J’écris
peu sur le cinéma. D’une manière générale, le septième art me convient bien
moins que la littérature (de fiction) ou la peinture. Il laisse peu à l’imagination
du spectateur. Néanmoins il a tout de même quelques qualités indéniables. Et je
ne pourrais pas dire que les 10 films listés ci-dessous n’aient pas eu un rôle
dans mon background artistique.
Le
chiffre 10 est complètement arbitraire. Mais puisque c’est la coutume de
sélectionner un mutiple de 10 pour les best of et que je n’aime pas les
hit-parades à rallonge, autant le choisir. Bien sûr, cela m’oblige à éliminer
un certain nombre de films qui m’ont marqué, comme par exemple Le rayon vert d’Éric Rohmer ou Yeelen de Souleymane Cissé et bien d’autres qui ne me reviennent
pas à l’esprit présentement. De toute façon, l’intérêt de l’exercice se situe
plutôt dans les réflexions qu’il suscite que de faire connaître mes goûts
cinématographiques. Je dois d’ailleurs avertir le lecteur que je suis loin d’être
un cinéphile expert et qu’il ne devra pas s’étonner s’il trouve mes choix
quelque peu éclectiques ou regrettables. Comme je viens de le dire, ce n’est
pas le propos. Ma liste est sans ordre de préférence, ni même chronologique.
- Lanuit du chasseur de Charles Laughton : un classique, je crois bien,
celui-là. Et un bide à sa sortie, ce qui ne devrait surprendre personne vu que
la poésie presque expressionniste, le style « artiste », le recours
au noir et blanc, le jeu complètement débridé et halluciné de l’ordinairement ultra
sobre Robert Mitchum sont en opposition avec les qualités habituelles du cinéma
américain. Celui-ci est fondamentalement sobre, net et précis, tourné entièrement vers l'efficacité narrative (dans l'ensemble, on pourra remarquer que les films américains que j'ai sélectionnés sont plutôt des exceptions confirmant la règle).
Naturellement, il faut oublier les productions de la dernière décennie où on
aurait du mal à trouver ces qualités, où en fait on aurait du mal à trouver
n’importe quelle qualité. Quand on arrive à tenir le super héros pour l’horizon
indépassable de son ambition artistique, c’est que l’intelligence est proche du
point zéro. Je note, par contraste, la relativement bonne santé des séries américaines,
enfin disons quelque unes, tellement plus novatrices et ambitieuses dans leur
propos, dans leur qualités d’écriture et d’interprétation (mais cela va ensemble,
bien entendu) et même dans leur mise en scène. Hélas, je doute que cela dure. Pour en revenir au film de
Laughton, c’est un joyau solitaire et un peu fou, d’autant plus précieux qu’il
est à peu près sans véritable équivalent, à ma connaissance, dans toute
l’histoire du cinéma.
M le Maudit de fritz Lang : Le lien avec le précédent doit être
évident pour ceux qui ont vu les deux films. Et je suppose que c’est aussi la
raison pour laquelle j’y pense maintenant. Toutefois, le film de Lang est
paradoxalement, pour un Allemand de l’époque expressionniste, bien plus sobre
que celui de l’Anglais. On dit que c’est l’ancêtre du cinéma moderne. Peut-être
mais alors du cinéma moderne américain. En voyant ce très beau film, on ne
s’étonne pas que Lang ait si bien réussi à Hollywood. J’aurais pu d’ailleurs
ajouter plusieurs films de ce réalisateur dans ma liste, tous faits en
Amérique, comme Règlement de compte
avec Glen Ford ou Furie avec Spencer
Tracy. Le fait d’avoir sans cesse à se débattre avec la morale étriquée des
censeurs hollywoodiens, surtout quand il s’agit de sexe mais pas seulement,
ainsi qu’avec les studios tout puissants, a finalement été bénéfique pour ses
meilleurs films. Faute de pouvoir dire les choses clairement, il les a
suggérées, ce qui n’est pas plus mal. Mais il faut souligner sa remarquable capacité
d’adaptation car bien peu de cinéastes étrangers sont parvenus à faire de
l’impitoyable carcan hollywoodien une force.
Le Bateau de Wolfgang Petersen : encore un film allemand
dira-t-on. Néanmoins ce n’est pas le point commun qui me fait passer de M le
Maudit à ce film, c’est plutôt une différence essentielle : autant Lang a
excellé à Hollywood, autant Petersen a sombré corps et bien (et âme) en migrant
vers les USA, comme bien d’autres avant et après lui. Le meilleur film de
sous-marin que je connaisse devant Alien,
le septième passager et The Thing
(un vaisseau spatial ou une base en antarctique ressemblent beaucoup à un
sous-marin d’après ce que j’ai pu voir). La dramaturgie de ce très long film –
il mérite vraiment d’être vu dans sa version longue – est impeccable. Je ne
connais rien aux sous-marins mais on s’y croit vraiment. Pour le coup, on peut
le dire, on est en totale immersion du début à la fin. Et voir des êtres
humains dans des situations désespérées est toujours très émouvant. Je suppose
que si on refaisait le film de nos jours, puisqu’on ne sait plus guère faire
que des remakes (et encore) il y aurait deux noirs, un homosexuel, des filles à
la parité et un cul de jatte à roulettes, soit dit sans offense pour ces
diverses catégories tout à fait respectables.
Blade Runner de
Ridley Scott : ah, évidemment, puisqu’on parlait d’Alien, je ne pouvais pas
ne pas y penser. Le meilleur film de science-fiction que j’ai vu. D’autant plus
remarquable qu’à en juger par le roman dont il est tiré, vague brouillon comme
souvent avec Dick, c’était loin d’être gagné d’avance. Une des réécritures
cinématographiques les plus intelligentes qu’on ait jamais faite d’un roman. Et
quel spectacle époustouflant ! Quel achèvement artistique ! Même la
musique de Vangelis est formidable, pour une fois. À une époque, Scott savait
ce que voulait dire le mot poésie. Evidemment, il a oublié toutes ces balivernes
de jeunesse maintenant qu’il est vieux, riche et célèbre. Mieux vaudrait pour
lui en tout cas oublier sa récente séquelle, même s’il n’en est que le
producteur.
Solaris d’Andreï Tarkovsky : l’autre grand film de
science-fiction du siècle dernier. Tarkovsky est sans égal pour sa façon de
filmer. Une poésie inouïe. Nettement moins convaincant en général dans la
conduite de ses récits. Disons-le franchement : les films de Tarkovsky
sont en moyenne bavards et ennuyeux pour les deux tiers et sublimes pour un
seul tiers. Mais celui-ci est l’exception à la règle (d'une manière générale, ses premiers films sont nettement plus comestibles que ses derniers). Il tient la route dans
l’ensemble, malgré ses rallonges et sa prolixité habituelles, et pour cause, il
est issu d’un des meilleurs romans de SF qui soit. Cela n’empêche pas toutefois
que la version hollywoodienne du roman avec Clooney soit très plate et
complètement à côté de la plaque. J’aurais pu choisir à la place, toujours de l’artiste
russe, Stalker, tiré d’un autre classique
de la SF, pour ses images d’une beauté exceptionnelle, parmi les plus mystérieuses que Tarkovsky ait tournées, mais j’aime trop les
bonnes histoires et de ce point de vue l’adaptation du roman des frères
Strougatsky est un parfait massacre. Un cinéaste comme ce Russe est évidemment
impensable dans le cadre hollywoodien : je crois que si ses films avaient
été reformatés par les studios américains, il n’en serait pas resté un quart
d’heure, pour une durée originale minimale de trois heures.
La Guerre des Mondes de Spielberg : celui-ci n’est pas
du même niveau que les deux derniers mais c’est le meilleur film de SF de ce
siècle en cours (et bien que je ne voie pas beaucoup de films, je regarde à peu
tout ce qui sort dans le domaine de la SF, excepté bien sûr les marvelleries et
autres super-navets). En y réfléchissant un peu, ce doit être l’un des seuls
films qui m’a vraiment impressionné depuis le commencement du nouveau
millénaire. J’en ai vu des assez bons, voire presque bons, mais très peu de marquants. Pourquoi
est-il si bon ? Parce que Spielberg et ses scénaristes ont eu au moins
deux bonnes idées : la première, garder tout ce qui était fort dans le roman de Wells et il y a beaucoup de points forts ; la seconde, changer
ce qui était faible. Pour être précis, l’histoire originale souffre surtout à
mon avis d’être vue par un de ces personnages ennuyeux à mourir qu’on nous
impose généralement dans ce type de récit : à savoir un scientifique ou un
journaliste, un type dans le coup quoi, un initié. Avoir choisi un type lambda, un ouvrier, un
docker, est dix fois plus efficace. Du coup, les événements qui arrivent vous
tombent dessus exactement comme ils tombent sur ce pauvre Ray, sans intermédiaires verbeux et dispensables. Ensuite la
maestria de Spielberg fait son œuvre et comme en plus les acteurs – la fillette
en particulier – sont tous excellents, ça décolle vraiment. Bien entendu, il
reste le dénouement plus qu'improbable de l’histoire. Comment croire que des êtres
capables de surmonter des problèmes scientifiques et technologiques dont nous
sommes bien incapables ignoreraient le danger d’organismes microbiens exogènes ?
Impossible naturellement à moins d’être prêt à croire que Jonas a passé trois
jours dans le ventre du gros poisson avant d’en ressortir (et là bien sûr, nul
ne peut plus rien pour vous). Dans la réalité bien sûr, ce désastreux point de départ donné, le résultat était couru d'avance : notre espèce disparaissait ou se retrouvait encagée dans quelques parcs à thèmes extraterrestres histoire de garder quelques spécimens originaux et de préserver un tantinet le délicat sens de l'éthique des envahisseurs. Spielberg le sait. Wells devait lui aussi le
savoir. Mais il faut croire que personne jusqu'à ce jour n’a trouvé de meilleure justification
pour sauver le happy end.
Amour et Pigeons : aucun rapport cette fois. Il vaut mieux le voir en version originale ("Lyoubov y golouby" en alphabet romanisé), selon moi, même si on ne comprend pas le russe. Je ne pouvais pas ne pas inscrire un film comique dans cette liste car je regarde souvent des films comiques et celui-ci est probablement mon favori. J’aurais sans doute pu choisir un bon De Funès ou un des premiers Naked Gun ("y a-t-il un flic pour sauver la reine ?") ou une des aventures de Chourik pour cette même raison : le génie grimacier et le génie du mime. Amour et Pigeons a en plus un charme rare et le brin de folie. Ce sont des films que je peux regarder dix fois sans me lasser, comme les enfants. A noter que l'auteur du film, Vladimir Menshov, a réalisé un des autres films les plus populaires en Russie (encore actuellement), aussi sérieux qu'Amour et Pigeons est léger, mais tout aussi abouti pour ceux qui aiment les études de moeurs naturalistes (on dirait presque du cinéma français, mais du meilleur), Moscou ne croit pas aux larmes.
Les plus belles années de notre vie de William Wyler : un plus
beaux films de guerre, si on peut dire, que je connaisse. Je ne sais pas comment
les spécialistes décrivent ce genre de films : film de guerre ? film
sentimental ? mélodrame ? tragicomédie ? drame ? étude
psychologique ? La poésie chez Wyler nait de l’extrême précision de ses
scripts, de ses dialogues et de sa direction d’acteurs. Je suppose que les
acteurs d’aujourd’hui adoreraient tourner avec un réalisateur comme Wyler. Sa
capacité à raconter simplement et efficacement des histoires très complexes est
extraordinaire. Il est d’ailleurs aussi bon dans presque tous les genres qu’il
a essayé, même le western, apparemment peu fait pour sa subtilité et son sens
du réalisme, comme il le prouve avec le superbe film Les Grands Espaces.
La vie est belle de Frank Capra : je ne sais pas
si on peut le qualifier de fable tragique tant l’optimisme de Capra semble
antagoniste de l’idée de tragédie même. Tout le sujet des films de Capra, en
tout cas les quatre ou cinq que j’ai pu voir, sont centrés autour du même
thème : la confrontation poignante d’un gentil idéaliste – ils ne le sont
pas tous, loin de là – avec tous les cyniques et les corrompus, innombrables, de
ce monde, puis la victoire finale (et improbable) du premier, non sans avoir encaissé bien des
coups avant. Et personne ne traite mieux cette problématique que lui dans
l’univers du cinéma. Pas étonnant qu’il ait choisi James Stewart et Gary Cooper
pour acteurs fétiches, tant leurs visages incarnent la droiture morale, la
naïveté, la bonne volonté. Autant je comprends l’échec commercial d’un film
comme La Nuit Du Chasseur, autant cela paraît mystérieux dans ce cas. Pourtant
il bénéficie comme souvent avec Capra d’une fin heureuse. Peut-être que le
public est sorti avant la fin. Sinon, je ne vois pas. À la réflexion, j’aurais
pu choisir L’homme de la Rue avec
Gary Cooper, plus réaliste, plus mélancolique aussi.
Yojimbo de Kurozawa : c’est le film qui a inspiré très étroitement Pour une poignée de dollars, le western qui a rendu célèbre Léone et Eastwood. Le film original est à peu près cinq fois mieux bien que la version spaghetti ne démérite pas, loin de là. Mais il est impossible d’imaginer la force comique et la poésie débridée du film original en voyant ce remake. Toshiro Mifune est génial en samouraï psychopathe (son jeu est si allumé et fantasque qu’on dirait qu’il a regardé avant Mitchum jouer le faux pasteur dans le film de Laughton). C’est mon préféré du cinéaste japonais. Mais de Kurosawa, je n’ai en fait que des bons souvenirs : j’aurais pu ainsi choisir Ran, l’excellente adaptation du roi Lear de Shakespeare ou la superbe ode à la nature Derzou Ouzala où l’on assiste à la lutte pour la survie de l’homme civilisé face à la nature puis à la lutte pour la survie de l’homme de la nature face à la société moderne. Ce dernier film me fait à chaque fois penser au destin tragique d’André Cognat, qui, abandonnant métier, famille, amis, pays, partit un jour, sans filet de secours, pour l’Amazonie, la Guyane, où il vécut vingt ans avec femme et enfants dans un village indien perdu au milieu de la forêt. Puis au bout de vingt ans, lui qui a tout quitté par rejet de la société occidentale, s’aperçoit que les siens, amis, femme, enfants, n’ont pas de plus grand désir que d’appartenir à cette société qu’il a fui : avoir une télé, des vêtements, des baskets, aller en ville faire du shopping… Et du coup, parce qu’il s’est engagé au plus profond de son âme, il ne lui reste pas d’autre choix que d’aider et guider ceux qui sont devenus son peuple à s’intégrer à cette civilisation à laquelle il avait cru un jour échapper. Une histoire terrible et emblématique qui mériterait à coup sûr d’être (re) filmée puisque les deux documentaires consacrés à cet homme hors du commun sont devenus pratiquement invisibles. Mais pour ça, il faudrait sans doute un nouveau Kurozawa.
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