Peut-être
avez-vous lu, sans doute même, ce joli poème de Rimbaud, léger et
ludique, que lui a inspiré la couleur des voyelles. Si vous ne
l'avez pas lu, ou si comme moi vous ne vous en rappelez guère plus
que quelques bribes, ne le lisez pas, du moins pas tout de suite.
Faites le test sans vous faire influencer puis lisez la fin de
l'article.
Rimbaud
« voyait » des couleurs quand il pensait à une voyelle.
Il paraît que c'est un don. Cela a même un nom : la
synesthésie. Cela fait plus sérieux sans doute. Messiaen, pour sa
part, associait des couleurs aux notes de musique. Ce n'est pas si
extraordinaire, je pense, même s'il semble que ce ne soit pas le cas
de tout le monde. Moi, par exemple, je ne vois aucune couleur quand
j'écoute de la musique, uniquement des ombres et des lumières. Ce
qui est extraordinaire, c'est d'écrire un bon poème avec aussi peu
de matière. C'est encore une preuve qu'il n'y a pas besoin de grande
idée pour faire un grand poème. Il n'y a peut-être même pas
besoin d'idée du tout, sauf si on considère qu'une émotion
associée à une image est une idée.
Personnellement,
j'associe aussi de façon spontanée à chaque voyelle une couleur
(je vous donnerai ces couleurs tout à l'heure). Et je peux dire que
la couleur d'un mot est directement liée à la couleur des voyelles
qui le composent, les consonnes ne changeant que très peu le coloris
obtenu. En revanche je soupçonne ces dernières de modifier
l'intensité lumineuse du mot, les faisant apparaître plus clairs ou
plus sombres. Chez moi, la couleur du mot est dominée par la
dernière syllabe si le mot en compte plusieurs. Par exemple le pôle
est blanc, de même que le prénom Pol. Mais le prénom Paul est
marron clair, tendant vers le jaune. La prononciation est la même
mais les voyelles diffèrent et modifient le ton. Chez moi, le son
n'est donc pas toujours responsable de la couleur, encore moins les
consonnes associées aux voyelles. Ainsi le chiffre six a la même
couleur que le prénom Francis, rouge bordeaux foncé. Ariel (lle)
est vert jaune, comme Gabriel(lle), mais aile est jaune beige et elle
est vert comme de l'herbe. Il est blanc, tu est bleu, vous est rouge,
de même que nous, mais ce dernier tend plus vers le vermillon.
On
peut penser que la couleur associée à certains mots provient de
leur couleur effective, ou symbolique. En effet bleu est bleu, mais
un bœuf est rouge, comme la viande, et un œuf jaune pâle.
Néanmoins yeux est vert foncé et œil d'un vert très pâle, sans
une once de brun ou de gris ? Pourquoi ? Je ne connais
personne ayant les yeux ou l’œil de cette couleur.
Mes
couleurs sont celles-ci :
A
= jaune
E
= vert
I
= rouge
O
= blanc
U
= bleu
Mais
cette palette produit des mélanges curieux. Ainsi le O (blanc)
associé au U (bleu) ne donne pas du bleu clair mais du rouge, tirant
sur le violet.
Et
maintenant, relisons le poème de Rimbaud. Le voici. Ah, nous avons
au moins le I en commun !
A
noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je
dirai quelque jour vos naissances latentes :
A,
noir corset velu des mouches éclatantes
Qui
bombinent autour des puanteurs cruelles,
Golfes
d'ombre ; E, candeur des vapeurs et des tentes,
Lances
des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;
I,
pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans
la colère ou les ivresses pénitentes ;
U,
cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix
des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que
l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;
O,
suprême Clairon plein de strideurs étranges,
Silences
traversés des Mondes et des Anges :
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