samedi 29 juin 2024

Les soldats russes sont entrés à New-York !

    Ah, en voilà un titre du tonnerre ! Quel formidable click-bait, avouez ! Naturellement, tout ahuris par la nouvelle stupéfiante, vous avez aussitôt vérifié sur votre petit calendrier qu’on n’était pas le 1er avril. Pourtant, le titre est littéralement vrai. Le 27 de ce mois, hier donc quand j’écris ce texte, la nouvelle est sortie que les Russes sont entrés à New-York, petite ville russophone du Donbass renommée ainsi par le gouvernement ukrainien en hommage à leur généreux patron, mais qui bien sûr portait un autre nom originellement. En fait, les informations provenant de l’armée russe étant contrôlées d’une main de fer (à la soviétique, diraient certains, mais pour l’armée, c’est une règle très souhaitable), on peut être raisonnablement sûr que cela a eu lieu avant le 27 juin. Un pacte non écrit entre les commandants russes et les correspondants de guerre agréés sur le front (il y en a plusieurs, souvent d’anciens militaires eux-mêmes) est que ces derniers ne reporteront que ce qui est autorisé et uniquement quand cela sera autorisé. Et ce pacte est généralement respecté parce que ces journalistes n’ont aucune envie de perdre leur place, d’autant que les candidats sont nombreux à la vouloir.
    Aujourd’hui, j’écris sans le moindre plan, n’attendez donc pas de grandes idées bien articulées mais simplement des remarques sans rapport les unes avec les autres. Ou bien s’il en existe, vous devrez les établir vous-même. Bref, je propose un pot-pourri de mes meilleures pensées suscitées par l’actualité au fil de l'eau, très léger, estival dirons-nous, pour ne pas dire festif.
    Dans le registre des feux d’artifice dont a déjà commencé la saison dans mon coin de bois, j’ai été frappé dernièrement par plusieurs déclarations de personnalités éminentes sur le sujet de l’emploi d’armes nucléaires (si, si, c’est très festif une bombe nucléaire : très beau spectacle, très impressionnant, surtout la nuit). La première, par ordre chronologique est venu de Stoltenberg, médiocre politicien scandinave qui a échoué partout où il est passé et c’est bien pourquoi on le retrouve donc à la tête de l’OTAN (la même remarque peut être faite pour Von Der Leyen). En réponse à quelque question, il a affirmé (je le cite de mémoire, ce ne sont pas ses mots exacts mais je garantis que le sens est là) que les lignes rouges des Russes n’en étaient pas et que les avertissements du Kremlin que certains types d’attaques sur le sol russe pouvait engendrer des frappes nucléaires sur l’assaillant étaient du bluff, bluff pitoyable que ce grand zéro… pardon héros, balayait d’un haussement d’épaule. En clair, et en pratique, puisqu’une invasion par des troupes au sol de l’OTAN est aussi probable qu’une invasion de criquets au pôle Nord, la doctrine russe pourrait s’appliquer en cas de frappes de missiles balistiques à longues portées sur ses actifs militaires d’importance stratégiques (comme des défenses anti-nucléaires par exemple). Vu l’évolution des événement, ça n’est certainement pas une hypothèse fantaisiste (les Kiéviens avec le concours satellitaire américain ont déjà commencé à prendre pour cible des radars russes destinés à l’interception de missiles à longues portées, nucléaires ou pas (et ça, vous ne pouvez le savoir qu’après, hein). Ce Stoltenberg semble devoir dégager de son poste mais il est probable qu’il sera remplacé par un autre clown… pardon, clone. En somme, il propose négligemment de faire un pari avec l’avenir et peut-être la survie d’au moins l’hémisphère nord de cette planète. C’est ce qu’on appelle le jeu de la roulette russe chargée avec des missiles nucléaires.
    Dans l’autre camp, je suis déjà depuis quelques temps les louches déclarations de Karaganov, un think-tankiste moscovite éminent même s’il n’a plus actuellement aucune responsabilité dans l’État russe. Tout dernièrement il a remis le couvert avec son idée d’envoyer un message fort à l’Occident. Son idée peut se résumer ainsi : puisque Washington et ses sombres acolytes n’entendent rien aux avertissements donnés, ne comprennent que le langage de la force et escaladent sans cesse dans leurs provocations, peut-être que la Russie devrait sérieusement changer sa doctrine nucléaire et s’autoriser des frappes préventives au moyen de missiles nucléaires tactiques (à portée nettement moindres que ses homologues stratégiques). Selon ce modèle, qui est celui en somme d’Hiroshima, cela stopperait net toutes velléités adverses car il est en effet probable que les USA ne voudraient pas engager une guerre totale avec la Russie pour sauver les bras cassés ukrainiens ou européens. Une des options envisagées par Karaganov serait une explosion nucléaire de démonstration pour ainsi dire, en altitude pour éviter toute victime. Il parle aussi d’autres options, encore plus limitées mais visant cette fois des cibles militaires incontestables (et donc avec des pertes très importantes : le plus petit des missiles nucléaires tactiques russe a pratiquement la puissance de la bombe d’Hiroshima). Contrairement à Stoltenberg, Karaganov est incontestablement un homme supérieurement intelligent, en plus d’être très rationnel. Néanmoins même les plus intelligents et les plus rationnels peuvent parfois émettre des propositions remarquablement stupides, d’autant plus stupides quand ils insistent pour la répéter encore et encore. En réalité, l’idée de Karaganov pour faire cesser le conflit, ou au moins pour faire cesser l’escalade, est à classer dans la même catégorie que les propos du clown blanc à lunettes norvégien : c’est un pari sur ce que sera la riposte de l’ennemi. ON NE FAIT PAS DE PARI AVEC UNE PUISSANCE NUCLÉAIRE devrait être un principe premier et absolu de la pensée de tout géostratège ou politicien responsable. Peu de chance heureusement qu’il soit suivi par les têtes pensantes du Kremlin, et à peu près aucune tant que VVP sera au pouvoir. Tant mieux.
    Dans une catégorie un peu différente, le troisième et dernier propos inquiétant vient du colonel Mac Gregor, tout fraîchement, aujourd’hui même quand je tape ces mots. Mac Gregor est un commentateur très intéressant sur certains points, un homme très intelligent (hé oui, même les militaires peuvent être des pointures intellectuelles !), parlant très bien, avec des idées claires. C’est aussi un ancien conseiller militaire de Trump (avec les clowns Pompeo et Bolton devant la porte, son passage à la Maison Blanche n’a pas duré longtemps comme vous pouvez l’imaginer), un parangon de l’esprit yankee, complètement Américanocentré, appartenant à la tendance républicaine conservatrice (mais s’il appartenait à l’autre facette, les néo-libéraux du parti Démocrate, la différence serait minime). Et quand on est Américanocentré, cela implique qu’on est Israëlocentré, puisqu’Israël est de facto le 51ème État des USA. Mac Gregor a une grande peur, à juste titre selon moi, que la faiblesse d’Israël jointe à son sentiment d’impunité et à sa conviction d’être le peuple élu ne la pousse à utiliser des armes nucléaires tactiques contre le Hezbollah et donc le Liban (mais pas seulement). C’est en effet un secret de polichinelle qu’Israël possède la bombe nucléaire. Et je suis d’accord avec le colonel qu’il y a une probabilité plus élevée qu’une guerre nucléaire soit initiée par une puissance secondaire, disons régionale, qui se sent acculée, d’autant plus si elle est convaincue de sa légitimité de peuple ‘élu’, qu’elle le soit par des puissances mondiales qui ne sont véritablement que trois à ce jour. Ce qui est inquiétant, venant de cet homme sérieux, pas du tout désinvolte comme notre derviche tourneur national, comme l’homme orange ou comme le fantoche de l’OTAN déjà cité, c’est l’absence totale d’empathie pour les peuples visés par ces frappes nucléaires éventuelles, les Libanais, ou les Iraniens, ou les Syriens, ou les Palestiniens, absence d’empathie hélas typiques des Étasuniens. Son seul souci en l’occurrence est que l’état d’Israël pourrait disparaître avec de telles frappes (suite aux représailles inévitables venant d’Iran… ou d’ailleurs). Ces propos sont consternants car ils viennent de l’un des moins stupides représentants de l’élite washingtonienne. C’est dire le reste !
    Revenons sur mon affirmation précédente, qui vous a peut-être échappée, qu’il n’y a que trois puissances mondiales aujourd’hui, qui sont donc : Les USA, la Chine, la Russie. Les USA sont encore reconnus par la majorité des commentateurs, même non américanophiles, comme la puissance numéro 1. Ce type de commentateurs a néanmoins cette œillère très répandue dans le monde occidental, qui raisonne toujours en terme d’hégémonie et de concours sportif où il ne peut exister qu’un seul champion, une seule médaille d’or. Ce type de classement a selon moi à peu près autant de rapport avec la réalité que le QI en a avec l’intelligence. Les USA ont encore pour eux leur monnaie, qui restera dominante pour les années à venir, et la force de leur secteur ‘comm’, absolument sans rival possible dans un futur prévisible. C’est la plus faible des trois puissances, elle a clairement dépassé son point optimal depuis un bon moment, mais garde un pouvoir de nuisance considérable. La Chine a une puissance économique sans rival possible (et c’est bien pourquoi les Européens et les Étasuniens cherchant la rivalité économique au lieu de la coopération avec ce géant sont condamnés à un amer destin), jamais vue dans l’Histoire, inimaginable pour la plupart de mes concitoyens et pas seulement eux. La Russie est la plus grande puissance militaire des trois, pour des raisons d’avancées technologiques, industrielles, historiques et psychologiques. C’est aussi et de loin la plus intelligente dans sa stratégie géopolitique ; elle est clairement le cerveau de la nouvelle architecture multipolaire qui est en train de se mettre en place au grand dam de l’Empire, si elle n’en est pas le moteur principal. Il est impossible réalistement aujourd’hui de se développer sans compter avec ces trois pays. Ceux qui tentent de passer outre s’en mordront et s’en mordent déjà les doigts. Tous les autres sont au mieux des puissances régionales y compris l’Inde qui peut être décrite comme une sorte de Turquie occidentalisée, assise entre deux sièges, louvoyant toujours entre deux caps, jouant sur tous les tableaux, espérant le beurre et l’argent du beurre. Ce type d’attitude interdit toute ambition d’être un acteur central au niveau mondial. Je ne parle même pas de l’Union Européenne aux membres flaccides qui est maintenant totalement américanophilisée, domestiquée, aspirée lentement sous forme de bouillie liquide par son grand ami de l’Ouest.
    Hier, au moment où j’écris, était le jour exact du soixante-dixième anniversaire de la mise en route de la première centrale nucléaire au monde. Je parle bien de la première vraie centrale, reliée au réseau national, capable de produire de l’électricité à une échelle industrielle et non du prototype américain pouvant allumer dix ampoules (et encore de faible puissance). Pour ceux qui ne le sauraient pas et que je soupçonne d’être nombreux, cet événement a eu lieu en 1954 à Obninsk dans la région de Moscou (à l’échelle de la Russie et plus encore de L’Union Soviétique, on peut dire que c’est la région de Moscou). Il est dit, probablement avec raison, que la première bombe atomique russe a été fortement ‘inspirée’ par celle des Étasuniens ; ce n’est certainement pas le cas pour le nucléaire civil. On peut dire qu’à partir de ce jour, la Russie a pris un avantage dans le domaine du nucléaire civil sur tout le monde, sur Westinghouse, évidement sur les Français (qui ont commencé par reprendre le brevet de Westinghouse) qu’elle n’a plus jamais perdu mais au contraire augmenté. Cela se voit dans sa part du marché nucléaire actuel, très largement dominé par Rosatom, dans ses innovations successives, dans la diversité des concepts qu’elle a poussé jusqu’au stade final de production, dans sa flotte de sous-marins et brise-glace nucléaires, sans équivalent ou supérieurs à tout ce qui se fait ailleurs.
    Les trois sortes de mensonges, comme disait Churchill (c’est toujours Churchill qui invente les mots d’esprit, en tout cas selon les Anglais), sont les mensonges simples, les mensonges par omission et les statistiques. Ce qui était une blague dans la bouche de Churchill… ou d’un autre moins riche que lui est devenu la simple reconnaissance d’un fait dans nos pays. Et cela marche dans les deux sens. Pendant des décennies, j’ai entendu dire que les statistiques économiques fournies par le Parti Communiste Chinois étaient des craques plus grosses que le poisson qui a gobé Jonas, qu’il fallait diviser leurs chiffres gonflés aux gaz de houille par deux, par trois, par quatre. Dans le même temps, depuis 1980 disons, la Chine est passé de nation du tiers monde, adepte des pires famines du vingtième siècle, dotée d’une technologie datant du quinzième siècle, à la puissance économique mondiale numéro 1 (par parité de pouvoir d’achat). Il faut croire que leurs chiffres n’étaient pas si faux que ça, hein. Cette année encore, j’ai entendu notre virtuose de la diplomatie mondiale, notre virtuose de la finance mondialisée en plus d’être Notre Président Mondial, Macron 1er, affirmer dans le même esprit que les chiffres du PIB russe étaient des inventions grotesques qui le faisaient bien rire. Il répondait à l’annonce que la Russie, au milieu des sanctions de mille tonnerres de Brest, venait d’atteindre 3,6% de croissance sur 2023. Ah, on ne lui avait apparemment pas précisé que ces chiffres n’étaient pas issus de l’INSEE russe mais du FMI qui a effectivement la mauvaise habitude de ‘corriger’ ses chiffres quand ils concernent les ennemis de l’Empire, mais évidemment à la baisse. Si ces organismes émetteurs de statistiques économiques bien de chez nous ‘corrigent’ à la baisse les chiffres que nous ne saurions voir, ils ont en revanche une tendance invincible à les ‘corriger’ à la hausse quand ils concernent nos prévisions et résultats économiques. Ainsi, une nouvelle tradition bien établie par ces organismes consiste à annoncer des chiffres supérieurs à la réalité avant de les rectifier à la baisse par la suite quand la vérité des choses commence à percoler dans la conscience collective. L’intérêt de la manœuvre est au moins double. On profite d’abord du fait que les premiers chiffres qui sortent sont des estimations, donc sujets à affinements, un peu comme les premiers résultats d’une élection avant que la grande masse des votes soient dépouillés, pour les faire briller dans les gros titres des médias complices ou réellement ignorants de l’astuce (ce qui serait encore plus inquiétant sur leur niveau de journalisme). Puis on les révise à la baisse chaque mois, chaque trimestre, chaque année qui passe, en comptant bien que les nouveaux chiffres tout frais brillants sorti de la machine à faire reluire les stats et tout aussi tocs éclipseront ces mauvaises nouvelles. En bref, comment toujours chasser la vérité par de nouveaux mensonges : c’est un art que nous maîtrisons de mieux en mieux. Naturellement, le terme mensonge pour décrire ces agissements est le terme le plus correct car si ces estimations étaient sincèrement, accidentellement inexactes, elles ne le seraient pas chaque mois, chaque trimestre, chaque année toujours dans le même sens, celui qui vous arrange. Par exemple, la FED vient de sortir en même temps que ses nouveaux chiffres merveilleux (c’est relatif !) les chiffres révisés de la croissance économique des USA pour le premier trimestre 2024, en baisse comme toujours de 0,5 point par rapport au mois passé. À l’année, cela fait cher du mois passé. Dieu sait ce qu’il en restera en décembre de la croissance prévue en début d’année : un chiffre que j’ai oublié mais fabuleux dans tous les sens du terme, vous pouvez en être sûr ! Ces ‘erreurs’ sont si régulières maintenant que les financiers qui ont des gros portefeuilles en gestion et donc leurs couilles à perdre ont pris l’habitude de baisser tous les chiffres donnés par la Fed d’un demi-point par trimestre… et cela marche plutôt bien.
    La place d’un vrai journaliste dans nos pays à notre époque est en prison ou en exil comme l’a prouvé amplement Julian Assange. Le deal qu’il a dû signer pour sortir enfin de sa geôle est un procédé digne de 1984 : en bref, il a reconnu tous les chefs d’accusation qui lui avaient valu d’être jeté en cul de basse-fosse. Il est reparti en Australie, son pays natal, après sa libération ; je pense qu’il n’y restera pas longtemps s’il désire vivre vieux : c’est qu’il a forcément beaucoup de choses à dire encore et il est journaliste ! J’ai d’autres exemples moins illustres à l’esprit mais pas moins talentueux. Anatoli Sharii, Ukrainien, certainement un des journalistes européens les plus spirituels, les plus percutants, est en exil depuis des années dans divers pays, pour l’heure en Espagne jusqu’à ce qu’il y soit persona non grata, ce qui ne devrait pas tarder. Sa spécialité est l’investigation des groupes criminels, profession des plus dangereuses en Ukraine mais avec beaucoup de matière à traiter. C’est pourquoi il enquête principalment sur les divers gouvernements qui se sont succédés à Kiev. Dmitri Vassilets est un autre Kiévien opposant au gouvernement de son pays. Emprisonné sans preuve pendant plus de deux ans, il mène toujours un parti d’opposition, interdit évidemment comme tous les partis d’opposition. Son domicile actuel est inconnu et cela vaut mieux car il est sur la même liste (très officielle) des autorités de Kiev qui a valu l’assassinat de Daria Doughina, qui avait pourtant beaucoup moins de causes d’irriter les Services Spéciaux du Reich ukrainien.
    Let’s send in the clowns ! Pour terminer sur une bonne note, pour ne pas dire revigorante, faisons venir les clowns Biden et Trump. Leur ‘débat’ a donné lieu à quelques répliques dont je ne suis pas sûr que le plus ancien des deux ait saisi toute la drôlerie. Trump nous a expliqué son plan pour la paix en Ukraine : menacer de doubler l’envoi d’armements à Kiev si Poutine ne négocie pas, tout en menaçant les mercenaires de Kiev de leur couper armes et argent si ils refusent aussi de négocier. Conclusion logique : Poutine ne négociera pas, si bien qu’il n’y aura pas de négociation, si bien que Kiev se retrouvera sans arme et sans argent. Sinon, Biden nous a appris que son grand ennemi personnel Poutine allait envahir la Biélorussie, en plus de la Pologne, et peut-être le reste de l’UE et de l’OTAN si on ne l’arrêtait pas avant. Effectivement, il sait encore lire une carte, le vieux : la Biélorussie se situe bien entre la Russie et la Pologne: difficile de faire autrement. Les Biélorusses, quant à eux, ont sûrement été surpris d’apprendre qu’ils venaient d’être acceptés dans l’UE et même dans l’OTAN sans même qu'ils aient eu besoin de candidater.
    Enfin, je terminerai en donnant une liste probablement non exhaustive des penseurs, acteurs politiques et autres empêcheurs de tourner en rond qui me donnent matière à réflexion et ont donc quelques crédits involontaires dans les articles traitant de l’actualité que vous pouvez lire ici. Naturellement, il n’y a ni ordre alphabétique ni ordre d’importance ni aucun autre ordre dans cette liste, rien que le reflet de la nature aléatoire d’une mémoire faillible et intermittente. Il n’y a pas non plus de quotas obligés : au diable la parité des sexes ! Et pas de bonnes manières non plus : au diable la galanterie ! Je commencerai par le premier venu. Entre parenthèses, leur profession principale, réelle ou supposée et la langue dans laquelle ils s’expriment habituellement et dans laquelle vous avez donc le plus de chance (ou de malchance) de les lire, de les écouter :

- Anatoli Sharii (journaliste, russe)
- Dmitri Vassylets (entrepreneur, politicien, syndicaliste, journaliste, russe)
- Sergueï Karaganov (politicien plus doué pour la théorie que la pratique, russe, anglais parfois)
- Jacques Sapir (économiste, français)
- Tom Benoît (entrepreneur, économiste, français à l’accent gascon)
- Vladimir Poutine (espion, politicien, russe, bon en allemand aussi, paraît-il car je ne comprends pas cette langue)
- Mac Gregor dont le prénom est Douglas et non Colonel comme certains persistent à le prétendre perfidement (militaire, économiste, politicien, anglais avec accent américain)
- Alexander Mercouris (avocat, anglais anglais, possiblement grec si cette langue n’a pas déjà disparu)
- Big Serge (probablement historien, possiblement militaire, anglais)
- Jacques Baud (activités dites de renseignement, français avec à peine un léger accent vaudois, anglais compréhensible mais bien pénible pour l’auditeur)
- Scott Ritter (militaire, anglais américain)
- Andrei Martyanov (militaire, consultant aéronautique, anglais américain approximatif mais plaisamment comique avec un très gros accent, russe)
- Gilbert Doctorow (professeur de Dieu sait quoi, anglais américain mais sans accent, ni américain ni russe, russe)
- Rhod Mackenzie (entrepreneur, industriel, anglais avec des problèmes d’élocution, dus possiblement à son état de santé)
- Lena Petrova (économiste, anglais avec un léger accent étasunien, ce qui est bien normal puisqu’elle est … Étasunienne)
- Brian Berletic (militaire, ingénieur ?, anglais américain)
- Kevin Walmsley (entrepreneur, anglais américain)
- Alastair Crooke (diplomate, anglais anglais)
- Alain Foka (journaliste, français presque sans accent bien qu’il soit du Cameroun)
- Sean Foo (financier ? économiste ? Sean semble une américanisation de son prénom véritable, chinois sans doute avec un nom pareil, anglais grammaticalement correct mais rendu à l’oral presque incompréhensible par une prononciation défectueuse, sous-titres recommandés)
- Anastassia G (journaliste pour Think BRICS, très discrète sur son nom de famille et son origine, anglais rugueux avec un accent prononcé de l’Est, du Grand Est, suivez mon regard…)
- Yivgueni Super (réalisateur de programmes TV populaires, russe, à noter que Super est bien son nom de famille, pas un pseudonyme, CYПЕР en cyrillique)
- Pravin Sawhney (militaire, éditeur, auteur, anglais à l’accent indien typique, qui partage la palme des accents anglais les plus incompréhensibles avec l’anglais de Chine et l’anglais de France, il n’a même pas l’excuse des deux autres puisque l’anglais est pour ainsi dire la première langue des Indiens de bonne famille)
- Vijay Prashad (professeur de Dieu sait quoi, anglais moins bizarre à l’écoute que celui de son concitoyen Sawhney)
- Ben Norton (journaliste, anglais américain)
- Carl Zha (historien, anglais américain, chinois)
- Mark Sleboda (militaire, renseignements, anglais américain, russe)

dimanche 23 juin 2024

Isao Takahata : une longue montée vers la perfection


Isao Takahata est mort très récemment, en 2018, ce qui aurait fourni un excellent prétexte pour écrire cet article si seulement j’avais su qui il était. Le fait est que cet artiste remarquable m’était entièrement inconnu il y a de cela encore un an. Comme à peu près tout le monde qui s’intéresse à ce qui se fait de mieux dans l’univers du film d’animation, je connaissais assez bien depuis longtemps son collègue Miyazaki et ses nombreux films mais continuais d’ignorer sans le savoir le nom, l’existence et l’œuvre de Takahata.

Que Miyazaki ait pris toute la lumière par chez nous n’est pas étonnant : il a toutes les qualités ou tous les défauts que recherche avidement le public occidental, y compris français, de plus en plus influencé par le « goût » américain. Si on excepte le folklore proprement japonais qui ornemente certains de ses films, et encore bien peu, comme le très bon ‘Voyage de Chihiro’, l’esprit comme la matière principale des films de Miyazaki semble tiré de la littérature ou des légendes occidentales, parfois passées par le filtre déformant et fantaisiste de Disney. Un peu grossièrement, on peut dire que le cinéma de Miyazaki est composé selon les standards habituels d’Hollywood, soit 95% de pure fantaisie pour 5% d’ancrage dans le monde réel. Au fil du temps et, de toute évidence, de par la saine influence de Takahata, ce dernier pourcentage a été quelque peu révisé au-dessus de la dose homéopathique, mais sans que cette injection de réalisme n’atteigne la substance même de ses films. Aussi la découverte pour moi de Isao Takahata a été une double surprise. Car en plus de ses immenses qualités artistiques, les proportions chez lui sont presque l’inverse de celles chez son collègue de Ghibli. Même le fantastique le plus débridé de ‘Pompoko’ parvient à ne jamais se couper de la réalité quotidienne du Tokyoïte, aussi bien dans ses aspects psychologiques que politiques. Et cela pour une raison très simple : le réalisme est au cœur du propos de Takahata ; la forme peut changer radicalement selon les films — quel grand écart entre ‘Souvenirs goutte à goutte’ et ‘Pompoko’, pourtant réalisés à la suite, en trois ans à peine ! — mais le fond reste tout à fait cohérent.

Parlons donc un peu de la forme, également admirable chez ce réalisateur. C’est d’autant plus surprenant à première vue car Takahata, contrairement à Miyazaki, n’est ni animateur ni dessinateur. Or, une vision comparée même cursive de leur œuvre respective suffit à révéler l’énorme avantage en matière d’inventivité graphique pour le premier. Là où le style de Miyazaki ne s’éloigne jamais du standard de Ghibli, Takahata cherche les styles graphiques les mieux adaptés à son sujet. Cela peut sembler paradoxal, mais le pur plaisir du dessin, de la peinture, sont à trouver chez ce non-dessinateur. 

Enfin, un trait que j’apprécie particulièrement chez Takahata, un trait rare chez les artistes et chez les hommes en général, est qu’il n’aura cessé de se bonifier avec l’âge. Si on prend son premier film avec Ghibli et son dernier, la différence de qualité en faveur du dernier est criante, et cela à tous les niveaux, aussi bien artistiques que philosophiques si on ose dire. Et je ne parle même pas de sa longue carrière avant Ghibli, que je connais encore mal. Quelle heureuse stupeur de considérer que celui qui a commencé avec la série animée ‘Heidi’ a terminé avec ‘Le conte de la princesse Kuguya’, son chef d’œuvre, juste quelques années avant sa mort, alors qu’il avait déjà près de soixante-dix ans ! Combien d’exemples de ce type peut-on trouver dans toute l’histoire de l’art, même en ajustant l’âge de la vieillesse selon l’époque de l’artiste ?

Je vais maintenant passer en revue sa courte filmographie avec Ghibli et je terminerai donc par le meilleur.




Le tombeau des lucioles : pas le meilleur quoiqu’il soit déjà très bon. Le style graphique est standard pour le studio, avec juste une attention plus importante pour les petits détails qui font vrai. La volonté évidente de mélodramatisation a pour effet d’affaiblir et non de renforcer le propos. Les horreurs de la guerre n’ont pas besoin de cet artifice. On peut regretter aussi le discours à sens unique, à charge : la guerre est un grand révélateur pour l’être humain, et que ça plaise ou non, du meilleur comme du pire ; ici, je crains bien qu’on n’ait droit qu’au deuxième aspect en dehors des deux enfants. Reste malgré ces réserves une histoire centrale forte et une des meilleures évocations de la guerre dans le cadre d’un film d’animation. 




Souvenirs goutte à goutte : ici, l’intérêt du récit semble minimal. On est dans du cinéma vérité, naturaliste, apparenté à l’ancien cinéma italien et français (disparus aujourd’hui) qui semble avoir pour horizon indépassable le documentaire. On sait que Takahata était un grand admirateur de la culture européenne, tout particulièrement de la feue culture française, naturaliste par essence. Bien sûr, il s’agit d’une illusion soigneusement construite car ce type de récit ou d’écriture demande autant de soin et d’art que des drames extraordinaires. Il n’y a pas moins d’art chez Tolstoï que chez Shakespeare ou Cervantès. Mais l’effet est atteint dans l’ensemble et on croit à l’itinéraire banal de cette citadine vers une vie paysanne plus rêvée qu’authentique, jusqu’à ce que justement la réalité la rattrape. Je noterai en particulier la splendeur graphique de certaines scènes, comme la promenade des deux (ou trois ?) jeunes gens dans la lumière dorée du soleil couchant, tellement bien rendue dans les tons, les ombres et les lumières, la vibration même de l’air, qu’on s’y croirait. Quelqu’un me dit que le sourire de l’héroïne adulte est raté et la rend effrayante : c’est possible, je n’ai pas remarqué. Au final, je dirais que le second film de Takahata présente à peu près ses forces principales là où le premier montrait des faiblesses et réciproquement. Aucun mélo ici mais le récit manque un peu de force, d’intensité.




Pompoko : Son premier chef d’œuvre. L’histoire est originale et en grande partie de lui. L’animation et le graphisme sont encore améliorés par rapport à son film précédent pour atteindre des niveaux exceptionnels. Il est clair que lorsque Takahata fait confiance à un graphiste et à un animateur, il leur laisse une grande liberté, ce qui explique ce déferlement de trouvailles qu’on aurait bien de la peine à trouver chez les autres réalisateurs de Ghibli, sans parler évidemment de la standardisation d’une médiocrité accablante et toujours croissante de Disney. Et là où un Ocelot peut paraître parfois précieux, excessivement sophistiqué, Takahata vise toujours à l’efficacité narrative en plus de la splendeur visuelle. Le propos écologiste du récit est parfaitement contrebalancé par les réalités de la vie moderne. Les tanukis (des chiens viverrins en français) aux multiples niveaux de métamorphose sont les Indiens de Tokyo. Ils ont une seule alternative : s’adapter ou disparaître. Après un long combat, ils finiront par accepter l’inévitable, comme les renards magiques avant eux, non sans avoir essuyer de lourdes pertes en passant. Ce n’est pas sûrement pas un récit pour les idéalistes béats.




Nos voisins les Yamada : un virage à 180° (et non à 360° comme dirait Baerbock, une de nos crèmes d’idiotes) exécuté avec une maîtrise impressionnante. Ce film est adapté de ces bandes dessinées en trois (ou quatre ?) cases, très répandues à une époque dans les journaux de tous les pays ayant une culture de la bande dessinée et donc au Japon. C’est dire que le projet d’en faire un long métrage était une gageure. Takahata a opté pour la simplification graphique maximale, sauf pour quelques scènes imaginaires, et pour un style d’aquarelle très légère, proche du lavis (en fait recréé par PAO). J’imagine que ce style et sans doute les premières scènes à la narration fantastique (entremêlant événements du plus banal quotidien et délires phantasmatiques) a déconcerté le public japonais, habituellement meilleur juge des œuvres de Takahata. Le film a été un bide. C’est tout à fait dommage car il est excellent, en particulier quand il prend vraiment son rythme et son ton définitifs au bout du premier quart. Ce regard amusé, goguenard, souvent sarcastique, sur une famille japonaise somme toute assez typique, avec la grand-mère à la maison, en plus des deux enfants m’a davantage fait penser à Mafalda qu’à Snoopy, bien qu’il y ait un chien philosophe là aussi. On retrouve les mêmes qualités humaines et narratives que chez l’Argentin mais l’esprit est plus mordant et plus franchement comique. Cela vient sans doute du fait que la focale est bien plus mise sur le père de famille que sur la fillette, évidemment plus charmante, mais moins drôle que son géniteur. Celui-ci m’a fait penser à une caricature du père de l’héroïne dans ‘Souvenirs goutte à goutte’, aussi bien pour le physique que pour le moral, bien qu’il soit finalement plus humain et donc plus sympathique. Sa femme est également très drôle en bobonne un peu branque et la grand-mère n’est pas vraiment plus édifiante. Tous les personnages y compris le chien, très sobre, sont excellents. Personnellement, le film aurait pu durer une heure de plus sans que ça me dérange, bien au contraire. 



Le conte de la princesse Kaguya : il s’est passé dix ans entre le film précédent et celui-ci qui sera le dernier de Takahata. Comment expliquer un tel délai ? L’échec commercial du précédent ? Un découragement de l’auteur ? Je n’ai pas les réponses mais il y a sûrement quelque chose à creuser ici. En tout cas, une raison qui peut être écartée est le manque d’inspiration ou la perte de créativité de Takahata. Je le tiens pour le sommet de son œuvre, au moins période Ghibli (et j’ai beaucoup de peine à croire qu’il ait fait mieux avant). Le titre peut être trompeur en ce que le récit n’est ni vraiment merveilleux comme le terme conte pourrait le laisser croire et encore moins fantaisiste. Il s’agit plus d’une fable réaliste, où comme souvent avec l’auteur, le rêve enfantin doit finalement céder face aux dures leçons de la réalité. Est-ce que la leçon est triste ? Non. Mais c’est clairement la leçon inverse de celle de Peter Pan, ce curieux syndrome dont souffre, en plus de quelques autres encore plus épouvantables, une majorité de Nord-Américains et de pas mal d’Européens contaminés par l’américanisation de nos sociétés. Takahata démontre ici une épaisseur philosophique mariée avec une grâce artistique qui n’a pas d’égal, à ma connaissance, dans tout le cinéma d’animation.

Tous les films Ghibli de Takahata sont disponibles sur Netflix, par exemple. Voici le film promo pour la princesse Kaguya, qui ne donne qu'un très faible aperçu de la beauté narrative et visuelle du film:




samedi 18 mai 2024

L’art de la guerre illustré : la guerre en Ukraine.

Les drapeaux sont aux couleurs locales: ah! mais lesquelles?


    Ce qui s’appelait originellement Opération Militaire Spéciale est presque toujours mal compris en Occident, que ce soit à dessein ou par ignorance. L’idée qui traîne actuellement dans tous les cercles d’experts militaires occidentaux que l’armée russe s’est améliorée depuis février 2022 est vraie comme une vérité de la Palisse est vraie ; elle ne sert qu’à justifier leur fausse analyse antérieure que l’armée russe de 2022 était incompétente, pas motivée, sous-équipée, ou avec des équipements obsolètes. Cette grossière erreur d’analyse ou cette incompréhension totale est doublée d’une posture, d’un discours extraordinairement dangereux. 
    En guise de préambule, je donne ici quel est à mon avis le point crucial qu’a oublié ou que refuse de voir l’Occident. Je ne m’attarde pas sur le discours ukrainien, qui n’a pas vraiment d’importance, et qui est à mettre sur le compte de têtes brûlées qui n’ont rien à perdre, ayant de toute façon déjà entièrement ruiné le pays. Néanmoins, on aurait pu espérer de la part des responsables occidentaux, les montreurs de marionnettes, qu’ils fassent davantage preuve de lucidité et — justement — de responsabilité. Or, leur discours est incroyablement dangereux et irresponsable. Leur obstination à transformer ce conflit en combat entre le bien et le mal, en employant une posture morale et parfois eschatologique qui rappelle le discours israélien vis à vis de la Palestine et de ses voisins arabes en général, est périlleuse à l’extrême. Peu importe ce que vous pensez de la Russie, peu importe que ses raisons pour déclencher son Opération Militaire Spéciale vous paraissent bonnes ou mauvaises, il y a au minimum un point que vous ne devez jamais perdre de vue, pas une minute : la Russie est une puissance nucléaire et il est hors de question de rentrer directement dans un conflit avec elle quand vous êtes vous-même une puissance nucléaire. Il est à peu près certain — et il serait idiot au possible de vouloir absolument vérifier cette assertion — qu’une guerre ouverte entre l’OTAN et la Russie amènerait au final à une guerre nucléaire. Quand la Terre sera dévastée et invivable, cela nous fera une belle jambe de savoir que la « vertu » a gagné. Ce doit donc être un principe absolu dans la pensée stratégique de ceux qui nous gouvernent et malheureusement, on doit constater qu’il n’est pas compris par tout le monde… Pour le moment, l’irréparable n’a pas été commis et on peut se féliciter de la retenue dans les actes des deux camps. Les occidentaux évitent d’envoyer des armements trop dangereux à son proxy et de son côté la Russie feint de ne pas savoir que ce sont des awacs qui surveillent le ciel et fournissent tous les renseignements nécessaires à l’artillerie et aux lance-missiles ukrainiens pour cibler les forces russes, que ce sont des militaires occidentaux qui sont aux commandes des équipements les plus modernes (et les plus onéreux), que les soi-disant mercenaires sont en fait pour la majorité des conseillers militaires ou des spécialistes d’opérations spéciales venus des divers services occidentaux. Mais plus le temps passe et plus il devient clair que cette retenue de l’OTAN est plus liée à une impuissance qu’à un manque d’envie. Si de plus, jusqu’ici, les pays occidentaux croyaient que l’Ukraine pouvait triompher en solo avec leur aide, c’est maintenant terminé et il est évident que certains cherchent une méthode plus ou moins astucieuse pour faire rentrer aussi discrètement que possible l’OTAN sur le terrain, pour de vrai, sans plus se cacher. La constatation simple qu’ils ne peuvent vaincre la Russie sur son terrain par les méthodes conventionnelles ne semble pas pourvoir les dissuader. En effet, comment dans un combat entre le bien et le mal, l’ange d’Occident pourrait accepter de ne pas continuer à combattre le démon maléfique venu de l’Est ?
    Bien, passons maintenant aux faits et à la partie plus substantielle de ce conflit.
    Je vais ici essayer de décrire clairement ses phases successives, ses causes et ses conséquences très prévisibles — mais jamais certaines évidemment (l’art de la prévision est très difficile, surtout dans l’avenir, comme disait quelqu’un). N’étant pas un expert militaire, je me contenterai de décrire les grandes lignes des événements, grandes lignes qui apparaissent toujours avec le recul, même pour un œil non spécialiste, à condition d’avoir bien fait ses devoirs auparavant, ce qui est sans aucun doute mon cas. Après tout, il n’est pas nécessaire d’être grammairien diplômé de la Sorbonne pour reconnaître les propositions successives d’une phrase, ses articulations et sa signification générale.

    Tout d’abord, il est utile et en fait nécessaire de réaliser que la guerre n’a pas commencé en février 2022. Ce n’est pas une théorie, c’est un fait. Elle a commencé comme une guerre civile en 2014, entre Ukrainiens de l’ouest et Ukrainiens de l’Est pour faire simple. La cause est non moins certaine : le renversement du gouvernement de Yanoukovitch, élu aussi démocratiquement que ses distingués collègues d’Europe occidentale, un politicien modérément pro-russe, ce qui n’a rien d’une tare, et est même recommandé, surtout quand votre économie dépend plus qu’à moitié du commerce avec le grand voisin de l’Est. Sur l’opération « spéciale » de Washington consistant à apporter liberté et démocratie aux Ukrainiens selon ses méthodes habituelles, je vous recommande le très bon documentaire d’Oliver Stone sur ces événements bien documentés, dont j’ai oublié le titre mais vous le retrouverez facilement (« Ukraine on fire » ou quelque chose comme ça ; il existe en version française aussi, je crois). L’Ukraine est en effet un pays à peu également partagé entre les russophiles et les russophobes. Il faut ajouter que les russophobes comme les russophiles ont un point commun : ils parlent tous russe. Les Ukrainiens parlant spontanément l’ukrainien sont à peu près aussi nombreux que les Bretons parlant breton.
    L’Ukraine a une caractéristique plus ennuyeuse dans le fait qu’elle présente la plus grande concentration de nazis au monde actuelle. Tout au plus pourrait-on distinguer entre les vrais nazis, disciples de Bandera, majoritairement issus de la région de Lvov, qui ont fini par former le bataillon d’Azov, et les fachos plus ordinaires de Right Sector, Kraken et autres milices paramilitaires qu’on peut trouver en revanche partout (à l’époque, c’étaient des paramilitaires, maintenant ce sont des militaires tout court : ils forment même l’épine dorsale de l’armée ukrainienne actuelle. Zalujny, l’ancien chef d’état-major de l’armée, avait (et a toujours, j'imagine) un buste de Bandera posé bien en évidence sur son bureau et un autre sous forme de poster plaqué dans son dos. Et naturellement les nazis font des trucs de nazi : à quoi s’attendre d’autre ? Aussi, suite au massacre de Maïdan, orchestré selon les principes éprouvés de la CIA, un simple hors d’œuvre, ils se promettaient de remettre de l’ordre dans tous les oblasts (régions de l’Ukraine) qui avaient la détestable habitude de voter à 90% pour les candidats russophiles et de vouloir parler leur langue maternelle où ça leur plait quand ça leur plait, le russe. Une politique de terreur et de ségrégation, digne de leurs modèles du troisième Reich, s’est alors mise en place dans tout le pays mais plus particulièrement à l’est.  Naturellement, quand vous déclarez à une grosse moitié de la population de votre pays que vous êtes des sous-citoyens, des sous-hommes, cela se passe mal. Des partisans très courageux (les premiers sont toujours les plus courageux, de très loin) ont décidé du côté de Donietsk et de Lougansk de sonner la révolte contre le gouvernement illégitime de Kiev, à peu près en même temps que la Crimée rejoignait la Russie. Vous vous demandez peut-être pourquoi les autorités de Kiev, menées par Porochenka et sa bande de mercenaires, n’ont pas bombardé alors la Crimée comme ils l’ont fait des oblasts de Donietsk et de Lougansk. Très simplement, parce que la Russie ne les aurait pas laissé faire et qu’ils pensaient à l’époque n’être pas prêts pour cette grande confrontation, inévitable. Poutine a dit que sa plus grande erreur était de ne pas être intervenu à ce moment-là en faveur des deux oblasts rebelles. Peut-être. On ne peut pas réécrire l’histoire. Peut-être aussi que la Russie n’était pas prête alors à affronter l’hydre à sept têtes (au moins) qui se cachait derrière le gouvernement mercenaire de Kiev, et en particulier l’ogre dévoreur d’enfants washingtonien. Quoiqu’il en soit, pas très fière d’elle, la Russie a laissé les nouvelles républiques de Donietsk et Lougansk se débrouiller seules contre le nouveau proxy otasunien. Tout au plus a-t-elle envoyé des armes, et pas des plus modernes, ainsi que quelques conseillers ou instructeurs, puisque les rebelles comptaient très peu de soldats de métier parmi leurs rangs. Jamais la Russie n’est intervenue directement dans le conflit entre 2014 et 2022. C’était de fait une guerre civile et aucun doute que cela le serait resté si le gouvernement fantoche de Zelenski, soutenu et encouragé financièrement, militairement, politiquement par Washington ne s’était pas senti pousser des ailes. Durant le laps de temps en effet, l’État-nation Ukraine était devenu l’instrument de prédilection de Washington et Zelenski sa marionnette des guignols préférée. Mais avec la manne venue de l’Ouest, ils avaient pu considérablement augmenter la taille de leur armée, bénéficier des bons conseils et autres supervisions otasuniennes, créer d’imposantes fortifications tout le long du front traversant les oblasts de Donietsk et Lougansk, et préparer en somme le terrain pour la guerre, la vraie, qui les opposerait à la Russie. Cat tel a toujours été le but de Washington : pousser la Russie à intervenir directement et lui casser les reins à la fois par la science militaire occidentale jugée très supérieure et par les sanctions économiques les plus dévastatrices jamais appliquées.
    Le souhait de Washington a finalement été exaucé en février 2022. Mais il faut remarquer que la Russie a traîné des pieds autant qu’il était humainement possible, cherchant une solution diplomatique, tandis que les enfants du Donbass se faisaient massacrer (ah, bien sûr, on ne vous en pas parlé à la radio-télé !). Combien de fois les diplomates et politiciens russes du plus haut niveau ont tenté d’obtenir un apaisement de la situation ? Dix fois ? Vingt fois ? Jusqu’à la fin ou presque, ils semblent y avoir cru, même après que les deux accords de Minsk aient été aussitôt bafoués par Kiev (et par ses généreux patrons occidentaux mais ça va sans dire). Disons-le clairement, Poutine a montré une grande frilosité ou une très grande prudence, choisissez le terme qui vous plaira. Mon impression est qu’il avait un gros doute, non sur la prépondérance de son armée face à l’ennemi, mais sur le niveau de résilience de l’économie russe face au déchaînement des sanctions qui ne manqueraient pas de leur tomber sur la tête. Finalement, quand il est devenu évident que Kiev était prête à liquider l’énorme ghetto qu’étaient devenus les deux oblasts tronqués de Donietsk et de Lougansk, ayant multiplié les bombardements par dix et ayant amené des troupes massives vers la ligne de front, il s’est résigné à donner le feu vert à l’armée pour intervenir et fait sa déclaration à la télé.
    Le premier plan des Russes, le plan A disons, était d’entrer très rapidement en Ukraine avec une force limitée, une grosse centaine de milliers de soldats, ce qui est très peu pour un pays de la taille de l’Ukraine (qui est, ou plutôt était, plus grand que la France, rappelons-le pour les prix Cécile Duflot de géographie). Cette force était jugée néanmoins suffisante pour atteindre les faubourgs de Kiev et d’autres grandes villes, Hrerson, Hrarkoff, Zaporodjié et mettre une telle pression sur le gouvernement ukrainien qu’il ne puisse faire autrement que venir à la table des négociations. Et ce plan a bien failli fonctionner. Il y a bien eu des négociations à Istamboul. Les propositions de la Russie, comparées à ce que peut espérer l’Ukraine aujourd’hui, étaient incroyablement généreuses : les Kiéviens gardaient l’intégralité de leur territoire, hormis la Crimée évidemment, sous condition de renoncer à leur politique de ségrégation antirusse, de renoncer à leur adhésion à l’OTAN, de se séparer des éléments nazis de leur armée et gouvernement. Les deux parties ont signé les premières moutures de l’accord de paix. Puis… Boris Johnson est arrivé. Bon, je n’étais pas là et je ne peux affirmer que le clown anglais est bien celui qui a tout fait capoter. Il y a tant de clowns qui se disputent la palme de l’absurde tragique aujourd’hui en Occident comme en Ukraine qu’il est difficile d’y voir clair sur qui prend réellement les décisions. Quoiqu’il en soit, le plan A des Russes a échoué in extremis. Je ne vois personnellement aucune erreur de l’État-major russe dans cet échec. Même s’il n’avait qu’une chance sur dix de réussir, il fallait commencer par là ; la possibilité d’épargner des centaines de milliers de vie humaines, d’éviter d’envoyer des millions de réfugiés dans la nature, sans parler des dégâts matériels colossaux, non seulement le justifiait mais l’exigeait. Cependant, ils ont probablement péché pour une fois par optimisme, faute rare chez les Russes, comme le montre leur relative lenteur à mettre sur pied une force beaucoup plus importante, nécessaire pour la phase qui allait suivre, la guerre d’attrition. (À ce sujet, on peut trouver étrange qu’un pays comme la Russie n’ait pas eu en réserve au moins une centaine de milliers de soldats, disponibles au pied levé, qui auraient permis de tenir Hrerson et la région de Hrarkoff. C’est bien sûr parce que ces réserves étaient déjà marquées pour une hypothétique attaque des Otasuniens, improbable certes mais que la Russie se devait, et se doit toujours, de considérer très sérieusement).
    Durant cette première phase de l’intervention russe, essentiellement couronnée de succès, il faut noter la rapidité stupéfiante avec laquelle les Russes ont pénétré en Ukraine, vraiment comme dans du beurre, prenant près d’un quart du pays en quelques jours. Pour une guerre de manœuvre, c’est un résultat d’autant plus impressionnant qu’à notre époque de satellites et de drones omniprésents — les Ukrainiens bénéficient à plein de l’ISR washingtonien — il est impossible en principe de bouger des troupes ou du matériel en masse sans que cela se sache. La seule manière d’expliquer la surprise et la déroute ukrainienne premières est leur conviction que l’armée russe attaquerait au Donbass. Et bien sûr qu’il y avait des forces massées à cet endroit, majoritairement les forces miliciennes de Donietsk et Lougansk, avec sans doute quelques brigades russes pour tromper l’observateur. Or, elle a attaqué partout sauf là, évitant les fortifications préparées longuement et amoureusement pour empaler l’envahisseur. Ils ont jailli simultanément de l’extrême sud et de l’extrême Nord, prenant complétement les forces ukrainiennes à revers. Certes, les Russes ont payé un prix pour cette avancée éclair mais comparé à ce qu’ils auraient payé en attaquant frontalement au Donbass, c’était presque une promenade de santé.
    Les Russes ne sont réellement passés au plan B qu’à la fin de l’été 2022. S’ils ont commis une erreur stratégique dans la conduite des opérations militaires, c’est là. On ne doit pas minimiser l’importance de cette erreur : elle a coûté et va continuer de coûter beaucoup de vie de soldats russes dans l’entreprise obligée de reconquête de ces territoires perdus puisqu’une partie se trouve dans l’oblast de Hrerson et une autre dans celui de Lougansk, territoires devenus russes depuis le referendum de septembre 2022. Entre-temps, après les accords avortés d’Istamboul au début du printemps, ils ont poursuivi le plan A et ont liquidé ou capturé le restant des nazis d’Azov, retranchés à Marioupol. C’est à ce moment précis qu’ils auraient dû enclencher le plan B, sachant maintenant que la guerre allait être totale. Mais ils ont tardé et la mobilisation partielle (très partielle) pour combler le déficit n’a débuté qu’en septembre. C’était trop tard. Les soldats ukrainiens étaient beaucoup plus nombreux et les Russes ont dû reculer, en bon ordre à Hrerson, en moins bon ordre à Hrarkoff. Dans ces opérations de reconquête relative, les Ukrainiens ont perdu un nombre ahurissant d’hommes, parmi leurs soldats d’élite, facteur qui a certainement contribué à l’échec de leur offensive de l’année suivante.
    Le plan B est donc décrit généralement par tous les observateurs, de quel camp que ce soit, comme une guerre d’attrition. La guerre d’attrition consiste à prioriser la destruction de l’ennemi, hommes et matériels, sur les gains territoriaux. Elle consiste aussi, bien sûr, à préserver au maximum ses propres troupes et matériels. Notez bien que c’est le plan de l’armée russe, certainement pas de l’armée ukrainienne, et encore moins de ses sponsors washingtoniens. Pour qu’une guerre d’attrition soit optimale, il est donc nécessaire de forcer l’ennemi à venir jouer sur votre terrain, ou tout au moins de l’y inciter. Défendre est normalement plus facile que d’attaquer, pour des raisons qui sont évidentes même pour un profane comme moi. L’armée qui attaque se découvre, en principe (on verra qu'on peut imaginer une exception à ce principe général), l’armée qui défend reste à l’abri de ses fortifications spécialement conçues à cet effet. C’est d’autant plus vrai si vous bénéficiez d’une puissance de feu supérieure, ce qui est indiscutablement le cas de l’armée russe. Au mieux de sa forme, au tout début de sa « fameuse » contre-offensive, et après avoir reçu les stocks de l’OTAN, l’Ukraine était peut-être à égalité en termes de munitions tirées par jour. Cette période de toute façon s’est très vite terminée. À partir de l’automne 2022 et jusqu’au début de l’automne suivant, l’armée russe n’a pas dérogé à cette stratégie. Et elle s’est avérée absolument dévastatrice pour l’adversaire. Pourquoi pensez-vous qu’il y a tant de discussions en cours en Ukraine pour mobiliser une nouvelle armée ou dans nos pays fantoches pour envoyer des troupes au sol ? La réponse est très simple : l’armée ukrainienne est devenue une estropiée, boitillant péniblement de ci de là pour maintenir un semblant d’illusion : il faut bien, sinon c’est la débandade complète. Tout le monde le sait. Là-haut. Mais vous, petit homme, vous n’êtes pas censé le savoir. Alors on continue de vous endormir avec des fables pour enfants de cinq ans. Bon, si vous préférez les contes pour enfant de cinq ans, c’est votre droit.

    Le succès total de cette phase de la guerre, vu de Russie, a été grandement facilité par la propension du gouvernement ukrainien à commettre encore et encore deux erreurs. La première est de vouloir passer à l’offensive quand la raison aurait dû lui dicter de préparer sa défense. Cela ressemble au joueur d’échec qui pense compenser la perte de ses pièces en se lançant dans des attaques tous azimuts ; bien sûr, le résultat le plus probable est qu’il va seulement parvenir à augmenter ses pertes relativement à celles de l’adversaire. La seconde est de vouloir coûte que coûte (on sait qui adore cette expression) s’accrocher à chaque miette de territoire, même pour des positions clairement désavantageuses, et ceci, presque jusqu’au dernier homme. Ah vous connaissez la formule favorite des politiciens de Washington : « combattez mes braves, combattez, jusqu’au dernier des Ukrainiens ! » Ces gens sont de grands philanthropes. Naturellement, si les chefs ukrainiens sont en réalité des mercenaires à la solde d'autrui et pour la plupart des crapules pendables, ils ne sont en revanche pas tous bêtes. Ils savent, au moins pour les plus éclairés — catégorie dans laquelle on ne peut ranger le Pinocchio vert de gris — que c’est une stratégie perdante. Perdante pour l’armée, pour le pays, pour la société ou ce qu’il en reste, mais pas pour eux. Ils ont parfaitement compris qu’ils devaient sans cesse alimenter l’espoir et l’illusion chez leurs grands amis de l’Ouest s’ils voulaient continuer à percevoir la manne sonnante et trébuchante en exécutant ces véritables opérations de communication, aux conséquences désastreuses pour leurs soldats. Et donc ils continuent. Même aujourd’hui dans l’état de délabrement pitoyable auquel sont arrivés l’armée ukrainienne et le pays tout entier, vous pouvez les entendre parler de repasser à l’offensive… en 2025… 2026… 2027… Ah mais attendez, Macron va envoyer ses soldats, sa grande armée napoléonienne d’au moins… une brigade. Quelle farce ! Sinistre farce !
    Ce choix très délibéré et maintes fois répété par l’état-major russe a donc été grandement favorisé par la stratégie otanukrainienne, en parfaite correspondance avec ce plan qui était : reprendre chaque mètre carré saisi par l’adversaire, y compris la totalité du Donbass, y compris et surtout la Crimée. En fait, les loyaux serviteurs ont été plus royalistes que le roi washingtonien, qui apparemment, se serait volontiers contenté de la Crimée. L’obsession des sponsors anglo-saxons en particulier à vouloir reprendre la Crimée reste quelque peu un mystère à mes yeux, à moins bien sûr qu’ils ne veuillent passer leurs prochaines vacances là-bas, mais en tout cas, cela convenait parfaitement à l’armée russe qui avait bâti sa plus formidable ligne de défense précisément pour en interdire l’accès, la maintenant célèbre ligne Sourovikine. On se rappelle du cimetière de blindés occidentaux à Rabotina. On se souvient comme les cimetières d’hommes ont soudain fleuri jaune et bleu dans toute la nation kiévienne. Quelle réussite, entièrement payée, conçue et pilotée par nos experts militaires : une gloire immense de plus à leur actif !
    Cette guerre par attrition imposait d’autres choix très logiques à l’état-major russe, qui ont souvent laissé perplexes ou critiques les observateurs pro-russes, bien à tort. Pourquoi ne pas avoir coupé les ponts du Dniepr dès le début des hostilités ? Pourquoi avoir attendu ce printemps pour détruire les centrales énergétiques du régime kiévien, hors centrales nucléaires (seuls les kiéviens sont assez irresponsables pour bombarder une centrale nucléaire, même à l’arrêt, comme celle de Zaporojié) ? Eh bien pour laisser venir l’armée kiévienne encore et encore, avec leur matériel lourd, là où les Russes ont leurs lignes de défense préparées, très à l’est du pays et donc bien plus favorable pour des questions évidentes de raccourcissement logistique. De même, il ne fallait surtout pas paralyser le pays en détruisant ses centrales énergétiques tant que l’opération d’attrition était en cours, de façon à ce que l’armée kiévienne reste aussi mobile que possible, toujours dans le même dessein. À dire vrai, il y avait aussi un autre motif à l’époque, humanitaire, qui était de limiter la souffrance du peuple civil ukrainien. Mais je crains bien que ces gentillesses ne soient plus de mise. Enfin, on peut signaler que le fait d’obliger l’armée kiévienne à venir affronter les Russes le long d’une ligne à peu près immuable a concentré les destructions sur une relativement faible portion du pays et donc préservé le reste. Je crois que c’était à un moment un objectif de l’état-major russe ; il est probable que ce n’en est plus un aujourd’hui et que la Russie a intégré le fait qu’elle devra reconstruire la majeure part des nouveaux territoires conquis.
    En fait, la guerre par attrition choisie par la Russie pour éliminer le danger ukrainien ne devrait pas surprendre puisque c’est en quelque sorte la spécialité incontestée de ce pays depuis des siècles. Les grandes manœuvres style blitzkriegs sont des exceptions dans son histoire et quand elles ont eu lieu, c’est toujours après une longue période d’attrition de l’adversaire. C’est probablement une des raisons pourquoi les Kiéviens ont été si décontenancés dans les premiers jours de l’Opération Militaire Spéciale par ce déploiement éclair en dehors de toutes les bonnes traditions locales. À la fin de la phase II, en octobre 2023, lorsque la Russie est passée à ce qu’elle appelle une « défense active », on peut estimer que l’essentiel était fait et que la suite des opérations ne ferait qu’officialiser ce qui était déjà patent : la défaite militaire de Kiev et de ses généreux patrons occidentaux. Pourquoi ? La colonne vertébrale de l’armée kiévienne est largement détruite avec la perte de ses soldats les plus chevronnés, ce qui ne peut être remplacé ni à court ni à moyen terme — les seuls termes envisageables pour une armée en perdition — l’assèchement très net des stocks d’armes disponibles chez ses généreux patrons et enfin la production d’armes et de munitions occidentale clairement incapable de suivre le rythme en accélération constante de sa contrepartie russe. Quand on connaît l’état industriel des pays occidentaux, y compris l’Allemagne, y compris les USA, et quand on regarde de l’autre côté la croissance industrielle de la Russie depuis au moins une décennie, ça n’a rien d’une surprise. Les occidentaux ont bu goulûment et avidement leur propre breuvage empoisonné, leurs propres mensonges, leur propagande absurde sur l’impotente Russie au PIB digne de l’Espagne (voir mon article précédent à ce sujet*)!
    La phase III, celle de la "défense active" a donc commencé officiellement en octobre 2023, après les fortes éclaircies dues à sa stratégie précédente. Disons que l’état-major russe a senti que l’adversaire était mûr, prêt à être cueilli. C’est alors qu’elle est partie à l’assaut du bastion cru imprenable d’Adviievka. On pourra remarquer à juste titre qu’elle avait déjà fait de même l’an précédent avec Bahrmout, au beau milieu de sa stratégie d’attrition ; soit on mettra ça sur le compte des exceptions inévitables dues à la mentalité russe, soit sur le fait qu’une opération isolée n’engage pas la stratégie globale, soit sur une erreur d’analyse de l’essayiste. Pour défendre celui-ci (si besoin était), j’invoquerai les mânes du disparu très peu regrettable Prigojin et du fait qu’il était ce qu’on appelle communément un électron libre, clairement rétif à toute stratégie venue de l’état-major. Mon idée sur la question est que si l’état-major avait été vraiment aux commandes de cette opération, et non les demi-mercenaires de Wagner, elle aurait pris un visage bien différent. De toute façon, l’opération d’Adviievka se distingue de celle de Bahrmout par le fait qu’elle a révélé pour la première fois depuis l’été 2022 l’intention de l’armée russe de pousser son avantage encore et toujours. Cette expression de « défense active » choisie par le ministère de la Défense russe, donc très officiellement, signifie que la stratégie de défense le long de lignes fortifiées à l’avance s’accompagne d’offensives limitées dans leur ampleur destinées à harceler l’adversaire, tout en conservant l’objectif prioritaire de l’attrition. Cette stratégie ne peut être payante dans le cadre d’une guerre d’attrition que si l’adversaire est déjà suffisamment affaibli, en particulier dans le secteur de sa défense anti-aérienne. Ceci permet en effet de faire intervenir beaucoup plus librement ses propres forces aériennes et réaliser par des bombardements massifs ce qui dans la phase précédente était réalisé par l’artillerie, les drones sur des unités en mouvement ; à savoir une destruction considérable des forces ennemis sans grand risque pour sa force aérienne et permettant d’attendrir suffisamment l’adversaire avant l’assaut des tranchées par les fantassins et blindés. Il y a toujours des pertes lors de l’assaut mais bien moindres que celles des défenseurs impuissants pris sous les bombardements massifs : on est bien donc toujours dans une stratégie d’attrition gagnante. De plus, les forces kiéviennes exsangues ayant par force dû se résigner à une stratégie défensive, il était devenu difficile de poursuivre cette attrition en attendant tranquillement l’ennemi dans les positions préférentielles russes.
    À la fin du dernier mois, ou peut-être même au tout début de mai — les sceptiques feront leurs propres recherches comme pour toutes les affirmations scandaleusement autoritaires contenues dans cet article — la Russie a annoncé officiellement quoique très discrètement par la voix du porte-parole des armées qu’elle était passée à la phase IV, l’offensive. Mon impression est que c’était déjà le cas depuis un petit moment. J’ai tâché de faire le compte des villages et villes (plus de 10 000 ha avant conflit) dont l’armée russe s’est emparée depuis la prise d’Adviievka à la mi-février jusqu’à la fin du mois d’avril, ce qui n’est pas si facile que ça en a l’air étant donné les va-et-vient inévitables et les désaccords entre observateurs du front (aussi bien russes qu’ukrainiens). Grosso modo, j’arrive à une vingtaine de villages et au moins trois villes prises, ce qui me paraît beaucoup pour de la « défense active ». C’est d’autant plus vrai que l’avancée russe à l’ouest d’Avdiievka a été de plusieurs dizaines de kilomètres. Quoiqu’il en soit, le nouveau terme « d’offensive » arrivé dans le lexique du très réservé Ministère de la Défense, est un signe annonciateur de gros orages à venir pour les pauvres diables poussés à la pointe de la baïonnette dans les tranchées kiéviennes par les mercenaires vert de gris de Zelenski. On imagine mal comment des missiles sol-sol ATACAMs ou des F16s si ceux-ci arrivent vraiment (c’est comme l’Arlésienne : on en parle sans cesse mais ils n’arrivent jamais) vont pouvoir leur éviter de se prendre sur la tête des pluies de bombes. Aux croque-morts : prévoyez donc 100 à 200 000 places de plus dans vos places de cimetière pour cette seule année et autant de jolis drapeaux bleus et jaunes.
    Une dernière remarque concernant cette nouvelle phase dite « offensive ». Autant que je puisse en juger, ces assauts sont toujours limités, utilisant relativement peu d’hommes et de matériels lourds, y compris dans la dernière poussée soi-disant de Hrarkov (je doute fort que cette ville soit la cible de l’opération), et je reste convaincu que le but premier de l’état-major russes reste encore et toujours l’attrition. Comme je l’ai expliqué, l’attrition se marie en général avec la défense et non l’attaque. Le fait que les Russes ont visiblement l’intention de réaliser dorénavant cette attrition par l’offensive est possiblement une innovation stratégique (à discuter avec des historiens militaires). Cette volonté est en tout cas en plein accord avec l’accent mis ces derniers jours par Poutine sur l’importance du développement qualitatif et quantitatif des drones et autres robots militaires. Si vous voulez attaquer sans trop risquer de pertes, on ne voit en effet pas de meilleur moyen qu’une armée de robots. Oh, ne vous attendez pas à Terminator, mais attendez-vous néanmoins dans un futur proche à observer la première bataille de robots et cette bataille-là ne peut être remportée que par le pays le plus industrialisé.

    J’en viens donc tout naturellement à la partie spéculative de mon essai, les stratégies prévisibles des deux camps pour le temps à venir : je m’accorde deux années de visibilité avant d’aborder l’inconnu insondable. Pour l’Otasunie, il s’agit essentiellement maintenant de masquer sa défaite par des actions de plus en plus inconsidérées à mesure que Moscou étrangle Kiev, des actions qui venant de tout autre pays moins vertueux et démocratiques seraient qualifiées de « terrorisme » mais que l’on préfère renommer comme des opérations asymétriques. Le dernier projet en date est de détruire le pont de Crimée (qui n’a guère d’importance militaire, l’armée russe ne l’utilisant plus), ce qui est presque bénin comparé à certains projets plus grandioses comme l’attaque encore et toujours de la centrale nucléaire de Zaporojié, la plus grande d’Europe dit-on. Mais même dans cette stratégie strangelovienne, les Otasuniens n’ont pas les meilleures cartes. L’an passé, les patrons de Washington ont escaladé d’un cran la confrontation en envoyant des bombes à sous-munitions à leurs sbires au trident, normalement proscrites selon les conventions internationales (mais les règles bien sûr ne sont pas faites pour Washington) ; résultat : les Russes ont répondu avec les leurs et ils en possèdent beaucoup plus. Le même résultat sera immanquablement atteint avec n’importe quel armement utilisé. Les Russes ont beaucoup plus de munitions de tous types et il est certain que cette différence ne fera que s’accroître dans les deux ans à venir. Si nos psychopathes en charge visent des cibles civiles, faute de pouvoir s’attaquer à des cibles militaires, s’ils passent par des groupuscules ou mercenaires exotiques comme cela a certainement été le cas pour le massacre du concert à Moscou, ils s’exposent à des représailles tout aussi « asymétriques ». La solution évidente serait d’entamer un véritable processus de négociations avec Moscou mais c’est justement ce qu’ils ne veulent absolument pas faire car ce serait, de fait, reconnaître leur défaite, étant donné que les termes seront dictés par le camp d’en face. La diabolisation à outrance, à toute outrance comme dirait le cavalier blanc, des Russes et de Poutine en particulier, rend la chose encore plus impossible sans perdre complètement la face. Ils se sont littéralement fait piéger par leur propre rhétorique, leur propre propagande. La vérité est qu’ils se trouvent dans la situation du général qui a coupé tous les ponts derrière lui pour obliger ses troupes à toujours avancer et qui fait maintenant face à un mur de feu, sans nulle part où se cacher.
    Les conséquences de ce conflit seront terribles pour l’Occident dans son ensemble et pire encore pour son maillon faible : l’Europe. Aux yeux du monde, du reste du monde, de la grande majorité globale, il va perdre toute crédibilité, toute légitimité, tout respect. Le mieux qu’on peut espérer après ces dernières atrocités (je compte Gaza dedans) est de finir assignés à résidence dans notre île de liberté et de démocratie jusqu’à notre décrépiscence ultime, tandis que les corbeaux et autres vautours se rapprocheront lentement en cercles de plus en plus étroits au-dessus de nos têtes.
    Pour la Russie, que les nouvelles frontières soient le long du Donbass ou le long du Dniepr à la fin de la guerre, le challenge sera la reconstruction et le poids qu’elle va faire peser sur son économie. Il n’est pas sûr, pour le moins, que les investisseurs se pressent au portillon, voyant l’étendue des dégâts et la perte démographique due à l’émigration massive de ces dernières années. Ce sera probablement long, probablement plus long que la reconstruction de l’Allemagne d’après-guerre, et se fera en plusieurs phases : la reconstruction des grandes infrastructures et des immeubles d’habitation, et seulement ensuite le redémarrage économique. En attendant, il est probable que la Russie va devoir sérieusement mettre la main à la poche pour faire vivre tous ces gens sans revenus bien établis. On peut supposer que le secteur agricole sera beaucoup plus prompt à repartir de l’avant, une fois que les champs auront été nettoyés de leurs divers engins d’artifice non récréative. On a eu la preuve que l’armée russe savait faire cela très vite, en particulier dans la région de Marioupol.
    Cependant, malgré les difficultés, cela se fera. La Russie a et aura encore plus dans les années à venir la puissance financière pour assurer le gros de la reconstruction. Actuellement, la Russie consacre autour de 6% de son PIB à la guerre (ce qui dans tous les cas n’est rien du tout comparé à une véritable « économie de guerre », contrairement aux affirmations des premiers prix Macron d’histoire et d’économie) ; eh bien elle consacrera cette somme à la reconstruction au lieu de la destruction. On peut aussi penser que le partenaire chinois sera intéressé à investir dans le projet « Nouvelle Russie » et peut-être même « Petite Russie » (c’était le nom de ces régions dans l’ancienne Russie), une fois le grand nettoyage et les principales infrastructures achevés. En fait, il n’est même pas évident que la Russie aura plus à payer que ce que l’Empire doit payer et va continuer de payer pour maintenir à flot le bateau fou et percé de toutes parts qu’est son proxy ukrainien. L’intégration des populations ne sera pas un gros problème : elles sont comme je l’ai dit très majoritairement russophiles et bien sûr russophones sans exception. On pourrait faire un parallèle avec les populations d’Allemagne de l’Est quand elles ont choisi de rejoindre la RFA. C’est d’autant plus tentant que les régions du Donbass, par faute d’investissement de la part de l’ex-nation souveraine d’Ukraine dans ces régions depuis 1991 sont très attachées sentimentalement à l’URSS ; tout ce qu’il y a encore de solide ici date en effet des soviétiques, ce qui rend les autochtones quelque peu nostalgiques de cette période. J’entends assez souvent des Russes s’étonner de l’atmosphère soviétique qui règne ici, comme si tout l’est (et le sud) de l’ex-Ukraine s’était figé dans le temps. Néanmoins, par comparaison avec la Crimée, qui était dans un cas similaire mais qui a de l’avance, on peut deviner que ces réticences fondront comme neige au soleil devant des retraites et des salaires plus élevés, une assurance sociale très généreuse (aussi généreuse en fait que celle qu’avaient les Français il y a trente ou quarante ans, en conjonction avec un système de santé très performant) des infrastructures neuves et surtout de vraies perspectives d’avenir. Et la Russie n’est pas la grosse dinde d’Allemagne, farcie par l’orifice habituel (je ne vous dirai pas par qui sauf que c’est un amateur de dindes et que son petit nom est Sam). Elle a un énorme potentiel qui va croissant ; investir n’est pas du tout un problème pour elle, c’est juste la question d’atteindre un degré d’attractivité suffisant car contrairement à ce que nos lavés du cerveau croient, ce n’est pas Poutine qui décide de tout en appuyant sur un bouton depuis son bureau du Kremlin. En appuyant sur un bouton, on peut éventuellement détruire un paquet de choses mais on ne peut rien construire.
    Le seul danger important qui guette dans les deux années à venir la Russie et le monde avec elle, n’est pas l’essor du terrorisme venu des restes fumant de l’Ukraine occidentale et occidentalisée, très prévisible en effet. Elle sait gérer comme on dit, elle a toute l’expérience qu’il faut : merci Washington, merci la CIA. En gros, elle saura faire passer le goût de ces aventures aux occidentaux et à Washington en particulier, au moins dans ses plates-bandes. Non, le danger est la prise de conscience actuelle de l’Occident de son incapacité à rivaliser avec la Russie dans le domaine des armements conventionnels. Le risque numéro 1, clairement identifié par les leaders russes, est donc la tentation pour quelques têtes brûlées occidentales (et ce n’est pas ça qui manque entre le derviche tourneur Macron, l’écervelée Von der Leyen et le sénile Biden, parfaitement mûr pour un second mandat selon les critères washingtoniens) d’utiliser des munitions nucléaires tactiques. Soyons clair, si Washington a la conviction qu’ils s’en tireront sans trop de dégât de leur côté, protégés des retombées par les deux océans, ils le feront, ou ils pousseront ces niais d'Européens à le faire pour eux. Et c’est pourquoi, très régulièrement, Poutine ou Shoïgou ou un autre doivent rappeler à ces irresponsables que la Russie est prête aussi pour ce genre d’actions et que leurs décisions auront des conséquences très désagréables pour tous les envoyeurs. D’après la plupart des gens mieux versés que moi dans cette matière, n’importe quelle munition nucléaire employée dans un conflit entre puissances nucléaires, même tactique (à faible rayon d’après ce que j’ai compris) entraînera fatalement une escalade menant à la guerre nucléaire totale.
    Pour finir par une note plus optimiste, raisonnablement optimiste, je dirai que la Russie, en payant beaucoup de sa personne, comme d’habitude, est en train de tracer la voie difficile et périlleuse qui nous éloigne de l’ancien monde, celui des empires hégémoniques, très belliqueux, ne supportant ni la contradiction ni la concurrence, pour aller vers le nouveau, beaucoup plus civilisé, mieux partagé, plus tolérant, plus divers. Oui, le monde est sur la bonne voie… tant que ça ne se termine pas en guerre nucléaire.

*Notons ce qui est tu soigneusement par nos grands et même petits médias : La Banque Mondiale, organisme peu susceptible de biais pro-russe, vient de faire paraître ses derniers calculs de PIB. Contrairement au FMI, elle recalcule tous les cinq ans les PIB nationaux en parité de pouvoir d'achat, estimant à juste titre que c'est beaucoup plus représentatif de la réalité d'une économie, bien que ça soit beaucoup plus compliqué et long à réaliser (d'où les cinq ans). Eh bien, ils se sont aperçus à New-York, oh surprise consternante, que la Russie était devenue la quatrième puissance mondiale économique mondiale, devant l'Allemagne et juste devant le Japon... et ceci depuis... 2021! Si on ajoute à ça que la Banque Mondiale est la première à reconnaître qu'il y a environ 40% de l'économie russe qui échappe à sa comptabilité, ça donne une tout autre perspective de la Russie actuelle que les bobards habituels.

(Une vidéo intéressante et quelque peu émouvante pour terminer, concernant la reconstruction de Marioupol, faite par un habitant de la ville : comparaison entre Marioupol avant 2022, pendant la bataille et actuellement, dans sa phase de reconstruction.)




samedi 11 mai 2024

Le paradoxe russe : boom économique au milieu des sanctions



    Dans cet article, je vais montrer que non seulement, les sanctions n’ont pas eu l’impact envisagé par les Washingtoniens (dont nos gouvernants font partie, je le rappelle à toute fin utile) mais qu’elles ont eu l’effet inverse, et qu’en réalité elles sont une des causes de l’essor spectaculaire de la Russie ces dernières années, spécialement après 2014.
    2014 est en effet l’année charnière, la date qui à mon avis doit être marquée en gros dans tous les manuels d’histoire à venir. C’est bien sûr la date à laquelle les Criméens dans leur immense majorité ont choisi, très démocratiquement, de rejoindre la Fédération de Russie (en réalité plus l’officialisation d’une réalité du terrain qu’autre chose) suite au coup d’état contre le gouvernement (modérément) pro-russe, élu lui démocratiquement, même si Yanoukovitch n’était pas forcément beaucoup plus brillant que les singes qui nous servent de leaders. Mais c’est surtout la date à laquelle le monde libre, démocratique et hautement vertueux de l’Ouest, a décidé dans son immense sagesse de déclencher l’enfer des sanctions économiques sur le peuple russe pour lui apprendre à respecter la démocratie ukrainienne, si exemplaire comme chacun sait. Pas 2021 ou 2022, non 2014. Jamais dans l’histoire du monde, de cette planète, un pays n’aura été autant sanctionné que la Russie depuis cette date, même pas la Corée du Nord !
    Il faut comprendre que ces sanctions ont pour but premier de punir les peuples pour voter mal, ou pour ne pas avoir commis quelque révolution sanglante, surtout pour eux, contre leur despote évidemment méchant et surtout rétif aux beaux enseignements dispensés par nos grandes démocraties. L’effet envisagé est donc de saper l’économie du pays ciblé, de baisser drastiquement le niveau de vie de ses habitants, jusqu’à ce qu’ils aient le courage de renverser leur odieux dictateur. Ce sont bien toujours les peuples qui sont visés dans ces plans si typiques de l’Occident des Droits de l’Homme, et parmi eux bien entendu les plus pauvres en particulier. Remarquons encore que les méfaits de l’OTAN et de son protégé vert de gris ciblent particulièrement la Crimée, qui a commis le double crime impardonnable de résister à ce criminel notoire de Porochenka et de sa bande de racketteurs en chemise brune puis de choisir de retourner à la Russie (qu’elle n’aurait jamais dû quitter si Kroutcheff n’en avait pas décidé autrement dans les années 50 pour d’obscures considérations politiques).
    Personnellement, je date le début de l’envol économique russe de 2014 ou peu après. Avant, de 1999 à 2014, la Russie avait connu dans l’ensemble une amélioration réelle de ses chiffres mais assez discrète pour passer sous le radar des occidentaux, en tout cas de ses grands médias. Le boost, ce catalyseur imprévisible des plus grandes réactions, a été fourni par la première vague de sanctions prise en 2014 par l’Empire. Dès 2015 et l’intervention de la Russie en Syrie, contre l’Empire et ses vassaux, on peut estimer que l’hégémonie mondiale des Washingtoniens est en train de vaciller, même si alors personne ou presque ne soupçonne le changement de paradigme en cours. On commence à se méfier de la Chine sans vraiment la prendre au sérieux (juste des fourmis asiatiques qui singent, très mal d’ailleurs, nos brillants cerveaux), on ne prend plus du tout au sérieux la Russie. Qui en Occident s’est aperçu que l’entreprise normale de démolition démocratique en cours de la Syrie par nos champions des Droits de l’Homme, si efficace en Irak, en Serbie ou en Lybie, avait été brutalement stoppée dans son élan vertueux puis rétrogradée par l’armée russe ? Pas grand monde, de toute évidence, mis à part les Syriens.
    Incontestablement, un second booster s’est allumé en 2021 lors de la vague suivante de sanctions, suivie de la troisième vague, de la quatrième vague, de la cinquième… propulsant toujours plus vite et plus fort la fusée russe. L’obstination des occidentaux est remarquable, l’exemple parfait de la stupidité (plutôt que de la folie) ainsi définie par Einstein : faire encore et toujours la même chose en espérant un résultat différent. Maintenant, il est évident que sanctionner la Russie ne suffit plus, il n’y a plus rien à sanctionner, il faut passer à la Chine. On peut prévoir d’admirables résultats là aussi, tant nous avons du mal à voir où sont nos atouts maîtres. Si l’effet de la première vague avait été progressif, peu sensible au tout début, il a en revanche été presque immédiat lors de la seconde, même pour les esprits les plus bouchés (et ce n’est pas ça qui manque par ici). Les Washingtoniens avaient l’excuse en 2014 de ne pas savoir que ce type de sanctions ne fonctionnaient pas sur la Russie (si les sanctions ont échoué précédemment a renverser les régimes haïs de Corée du Nord ou d’Iran, ils avaient en revanche eu un impact considérable sur leur économie, et donc sur les populations ciblées) et avaient même a posteriori l’effet inverse ; ils ne l’avaient plus en 2021, 2022, 2023, 2024.
    Pourquoi un tel effet, si paradoxal en apparence ?
    La première chose et la plus importante est l’énorme appel d’air que ces sanctions ont créé pour les entreprises russes. Quand vous sommez de fait, ou fortement invitez les grands groupes occidentaux à cesser tout commerce avec la Russie, vous créez les conditions idéales pour un afflux domestique massif sur les secteurs délaissés. Très difficile, sinon impossible, pour les entreprises russes de rivaliser avec des marques bien établies, à la clientèle prisonnière pour ainsi dire (pardon, il y a un terme plus élégant pour ça mais j’ai oublié), d’Airbus, de Boeing, Renault-Dacia, Volkswagen, Carrefour, Mac Donald, KFC, pour ne prendre que quelques secteurs parmi des milliers. Ne vous laissez pas distraire par tout le bla-bla à propos de « l’effort de guerre » qui générerait une hausse artificielle du PIB de la Russie. Il n’y a pas d’économie de guerre dans la Russie actuelle pas plus, et même moins, qu’il n’y avait d’économie de guerre aux USA lors de la guerre du Viêt-Nam. Une économie de guerre, c’est la France en 1914 ou l’Allemagne en 1939, l’URSS, le Japon et les USA en 1941 : ne confondez pas les situations, s’il vous plait. L’essentiel du boom de ces deux dernières années s’inscrit dans l’industrie (et pas seulement militaire), dans l’agriculture, dans la production domestique hors énergie. En réalité, comme le PIB (nominal et même par parité de pouvoir d’achat) est un instrument de mesure taillé tout spécialement pour le type d’économies occidentales, si on peut encore appeler ça des économies quand elles ne produisent presque plus rien, l’essor est encore bien plus considérable que ne l’avouent les chiffres officiels de la Banque Mondiale et du FMI, organismes à la solde de l’Empire (très littéralement) et donc peu susceptibles de dorer la pilule russe. En fait, on a réussi ce que les Russes ne parvenaient à réaliser tout seuls depuis des décennies, faire vraiment décoller leur économie dans son ensemble, et pas seulement les fusées Soyouz. Certains disent en Russie que le gouvernement Biden est le plus grand cadeau qui a été fait à la Russie par l’étranger et ce n’est pas seulement une manière de plaisanter. Les Russes, comme tout le monde, ont tendance à choisir la voie de moindre résistance, mais si vous les obligez à se retrousser les manches, à devenir créatifs, ils en sont parfaitement capables. Cet effet hautement bénéfique des sanctions ne pouvait bien sûr arriver que dans un pays en grande partie autarcique et possédant déjà toutes les composantes nécessaires à ce décollage : le niveau d’instruction général, la main d’œuvre qualifiée, le savoir-faire, les ressources, les infrastructures et la capacité d’investissement. Sur ce dernier point, il faut noter le surplus de la balance commerciale russe considérable depuis des années ; c’est cette masse financière qui lui a permis d’investir massivement et instantanément dans presque tous les secteurs délaissés par les entreprises occidentales (la réactivité russe lors des dernières sanctions a été si impressionnante qu’il est difficile de ne pas y voir un coup d’échec prémédité).
    Il y a d’autres domaines que l’économie où la Russie a particulièrement excellé depuis 2014. Je ne parlerai pas de l’aspect militaire qui devrait faire l’objet d’un article ou deux ici-même, dans la suite du cours des Âges comme disait Isidore Ducasse. En fait, j’en vois un où les progrès réalisés sont encore plus spectaculaires que ceux militaires ou économiques : je veux parler de la stratégie géopolitique dont une branche essentielle s’appelle la diplomatie. La diplomatie est devenue quelque chose d’entièrement obsolète en Occident. Depuis la chute de l’URSS et la conviction des Washingtoniens qu’ils étaient sans rivaux, ils ont décidé qu’ils avaient réalisé leur vieux rêve infantile : devenir les maîtres du monde, de la planète et de l’univers pour ce qu’on en sait. Dans cette vision, l’Europe, la vieille Europe, l’ancien Commonwealth et les deux du soleil levant ne peuvent prétendre qu’à un rôle au mieux d’ambassadeurs ou des seigneuries vassalisées. On ne parlera même pas d’Israël qui est de fait le cinquante et unième État des US, la base avancée de l’Empire chargée de faire régner l’ordre et les Droits de l’Homme au Moyen-Orient.
    L’idiotie patente — excusez l’expression mais je ne vois pas d’autres termes adéquats — consistant à traiter le reste du monde comme des arriérés, des dupes ou des écoliers à qui on distribue les coups sur les doigts révèle une arrogance et un dédain sans limite. C’est d’autant plus stupide quand vous savez à quel point l’Occident a besoin de ces mêmes pays pour continuer à faire fonctionner cahin-caha sa vieille civilisation rouillée. Il en a besoin pour la main d’œuvre bon marché, pour l’importations de biens divers tout aussi bon marché, pour exporter leurs déchets innommables, pour leurs ressources abondantes dont il manque tant (l’Europe en particulier mais aussi le Japon). Là encore, cette attitude déplacée, dirons-nous pour parler comme cette jeune fille bien élevée qui vient de se faire violer puis dévaliser par trois individus dans le métro (mais ils lui ont laissé quelques billets dans son portefeuille, c’est très gentil de leur part), a ouvert un énorme appel d’air. On sait que les Chinois n’ont pas été les derniers à s’y engouffrer. La Russie n’ayant pas la puissance d’investissement tous azimuts de son voisin asiatique a davantage choisi les endroits où pousser ses pièces, mais avec une réussite non moins évidente. Nous en avons eu dernièrement des preuves flagrantes, nous Français, avec les pays d’Afrique occidentale francophone qui passent les uns après les autres à « l’ennemi », mais cela ne se limite évidemment pas à ces seuls pays d’Afrique. Pourquoi passent-ils à l’ennemi ? Eh bien justement parce que nous ne savons plus faire de diplomatie. Celle-ci basiquement consiste à établir des rapports de confiance mutuelle entre égaux, impliquant nécessairement la franchise (contrairement à ce qu’on semble s’imaginer chez nous où le comble du raffinement de la diplomatie, comme de la politique d’ailleurs, est de promettre au « client » ce qu’il a envie d’entendre sans la moindre intention de joindre l'acte à la parole) où chaque partie fait des concessions, où chaque partie obtient un avantage de valeur à peu près égale à ce qu’il concède. Prenons un exemple un peu plus exotique pour un Français que le Niger ou le Mali : le Soudan. Actuellement, la Russie est en pourparlers avec le gouvernement soudanais du Nord pour obtenir l’autorisation d’établir une base militaire en mer rouge. L’intérêt pour la Russie est évident : les Houthis d’un côté, les Russes de l’autre : imaginez ces pauvres Washingtoniens pris entre ces deux feux ! En échange, les Russes proposent d’aider à débarrasser le pays des factions rebelles ou terroristes (probablement armés par la CIA, d’ailleurs, cet universel pourvoyeur de démocratie et de liberté comme on sait) et on connaît depuis la Tchétchénie, la Syrie ou le Mali leur efficacité dans ce domaine. Cela semble un bon deal. La force de la diplomatie russe ou chinoise est qu’elle est basée sur la franchise, le respect mutuel et l’assurance du partenaire que les promesses ne seront pas vaines. Les Chinois construisent réellement ce qu’ils ont promis, parfois même gratuitement, comme en Éthiopie, les Russes combattent efficacement les groupes divers et variés chargés d’apporter le chaos dans tous les pays que l’Empire n’aime pas. Les Américains, culottés comme toujours, et les Européens, de plus en plus niais, viennent pleurnicher après sur les babouches des Africains qu’ils perdent toutes leurs anciennes colonies au profit de ces affreux Chinois ou Russes. J’ai encore entendu récemment un « diplomate » allemand venir se plaindre devant le président de la Namibie (une ancienne colonie allemande) que son gouvernement fricotait beaucoup trop avec les Chinois et pas assez avec eux. Oh très poliment dit ! Ces Allemands sont devenus très polis ; ils disent même merci quand leurs amis washingtoniens font exploser leur tuyau principal d’énergie bon marché : vraiment très polis. Mais enfin personne n’est dupe et surtout pas le Namibien en question. Pourquoi pas avec les Chinois, a-t-il répondu ? Ils sont corrects, nous en donnent pour notre argent contrairement à vous, et ne nous distribuent pas des leçons de morale en prime. Voilà en gros la teneur des dialogues actuels entre les « diplomates » occidentaux et les gouvernements du « reste du monde ». Et qui peut s’étonner sérieusement que nos entreprises perdent sans cesse des parts de marché dans le « reste du monde » au profit des Chinois ou des Russes ? Qui construit en ce moment-même des centrales nucléaires en Turquie, en Égypte, au Bengladesh, en Hongrie, en Slovaquie, en Inde et en Chine ? Non, ce ne sont pas les Français. Je vous donne un petit indice, ça commence par un R comme dans Russie et Rosatom. Pourquoi y-a-t-il une telle attirance pour les BRICS dans ce vaste « reste du monde » ? Les bonnes relations diplomatiques appellent les bonnes relations commerciales, cela va de soi. Ce n’est évidemment pas que les Africains ou les asiatiques ou les "autres" Américains aiment particulièrement les Russes ou les Chinois, c’est juste que leur intérêt est pris en compte par ces derniers et que discuter avec ces gens-là est au final bénéfique pour leurs pays. Qu’est-ce qu’il y a de dur à comprendre là-dedans ?

    Pour finir, en guise d’illustration du boom économique de la Russie actuelle, je mets ci-dessous cette vidéo de Rhod MacKenzie, un Britannique comme tout le monde peut le deviner aisément, ne serait-ce qu’à son horrible accent d’Oxford (oui, je sais, on ne doit pas dire ce genre de choses), mais vivant et travaillant en Russie depuis bien des années. Eh bien, à en juger son état physique, il ne doit plus être très actif. Je sais que le bonhomme peut faire peur à voir, rivé éternellement à son lit décoré aux couleurs du Royaume-Uni, sans parler de ses tics de diction désagréables, mais je vous invite à l’écouter très attentivement (si vous n’êtes pas anglophone, vous pouvez toujours opter pour la traduction automatique en français, ou en russe, si vous êtes sur Yandex !) : sa compétence et son expérience en matière d’industrie, spécialement minière, me semblent indubitables. Ce qu’il dit est vraiment très intéressant, si intéressant que vous pourriez avoir envie de consulter sa chaîne Youtube qu’il alimente presque quotidiennement (j’imagine que c’est son passe-temps d’infirme alité). Le sujet pourra surprendre quelques-uns car bien que la Russie soit réputée comme une grande productrice de ressources naturelles, tel le gaz ou le pétrole, on ignore généralement qu’elle est très bien placée pour l’extraction de cette relique barbare venu du passé, l’or. Actuellement, c’est même le second producteur mondial et selon cet expert, au vu des ressources disponibles et de la montée en puissance de sa production, elle devrait prendre la pole position dès 2025. Ce qui est encore plus intéressant est que le boom de cette industrie en Russie est en fait récent, dû à une volonté gouvernementale très claire. Eh bien qui ne voudrait pas posséder de l’or physique en ce moment et encore plus dans les années à venir (et je ne parle pas ici de décennies) ? Là encore, je crois qu’on peut sans timidité mettre cet actif si judicieux en cette époque troublée parmi les pièces maîtresses de la Russie sur l’échiquier international et parmi les grandes réussites stratégiques du gouvernement russe, en particulier de son leader si sympathique, VVP.