lundi 13 octobre 2025

Europe : le suicide économique comme une forme des Beaux-Arts

 

Rassurez les petits enfants, c'est une vision du passé... en Europe
(une des nombreuses usines d'Uralchem). 


En fait le suicide en cours n’est pas seulement cantonné à l’économie, loin de là, mais pour cet article je vais m’en tenir à ce domaine. Notez bien que le suicidaire ignore qu’il est en train de se suicider, sa tête étant farcie de fariboles sur à peu près tous les sujets d’importance ; non, le suicidaire croit agir pour la démocratie, pour les droits de l’homme, pour l’égalité, pour la liberté, pour la progrès, pour le climat, pour la planète et surtout pour sa vertu sans égale qui mérite bien tous les sacrifices du monde.

Et pour tuer efficacement une économie, on doit d’abord s’attaquer à sa source, son énergie. Commençons donc par l’éléphant dans la pièce. Quelqu’un a dit que l’économie n’était rien d’autre que de l’énergie transformée. Apparemment, cette maxime de bon sens n’a pas bien pénétré jusqu’aux augustes cerveaux des "leaders" européens (avec quelques exceptions mais ils comptent pour du beurre comme Orban ou Fitso). Le fait est que la précarité énergétique de l’Europe avait déjà été bien amorcée avec la politique verte du zéro carbone et du zéro nucléaire, poursuivie avec un zèle forcené, en particulier chez nos voisins d’outre-Rhin. Toutefois, ce n’est que peu de chose comparé à la coupure d’avec les gazoducs russes (en fait russo-allemands pour ce qui est des Nord-Stream I et II). On peut en effet sans crainte affirmer que Nord Stream I et II étaient l’actif le plus stratégique pour l’économie de l’Allemagne. Et quand l’économie de l’Allemagne ne gaze pas, c’est l’économie de l’Europe entière qui prend l’eau.

La séparation d’avec le gaz bon marché et fiable de Russie a eu lieu en plusieurs étapes. Je ne vais pas revenir sur l’explosion des Nord-Streams qui a autant à voir avec des pieds nickelés ukrainiens que la grippe espagnole a à voir avec l’Espagne. Il faut néanmoins comprendre une chose importante : si les "leaders" de l’UE font de grandes déclarations martiales contre le gaz (et le pétrole) Russe, ils sont beaucoup moins pressés dans les actes, conscients que cela pourrait être un cas de suicide flagrant, et que les populations ne sont peut-être pas prêtes encore à ce grand sacrifice pour le bonheur des petits oiseaux et de nos amis les loups ; c’est donc pour cette raison que l’ami américain, toujours prêt à rendre service à son prochain, a donné un coup de main et pressé la gâchette à la place du volontaire pour l’euthanasie. Actuellement, après l’arrêt, cette fois par les kiéviens, du gazoduc qui traverse l’Ukraine, il ne reste plus que le tuyau passant par la Turquie, un petit robinet comparé aux autres. On peut penser que même les bonnes relations d’Erdogan avec les US n’empêcheront pas ces derniers de concocter quelque explosion de ce côté, sans doute avec le concours de leurs âmes damnées de Kiev.

Le renchérissement abrupt du prix du gaz, et donc de l’électricité, a eu des répercussions presque immédiates sur l’Europe dans son ensemble et tout spécialement sur l’industrie germanique. Voyons les secteurs les plus touchés :

- Le secteur de la pétrochimie, un secteur peu glamour mais d’importance considérable pour une économie développée, fort logiquement a été le premier à mettre la clef sous la porte. L’image est à peine exagérée. Les plus grosses entreprises délocalisent, "restructurent" ou licencient à tour de bras, les plus petites disparaissent ou en fait ont déjà disparu. C’est probablement le secteur le plus gourmand en énergie. BASF, Solvay, Ineos, Sasol, Huntsman, Venator, Vivergo parmi d’autres ont déjà annoncé ou achevé la fermeture d’usines en Allemagne surtout et quelques-unes en France ou en Angleterre. Ce sont toutes des multinationales qui ont des usines dans le monde entier mais la tendance est très nette : elles ferment et licencient à tour de bras en Europe en espérant que celles situées aux USA et en Asie du Sud-Est les maintiennent à flot. Quant aux fameuses "restructurations", comme celle très publicisée de BASF (plus grosse entreprise pétrochimique mondiale, du moins à l’époque), c’est un mot code des industriels pour dire vente des actifs non rentables (si possible, sinon mise en liquidation) et licenciements à suivre. La raison de tout ça nous est donnée par la victime elle-même, ce qui est bien pratique : le Cefic (un club pour les industriels de la chimie européenne) remarque que le pris du gaz naturel en Europe est (en moyenne je suppose) plus de trois fois plus élevé qu’aux USA. Et ils n’ont pas utilisé les prix russes ou même chinois qui sont encore beaucoup plus bas.

- Le secteur de l’industrie lourde (aciéries en particulier) : ont le choix entre délocaliser et disparaître. Les plus faibles sont déjà liquidées, même pas rachetées, liquidées.

- Fortement lié à l’industrie lourde, le secteur de l’industrie navale civile : ainsi le plus ancien chantier naval d’Allemagne, Pella Sietas, situé à Hambourg, est arrivé cette année au stade du démantèlement final avec vente aux enchères des actifs restants, terrain compris. L’ironie gratinée de la chose est que ce chantier naval a été définitivement coulé par les sanctions prises par l’UE, et donc l’Allemagne, contre les banques russes, en particulier Sberbank, qui se trouvait être le créancier principal de l’entreprise vieille de quatre siècles, lui interdisant ainsi de pouvoir renflouer l’entreprise en faillite. Toujours la même histoire du serpent qui se mord la queue.

- Le secteur de l’automobile. La part du coût de l’énergie étant plus diluée que dans les deux précédents secteurs, l’halali a été un peu plus long à résonner au fond des chaînes d’assemblage. Depuis cette année, tous les groupes allemands sans exception annoncent fermetures d’usines (en Allemagne et en fait partout en Europe (voir Stellantis)) provisoires ou définitives, délocalisations, licenciements massifs. Ce n’est pas une surprise c’était prévu, ici par exemple. Mais tout ne s’est pas déroulé selon le plan (étasunien bien sûr, les Eurozonés n’ont pas de plan) ; en effet il semble que les délocalisés se tournent finalement plutôt vers la Chine que les US. Il est vrai qu’il faudrait une dose de masochisme considérable et tout à fait inhabituelle chez des industriels pour supporter les merveilleux deals successifs de l’illuminé de la Maison Blanche. On doit également signaler en passant la remarquable opération de Renault qui a vu, non seulement son second marché le plus important après la France disparaître en un coup de baquette magique de Von Der Leyen mais en plus a vu ses actifs russes vendus ou plutôt cédés pour un euro (ou rouble) symbolique à des entreprises russes automobiles (comme AVTOVAZ qui produit entre autres les Ladas).

- Le secteur du bois et de tous les produits transformés à base de bois. Très gourmand en énergie et… en bois, et devinez qui a les ressources les plus considérables et les moins onéreuses d’Europe pour la matière première bois : oui, ça commence par un R et ce n’est pas le Royaume-Uni. Ce n’est pas l’Allemagne la plus impactée cette fois mais la Finlande (et IKEA donc le consommateur européen). Comme j’ai déjà consacré tout un article à ce remarquable exemple de sabotage consenti de sa propre économie, je ne vais pas m’attarder.

- L’agriculture. Ce secteur est également bien impacté par les prix de l’énergie : le carburant pour les engins agricoles, les prix des intrants (engrais surtout) ont grimpé en flèches. Mais il y a un autre problème lié à ce secteur en particulier. L’Europe et la France sont presque exactement sur le même créneau que la Russie pour les exportations de produits agricoles. Hormis le vin (qui est produit dans les régions sud-ouest de la Russie mais très peu exporté), presque tous les autres produits sont en concurrence avec la Russie sur le marché mondial : grandes céréales hormis riz, colza, tournesol, soja (exportations russes en forte hausse), cochon, volailles, lait, œufs. Or, si vous bénéficiez de coûts d’exploitation nettement moindres grâce à des prix d’engrais et de carburant bien inférieurs, il n’y a pas besoin de sortir de Saint-Cyr, ou plutôt de l’INRAE, pour deviner que vous allez avoir de gros avantages concurrentiels. Et c’est ce qu’on constate : les anciens pays importateurs de produits agricoles estampillés UE, dont le fer de lance était la France, se tournent de plus en plus vers d’autres marchés et en premier lieu vers la Russie : voir l’Égypte, la Turquie, l’Algérie, tous grands importateurs de céréales en particulier, sans même parler évidemment de la Chine ou des pays du Sahel francophone. Notez encore que si des considérations politiques sont avancées par les leaders dans certains cas, ce n’est jamais la raison majeure mais toujours le prix : un politicien est toujours plus pragmatique quand il s’agit de nourrir sa population.

- Enfin, de manière plus anecdotique mais archétypique, on peut rajouter le secteur des batteries, qui est littéralement en train de disparaître d’Europe. BASF s’est déjà débarrassé de son secteur batteries et qui n’a pas entendu parler du destin aussi glorieux que fulgurant de Northvolt (Suède).

Il faut aussi noter que ces hausses de prix du gaz et de l’électricité sont durables et ne peuvent en fait qu’empirer (en moyenne) sur le long terme. Il n’y a en effet aucune solution de remplacement dans les quantités nécessaires. Le GNL sera toujours beaucoup plus cher que du gaz envoyé par tuyau : pourquoi pensez-vous que les Russes et les Chinois viennent de signer un accord pour la construction d’un immense gazoduc allant du nord de l’Oural au nord de la Chine ? Pour espérer diminuer quelque peu la note très salée du GNL, il faudrait que les pays de l’UE se décident à exploiter leurs gisements de gaz non conventionnels (de schiste ou autre) et en plus en aient les moyens. Y croyez-vous ? Pas moi. Ou alors aux calendes grecques.

Je viens de faire une liste non exhaustive de secteurs économiques européens qui ont été directement frappés par les sanctions antirusses concernant l’énergie mais d’autres effets plus indirects des sanctions se sont révélés au fil des mois et des années. Et bien que ces effets soient indirects, ils étaient parfaitement prévisibles pour un stratège du niveau certificat d’études.

- les compagnies aériennes : dans ce cas, ce n’est pas tant la hausse des coûts en carburant que le fait de ne plus pouvoir survoler la Russie qui les pénalise lourdement. Quand les Européens, après les US, ont décidé de ferme leur espace aérien à toutes les compagnies russes (et biélorusses), ils n’avaient évidemment pas songé que la Russie leur retournerait la politesse ; non, c’est très au-dessus de leur niveau. Et bien sûr, ils n’ont jamais regardé une mappemonde : c’est grand la Russie ! Ils ne pouvaient deviner que cela rajouterait des heures de vol pour un vol Paris-Tokyo ou pire un vol Helsinki-Pékin (ou comment transformer une ligne droite en demi-cercle) et renchériraient d’autant les coûts de leurs compagnies aériennes nationales. Toutes les compagnies européennes, hormis les low cost qui suppriment purement et simplement les destinations devenues non compétitives, sont en train de perdre de l’argent à la même vitesse que les compagnies chinoises ou extrême-orientales (minus les deux laquais du soleil levant) en gagnent, puisqu’elles continuent à survoler la Russie. Remarquons en passant que la mesure, poussée comme toujours par l’oncle Sam, est moins handicapante pour les USA, de par leur position géographique. Hé oui, c’est de la géopolitique à la portée d’un élève d’école primaire !

- L’aviation civile : l’effet cette fois est plus positif que négatif et se verra probablement sur le long, voire très long terme dans toute sa splendeur. Plus positif, oui, mais pour la Russie (et sans doute pour la Chine mais avec du retard). Comme vous le savez sans doute, l’UE après les USA a interdit toute importation d’avions civils et des innombrables pièces qui les composent vers la Russie. Cela paraissait une bonne idée sur le papier puisque les avions civils de marque russe (il y en a beaucoup) volaient (et volent encore aujourd’hui mais plus pour longtemps) avec des moteurs crées en joint-venture avec des entreprises françaises comme SAFRAN ou bien anglo-saxonnes. Le but était donc de clouer au sol tous les avions russes qu’ils soient des Boeing, Airbus, Tupoleff, Sukhoï, Yakovleff ou encore Iliouchine. Bon plan n’est-ce pas ? Eh bien pas tant que ça. À court et moyen termes, ce boycott a certainement handicapé l’aviation civile russe en faisant grimper les prix des pièces de rechange puisqu’il faut les acheter par l’intermédiaire de pays tiers qui prennent évidemment leur commission au passage. Mais à long terme, le calcul risque d’être terrible pour le duopole Airbus/Boeing. Le diable se niche dans les détails, dit-on. Et le petit détail que les génies de l’UE ou des US ont oublié, c’est que l’aéronautique est une spécialité incontestable des Russes. Si les Russes avaient abandonné ou disons mis au frigo leurs projets les plus ambitieux dans ce domaine durant les décennies 90 et 00, c’est juste qu’il était moins cher, plus simple et surtout moins risqué de se fournir chez Airbus ou Boeing. Concurrencer des marques aussi bien établies n’est pas une mince affaire. Aucune entreprise et pas même l’état russe n’avait jusqu’ici envie de relever le défi, du moins pas sérieusement. L’aviation civile suit des lois différentes de l’aviation militaire ; un chasseur ou un bombardier peut être moins fiable, plus coûteux à entretenir, plus gourmand en carburant et d’une manière général moins performant et pourtant se vendre… au moins dans son pays d’origine ; ce n’est pas possible pour des avions de ligne. Même vos propres compagnies aériennes n’en voudraient pas et avec raison car elles seraient coulées financièrement et réputationnellement (non, ce n’est pas dans le dico me dit Word mais on s’en fiche, hein). La puissance d’investissement nécessaire pour créer votre propre avion et le risque de perdre cet investissement sont considérables. Mais la Russie de 2022 et en fait de 2015 déjà a cet capacité d’investissement. Elle a aussi le savoir technologique, au moins égal en la matière avec nous autres. Ce qui lui manquait, c’était la motivation, la volonté de prendre ce risque. Eh bien avec cette sanction, on lui a fourni juste ce dont elle manquait. Dans les années à venir, pas dix ans hein, l’an prochain, deux ans au plus, les compagnies russes et biélorusses pour commencer vont acheter massivement les nouveaux avions mis au point depuis 2022 (en fait cela a commencé avant mais 2022 a été un gros coup d’accélérateur pour ce projet). Les tests sont pratiquement terminés et la construction en série de certains modèle a déjà débuté. Dans un premier temps, il s’agira de remplacer la flotte des Boeing et des Airbus vieillissants de leurs compagnies nationales mais on peut raisonnablement penser, sauf accident(s), qu’une fois que les avions auront fait leurs preuves, il y aura de nombreux clients du côté des pays d’Asie centrale, voire d’Asie orientale, possiblement de l’Afrique et de l’Amérique latine. Car je peux déjà vous annoncer un scoop : à performances égales ou légèrement supérieures, au moins sur le plan de leur consommation en carburant, ils seront nettement moins chers.

(Petite digression pour finir mais à peine : la Chine a aussi de grands projets dans ce secteur pour casser le duopole Airbus/Boeing. Elle a choisi une autre voie que la Russie. Au lieu de concevoir des avions entièrement domestiques comme cette dernière, elle importe de nombreuses pièces des USA et d’Europe. Ainsi le moteur et les principaux systèmes avioniques des COMAC 919 et 929 dont on cause pas mal dans les médias sont étasuniens et français. Cela paraissait raisonnable dans la situation de la Chine qui n’avait pas des rapports aussi conflictuels avec l’Occident que la Russie (même si la guerre économique contre le géant industriel asiatique a en fait commencé il y a déjà une décennie, sous Saint Obama). Mais la stratégie a ses risques et la Chine commence à s’en apercevoir. En effet, cette année, les USA ont décidé d’interdire toute importation vers la Chine de moteurs et autres systèmes habituellement fournis aux Chinois pour leurs COMACS. Et les moteurs des COMAC sont justement une joint-venture entre une entreprise française et une entreprise étasunienne (mais les étasuniens ne demanderont évidemment pas leur avis aux français et n’en ont pas besoin puisque les Français n’ont plus d’autre avis que celui de leur maître). Il est très peu probable que cette politique des USA change dans les prochaines années, au contraire, on voit qu’ils cherchent sans cesse l’escalade. Les Chinois se retrouvent donc avec une épée de Damoclès suspendue au-dessus de leurs avions civils tout neufs. Ils n’ont en fait que deux options : suivre l’exemple russe et créer un avion entièrement domestique (et donc indépendants des pressions étasuniennes) mais cela va repousser l’arrivée du COMAC sur le marché loin dans le futur ou bien convaincre les Russes de leur fournir les moteurs et autres pièces manquantes dès l’an prochain, ce qui n’est pas non plus gagné, vu que les Russes vont se servir d’abord eux-mêmes).

Avant de conclure ce bref exposé de la situation, je vais revenir plus en détail sur le secteur des engrais, qui n’est pas un secteur mineur de l’économie, puisqu’il détermine pour une bonne partie la récolte de l’agriculteur (oubliez un instant les contes bio pour petits enfants, très bien pour votre jardin, pas pour nourrir la population mondiale). Il faut d’abord remarquer que les engrais sont un des rares produits industriels synthétisés à partir de gaz naturel (contrairement au pétrole qui rentre dans la composition d’une foultitude de produits) Tous engrais compris, la Russie est le plus grand exportateur mondial. Pour vous donner une petite idée du marché, son premier client à lui seul, le Brésil, lui a rapporté plus de 4 milliards de dollars l’an passé (à noter que les USA se classaient toujours 4ème dans ce classement !). La production d’engrais de la Russie a exactement doublé entre 2008 et 2025 (selon les dernières estimations, la production russe et donc ses exportations prévisibles étant toujours en hausse). Le coût de la production d’engrais est lié pour une très grande part au gaz naturel puisqu’ils en découlent directement. En effet, pour prendre l’exemple des engrais nitratés, les plus importants en volume, ceux-ci sont fabriqués pour H par craquage du méthane tandis que le N s’obtient beaucoup plus facilement grâce à un produit en abondance de stock et en principe encore gratuit… l’air de cette planète. Donc le coût d’un engrais azoté est presque entièrement déterminé par le coût de craquage du méthane et donc par le prix du gaz naturel (80 % du coût des engrais nitratés). Il est donc très facile de comprendre pourquoi la Russie est idéalement placée sur ce marché, et pourquoi l’Europe, depuis quelques années, par un hasard étonnant, voit ses coûts de production flamber, rendant la production d’engrais maintenant impossible en pratique sauf massives subventions (mais en a-t-on encore les moyens ?... Les Allemands ont déjà répondu : c’est Nein). Le problème (pour l’habitant russe moyen) qui pourrait découler du fait que les engrais russes sont si demandés dans le monde est la hausse des prix induite. En effet, vous savez que plus un produit est demandé, plus son prix monte. Et comme les productions agriculturales continuent à augmenter de quelques pourcents par an au niveau mondial, la demande continue elle aussi de grimper. Alors comment font les Russes pour garder des prix modérés qui permettent à leur tour à leurs agriculteurs d’être très compétitifs sur le marché mondial ? Eh bien, c’est simple mais horrible à entendre pour un zélote de la main invisible du marché, l’état bloque les prix pour le marché domestique. En pratique comment cela fonctionne ? toujours très simplement : chaque producteur d’engrais russe est tenu d’abord de vendre un certain volume de sa production sur le marché intérieur selon un prix négocié avec l’état puis il est libre de vendre le restant sur le marché mondial au prix qu’il veut (selon les lois ordinaires de la libre concurrence). Or, en général, les exportations d’engrais russes représentent 70 % de la production : on voit donc que le producteur a largement de quoi se rattraper sur les Brésiliens, les Indiens, les Chinois, les Étasuniens, les Turcs, les Égyptiens, les Éthiopiens, les Algériens, les Indonésiens, Les Vietnamiens, les Laotiens, Les Guatémaltèques, les Burkinabés, les Malais, les Papous et me dit-on… une peuplade d’Eurasie extrême-occidentale en voie de tiermondisation, les Fran… Franciques… François… Français.

Ma conclusion serra celle-ci : ce qui marche indubitablement en Russie, maintenant, est un mélange bien dosé d’économie libérale (au sens anglo-saxon du terme, les Français ignorant dans la pratique ce que cela veut dire) et d’économie étatique (cela, les Français devraient le comprendre mieux que beaucoup d’autres). Tout le secteur de l’énergie est en Russie sous contrôle ou possession directe de l’état. Mais pas seulement. Le secteur de l’armée est un des monopoles naturels de l’état (cela vaut mieux si vous ne voulez pas arriver à des aberrations comme le système mic étasunien qui fabrique, blanchit et recycle maintenant plus d’argent que d’armes). Le secteur des transports, y compris spatiaux, et pas uniquement à des fins militaires, est aussi contrôlé en grande part par l’état. Mais aussi le secteur des télécommunications. Mais encore le secteur bancaire, du moins pour les plus grosses banques type Sberbank. Remarquez que rien de tout cela ne doit choquer un Français. Sans être particulièrement féru d’Histoire, vous devez savoir que tout cela se faisait dans notre pays il y a en fait encore peu, jusqu’à ce que Mitterrand puis Chirac commencent la « libéralisation » de ces secteurs, c’est-à-dire en bon français, la vente à bon marché aux copains. Savez-vous que BNP était une banque essentiellement contrôlée par l’état jusque dans les années 80 ? Savez-vous que SAFRAN vient de la SNECMA, entreprise d’état, qu’Alstom vient d’une autre entreprise d’état, la CGE (Compagnie générale d’Electricité), que France Telecom, Renault ou l’ancêtre de Framatome/Areva, le CEA, sont ou étaient des entreprises publiques ? Eh bien, d’après vous, c’était mieux avant ou après ?


samedi 13 septembre 2025

Le Dogme Hasard comme principe scientifique

 « On trouve 3 douzaines de briques empilées  dans la jungle (Ou les mégalithes de Stonehenge  si on veut montrer qu’on a voyagé.) et on passe  pour un imbécile  si on croit que c’est  le fruit du hasard. On trouve 3 milliards de cellules organisées pour opérer l’acte de vision  ou de digérer ou  de se questionner sur leur origine et on passe pour un imbécile si on ne croit pas que c’est le fruit du hasard »

Alfred Kastler

 

    La science moderne, académique et enseignée dans toutes les bonnes écoles occidentales depuis au moins un siècle, admet tacitement et parfois textuellement comme principe indiscutable ou/et comme fait avéré que la vie est le fruit du hasard. En réalité, depuis la nuit des temps, ou disons depuis que l’Homme est l’Homme, il y a deux hypothèses concurrentes pour expliquer l’origine de la vie : le hasard ou un créateur. Toutes les autres hypothèses sont en réalité des variantes de l’une des deux. Ainsi l’hypothèse des multivers n’est qu’un énième avatar très imaginatif de l’hypothèse du hasard.

Mais l’hypothèse adverse et traditionnelle, celle du créateur, a été de nos jours nullifiée sous prétexte qu’elle ne serait pas scientifique. L’idée derrière est que puisqu’on ne peut prouver que ce créateur — Dieu pour parler simplement — n’existe pas, l’hypothèse n’est donc pas réfutable et seules les hypothèses réfutables sont scientifiques. Bon, admettons, mais en quoi alors l’hypothèse du hasard serait plus scientifique ? Peut-on prouver que le hasard n’existe pas ? Non, pas davantage.

On pourrait aussi dire qu’il n’est aucun besoin de ces deux hypothèses pour faire de la science et ce serait vrai. Néanmoins dans la pratique, on ne cesse de faire cette hypothèse plus ou moins implicitement que le monde et la vie sont nés du seul hasard. Quand on étudie l’origine de la vie, on ne doute pas un seul instant que les atomes se sont rencontrés au petit bonheur la chance, puis que les molécules se sont formées par hasard et que ces rencontre et transformations fortuites ont fini par donner les premières formes de vie, même si on n’a pas l’ombre d’une idée du processus qui fait passer de molécules dites organiques à une cellule vivante. Ainsi d’un univers désordonné, on serait arrivé à ce phénomène hautement ordonné qu’est la vie et ceci par hasard. Ce n’est ni logique ni raisonnable d’en arriver à cette conclusion qui ne suit guère le principe de parcimonie d’Ockham, c’est le moins qu’on puisse dire. En fait vous l’avez compris, l’hypothèse du hasard à l’origine de toutes choses n’est pas une hypothèse dans nos sociétés occidentales mais un dogme absolu. Exactement comme il y a eu des dogmes théocratiques à des époques antérieures, nous sommes maintenant sous l’emprise toute puissante de dogmes athées qui n’ont pas plus de fondement scientifique que les précédents. On pourrait résumer l’évolution de notre pensée en disant que c’est le monde du Rien qui succède au monde du Tout.

Bien que la science puisse très bien se passer de ces hypothèses, il ne faudrait pas croire que ce dogme n’est pas un obstacle à son avancement. Les dogmes, quels qu’ils soient, sont toujours, non pas des remparts pour préserver la vérité mais des défenses d’y pénétrer. Cela signifie dans la pratique, dans le monde réel et non théorique, que si vos découvertes ou recherches laissent à croire que vous vous écartez du dogme, même implicitement, elles doivent être rejetées sans plus d’examen (de procès). Ou bien, s’il n’est pas possible de les éliminer complètement, il faut les tordre jusqu’à ce qu’elles rentrent dans le cadre permis.

L’un des problèmes majeurs auquel a dû faire face le croyant fidèle du nouveau paradigme dès le début est la quantité apparemment infinie d’événements et leur improbabilité non moins infinie pour chacun d’entre eux d’arriver qui aurait finalement conduit à la vie. Et plus la science avance, plus elle révèle de complexités, plus elle révèle d’intrications entre les corps, les particules, plus il devient difficile de le justifier par le simple jeu du hasard.

À une époque pas si lointaine, la réponse la plus typique et standard à cette objection était : « si le monde n’était pas tel qu’il est, nous ne serions pas là pour l’observer, donc nous ne pouvons observer un monde que s’il possède toutes les qualités qui nous émerveillent… à tort ». Cela s’appelle en langue savante le principe anthropique. Notez qu’il s’agit d’une pure tautologie (une façon d’enfoncer très fort une porte ouverte). Il est en effet indiscutable. Mais il est aussi faible, bien faible (c’est d’ailleurs son nom : le principe anthropique faible). Il n’explique rien et ne veut surtout rien expliquer. Par exemple, il ne répond absolument pas à la question de la cause de cette complexité apparemment inaccessible au seul hasard. Le fait, évident en soi, que les propriétés de notre univers sont obligatoires pour permettre notre existence et donc celle d’un observateur n’expliquent en rien comment ces propriétés si pratiques et si nécessaires, toutes nécessaires, ont pu être réunies dans notre univers.

Il a donc fallu chercher une réponse qui soit plus à la hauteur du défi posé et qui rentre dans le cadre du dogme général. Et c’est là qu’on a eu l’idée géniale de ce fameux multivers qui fait les gros titres des journaux et des youtubeurs « sérieux ». Voici le raisonnement : puisqu’il est effectivement très difficile de contrer l’argument de ces nouveaux hérétiques concernant l’improbabilité extrême de notre présence dans cet univers, eh bien avançons l’hypothèse que cet univers improbable est en fait hautement probable et même certain s’il existe une infinité d’univers. Comment cette infinité d’univers est apparue, simultanément ou successivement, peut être laissé à l’imagination de chacun, le but n’étant pas d’expliquer mais de justifier l’extraordinaire improbabilité mathématique que notre monde soit le produit du hasard. Cette idée reprend l’idée ancienne que si un singe ou n’importe quel âne tapait à la machine sans s’arrêter pendant un temps infini, il finirait forcément au moins une fois par écrire la bible, l’œuvre complète de Shakespeare et, j’imagine, celle de la comtesse de Ségur. Ainsi donc sur une infinité d’univers, il doit nécessairement apparaître un jour le nôtre, avec toutes ses lois si bien réglées. Et voilà le tour est joué, question suivante…

Bien entendu, il n’y a pas l’ombre d’une preuve, pas l’ombre d’un indice que ce multivers soit autre chose qu’un fantasme. Et il ne peut pas y en avoir. Ce n’est donc absolument pas une hypothèse scientifique. On peut en effet être certain que cette hypothèse ne fera pas avancer la science d’un iota même si l’humanité devait perdurer un milliard d’année ou même durant l’éternité. Répéter une action ou une parole pendant un temps infini ne la rend pas plus pertinente si elle est stupide. C’est de plus tout le contraire de ce que le principe de parcimonie appelle : toutes choses égales par ailleurs, l’hypothèse la plus probable pour expliquer un phénomène est la plus simple. Ensuite l’affirmation même que de l’infinité sort obligatoirement la bonne pioche est fausse. Bien des ensembles pourtant infinis ne contiennent pas le chiffre 1. Et un livre infini ne contiendrait pas nécessairement le texte que je suis en train de taper.

Enfin, même si on admettait sans autrement discuter l’existence de ce supposé multivers, aurait-on avancé d’un pouce ? Non. Ce n’est qu’une façon particulièrement compliquée et peu scientifique de reculer le problème. Ce problème fondamental : pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

Une autre tentative, plus ancienne et beaucoup mieux conçue, pour balayer l’hypothèse de Dieu est la célèbre théorie de Darwin. Son aura et son emprise sur nombre d’esprits vient d’un glissement subtil et pas toujours noté. Au commencement, la nouvelle théorie de Darwin, née de ses ruminations sur le pont du Beagle se voulait une réponse à certains constats comme les différentes formes de becs des pinsons des différentes îles Galapagos et elle explique en effet de façon convaincante ces différences. Il s’agissait donc à l’origine d’une théorie modeste, de portée très limitée. Mais cela ne suffisait visiblement pas à son auteur qui avait un tour d’esprit philosophique et vous savez que les philosophes ont un goût immodéré pour les généralisations grandioses et universelles. Darwin a donc eu l’idée typiquement philosophique d’étendre sa petite théorie de l’évolution des becs des pinsons des Galapagos à la vie entière, depuis son apparition sous forme de bactérie unicellulaire jusqu’à l’Homme (et pour les Darwiniens les plus convaincus jusqu’à l’Homme à grosse tête qui doit nous remplacer incessamment sous peu). Vous notez le glissement ? Si Darwin avait en effet des indices — certains les qualifient très généreusement de preuves — que des changements comme la forme d’un bec ou la couleur des ailes d’un papillon se passent effectivement selon le modèle proposé par l’Anglais, à savoir par incrémentation successives de mutations aléatoires avantageuses pour son porteur et sélectionnées par l’environnement (c’est-à-dire par la loi de la jungle), il n’en avait aucun(e) pour sa théorie non restreinte et pour tout dire « générale ». Et comme Darwin était tout de même scientifique (en plus d’être philosophe), il en était si bien conscient que pour pallier ce manque, il s’est lancé dans une série de prédictions que l’on découvrirait ceci et cela dans l’avenir proche qui justifieraient sa théorie générale. En fait, on a découvert beaucoup de choses depuis ce jour mais pas du tout ce que prévoyait Darwin. On n’a, par exemple, jamais trouvé les quantités innombrables de chaînons manquants nécessités par son modèle d’évolution par (tout) petits pas. En revanche, on a découvert l’ADN et l’ARN, les protéines, on a commencé à comprendre comment fonctionne les gènes et rien de tout cela ne s’accorde vraiment avec la vision de Darwin. Ce dernier avait l’idée simple et fausse que les gènes et les caractères physiques étaient liés par une bijection : à un gène donné, un caractère donné et un seul ; à un caractère donné, un gène et un seul. Darwin avait l’idée simple et fausse que seuls les gènes déterminent le phénotype (l’ensemble des caractères physiques d’un individu) et que ces caractères ne sont jamais induits par des pressions extérieures, environnementales, bref que ces caractères arrivent toujours par hasard. Aujourd’hui, nous savons qu’il se trompait sur tous ces points. Eh bien, il avait le droit de se tromper, n’est-ce pas, il avait le droit de ne pas tout savoir, comme tout un chacun. La question est : pourquoi nous, Terriens du vingt-et-unième siècle continuons à faire comme si de rien n’était et continuons à enseigner la théorie de Darwin, rebaptisée parfois néodarwinisme, comme si c’était vérité d’Évangile ?

Eh bien justement parce que c’est ça : le dogme hasard est devenu vérité d’Évangile.

Un article de ma part centré plus précisément sur la théorie de Darwin et ses limites : ici.

jeudi 14 août 2025

L'attaque du bébé géant* suivi de la reddition du bébé géant

 



Suivant toujours notre désir d’éduquer le peuple et de lutter contre « l’Empire du Mensonge », nous donnons ici (donner veut dire céder gratuitement) l’entière explication des derniers faits et gestes du bébé géant Trump. Grâce à nos canaux d’information ordinaires et extraordinaires, nous savons en effet non seulement ce qui s’est passé, ce qui se passe mais aussi ce qui va se passer (jusqu’à un horizon des événements généralement estimé de 3 ans dans le futur).

Le danger que représentent les manigances du bébé géant — entre 3 et 17 m de haut selon les témoins — n’est plus à prouver. Ses piétinements, son arrogance juvénile, ses explosions de colère ou de joie malsaine, son incapacité à mesurer sa force ainsi que son ignorance totale du monde extérieur et de ses usages ont déjà provoqué, directement ou indirectement, la destruction de nombreuses villes et même pays entiers. On signale des morts par millions sur son passage, et tout ceci en six mois seulement. Rien ne semble pouvoir l’arrêter, hormis sans doute une bombe atomique mais quel serait l’intérêt de remplacer un fléau par un autre encore plus grand ? Rien ne semble pouvoir l’arrêter excepté un certain M. Poutine.

Witkoff, le représentant officiel préféré du bébé géant, tel le hérault de Galactus, argenté lui aussi mais moins joli, est arrivé dernièrement dans son petit vaisseau à Moscou pour l’avertir de sa destruction imminente. Du mois, c’est ce que les attachés de presse du bébé géant (chacune de ses bottes en contient environ mille) ont raconté. Ces menteurs triés sur le volet ont aussi prétendu qu’un certain habitant de Moscou, professeur de judo dans la vie civile, M. Poutine, aurait aussitôt remis les clés de la ville au hérault et présenté ses offres de service à son maître Gal… Trump. De façon encore plus grotesque, ils ont assuré la main sur le cœur que c’est M. Poutine qui avait demandé un entretien avec le bébé géant. Enfin ils lui ont prêté divers projets plus fantaisistes les uns que les autres.

Nous devons donc ici rectifier quelque peu la « narrative » comme on dit outre-Atlantique.

Naturellement M. Poutine n’a rien demandé de tel. La seule raison pour laquelle Witkoff est venu à Moscou est justement de demander à M. Poutine de cesser de contrarier le bébé géant et de bien vouloir rencontrer son maître G… Trump. Pour ne pas contrarier davantage le bébé géant (et provoquer par là quelques millions de morts de plus) M. Poutine a donc finalement accepté.

Ici nous donnons verbatim l’essence de l’entretien de M. Poutine avec Witkoff (la seule partie substantielle), et nous en profitons pour annoncer que ce sera également la substance de la future réunion entre M. Poutine et le bébé géant qui aura lieu comme chacun sait maintenant chez les esquimos et les ours blancs.

« Écoutez, a dit (et dira) M. Poutine après les cérémonies et bla-bla d’usage, nous savons que vous ne souhaitez pas la paix en Ukraine mais un cessez le feu suivi d’un gel du conflit. Eh bien ça tombe bien car cela nous convient.

« Pour atteindre ce but commun donc, il existe deux scénarios. Dans le scénario A, qui est le plus rapide et le moins douloureux, vous cessez de fournir armes et argent au pouvoir bandériste de Zelensky, vous persuadez vos « amis » européens de faire de même, ce qui ne sera pas trop difficile après deux ou trois bons coups de pied au cul (ils adorent ça). L’armée bandériste se retire de Zaporojia, Hrerson et ce qui leur reste du Donbass. Cela peut se faire en quelques mois. Pour la suite, libre à nous de constituer une zone démilitarisée le long des nouvelles frontières de facto (que vous les reconnaissiez ou non n’a guère d’importance). Nous vous laissons l’initiative pour la suite. Si vous voulez déclarer Victoire, si vous voulez entonner des louanges à la gloire du bébé géant, pas de problème, cher ami, nous ne vous le contesterons pas. Et M. Trump aura son prix Nobel de la paix comme prévu à la fin de l’année.

« Scénario B. Vous ne voulez pas ou ne pouvez pas arrêter de fournir armes et argent pour quelque raison au sous-Reich de Kiev. Alors nous continuons. Nous allons prendre Zaporojia, Hrerson et ce qui reste du Donbass. Cela prendra bien sûr un peu plus de temps de cette façon mais nous ne sommes pas pressés, comme vous avez dû vous en apercevoir. D’autant que tout compte fait, nous continuerons jusqu’à Soumy, Hrarkoff et Dniepropetrovsk, histoire d’agrandir notre zone tampon. Cela vous coûtera d’ici là encore plus d’argent, de temps et rien ne dit que les électeurs du bébé géant trouveront cela à leur goût… Ah, et on me signale qu’il y a une élection par chez vous l’an prochain, comment dites-vous ?... les midterms… Notez bien, cher ami, que le résultat sera presque le même quel que soit le scénario. Bien sûr, vous pourrez toujours alors crier Victoire, créer avec notre concours une zone démilitarisée et envoyer la candidature du bébé géant pour le prix Nobel de la paix mais quelque chose me dit que vous aurez plus de mal à convaincre…

« Les deux scénarios A et B nous conviennent, faites votre choix. »

Voilà ce que M. Poutine a très exactement dit à Witkoff après le bla-bla-bla d’usage et qu’il répétera au bébé géant de vive voix.

Naturellement, ce que M. Poutine sait et ne dit pas (car dans le métier de M. Poutine, il est impossible de dire uniquement et toute la vérité : question de légitime défense nationale) c’est que la future zone démilitarisée ne sera qu’un autre nom pour sa « zone tampon », qui empiètera de facto un peu plus sur la colonie ukrainienne restante. Quant au fait, probable, que les Otasuniens voudront profiter du gel du conflit pour réarmer et réorganiser une armée ukrainienne, M. Poutine en sourit sous sa moustache (qu’il n’a pas) car il sait bien que dans deux, trois, cinq, dix ans, l’Otasunie aura cessé, de facto, d’exister et que le bébé géant sera redevenu minuscule. Ce que M. Poutine ne dit pas non plus, c’est que sur le papier réglant les conditions du cessez-le-feu et autres minutiae, papier que devront signer M. Zelensky (ou un autre gouverneur appointé du sous-Reich) et M. Trump, on aura juste omis de marquer en gros caractères rouges : ACTE DE REDDITION.

*The Attack of the Giant Baby : nouvelle de science-fiction de Kit Reed.

Autres articles de l'auteur traitant de l'Empire ou du bébé géant : ici ou .



samedi 19 juillet 2025

Alien, Jaws, The Thing and other living nightmares

 

The lesser you see, the better the fear effect...


    In all of these outstanding movies, the main theme and powerful engine of the plot is the nightmare monster. Yes, this sort of monster only the dreamer might encounter for real in the deep of his slumber. As a matter of fact, this is primarily a haunted creature for the children’s bad dreams but I don’t exclude that it might also appear in some grown-up’s nightmares. This monster is the scariest of all imaginable monsters because of its ubiquity, its invulnerability and its unadulterated thirst of destruction (in particular human destruction). This monster is always waiting in your back whatever clever schemes you can think of, whatever your physical feats for escaping it. In the end, the dreamer is always the loser. His only way of survive is to wake up.

In the real world, I mean, in the real world of dreams (when you are sleeping), there is no need of a rationale for the presence of this kind of surnatural monster ; the dreamer, especially when young, believes wholeheartidly in it. But that’s another story when you address grown-up and teenager audience, movie-goers for instance. You have to convince them of the reality of the beast. That’s why this genre can only succeed when all the appearances of reality surrounding the creature are proved. Well, in hindsight, the proof turns to be as faked as the monster but for a spectator’s mind and for the time being plunged in the dark room, it is enough. This is why the harsh and grim and rusted Nostromo as a setting is so efficient and why the rude or down-to-earth crew is perfect for this show (when I speak of Alien, it is always the first one by Ridley Scott I consider, the sequels being weaker by an order of magnitude and even by several orders for the very last avatar). When you think of it in retrospect, you can easily spot the phony science that you were given by the wily scenarists but it’s too late, the magic has made its trick ! For instance, still in Alien, there is no way that the face-hugger can pierce the visor of the too curious and too naive astronaut. This kind of visor, for obvious reasons, is almost indestructible and certainly not by some throws of acid. By the way, the sulphuric acid-like-blood is an absolute absurdity, biologically speaking. Is it important ? No. This is a science-fiction film and in science-fiction, the only important word is the latter. All of the features of the monster are uniquely conceived to persuade the viewers of its plausibility, that they are not watching a stupid fantasy story, a children nigtmare. But in reality, this is it, just a children nigthmare thinly disguised in a real serious story. Is it a weakness or a critic ? No, it’s just fine but it’s better if you know it.

In the real world of dreams, these inescapable monsters are, in my knowledge, generally almost indescribable. They are dark, changing, without a clear face. At least, they seem like that in the awakening. If someone asks the dreamer or if the dreamer asks himself what the nightmare monster lookliked, he can only answer with some lovecraftian adjectives of his liking like sinister, atrocious, dreadful, vile, nameless, unspeakable and often slimy. Therefore, a rule of this genre, if we want to succeed, is to hide the monster in the shades of the background the longer you can. That was brought to perfection in Alien since you never see the somewhat disappointing snake-humanoïd creature in its entirety before the last shots, when the film comes to an end (in fact there is another good reason to drown the monster in darkness : hide the puppet’s strings and other special effects). Another rule to add a "turn of the screw" is to set in the plot in the most cloistered scenery. A space ship in the outer space is the absolute cloistering thing, a base in Antarctica is slightly inferior in term of confinement but still very good (in an aside, submarines, bathyscaphes and undersea stations are almost as perfect as space ships in term of confinement but I can’t find a memorable film with a nightmare monster in this context ; well, I gave a cheap tip for future scenarists). Therefore for all these reasons, in my sense, Alien is the ultimate film of nightmare monsters.

In spite of the appearances, Jaws follows the same pattern in its broad lines (I only consider the Spielberg’s film here). The undersea serves as a cover of darkness for the monster, even while it’s hot and sunny everywhere else (of course, the scenery is a seaside resort during the summer season). The contrast between the casual sunny background, the happy vacationners and the unquenchable bloody monster is nevertheless a small feature of originality in this dark genre (now become usual but never as well crafted as in the original). The end departs of the rule of the genre because the monster should never be destructed once and for all : that’s its weakest point. I repeat, in these nightmare monster films, you should only escape of the creature when the dream stops, that is, when the lights come back in the dark room. In this regard, The Thing has the most powerful ending : everybody dies or will soon die. And that’s right : you can’t hope for survival against this sort of monster.

Why ? Why you can’t have a glimmer of hope in this genre ? Because the monster is both a symbol and a reminder. It is the symbol of death, under another disguise than the grim reaper with the black houppelande. And you can’t escape death : this is a fact. Now, I wish to propose my theory on the subject, for the sake of entertainment. As I said, the real root of this genre is the nigtmare monster which populates our dreams, especially when we are young. I believe that some dreams have a powerful function of warning on the dreamer. What’s the warning in this case ? Very simple. The children and the youth in general have the unshakable belief that they will live forever, that they are immortal. And they have this strong conviction because they still know without knowing that they know it that the spirit in them is immortal. The spirit, yes, but not their soul. So it is cautious and advisable for young people to have periodically this sort of brutal reminder.


A true nightmare, in French.

The masters of nightmare : Hodgson and Lovecraft (in French)

A different type of nightmare through madness by Gene Wolfe (in English).



dimanche 6 juillet 2025

L’enfant disparu et retrouvé (le conteur et son lecteur)

 

Un décor de conte typique, mystérieuse pénombre piquetée d'or

    

    Le récit que vous allez lire et qui est l’objet de cet article est un conte, au cadre plutôt traditionnel. La structure d’un conte, traditionnel ou pas, est complètement différente d’un rêve, même mis en mots, comme vous pouvez en trouver un exemple, ici ou . Ses articulations suivent une logique souterraine mais puissante, si puissante qu’en connaissant le premier paragraphe, un lecteur très perspicace pourrait dévider tout le fil jusqu’à la fin de la bobine. Peut-être d’ailleurs — sûrement ! — devinerez-vous la fin avant qu’elle soit terminée, peu importe.
    Cette prévisibilité est souvent tenue par le lecteur adulte moderne grand amateur de "twist", ou le spectateur adulte moderne quand il s’agit d’un film, pour un défaut majeur alors qu’en réalité il s’agit de sa force principale. Les enfants le savent bien qui sont prêts à réécouter ou à revoir ou à relire (cas de plus en plus rare) les mêmes histoires dix fois de suite.
    Ainsi, je peux affirmer ce paradoxe apparent que plus une histoire est surprenante, plus il y a de "suspens" (pour le lecteur adulte occidental moderne) plus elle est mauvaise. Ceci est très facile à expliquer. L’art du conte consiste fondamentalement à nouer les fils d’une intrigue puis à les dénouer. Si la première partie est pour l’auteur un terrain fécond pour créer des événements et des personnages surprenants, la seconde ne l’est certainement pas. En effet, la première détermine absolument la seconde et pourrait-on dire la contient tout entière "sans le savoir". Une autre manière de comprendre ce processus est de dire que lors de la première partie, en particulier la mise en place, l’horizon des possibles pour le créateur est sans limite, de même que la façon de nouer les fils (de l’intrigue) ensemble ; mais une fois que vous avez fait les nœuds, il ne reste plus qu’une façon de les dénouer. Et c’est pourquoi, si le conte est bon, le nouage dure beaucoup plus longtemps que le dénouage. Ou pour le dire autrement, le rythme du dénouage doit être beaucoup plus rapide que le nouage. Notez bien que le conteur habile peut retarder l’inévitable mais il ne peut l’empêcher sinon à commettre les trois péchés majeurs du narrateur : de l’arbitraire, du non-sens, voire du contre-sens et par-dessus le marché, le plus généralement, de l’immoralité. Ainsi donc, on voit que la seconde partie qui contient en principe la chute de l’histoire, n’a certainement pas pour but de surprendre le lecteur (ou le spectateur) comme on le croit trop souvent de nos jours mais d’assouvir en fait les désirs et la soif de vérité qu’il a suscité chez celui-là lors de la première partie. Et voici pourquoi dans notre époque sans déontologie, sans principe et sans repère, on trouve tant de dénouements illogiques, impossibles, absurdes, arbitraires et pour finir immoraux.
    Peut-on imaginer des exceptions à cette règle d’airain que je viens d’énoncer ? En effet, il est théoriquement possible d’inventer une sorte d’énigme dont la résolution elle-même serait une surprise. Toutefois, outre que ce type d’effet ne marche qu’une fois, il est gravement entaché par le fait que le conteur "ment" alors au lecteur en lui celant sciemment des informations essentielles. Les exemples les plus célèbres de ces réussites douteuses sont Le mystère de la chambre jaune de Leroux, La forme de l’épée de Borges, Le meurtre de Roger Ackroyd d’Agatha Christie et en fait une bonne grosse moitié des récits de l’Anglaise. On peut aussi citer dans le genre de la science-fiction Ubik de Dick où le lecteur est maintenu presque tout du long de l’histoire dans l’ignorance que le héros, le narrateur, est mort en cours de route, ce qui provoque effectivement vers la fin un effet de surprise puissant et possiblement délicieux mais de courte durée et à l’arrière-goût très déplaisant quand ce même lecteur, aussi naïf soit-il, commence à réfléchir et à réaliser tous les vices du procédé auquel il a été soumis et que j’ai cités juste un peu plus haut. Notons en passant que c’est le procédé préféré des concocteurs de "narratives" occidentaux actuels, qu’ils œuvrent dans le champ de la politique ou des grands médias : l’oubli volontaire et malicieux (car destiné à tromper) d’un pan de l’histoire, ce qui a pour conséquence dans un premier temps de maintenir leur public dans un état d’agréable hébétude puis dans un second temps, lors de la chute, inévitable, de provoquer un sentiment de stupeur quelque peu outrée de ce même public. Si l’astuce est relativement bégnine de la part des auteurs de fictions littéraires, il est évidement de nature criminelle dans le second cas et devrait figurer dans les livres de Droit dans le chapitre portant sur la haute trahison.
    Pour en revenir au sujet, si malgré ce déterminisme de fer, l’élément de surprise ne disparaît pas totalement dans le conte traditionnel — qui est la base de tous les récits de valeur, que ce soit des nouvelles ou des romans, voire des pièces de théâtre — c’est que l’auteur compétent aménage la trame de son récit de sorte que chaque mouvement des personnages semble autonome et non réglé d’avance par une fatalité surplombante. De même, l’auteur compétent sait faire monter l’attente de l’inévitable, ce que l’on confond trop souvent avec le suspens. Non seulement, le lecteur ou le spectateur, sait au fond de lui ce qui va arriver ensuite dans une bonne histoire, mais il doit le désirer, même s’il devait s’agir de la mort du héros (pour prendre l’exemple de la tragédie). Les éléments de hasard, bien réels, sont utilisés par l’auteur du récit pour créer cette diversité de détails qui suffit à charmer et à surprendre. Mais au-delà de ces infimes variations permises, les loi qui régissent la progression d’un conte sont dures et sans échappatoire, guère moins que celles qui régissent le mouvement des astres.
    Le conte, et donc en fait n’importe quelle histoire digne d’être racontée, est le récit d’un ou plusieurs personnages qui font au moins une fois — cela suffit — le mauvais choix, ouvrent une mauvaise porte, prennent une mauvaise direction. Car si ce n’était pas le cas, il n’y aurait pas d’histoire à raconter (ce fait indéniable explique pourquoi L’Enfer de Dantes est un très bon récit et Le Paradis, un ratage presque complet, ou pour le dire autrement pourquoi l’Enfer de Dantes est le paradis et son Paradis l’enfer du lecteur). Cette mise en branle du récit est le plus généralement attribuée dans le conte, surtout traditionnel, à un antagoniste. Mais ce n’est nullement une nécessité. Par sa faute ou simplement son erreur, le héros et donc le protagoniste principal, peut être le moteur de sa propre "histoire", c’est-à-dire de ses malheurs. Est-ce qu’il y a un antagoniste dans Anna Karénine ? Non. Est-ce qu’il y a un antagoniste dans Œdipe-roi ? Non. Est-ce qu’il y a un antagoniste dans le récit du jardin d’Eden ? Non plus, comme je l’explique ici.
    D’autres types de contes font donc appel à un antagoniste, un "méchant", plus ou moins bien déguisé. Dans les Grandes Espérances de Dickens, le rôle de l’antagoniste est tenu par miss Havisham, et dans une moindre mesure par l’homme de loi Jaggers (bien qu’il n’ait évidemment pas que des mauvais côtés). Dans Pinocchio, ce sont les deux rabatteurs pour l’île aux plaisirs. Dans Moby Dick, l’antagoniste est inversé puisqu’il s’agit clairement d’Achab et non du monstre marin. Il faut en passant noter que cette inversion des rôles attendus par le lecteur, encore rare à l’époque de Melville, est devenue une véritable spécialité de notre époque, plutôt d’ailleurs pour le pire que pour le meilleur (vous savez, ces innombrables thrillers ou autres pièces à suspens où le gentil se révèle à la fin être un méchant, voire le "grand" méchant ; mais comme cela vient surtout d’Hollywood, on peut en déduire qu’il s’agit d’une allégorie, inconsciente ou pas, cherchant à insinuer que le bon, le vertueux, l’Américain, c’est-à-dire bien sûr l’Étasunien, est en fait le grand méchant de l’Histoire, la nôtre).
    Le modèle absolu des antagonistes, leur inspirateur, est bien sûr Satan, le diable, Azazel, Ahriman, Shaïtan, etc. Qu’on y croie ou pas, le personnage est très pratique pour un auteur de contes et il n’est donc pas surprenant qu’on l’y retrouve très souvent, sous un avatar ou un autre. Je ne pense pas faire un grand scoop en disant que Sauron du Seigneur des Anneaux est un de ces avatars, certainement un des plus réussis (honnêtement, je n’ai jamais pu lire le livre jusqu’au bout, et je ne devrais donc pas en parler mais la version cinématographique en donne pour une fois une bonne idée).
    Dans le conte que vous allez maintenant lire, le diable est aussi présent sous d’autres oripeaux. À la réflexion toutefois, je ne suis pas sûr qu’il soit l’antagoniste de mon récit. Je ne veux pas dire par là qu’Ewan, le héros, ou sa femme, serait secrètement le méchant de l’histoire, certainement pas, mais que ni l’un ni l’autre n’ont probablement besoin de l’intervention du diable pour accomplir leur destin fatal. C’est, je crois, le sens de la scène du contrat où Ewan choisit son destin.



L'enfant disparu et retrouvé

    Un homme plus noir qu’un gitan, bien qu’en réalité il fût de race blanche, vivait dans un coin de la forêt, non loin de la lisière, et l’on pouvait apercevoir le filet de fumée de sa cabane, à l’automne quand les arbres portent encore leurs parures rouge et or.
    Nul ne savait quand il était arrivé et par quel chemin sauf qu’un matin, on l’avait vu apparaître dans la région et il n’en était plus reparti. Il n’avait demandé l’autorisation à personne pour s’installer et couper du bois mais nul n’avait protesté, peut-être parce qu’on ne savait pas à qui appartenait cette partie du bois. La seule chose de sûre était que l’étranger n’était certainement pas le propriétaire des lieux.
    Le maire avait été dépêché par ses concitoyens pour examiner de plus près ce nouvel habitant ainsi que sa barraque mais il en était revenu très vite et ne s’était plus jamais hasardé chez le forestier. Par la suite le bruit courut dans la région que l’étranger était en fait un prince quoique d’une sorte insolite, le prince des gitans. Pourquoi en était-on venu à cette idée alors que c’était l’homme le plus solitaire du monde et que parmi les membres de sa cour, on ne trouvait guère que des poulets et des chats, reste un mystère encore de nos jours. Mais il est vrai que puisque les gitans de la région étaient à peu près ses seuls visiteurs et que les gens ne parlaient pas aux gitans, on ne savait pas grand-chose de ce qui se passait au juste chez l’étranger.
    Un jour, le petit garçon d’un couple d’habitants du village, partit jouer dehors et ne revint pas. Pour une raison ou pour une autre, le mari qui s’appelait Ewan, après plusieurs jours de recherches infructueuses, pensa que son fils était aller jouer dans la forêt, et que l’étranger saurait peut-être quelque chose à ce sujet. Le fait est que c’était son dernier espoir. Ou peut-être qu’il n’avait plus vraiment d’espoir mais qu’il ne voulait pas encore détromper sa femme qui croyait toujours que leurs fils était vivant quelque part.
    Malgré la mauvaise réputation de l’endroit et de son unique habitant, il se décida donc à rendre visite au prince des gitans comme on l’appelait maintenant couramment.

    L’homme habitait dans une clairière qui n’existait pas avant son arrivée, Ewan en était bien sûr car il avait souvent joué lui-même dans cette partie de la forêt quand il était enfant. La maison était une barraque de bric et de broc, assez grande cependant, mais ainsi faite qu’on aurait dit qu’elle avait poussé des appendices et des excroissances aussi bien sur les côtés que vers le haut ou le bas (il y avait en effet une cave profonde comme Ewan l’apprit plus tard).
    Bien sûr des gendarmes venus de la ville avaient déjà interrogé l’étranger mais Ewan se disait que ce ne serait pas pareil si c’était lui, le père de l’enfant disparu, qui venait en personne.
    Il trouva le prince des gitans assis devant son entrée sur une billot en train de tisser des fibres d’osier pour en faire un panier ou plus probablement un piège à grenouilles car on savait qu’il braconnait en plus de couper du bois qui ne lui appartenait pas. Fidèle à sa réputation, l’étranger était seul et son visiteur comprit très vite que cette solitude, loin de lui peser, lui convenait à merveille car son regard s’assombrit aussitôt qu’il l’aperçût au loin. Néanmoins, l’homme se montra courtois et disposé à l’écouter. Une des premières choses que remarqua Ewan était la manière aisée et presque savante que l’étranger avait de tourner ses phrases. En fait, il s’exprimait mieux dans leur langue que nombre de ses concitoyens. Et pourtant on voyait bien qu’il n’était pas de la région avec ses manières étranges, ses yeux noirs, son visage tanné comme ceux des marins ou des gens qui ont voyagé longtemps dans des pays lointains. En plus, ses vêtements joliment brodés étaient usés, ses ongles noirs et sa barbe mal taillée. Et à cause de tout cela, Ewan ne douta plus que l’homme était en effet le prince des gitans, quoiqu’il préférât lui donner un autre nom.
    L’étranger se mit à rire dans sa barbe quand il entendit ce nom.
     — Cela faisait longtemps qu’on ne m’avait pas appelé ainsi, dit-il d’une voix de fausset qui donnait l’impression que si un renard avait appris à parler, il parlerait sûrement avec cette voix. Sais-tu qu’une autre personne portant ton nom est déjà venue ici me présenter une doléance en tous points semblable ?
    Ewan crut que l’homme noir parlait d’un autre villageois qui portait le même nom que lui car en vérité son nom était très courant dans la région. Mais l’autre le détrompa.
    — Une femme, précisa-t-il.
    Alors Ewan réalisa que l’étranger parlait de son épouse. En effet qui d’autre aurait pu avoir les mêmes doléances, comme disait le prince des gitans, que les siennes sinon sa femme. Et cela l’étonna beaucoup car sa femme était très pieuse et priait chaque soir devant une image sainte pour qu’il retrouve leur fils. Elle ne serait sûrement pas venue ici, toute seule, sans lui en parler avant.
    Son voisin haussa les épaules tout en poursuivant son tressage.
    — Cela n’a rien d’étonnant, crois-moi. L’as-tu dit à ta femme que tu venais me voir ? Non, bien sûr. Les gens d’ici n’aiment pas qu’on sache qu’ils viennent me voir.
    — Les gens d’ici ?
    — Eh bien oui, tes concitoyens. Tu ne crois tout de même pas être le premier à me rendre visite ? Ah si, en fait tu es le premier à venir ici le jour. Les autres préfèrent venir la nuit ; c’est pourquoi j’étais étonné et quelque peu embarrassé de te voir tout à l’heure. J’espère que tu ne l’as pas mal pris.
    Ewan voyait bien que l’homme se moquait de lui mais il ne s’en soucia pas. On ne pouvait pas se fâcher contre le prince des gitans ; cela aurait été aussi stupide que de se fâcher contre une guêpe parce qu’elle vous a piqué.
    — Non seulement tu n’es pas le premier du village à me rendre visite, continua l’autre, mais je crois bien que tu es le dernier. Pour cela et parce que tu m’as appelé par mon nom, je veux bien faire quelque chose pour toi que je fais rarement.
    — Tu peux me rendre mon enfant ?
    — Oui.
    — Tu sais où il se trouve ?! demanda Ewan, plein d’espoir et en même temps n’arrivant pas à croire en sa chance.
    — Non, mais je n’ai qu’à demander à mes fidèles vagabonds de le chercher pour moi et ils le trouveront.
    — Que demandes-tu en échange ? Que dois-je faire ?
    — Rien. Ne te tracasse pas, c’est entièrement gratuit. Retourne chez toi, console ta femme et vis ta vie ; je te ramènerai ton enfant, c’est une affaire conclus. Je ne te donne pas ma promesse parce qu’elle n’aurait pas de valeur à tes yeux mais c’est tout comme.
    Mais Ewan ne pouvait croire que tout était aussi simple. Son incrédulité fit rire le prince des gitans.
    — Note bien que je n’ai pas dit que je te le ramènerai vivant. J’ignore si ton fils est mort ou vivant. J’ai juste dit que je te le ramènerai. Donc, si nous faisions ce marché que tu penses être nécessaire, et que ton fils s’avère être mort, ce qui est selon moi le plus probable, tu perdras ton âme en plus de ton fils.
    — Tant pis, je prends le risque, répondit Ewan en songeant à sa femme qui croyait dur comme fer que leur enfant était en vie.
    — Ça me plait, tu es un homme de décision. Aussi, voici ce que je te propose : retourne au village, trouve du papier et de l’encre puis écris toi-même les termes de notre contrat, pour que tu ne me soupçonnes pas d’essayer de te tromper. Ensuite, signe-le et apporte-le-moi.
    — J’écris ce que je veux ?!
    — Oui, tu n’as qu’à marquer que je m’engage à retrouver ton enfant et quel prix tu es prêt à me donner pour ça. Moi, je te l’ai dit, je ne veux rien. Je me suis engagé à le faire sans contrepartie mais si ça peut te rassurer, faisons-le de cette façon.
    Ewan s’en alla et fit comme l’étranger lui avait dit. Il revint avec le contrat signé et le tendit à l’homme noir. Ce dernier prit le stylo-plume qu’Ewan avait apporté et signa à côté de son nom sans même lire le texte.
    — Tu vois, c’est mon nom, dit le prince des gitans en lui montrant sa signature.
    — Mais tu n’as pas lu les termes du contrat, remarqua Ewan. Et si j’avais écrit que je ne te devais aucun service ni paiement en échange ?
    Son voisin sembla trouver l’idée très drôle.
    — Quelle importance ? Ce contrat n’est pas pour moi mais pour toi. Je n’ai nul besoin d’un bout de papier et de trois gouttes de sang. Ce n’est qu’une légende. Tu ne comprends donc toujours pas ?! c’est vous, les hommes, qui avez besoin de ce genre de choses.
    Ewan empocha le contrat en se disant que certainement il y avait une astuce quelque part.
    — Combien de temps vais-je devoir attendre ? demanda-t-il. Si cela doit prendre dix ans ou même une seule année, ma femme sera morte avant et je ne vaudrai guère mieux.
    — Ni toi ni ta femme ne mourra avant d’avoir vu ton fils, je te le promets. Ou plutôt veux-tu que je le rajoute ici en toutes lettres puisqu’il reste un espace entre les termes du contrat et nos signatures ?
    — Je vais le noter moi-même, répondit-il et il marqua de sa plus belle écriture que le prince des gitans s’engageait à lui rendre son fils avant un an, et avant leur décès, celui de sa femme en particulier.
    Et c’est ainsi que la seconde entrevue d’Ewan avec le prince des gitans s’acheva.

    Du temps passa sans qu’il n’eût aucune nouvelle de l’étranger. De temps en temps, il retournait voir l’homme noir mais celui-ci se contentait de lui demander d’être un peu plus patient. Bientôt, lui promit-il, il aurait d’excellentes nouvelles, car il était certain non seulement de lui rendre son fils mais de le lui rendre vivant. Malgré ces promesses (mais que valent les promesses du prince des gitans !) Ewan fut saisi une nuit par un doute affreux, plus fort que jamais.
    Comment avait-il pu être aussi crédule ? Le prince des gitans lui avait assuré que ses serviteurs, des gitans probablement, retrouveraient son fils. Mais où était cette armée ? Il n’avait pas vu l’ombre d’un gitan ni d’ailleurs d’âme qui vive aux alentours de la barraque lors de ses multiples visites, mis à part quelques chats errants. Et les chats n’ont jamais eu la réputation d’être des fidèles serviteurs. Sûrement, comme il l’avait pensé dès le début, l’homme noir s’était moqué de lui.
    Pire, le prince des gitans avait peut-être enlevé lui-même son fils dans le but de lui extorquer son âme. « Si j’étais l’homme noir, raisonnait-il, et que je veuille m’emparer de mon âme, c’est justement le levier que j’aurais utilisé. »
    La certitude d’avoir été dupé était si puissante qu’il ne put attendre davantage et décida d’aller demander des comptes au sombre personnage. Sa femme n’étant pas là pour le dissuader — car ce n’était pas la première fois qu’il prenait cette résolution — il attrapa sa hachette ainsi qu’une lampe et se dirigea vers la forêt. Plusieurs fois en chemin, il lui sembla entrevoir une silhouette glisser derrière les arbres mais ce n’était bien sûr que l’effet de son imagination mêlée à celui de ses soupçons. Ou bien il s’agissait d’un des chats du forestier.
    Le prince des gitans était déjà levé quand il arriva ou bien il ne s’était jamais couché, ce qui était bien probable si sa réputation n’était pas usurpée. L’homme noir semblait cette nuit-là d’humeur particulièrement joyeuse.
    — Diable ! Que veux-tu faire avec cette hachette ? lui demanda-t-il. Ce n’est pas l’heure de couper du bois.
    Ewan lui dit ce qu’il allait couper s’il ne le laissait pas entrer tout de suite.
    — Eh bien, tu n’avais qu’à me le demander et je t’aurais moi-même fait le tour du propriétaire, répondit l’autre. Je ne suis pas un sauvage. La vérité est que je n’aime pas trop laisser entrer les visiteurs parce que ma maison, j’en ai peur, n’est ni trop propre ni trop rangée. Mais sois donc mon invité, je t’en prie, fit l’autre en lui ouvrant toute grande la porte.
    À l’intérieur, Ewan découvrit un ameublement bien différent de ce qu’il avait imaginé. Rien en effet dans son extérieur ou dans l’apparence de son propriétaire n’indiquait une telle profusion de biens. Les pièces étaient surchargées de tapisseries, de vaisselle de cuivre et d’argent, de tentures soyeuses, de porcelaines, de lourds coffres ouvragés, de meubles marquetés de bois précieux.
    — Que de chantier mais aussi que de souvenirs, n’est-ce pas ! dit son hôte d’un ton jovial en le précédant. Et il ouvrait chaque tiroir, chaque porte, chaque penderie, chaque coffre au passage pour lui montrer ce qui était à l’intérieur et ce qui ne s’y trouvait pas.
    — Regarde ces bijoux, poursuivit l’homme en ouvrant un coffre et en plongeant la main jusqu’au fond. Saphirs, émeraudes, diamants, topazes, rubis, lapis-lazulis. On ne se lasse pas de les regarder, de les toucher, n’est-ce pas ? Et ils sont vrais. Naturellement, je ne peux révéler qui me les a laissés en gage mais tu serais étonné si je te disais leurs noms. Ah, il y a des rois et des reines là-dedans. Vois ce que tu aurais pu me demander. Non ?... Non, je vois que tu n’es pas intéressé. Eh bien, allons visiter la cave qui est peut-être plus dans tes goûts et je crois que nous aurons fait le tour de la maison.
    Dans la cave, il vit des tonneaux de toutes les tailles ainsi que des amphores et des bouteilles. Et pour lui montrer que c’était bien du vin à l’intérieur des fûts, son hôte faisait couler un peu du liquide qu’ils contenaient dans un verre qu’il gardait à cet usage. Après l’avoir savouré un instant, il passait le gobelet à Ewan qui n’en revenait toujours pas d’un tel luxe. Car il n’avait jamais humé, jamais bu de tels nectars.
    Finalement, il dut se rendre à l’évidence que son enfant n’était pas là. Ils terminèrent à deux une des bouteilles que son hôte avait remontée de la cave.
    — Tu m’as trompé, dit Ewan qui commençait à être ivre.
    — Non, j’ai tenu parole. Je tiens toujours parole.
    — Mais je n’ai toujours pas revu mon fils…
    — Pas encore non, mais très bientôt. Ne t’avais-je pas dit que tu le reverrais en moins d’un an ? Eh bien, cela fait moins d’un an. Je sais où il est ; et il est vivant, bien vivant, en meilleur santé que toi ou moi.
    — Dis-moi alors où il est et j’irai moi-même le ramener à la maison. Comme sa mère sera heureuse !
    — Bah, elle est déjà au courant.
    — Comment ça, je ne comprends pas ?!
    — Écoute, mon ami, prend cette bouteille et retourne chez toi. Fête la bonne nouvelle avec ta femme.
    — Mais elle n’est pas là.
    — Ah, mais pourquoi n’est-elle pas là ?
    — Elle passe la semaine chez la sage-femme qui habite en ville.
    — Chez la sage-femme ? tiens, pour quoi faire ?
    — Pour l’aider à accoucher.
    — Ah, ah, c’est ce qu’elle t’a dit ! eh bien, fais ce que je te dis ! Prend cette bouteille et va chez la sage-femme : je crois qu’il y a là-bas d’excellentes nouvelles pour toi.
    Ewan fit ce que le prince des gitans lui avait dit.
    Quand il arriva le lendemain, il trouva sa femme qui sortait de couches. Celle-ci, radieuse, lui montra l’enfant qu’elle tenait contre son sein.

    Eh bien c’était le portrait juré de leur fils disparu. Aussi étrange que ça paraisse, le bébé ressemblait trait pour trait au disparu. Ainsi, la promesse du prince des gitans s’était réalisée. Mais ce qu’Ewan ne comprit pas, c’est pourquoi alors l’enfant avait les yeux si noirs.





jeudi 19 juin 2025

La plus grande guerre (mondiale) est toujours… la dernière — le plus grand homme politique du dernier millénaire était… un nain

     Comme les plus fins observateurs l’ont noté — ou ceux, presque aussi fins, qui ont lu mes vingt-trois articles parus sous le libellé "transformation de notre monde" — nous vivons un moment charnière de l’Histoire. L’Histoire de l’Humanité. Quelle chance nous avons ! Ah, bien sûr, ce serait plus stimulant et pour tout dire nettement plus revigorant à contempler depuis une datcha de Sibérie Orientale, ou la grande muraille de Chine, ou même un balcon avec vue à Téhéran. J’avais écrit il y a de cela quelques années dans l’un des articles susmentionnés que l’Empire US (dont nous sommes partie en tant qu’acolyte dispensable et parfaitement sacrifiable) semblait commencer à vaciller. Eh bien nous pouvons maintenant sans crainte nous défaire de cette prudence rhétorique et remplacer vaciller par crouler. L’Empire ne marche pas à sa perte, il court et y court de plus en plus vite. Quel spectacle stupéfiant, à peine croyable, ce doit être pour les Russes ou les Chinois d’observer cette légion de lemmings qui se pressent à qui mieux mieux pour sauter le premier dans le vide. On pensait que c’était une légende, un simple conte pour enfants, et voilà que cela se passe devant nos yeux ! On croyait que ces grands basculement se produisaient sur des siècles et on découvre que cela n’a pris qu’une petite demi-douzaine d’années. On s’imaginait qu’on avait le temps, que la métamorphose procéderait comme l’érosion des montagnes, à tout petits pas continuels, en quelque sorte par une évolution darwinienne, et c’est à un bond de géant qu’on assiste, à des montagnes qui se déplacent et courent se jeter dans l’abîme !

Le premier catalyseur de cet effondrement brutal a été la pandémie covid et la décision de l’Occident, invraisemblable à l’époque et toujours incompréhensible aujourd’hui, de saper les fondements même de notre société, aussi bien économiques, sanitaires que politiques, de casser les derniers liens qui subsistaient entre les populations et leurs dirigeants. Depuis, ces mêmes dirigeants (qui n’ont absolument pas changé) opèrent dans un découplage total de leurs peuples qu’ils sont pourtant censés représenter. Consternés mais plein d’un espoir naïf, ces peuples jettent et élisent à tour de rôle leurs leaders de pacotille pour s’apercevoir que rien ne change, que les nouveaux sont des clones des précédents et généralement pires. Un nouveau totalitarisme libre et démocratique s’y est épanoui dans toute sa splendeur. Le second catalyseur a été la guerre d’Ukraine. A partir de ce moment, on a assisté à un vrai concours entre toutes les incompétences rassemblées, à un vrai feu d’artifice à l’envers, c’est-à dire celui où toutes les fusées reviennent à l’envoyeur. Cela est particulièrement flagrant dans l’Eurozone. Et dans ce concours, la France n’est pas loin de prendre la première place, quoiqu’elle ait une concurrence rude juste à sa droite et juste à sa gauche.

Il ne faudrait qu’une goutte de plus, une goutte d’incompétence de plus, pour que la troisième guerre mondiale, qui sera la dernière et d’évidence la plus grande, achève de détruire ce qui est encore debout par ici. Durant ce dernier mois, nous sommes passés deux fois à un fil de ce dénouement abrupt et définitif pour ce qui nous concerne. La première a été quand les services spéciaux ukrainiens, payés, aidés et supervisés par les services spéciaux de l’Empire (CIA en premier lieu) ont exécuté leur attaque de drones sur les cinq bases de bombardiers stratégiques russes. Les bombardiers stratégiques s’appellent ainsi car ils servent à la dissuasion nucléaire. L’attaque n’a pas été aussi concluante que prévue et seuls quelques avions ont été détruits. Mais que se serait-il passé si cela n’avait pas été le cas, et que la Russie ait perdu dans l’opération la totalité ou même les trois quarts de ses bombardiers stratégiques. Si elle avait perdu un des trois piliers sur lesquels est assis sa dissuasion nucléaire? Et qu’aurait-elle pensé du plan occidental ? Si vous n’arrivez toujours pas à visualiser le problème, vous n’avez qu’à inverser protagoniste et antagoniste : mettons donc que ce soient les Russes qui aient tentés de détruire tous les bombardiers statégiques US ; quelle aurait été à votre avis la réaction des USA ? Cela peut-être un préalable à une attaque massive du pays, voilà ce qu’elle aurait pensé. Rien n’assure qu’elle aurait attendu de vérifier si ses craintes étaient fondées. Et voici un fait : la Russie a plusieurs centaines de têtes nucléaires de plus que les USA. Pourquoi ? Parce qu’elle rajoute au nombre des têtes possédées par les US celles possédées par l’Europe, à savoir les roquets de France et d’outre-manche. Et une autre chose est certaine, les premiers visés seront justement ces deux-là. Pourquoi ? Parce que cela servira d’avertissement sans frais au géant d’outre-Atlantique et parce que ce géant, séparé par un océan du champ de ruines, ne prendra certainement pas le risque d’une contre-riposte nucléaire pour venger ses alliés. On le sait depuis longtemps, tel est le destin des alliés des USA. Le second événement qui nous a fait frôler la guerre mondiale est l’attaque israélienne des installations nucléaires militaires (si elles existent) et civiles de l’Iran. Commençons par noter qu’il n’y a en réalité pas plus de preuve de nucléaire militaire en Iran que d’armes de destruction massives en Irak quand Powell venait agiter sa fiole pleine de poudre de perlimpinpin sous les yeux ahuris de L’ONU. En fait, c’est même le contraire, puisque le Pentagone lui-même, et l’IAEA, organisme à la solde de l’Occident, a récemment estimé qu’il n’y avait aucun programme nucléaire militaire en Iran. Notez qu’ils ne parlent pas de bombes mais de programme ! Alors que ces mêmes personnages savent depuis belle lurette qu’il existe non seulement un programme nucléaire militaire en Israël en cours mais aussi des bombes très concrètes elles (généralement évaluées à une grosse centaine). Une autre précision : parmi les cibles nucléaires civiles ciblées par l’attaque israélienne se trouvait une centrale en cours de construction. Et devinez par qui elle est construite : Rosatom. Ce qui signifie qu’il y a obligatoirement du personnel russe sur ce site. Imaginez encore ce qui aurait pu se passer si l’attaque avait été plus "réussie". Enfin, il y a le fait non négligeable qui rend la situation encore plus explosive que l’Iran a signé un partenariat stratégique et militaire avec la Russie.

Les deux événements précédemment cités ont été suivis aussitôt d’échanges téléphoniques entre Trump et Poutine, que même le diplomate le plus blasé ne pourrait qualifier de cordiaux. C’est mieux que rien. Dans les deux cas, Trump a joué la carte de l’irresponsabilité. « Je ne savais pas, les US n’étaient pas au courant, etc. ». C’est une carte particulièrement faible à jouer pour un supposé chef d’Etat. Car pour Poutine, cela ne peut signifier que deux choses : soit tu mens, soit tu n’as réellement pas été mis au courant par tes services, ce qui veut dire que tu n’as aucun pouvoir de décision. Et dans tous les cas, ta crédibilité est égale à zéro. Bien sûr que Poutine sait que les USA sont derrière la provocation ukrainienne et la provocation israélienne. D’ailleurs dans le second cas, Trump n’a pu s’empêcher de se vanter sur les réseaux sociaux (quand il croyait encore que l’opération était « big and beautiful ») qu’il savait tout à l’avance et que tout avait été coordonné entre Israël et son grand patron. Notez qu’il n’est pas sûr qu’il ait dit davantage la vérité la seconde fois que la première; ce genre de personnage préfère être tenu pour un menteur et un criminel que pour un niais (vous n’avez qu’à songer à la bonne Merkel et au bon Hollande qui ont préféré prétendre avoir menti aux Ukrainiens du Donbass en 2014 puis 2015 lors de Minsk 1 et Minsk 2, feignant de tirer les ficelles alors qu’ils se sont simplement aplatis devant la volonté étasunienne) Il faut se résigner à la vérité : Trump est certainement un grand homme de spectacle, un excellent showman, bien meilleur que Zelenski par exemple ; il est aussi un remarquable vendeur de tapis et autres biens immobiliers, à l’instar de son compère et confrère en escroqueries planétaires Musk, mais c’est un homme politique incompétent, qui ne comprend pas les bases de sa fonction. Avec Biden, on savait au moins à quoi s’attendre car nul n’est plus prévisible que ce genre de crapules simples, dont les US nous ont habitué depuis des lustres. Mais qui peut prédire ce que fera ou ne fera pas un idiot incompétent et vaniteux à la tête de l’une des trois puissances mondiales ?

L’incompétence de Trump a été selon moi amplement prouvée durant les quatre premiers mois de son mandat, s’il nous restait un doute après l’échec du premier, et tout particulièrement lors de ce dernier mois. Je ne doute pas de sa sincérité. Il veut certainement faire la paix à sa manière et faire du commerce à sa manière (des manières proches d’un businessman maffioso). Mais peut importe ce qu’il veut, ses bonnes ou mauvaises intentions, son incompétence à ce poste envoie son pays tout droit vers ces régions chaudes aux relents de souffre qu’on ne peut nommer, et par voie express. Bientôt, à l’échelle de l’histoire humaine que j'ai adoptée c’est bientôt, Les USA rejoindront à leur tour ce grand cimetière des civilisations disparues, après les Olmèques, les Mayas, les Aztèques, les Incas, les Egyptiens, les Babyloniens, les Perses zoroastriens, les Grecs, les Romains, les étrusques, les Phéniciens, les Mongols, les Ottomans, les Arabes et les Eurozonés d’Europe.

Tout l’inverse de Trump est un vrai chef d’Etat, un serviteur de son pays, un serviteur de son peuple. Il ne se soucie pas de son image. En fait, c’est même le cadet de ses soucis. Il œuvre le plus souvent dans l’ombre, dans l’ombre des médias et même de la postérité. Il n’a pas d’idéologie fixe. Peu importe qu’il porte le nom de Président, Premier Ministre, Premier Secrétaire, dictateur, roi, empereur, tsar, chancelier, peu importe qu’il soit dit de droite ou dit de gauche, le grand homme d’Etat se pose toujours la même question : quelle politique peut fonctionner ici, non pas dans un monde abstrait et idéal mais maintenant, tout de suite, dans ce pays-là, mon pays ? Qu’est-ce que je peux faire d’utile dans le temps limité où j’ai la charge de tous ces gens qui vivent dans ce pays ? Et il se reconnait toujours à son œuvre : l’amélioration continue des principaux paramètres de vie du peuple qu’il dirige et donc qu’il sert. Parmi tous les grands hommes d’Etat qui ont existé lors du précédent millénaire, l’un d’eux s’est particulièrement distingué. En fait il a procédé à une sorte de miracle vers la fin du vingtième siècle qui pourtant, vu d’Occident, nous a échappé pour l’essentiel, tout occupés que nous sommes à contempler notre nombril et à nous féliciter de notre inénarrable et incomparable démocratie. Une métamorphose pareille n’était jamais arrivée avant, au moins avec cette rapidité spectaculaire. Au lieu cette fois d’assister à ce spectacle grandiose mais quelque peu accablant d’une montagne qui disparaît dans les abysses, l’observateur fin dont je parlais au début de cet article a pu contempler l’apparition puis le soulèvement d’une montagne devant son balcon, bientôt si haute qu’il n’a plus pu voir son sommet, ou qu’il n’a plus voulu le voir, étant donné la gêne qu’il ressentait dans le cou et ailleurs à devoir regarder de bas en haut celui qu’il regardait autrefois de haut en bas.

Naturellement, vous avez deviné que le pays dont je parle est la Chine. Quel prodige incroyable que de transformer en l’espace de quatre décennies un pays arriéré, réellement arriéré sur le plan technologique, un pays du tiers monde promis aux pires famines, en la plus grande puissance économique mondiale, à l’industrie sans rivale possible, tout en tirant de la grande pauvreté huit cents millions de personnes ! Et le grand architecte de cette métamorphose, qui a si bien compris la réponse à la question posée ci-dessus, est un homme relativement inconnu par chez nous, bien qu’il ait été métallo au Creusot et ouvrier à Renault-Billancourt : Deng Xiaoping.

"Xiaoping" au sommet de sa forme : le "Grand Architecte" qui a réellement fait faire à son pays un bond de géant mesurait 1m 48.