque excessif (à mes yeux du moins) pour les dorures, les émaux, les couleurs vives et claires. Je vous épargne ici une longue thèse de doctorat sur le lien entre l’hiver russe, long et gris, ou blanc, et cette prodigalité de couleurs, de brillance et de lumière. Mais comme on peut le constater dans le cas de cette nouvelle cathédrale, les matériaux ont été choisis dans des teintes particulièrement sombres, qui évoquent (et parfois sont) le basalte, le schiste vert, le marbre noir, le bronze et l’acier passé à la flamme. Dans ce paysage enneigé, le contraste est particulièrement saisissant et, je trouve, émouvant (d’une manière générale, l’architecture russe est encore plus émouvante par ces météos hivernales).
    Les métaux, de façon également très inhabituelle, ont été employés en placages sur les murs extérieurs ou pour d’autres ornementations architecturales, y compris le bas-relief central, d’or pur dirait-on, représentant le Christ : il s’agit là d’une vraie originalité puisque le travail du métal, l’art de la ferronnerie sont rarement utilisés à cette fin, si ce n’est pour produire quelque figure sommitale anecdotique, qui dans un certain pays non imaginaire peut prendre l’apparence d’un coq.
    Le métal est d’ailleurs le lien principal entre l’extérieur et l’intérieur radicalement opposés de la construction, que ce soit le fer, le bronze ou le cuivre aux reflets verts. Le vert est d’ailleurs la teinte dominante de l’édifice, plus encore que le noir. Autant l’apparence extérieure est sombre, froide, sévère, funèbre même, presque hostile et barbelée, autant l’intérieur est clair, coloré, doré, joyeux, inondé de lumières naturelles et artificielles. On pourrait ajouter en caricaturant un peu que ce contraste entre extérieur froid et dur et intérieur plus chaleureux décrit bien aussi l’homme russe (c’est moins vrai pour les femmes, qui ici comme ailleurs, ont une tendance à la sociabilité plus développée, ce qui implique généralement de sourire). Seul le pavement de métal sombre, très beau d’ailleurs, et pas seulement pour le contraste, rappelle l’extérieur. Comme le précisent nos guides, ce curieux carrelage a été réalisé en fondant une partie des innombrables trophées de guerre issus des années 1941-45, divers armements de la Wehrmacht, en particulier les blindés avec ses tonnes de ferraille. Voilà une utilisation joliment ingénieuse, esthétique et opportune des présents involontaires laissés par l’ennemi.
    Admettons-le si ce n’est pas déjà fait, je suis particulièrement sensible à l’architecture de cette cathédrale, par son contraste puissant entre l’apparence extérieure très sombre et très dure avec l’intérieur tellement plus clair, plus doux et chaleureux. Cette balance, que l’on retrouve d’une autre manière dans l’architecture gothique française, par son mélange d’ombre et de lumière (avec toutefois un net avantage pour cette première) me séduit par sa beauté mais aussi par sa vérité métaphorique de la vie et de la psyché humaine. En Russie, ce mélange d’ombre et de lumière, du jour et de la nuit est rare. Les architectes russes privilégient très nettement la lumière sur l’ombre, le connu sur l’inconnu, le connaissable sur l’inconnaissable, le réel sur l’irréel, à l’image de Tolstoï, l’écrivain le plus typique de ce pays avec son ambition forcenée d’éliminer le moindre coin d’ombre de la création ; eh bien ce n’est pas le cas ici.
    Bien sûr, il faudrait être particulièrement bouché pour ne pas percevoir le symbolisme de cette architecture, sans même parler des peintures et mosaïques. Il s’agit de la cathédrale consacrée aux forces armées, en premier lieu donc à l’armée soviétique, l’armée rouge, celle qui a payé si chèrement sa victoire contre le troisième Reich. Cette idée peut choquer dans un cadre religieux, plus spécialement chrétien. Il faut alors comprendre que le sens profond de cette construction est littéralement inscrit sur la façade de son portique d'entrée (qui sert de clocher) : « Nul n’est oublié, rien n’est oublié ». La cathédrale de la Résurrection est donc littéralement un monument aux morts géant, à mon avis d’une splendeur extraordinaire, comme il n’en existe nulle part ailleurs. C’est un hommage à tous les soldats inconnus mais aussi à tous les autres, hommes, femmes, enfants qui n’ont pas de fleur ni de plaque ni de nom sur leur tombe de cendre et de terre. Et il y en beaucoup : rappelons que les morts lors de la seconde guerre mondiale pour l’Union Soviétique seule sont estimés actuellement à vingt-sept millions. Imaginez : un sixième de la population disparue en cinq ans, auquel il faut ajouter les innombrables blessés, infirmes pour la vie. C’est bien plus qu’une décimation.
    Le fait est là : la guerre a été et est toujours une source d’inspiration majeure pour les Russes, écrivains, peintres, musiciens, architectes. Mais ce n’est pas un choix de leur part. Je crois pouvoir assurer sans me tromper qu’ils auraient préféré mille fois ne pas être la cible principale des grands massacreurs en chef, Napoléon, Hitler et ces Otasuniens de malheur. Mais il y a un bon côté dans toute chose. Citez-moi un seul monument de ce calibre, un seul édifice architectural mémorable que la France, que l’Occident dans son ensemble, aurait créé depuis 1945. Vous pouvez essayer mais vous risquez de me faire rire.
    En France, on peut dire que l’art, le grand art (j’excepte les arts « mineurs » comme la chanson, le ciné ou la BD) est mort en I945, à quelques très rares exceptions près (Messiaen, Dutilleux ont encore produit quelques chefs d’œuvre de musique ‘savante’ après). À une époque, le plus grand génie de la France ou plus justement de l’esprit français s’est incarné dans son architecture, que l’on pourrait qualifier de paysagère, non pas seulement dans ses édifices les plus imposants mais aussi et surtout dans ses réalisations les plus modestes, qu’elles aient été en pierre, en brique, en bois ou en torchis. Cette époque est terminée ; au mieux on refait maintenant ce qu’on a déjà fait, et en moins bien. En Russie, non seulement l’inspiration architecturale ne s’est pas tarie mais elle est repartie de plus belle.

Pour finir en beauté, quelques photos du site qui ne figurent pas dans cette courte vidéo.

Vue d'ensemble du site, en fin de construction, qui révèle les grandes verrières sur les toits



Autre vue aérienne montrant le plan en cercles imbriqués



Parvis: scultpture monumentale représentant une femme le visage dans les mains




Vue de face, plus impressionnant