Desseins Éternels
est la seule histoire à clef(s) que j’ai écrite à ce jour, mis à part,
peut-être, mon roman Les Survivants.
Cette nouvelle ne peut en effet se comprendre pleinement, au moins pour un
esprit rationnel, que si on possède la clef, ou, plus exactement une des deux
clefs qui en ouvrent les portes. Oh, je suis convaincu qu’on peut la lire et
l’apprécier sans jamais avoir eu vent de l’existence de ces deux clefs, mais c’est
tout de même plus satisfaisant et plus pratique si on les possède.
Personnellement, quand je lis un de ces récits à énigme, je n’aime pas beaucoup
que l’auteur me plante dans le noir complet arrivé à la fin. Et bien que j’ai
parsemé le récit de nombreux indices permettant de découvrir la première clef, que
je l’ai nommée comme on le verra plus loin, je sens que certains lecteurs
pourraient encore trouver ces lueurs insuffisantes pour éclairer cette
ténébreuse étude de mœurs. Il est possible aussi que même le lecteur perspicace
ressente le besoin d’avoir la justesse de ses idées confirmée par l’auteur
lui-même.
Je vais donc me livrer à un exercice que je n’aurais pas cru
refaire depuis que j’ai quitté le lycée (en tant qu’élève), à savoir une
explication de texte en bonne et due forme. En effet, je me suis aperçu que
celle-ci était, pour une fois, presque aussi distrayante que la nouvelle
elle-même, bien qu’on perde à mon avis une bonne partie de son charme. Enfin et
surtout, cela signifie que la suite de cet article sera un énorme
spoiler ; je ne peux donc que déconseiller de le lire si on n’a pas déjà
lu la nouvelle ou si on n’aime tout simplement pas les explications de texte.
En apparence, Desseins
Éternels se présente comme une histoire d’amour
contrarié et donc d’autant plus exacerbé. Dans le texte de présentation, on
apprend que le récit est calqué sur le modèle fourni par les anciens contes pour
enfant où il y a une belle emprisonnée dans un château sous la garde d’un
magicien et parfois d’un dragon et dans lequel un jeune héros, chevalier à ses
heures perdues, se propose de délivrer et enlever la belle sur son puissant
destrier malgré l’exemple funeste d’une ribambelle de ses prédécesseurs ayant
trouvé une mort brutale dans l’entreprise. La différence importante est ici que
l’histoire se déroule au vingtième siècle, sans doute peu après le temps des
hippies. Le chevalier est un jeune médecin de campagne, la belle est une
étudiante dont la prison se partage entre l’internat d’une école pour filles très
stricte et sa chambre solitaire dans l’immense demeure rénovée de ses parents
adoptifs. Le méchant magicien est un artiste de renommée mondiale et son
épouse, l’horrible vieille barbichue et palpeuse, est le dragon du conte. Le
puissant destrier est une R16, modèle de luxe, si on ose dire. Enfin, le
château est un château, ou plutôt ce qu’il en reste après que la partie
supérieure ait été détruite puis reconstruite dans un goût nettement plus
moderne, sans doute celui de l’artiste lui-même. Le médecin et la jeune femme
tombent donc amoureux, un vrai coup de foudre réciproque, et pour des raisons
inexpliquées, mais que l’on peut supposer, ils décident de fuir pour vivre
librement leur passion. En effet, on sait que le jeune médecin a le défaut
d’être déjà marié et père de deux enfants. De plus, il est vraisemblable que la
belle fugitive n’a pas l’accord de ses parents pour vivre son histoire d’amour avec
cet homme marié et peut-être même n’a-t-elle pas atteint la majorité, ce qui
l’oblige légalement à obtenir cet accord. Cela expliquerait aussi la crainte du
couple d’avoir la police à ses trousses. En apparence donc, la nouvelle raconte
l’histoire d’une fuite manquée. Néanmoins, même pour un lecteur peu attentif,
il est clair que certains détails et certains événements sont inexplicables
dans ce cadre strictement réaliste.
Desseins Éternels
est en fait, sans surprise, un récit fantastique. Quiconque est confronté à une
coïncidence aussi miraculeuse que celle du coup de foudre, au sens propre, qui
est cause de l’accident de circulation, qui lui-même est cause du retour
imprévu des fugitifs à la case départ, ne peut éviter de le subodorer. D’autant
plus si on ajoute le fait, hallucinant d’improbabilité, que le conducteur du
véhicule accidenté et brûlé est justement le propre frère de la fugitive
qu’elle n’a plus revu depuis de années. Il y a dont une autre explication à chercher.
Voici la première clef, celle que j’ai pratiquement donnée
dans la nouvelle au lecteur, mais qui l’a remarquée ? La famille mythique
à laquelle appartient la jeune fuyarde n’est autre que la célèbre famille des
dieux antiques, dont le chef s’appelle Jupiter ou Jove. Dans ce cadre, la belle
fugitive est Vénus, déesse de l’amour, son frère étant ici le dieu de la mort,
encore appelé… Mors (j’ai pris quelques libertés avec l’arbre généalogique des
dieux romains car il n’y a selon la tradition antique aucun lien filial entre
ces deux-là et cela ne me convenait pas). Ils sont ici frère et sœur, jumeaux
probablement, puisqu’en vérité l’amour et la mort sont indissociables (que vaudrait
l’amour sans la mort et inversement ?). Plutôt qu’à Junon, la vieille Arlette
Sandor m’a été inspirée par un croisement des Parques romaines et des Érinyes
grecques et a donc tout de la sorcière. Elle représente le destin, mais un
destin tragique, voire cruel, dû à son goût pour la persécution. Elle est
poilue et palpeuse comme une araignée qui tisse les fils de la destinée pour
mieux prendre ses proies. Naturellement, on comprend ainsi beaucoup mieux pourquoi
l’éclair a frappé à cet endroit précisément puisqu’il est manié par le dieu du
tonnerre. Arlette a visiblement tissé la trame qui a conduit son fils,
Lewellyn, vers son destin, et celui du couple fugitif, sans aucun doute pour
complaire aux désirs peu douteux de son mari Jupiter. Et bien sûr tous ces gens
sont immortels, ce qui peut expliquer la guérison impressionnante de Lewellyn
(mais pas forcément, comme on verra). Quel est donc alors le rôle de Dan, le
médecin, dans ce cadre ? Et pourquoi Jupiter depuis son trône céleste
n’a-t-il pas tout simplement frappé la voiture conduite par Dan ? Pourquoi
lui laisse-t-il la vie sauve ? Pourquoi Dan a-t-il lui aussi son portrait
dans la cave ? Eh bien la solution à toutes ses devinettes, la clef dont
je parlais, est tout bonnement son nom de famille. Vedius, appelé encore
Vejovis, est le nom du dieu romain de la guérison, moins connu qu’Esculape,
assimilé à Apollon et considéré, fait plus significatif encore, comme un
anti-Jupiter : ce serait en effet le sens étymologique de son nom :
Vejovis = anti-jove ; Vedius = anti-dieu.
Mais si vous me suivez bien, cette première clef mène à une
seconde, presque évidente maintenant, ouvrant la porte d’une autre mythologie.
Et bien qu’elle rentre plus imparfaitement dans la serrure que la première (la
clef), c’est celle que je préfère. La porte qu’ouvre cette seconde clef est celle
de la mythologie chrétienne dans son périmètre large. Un indice très sérieux
est fourni par le fait que Sandor est un artiste, ce qui se rapproche le plus
d’un créateur. Un autre est que tous les personnages de l’histoire excepté
lui-même, ont leur portrait dans les sous-sols du château. De plus, on a la
nette impression que Lewellyn, le frère de Daehlia, disparait à l’intérieur du
tableau qui le représente. L’explication de tout cela est que le peintre ne l’a
pas réalisé en utilisant Lewellyn comme modèle mais tout au contraire que le
tableau est le modèle de Lewellyn. En clair, Il est sorti du tableau et y
retourne à la fin. Cela veut donc dire que Sandor n’est autre que le dieu
créateur, le Dieu unique, le Père, celui dont parle Jésus. Tous les autres,
mortels comme immortels, sont ses créatures. Il ne les a pas tirés de sa
cuisse, comme Jupiter, mais de son souffle créateur. Dans ce cadre, la jeune
femme est l’ange de l’amour et son frère l’ange de la mort. Quoique bénéficiant
d’avantages considérables par rapport à de simples mortels, ils ne sont
clairement pas au même niveau que Dieu. Ce sont des messagers, des intercesseurs
peut-être, entre Lui et les hommes.
Finalement, dans cette mythologie chrétienne, qui est alors
Dan ? Je pense avoir maintenant donné suffisamment d’indices, sans compter
ceux qui existent dans le récit lui-même pour que le lecteur y réponde tout
seul.
Le cadre de
l’histoire
Desseins Éternels
se situe dans le même cadre que le roman Anahita,
l’éternité enfin ! Ils se passent tous deux en France dans une
bourgade du Centre, au sud de la Beauce, très peu réputée pour son pittoresque.
La majorité des personnages de la nouvelle sont présents dans le roman.
Toutefois, la nouvelle ne se passe pas à la même époque. Anahita est quasi
contemporain de l’époque où il a été écrit, à savoir de 2018 à 2019. Une autre
différence majeure doit sauter aux yeux du lecteur. Il n’y a pas d’indices dans
le roman que les Sandors et leurs enfants adoptifs soient autre chose que ce
qu’ils paraissent, des humains ordinaires, mortels de toute évidence et
dépourvus de tout pouvoir spécial. Pour concilier les deux, le roman et la nouvelle,
on est donc obligé de conclure que les deux textes se situent dans des univers
parallèles, presque semblables. Néanmoins le thème principal est strictement le
même dans les deux cas : la recherche de l’amour éternel. Dan le recherche
sans le savoir et le trouve sous sa forme la plus littérale en la personne de
Daehlia, déesse de l’amour et donc éternelle. Mansour, le personnage principal
du roman, sait lui ce qu’il cherche mais ne le trouvera que sous une forme
symbolique. On pourrait croire que Mansour a été dupé ; en réalité il n’en
est rien et c’est d’ailleurs la seule de mes histoires dont je peux dire sans
craindre de me tromper qu’elle finit bien.
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