À
en juger par la pochette, très belle, les Besnard Lakes sont
parfaitement conscients du côté impressionniste de leur musique, et
semblent même vouloir l'accuser ici. Le titre de cet album en fournit un
autre indice. Pour de la musique pop/rock, c'est assez audacieux
comme positionnement je trouve, et à coup sûr original. On aurait
peut-être été moins surpris si cela venait d'un groupe français,
étant donnés nos glorieux ancêtres. En réalité, la musique
impressionniste a toujours plu et inspiré les Anglo-Saxons
(et les Russes, mais là il s'agit plutôt d'un prêté pour un
rendu) ; il suffit
d'écouter les musiques d'une grande partie des films américains. De
plus, ils ont eu de grands compositeurs impressionnistes, Holst pour
ne citer que lui, ayant même réalisé un des chefs-d’œuvre du
genre avec ses Planètes. Néanmoins, on peut se demander pourquoi ce
doit être un groupe canadien qui produise le plus bel album
impressionniste de la musique pop/rock jusqu'à ce jour. Pourquoi pas
un groupe français ?
Bien
sûr, je fais semblant de me poser la question. Je sais pertinemment
la réponse. Le Canada, un petit pays en terme de population peut se
prévaloir de groupes tels que The Besnard Lakes, Patrick Watson and
the Wooden Arms, Godspeed You Black Emperor, Black Mountain, voire
Arcade Fire pour leur premier album : rien qu'à eux cinq, on a
là au moins dix des cent meilleurs albums pop/rock
parus depuis le début de
ce siècle. Et quoi du côté français ?… Même la Belgique,
pays aussi ridicule pour la grande France que le Canada l'est pour
son voisin du sud, fait mieux sans peine. Ce n'est pas faute d'avoir
des talents dans ce pays, c'est faute de soutien envers eux ;
c'est probablement faute de savoir même les repérer. Quand on pense
à l'intérêt qu'un groupe aussi talentueux que Jack The Ripper et
son avatar The Fitzcarldo Sessions a suscité dans la critique
française, intérêt qui a rapidement pris la forme d'un enterrement
tout vif,
il ne faut pas s'étonner que les germes les plus prometteurs aient
du mal à lever très
haut. La
différence tient au traitement qu'on accorde ici ou ailleurs au
talent, à l'art vraiment accompli. La Grande-Bretagne, pays très
comparable au nôtre en termes de population et niveau de vie, offre
une comparaison encore plus terrible pour la France. Où diable sont
passés tous les talents dans ce pays ? Jack de Ripper,
puisqu'on parlait de lui, a déjà disparu dans l'indifférence
générale. La langue n'a rien à y voir ; on est loin du temps
des yéyés. Les groupes ou musiciens connaissant le succès à
l'étranger chantent (enfin si on ose dire) en anglais. Ils sont tous
médiocres ou surfaits. Les vrais talents restent dans l'ombre. Les
effets de mode et d'engouements irrationnels ont lieu partout, mais
en France au lieu que la critique serve à éclairer et à trier ce
qui vaut vraiment la peine, elle sert
pour l'essentiel à alimenter les grosses machines à rave-party.
Même la critique de rock indé, qu'on pourrait croire pourtant
soucieuse de découvrir
les nouveaux talents préfère
mettre
au pinacle des chanteuses (enfin si j'ose dire) du calibre de
Charlotte Gainsbourg. Outre que cela a un vieil air de népotisme,
comment voulez-vous après ça que les gens qui ont des oreilles vous
prennent encore au sérieux ?
Après
cette plutôt longue digression, j'en conviens, retournons à cette
merveilleuse musique venue d'ailleurs.
De tous les albums impressionnistes des Besnard Lakes, celui-ci est
le plus impressionniste. Il y a donc beaucoup de nébulosités, de
nappes liquides (à commencer par le nom du groupe), de cieux stratosphériques (And Her Eyes were painted in gold) de
brouillards fantomatiques (The Specter), de lieux ou personnages
mystérieux et sûrement exotiques (Alamogordo). C'est de
l'impressionnisme au sens premier. C'est du très bel ouvrage, fait
par des musiciens visiblement parvenus au sommet de leur art, ou plus
très loin. Précédemment, ils avaient déjà réussi de très
belles choses, mais aussi de nettement moins bonnes et d'une façon
générale, semblaient hésitants entre plusieurs styles (l'un d'eux
étant le shoe-gazing, voire le noise, ce qui n'est pas une très
bonne idée quand on possède un talent et
des oreilles aussi
délicats
que ceux
de Jace Lasek). Cette fois, on a vraiment le sentiment qu'ils y sont.
Oh, certes, je peux trouver un ou deux défauts dans cet album, un ou
deux titres qui ont visiblement été édulcorés pour passer sur les
ondes amerloques
ou sur Youtube (quoique je ne sois pas sûr que le public d'internet
apprécie particulièrement ce genre de gâteries). Il y a aussi la
chanteuse Olga qui
me convainc nettement moins que son mari. Le couple opérant dans le
même groupe semble en effet devenu
une spécialité
canadienne, parfois pour
le meilleur (Black
Mountain, Arcade Fire) ; ce n'est pas le cas ici. Mais bon
difficile de virer sa propre femme, ou de lui couper le micro chant.
Elle n'est d'ailleurs pas mauvaise, juste pas tout à fait au niveau.
Bon, j'aurais tendance à dire que l'intérêt supérieur du groupe
voudrait qu'elle se concentrât uniquement sur sa basse et éventuellement sur les
chœurs.
En
réalité, devant l'ampleur du souffle déployé ici et la beauté de
l'ensemble, ces petits défauts sont presque — mais pas tout à
fait — des mesquineries de ma part. Et ce mystérieux Alamogordo
est un parfait bouquet final au voyage.
And her eyes were painted in gold sur Youtube
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Pour recevoir les réponses à votre commentaire dans votre boîte mail, cliquez sur "m'informer"