Imaginez une planète, lointaine forcément, où les colons auraient
établi une société de naturistes. Bizarre et peut-être impossible,
pensera-t-on. Cette très curieuse norme a au moins trois causes principales. La
première et la plus indispensable est le climat. Le continent sur lequel vivent
tous les colons Terriens bénéficie en effet d’un climat tropical. J’ajoute,
cerise sur le gâteau, que les moustiques ou leurs semblables exogènes y sont
inconnus. La seconde est un faible rayonnement du soleil étranger dans les
ultraviolets, ce qui évite cancers de la peau et sans doute pas mal de coups de
soleil sur des parties sensibles. La troisième est l'horreur de la guerre et de
la violence cultivée par la colonie suite à des guerres civiles sanglantes et
barbares. En effet, il devient très difficile de transporter des armes et des
bombes en particulier quand vous devez vous déplacer dans l'habit d’Ève ou d’Adam.
Enfin — mais il s’agit plus là d'une conséquence que d’une cause — cette nudité
publique permanente (sauf dérogation médicale) conduit à une désacralisation
des parties (autrefois) intimes, supprime le tabou antédiluvien et réduit considérablement,
semble-t-il, l’atavisme sexuel masculin. Ainsi le viol et le meurtre sont
devenus presque choses du passé.
Les guerres dont j’ai parlé ont
conduit à un net déséquilibre démographique de la société en faveur des femmes.
Très logiquement, puisque le régime est démocratique, celles-ci ont pris le
pouvoir, sinon de nom au moins de fait. Les familles sont polygames de
préférence — ce qui n'est sans doute pas pour déplaire aux hommes survivants —
permettant à chacune de trouver un compagnon, ou disons un géniteur potentiel.
Cette caractéristique n’est d'ailleurs probablement pas pour rien dans la
disparition des agressions de type sexuel.
Hélas, dans ce monde presque
idyllique, un grain de sable vient soudain enrayer la machine. C'est que les
utopies des uns sont les dystopies des autres. Après une ou deux décennies de bonheur
quasi parfait, voici qu’un meurtre puis deux, puis trois secouent la société.
Et à chaque fois, ce sont des femmes, jeunes ou moins jeunes, belles ou moins
belles, violées, torturées, découpées en tellement de morceaux qu’il faut toute
la science de la technologie moderne pour reconstituer les corps. Qui est le
meurtrier ? Ou peut-être devrait-on dire qui sont-ils? Car il semble que
la méthodologie des meurtres et le profil des meurtriers soient parfois très
différents. Et comment peut-on assassiner des gens en pleine rue avec un
couteau ou un lacet quand tout le monde est nu ? Serait-ce des robots, omniprésents
dans cette société, qui eux ne sont pas soumis à la loi sur la nudité, qui
auraient eu un sérieux bug et seraient devenus des assassins, à moins qu’ils n’aient
été télécommandés par le véritable instigateur ? Ou serait-ce plutôt les
indigènes, ces paisibles créatures vaguement anthropomorphes, complètement demeurées
et incapables de parler, pour la même raison invoquée plus haut ? Ou
encore des terroristes "réactionnaires" désireux de prouver que la
société du naturisme volontaire et obligatoire est une malédiction ?...
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