vendredi 23 février 2024

Histoire du Grand Empire Américain II : pourquoi l’Empire a perdu contre la Russie

       C’est une des questions qui nous est le plus souvent posée. Pourquoi l’Empire, dans toute sa splendeur et sa grandeur a finalement perdu militairement et économiquement contre une puissance qualifiée de second ordre, à peine plus grande que les Pays-Bas, pays qu’on aurait du mal à trouver sur une carte ? Naturellement, et comme toujours, la réponse se trouve (presque) entièrement contenue dans la question ou du moins dans son énoncé. L’idée que la Russie était seconde ou dans une catégorie inférieure à l’Empire est fausse. Mais pourquoi cette idée fausse ? À cette question, nous répondrons par la maxime très ancienne de Sun Tze : « si tu veux vaincre ton ennemi, apprend d’abord à le connaître. Et puisque tu ne peux connaître ton ennemi sans te connaître toi-même, commence donc par te connaître toi-même». Bon, Sun Tze n’a peut-être pas dit cela exactement mais il aurait pu. Quoi qu’il en soit, l'Empire n’a rempli aucune de ces deux conditions nécessaires et préalables. Il a donc perdu.    Il a perdu militairement, ce qui est la raison première du démantèlement de l’Empire qui a presque immédiatement suivi, mais il a perdu aussi bien économiquement, 
diplomatiquement et pour finir culturellement.
    Commençons par la première raison : l’incapacité ou le refus de connaître son adversaire. Disons-le tout de suite, il s’agit encore plus d’un refus que d’une incapacité. Et nous verrons plus loin que ce refus peut être logiquement et entièrement prédit par la seconde raison (qui est donc en fait la première, chronologiquement et causalement parlant) : son incapacité ou son refus de se connaître soi-même. Ne pas connaître son adversaire peut avoir deux conséquences opposées : soit vous le sous-estimez soit vous le surestimez. Dans les deux cas, vous donnez à votre adversaire un avantage considérable. Mais dans le cas qui nous occupe, il s’agit évidemment d’une sous-estimation systématique. La Russie était présentée par l’Empire comme faible militairement, économiquement, socialement et culturellement. À l’en croire, la Russie était si faible militairement qu’une petite poussée d’un seul de leur État, le cinquante-deuxième en l’occurrence, cet État disparu corps et biens qu’on appelait l’Ukraine, pouvait suffire à le briser en deux, en quatre, en huit, en seize et de préférence en trente-deux. Si faible économiquement que l’Empire la surnommait « cette station-service déguisée en nation ». Si fragile socialement que la moindre pression suffirait à provoquer un changement de gouvernement, sous-entendu pour un gouvernement plus favorable à l’Empire, que le moindre vent contraire suffirait à le décapiter. Si faible culturellement que la nation russe était référée dans tous leurs films (les Américains ne lisaient pas de textes contenant plus de trois cent signes) comme le pays des Barbares, ce qui aurait pourtant dû leur rappeler le destin romain. Si vous ne connaissez pas votre adversaire, barbare ou pas, vous ne connaissez pas les forces que vous vous apprêtez à combattre. Vous ne pouvez donc ajuster correctement les vôtres. Pire que ça, ne pas connaître son adversaire, c’est la certitude de ne pas s’être préparé convenablement. Quand l’Empire a exécuté son mouvement final qui a déclenché la guerre, c’était déjà trop tard : il n’était prêt ni militairement, ni industriellement, ni même oserons-nous, socialement. Quand il s’est rendu compte de son erreur, il ne pouvait plus rattraper le retard accumulé, on ne remet pas en branle une industrie en quelques mois ou quelques années. Quand la guerre a commencé, la puissance industrielle de la Russie, du moins sur le plan militaire, était déjà deux fois celle de l’Empire au complet, à savoir les USA et ses lamentables acolytes, et l’écart n’a plus cessé de croître.
    Tout à l’inverse, la Russie était prête, bien qu’elle n’ait sûrement pas voulu cette guerre. Pourquoi ? Parce que contrairement à l’Empire, elle n’ignorait rien de son adversaire, l’avait longuement étudié, pratiqué, à tel point qu’elle avait cru un jour pouvoir faire partie de l’Empire ! Depuis des années, comprenant que tout rêve de paix et de concorde générale était accueilli par l’Empire avec un grand NO quand ce n’était pas un ricanement, elle avait conçu, calibré, dimensionné sa force de frappe en fonction des forces de son adversaire prévisible. Elle avait renforcé tous ses secteurs clés en prévision d’une guerre non seulement militaire mais surtout économique : c’est-à-dire son agriculture, son industrie, ses armements spécifiques destinés à contrer la puissance de l’Empire essentiellement aérienne et maritime (l’autre secteur clé, l’énergie, était depuis longtemps acquis, dirons-nous). Elle avait également soigneusement resserré ses liens diplomatiques avec des pays importants et d’une manière générale avec le monde non soumis à l’Empire. À partir de là, et considérant son incapacité à s’adapter à son adversaire, sa sous-estimation grotesque des forces adverses, nous émettons avec une confiance non polluée par le doute cette affirmation audacieuse mais raisonnable, que lorsque l’Empire a poussé son fou ukrainien à attaquer le premier pion russe, c’est-à-dire avant même que la guerre ne commence, la partie était déjà perdue pour lui.
    Et maintenant nous en venons à la seconde cause de l’éviction de l’Empire, qui est donc en réalité, causalement et chronologiquement, la cause première : la méconnaissance de soi-même. L’Empire ne se connaissait pas et ne pouvait donc se remettre en question. C’était une civilisation presque entièrement tournée vers l’illusion et à l’auto-illusionnement, la perpétuelle magnification de soi. Un de ses surnoms mérités est d’ailleurs Le Grand Illusionniste. L’Empire est devenu au cours des décennies, avant toute chose, une machine à propagande d’une puissance inégalée, superbe certes et d’une efficacité incontestable. Le problème est que cette propagande a fort bien marché avant tout… sur lui-même. L’Empire a fini par croire à ses mensonges. Il a cru pouvoir s’abstraire des règles communes, il a cru pouvoir se passer de toutes règles en vérité. Il a fini par croire en sa supériorité intrinsèque, non seulement sur le plan de la puissance brute dirons-nous, mais aussi et surtout sur le plan moral (et là c’est une maladie plus grave).
    Arrivé à son stade terminal, l’Empire était devenu incapable de voir l’évidence, l’éléphant au milieu du couloir, tellement sa propre propagande s’interposait continuellement entre la réalité et ses yeux, lui montrant à la place une fantaisie de son choix, rose, fraîche et blonde. Il est typique que le génocide commis par son cinquante et unième État — un État disparu du nom d’Israël — envers les Palestiniens devant les yeux effarés du monde entier, c’est-à-dire le monde entier moins l’Empire, ne l’a nullement empêché de se sentir juste, bon et vertueux. La déliquescence, la pourriture, la métastase cancéreuse étaient partout, répandant leur odeur nauséabonde dans tout l’Empire, évidente pour tout le monde sauf le malade.
    L’autodestruction de l’empire a été un immense soulagement pour le reste du monde, qui contenait la grande majorité de l’humanité. Il n’y a pas eu besoin de guerre cette fois, de barbares féroces venus de l’Est. La sclérose est devenue telle, la pourriture a atteint un point tel que l’Empire s’est désagrégé de lui-même, comme une momie restée trop longtemps au jour, progressivement, inéluctablement, dans l’isolement et l’indifférence générale.
   Si nous étions moins impartial, nous dirions que c’est bien mérité. Mais il est tout à fait possible, croyons-nous, que certains membres de l’Empire se voient encore aujourd’hui comme les maîtres des terres et des cieux, un peu comme ce vieux pape dont nous avons oublié le nom, rôdant dans les ruines du Vatican, fou, solitaire et moribond, parlant aux choucas et aux pierres comme s’il prêchait devant des millions de fidèles.

Pour commémorer le centenaire de la libération du Donbass, le 24 février 2124.

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